Une (nouvelle) théorie de l'évolution
(en travaux)
d'après R. Chandebois

Pour en finir avec le Darwinisme, Espaces 34, 1993 (cité PFD dans le texte)
Comment les cellules construisent l'animal, Phénix Éditions, 1999 (cité CCCA dans le texte)

L'essentiel des idées présentées ici viennent de Mme Rosine Chandebois (voir les références ci-dessus et d'autres dans la bibliographie). Bien évidemment, j'assume les déformations et incompréhensions que j'ai pu y ajouter, ainsi que ce qui me paraît être mon propre fond, dont je ne connais pas toujours l'origine.

1. Essai de formulation de la théorie et de ses lois

L'évolution est à la fois stabilité et variation de la forme, des structures et des fonctions.
L'évolution c'est le résultat du travail de la vie.
C'est un travail commencé il y a peut-être des milliards d'années et qui se répète dans chaque cellule. La plupart du temps le travail est identique à lui-même: chaque cellule donne naissance à une nouvelle cellule, qui reproduit les mêmes propriétés que la cellule mère.
Cette répétition repose sur la théorie cellulaire (voir par exemple le cours de seconde, §1.3), qui englobe une théorie de la stabilité de la forme et des fonctions que l'on peut appeler automatisme (toute cellule est issue d'une autre cellule). Le problème de l'origine de la vie est un problème à part traité dans l'ancien cours de terminale S. Mais si l'on veut que les organismes puissent évoluer il faut un mécanisme capable d'engendrer la variation et de la mémoriser. Mais attention, ce dynamisme peut avoir une origine interne: ce n'est pas la surimposition d'un élément nouveau, mémorisé, mais ce peut être une sorte de répertoire naturel de variation, un futur toujours ouvert, bref une caractéristique profonde du vivant. Les termes de comportement social (utilisé par l'auteur) ou de travail sont toujours préférables à celui de mémoire.
Le terme de travail englobe et dépasse ceux d'automatisme et de variation car, tout en évoquant la répétition d'un même phénomène, il laisse entendre, philosophiquement, que chaque nouvelle vie, chaque instant du travail du vivant, est l'expression de quelque chose de vraiment nouveau car il ne s'est jamais déroulé dans les mêmes conditions par le passé (voir par exemple la page sur le temps du cours de terminale).

Du point de vue scientifique, il existe au moins deux modèles qui rendent compte de ce travail ou de cette stabilité et de cette variation.

A la notion de programme de développement (pour lequel aucune expérience n'a jamais pu mettre en évidence le début d'une preuve) R. Chandebois oppose, pour les pluricellulaires, l'automatisme embryonnaire caractérisé par une progression autonome et des réajustements, phénomènes réellement observables et dont la validité peut être testée expérimentalement en embryologie. L'autonomie du développement embryonnaire, principalement étudié chez les animaux, repose sur la double capacité de chaque cellule à répondre à chaque instant aux signaux qu'elle reçoit des cellules voisines et à mémoriser son histoire: ce que R. Chandebois appelle le comportement social élémentaire. Si ce comportement autonome reste un mystère, c'est celui de la vie. En effet, l'autonomie d'un organisme unicellulaire se résume aux trois aspects du travail du vivant: travail de relation, de nutrition et de reproduction (voir la diversité du vivant). Cette interprétation s'intègre donc aisément dans une vision "sociale" du travail du vivant et est d'une grande richesse pour des expériences à mener.

L'automatisme de l'évolution (évolution directionnelle et évolution adventive) est par contre du domaine théorique historique mais fournit un cadre pour l'interprétation des données paléontologiques.

Pour les pluricellulaires, le système cellule est coiffé par un système hiérarchiquement supérieur, le système individu au niveau duquel sont coordonnées les progressions autonomes des différentes populations cellulaires composant l'organisme, notamment par le moyen de substances chimiques.
* Le système lignée ou la complexification des formes vivantes dans l'espace (de petites formes à de grandes formes, du milieu aquatique à tous les milieux terrestres... ) et dans le temps (des organismes dont la durée de développement s'allonge et dont la durée de vie s'allonge...) a depuis longtemps été résumée par une loi qui est celle de la division du travail (la formulation d'Haeckel, pourtant identique, recouvrait des concepts très différents, voir ancien cours de terminale &4.a2).
Plus le travail du vivant est réparti entre différentes structures, au sein d'un organisme, plus ce dernier est évolué (ou récent phylogenétiquement).
Cette division du travail résume une succession d'innovations qui nous permettent de bâtir la classification évolutive (phylogénétique) du vivant. Parmi celles-ci on peut citer: la compartimentation de la cellule (des procaryotes aux eucaryotes), la spécialisation et différenciation cellulaire (des unicellulaires aux pluricellulaires) ou encore la différenciation organique (des thallophytes aux plantes...). Voir une présentation de cette classification la diversité du vivant.
* L'embryologie ajoute un autre élément qui semble caractériser l'évolution: c'est l'allongement de la période de développement. Ce que l'on pourrait appeler le temps de travail ou, avec un clin d'œil à Bergson, la durée du travail.
Plus le travail du développement qui donne naissance à un organisme dure, plus ce dernier est évolué (c'est-à-dire récent, phylogenétiquement).
Plus la durée du développement augmente, plus les interactions entre cellules différenciées sont nombreuses et complexes et conduisent à des organismes évolués et complexes.

2. Quelques exemples (en cours d'élaboration)

Étant donné les profonds changements d'ordre de grandeur entre les étapes évolutives qui font passer par exemple un ancêtre procaryote à l'état eucaryote, un eucaryote unicellulaire à un eucaryote métazoaire, un métazoaire invertébré à un métazoaire vertébré, ou d'un ancêtre des félidé au chat actuel, peut-être serait-il prudent de présenter plusieurs classifications phylogénétiques. Le premier problème à mettre en avant, sans pouvoir le résoudre, du moins dans le cadre d'un tel cours, est celui du choix, pour toutes les étapes évoquées, entre une origine monophylétique (une seule lignée ou clade) et une origine polyphylétique (plusieurs lignées conduisant à un groupe). Les arguments sont parfois solides pour les deux hypothèses, mais ne seront bien sûr pas détaillés ici.

On gardera ici la classification du monde vivant en 5 règnes, comme il a été vu en classe de seconde (&1.4).
Pour chaque règne, je renvoie aux généralités présentées dans une page annexe sur la diversité du vivant, dont voici cependant les grandes lignes:

  1. les Procaryotes = un compartiment unique où se réalisent des travaux multiples; des populations innombrables de travailleurs aquatiques, cachés et silencieux
  2. les Protistes = une cellule compartimentée en organites réalisant chacun un travail spécialiste ; des populations parfois regroupées mais qui restent inféodées à l'eau
  3. les pluricellulaires: des sociétés cellulaires orientés vers des travaux différents dans l'écosystème
  4. les Mycètes : des sociétés très diversifiées qui unissent, tissent des liens, recyclent, transforment...
  5. les Plantes : des sociétés de cellules qui se fixent en un lieu et colonisent l'espace; les plantes ont conquis le milieu aérien
  6. les Animaux : des sociétés de cellules qui se déplacent au sein de leur milieu de vie; de nombreux animaux ont conquis le milieu aérien
  7. et si l'on ajoute un 6ème règne: les Hommes (biologiques): des sociétés de cellules se regroupant en sociétés d'individus et cherchant à maîtriser la terre

Deux grandes étapes évolutives avec deux exemples de théories évolutives :

En résumé voici une représentation simplifiée de l'arbre phylogénétique du vivant avec les étapes majeures (inductions) de l'évolution:


Les étapes majeures de l'évolution,
une représentation qui n'élude pas la question biologique de l'homme.

En bleu les 5 grandes étapes (inductions) isolées par R. Chandebois, pouvant être regroupées en terme de division du travail (division reprise pour chaque règne dans la page annexe sur la diversité du vivant).
L'évolution directionnelle représentée par des flèches dirigées vers le haut du schéma (temps actuels) ne signifie pas que l'évolution est déterminée par une finalité externe (contrairement à ce que l'auteur peut faire penser en utilisant le terme progrès dans son schéma et que nous n'avons bien sûr pas repris; voir Dominique Letellier, La question du hasard dans l'évolution, L'harmattan, 2002, p 136-139) mais que c'est cette finalité interne (voir cours de TS), qui est un automatisme que l'on pourrait qualifier - selon cet auteur - de « faculté des organismes à s'auto-organiser dès lors qu'ils se sont donnés à eux-mêmes les moyens de le faire », qui a conduit à cette histoire là , que nous essayons de déchiffrer . Cette histoire repose sur l'étude des archives paléontologiques (très pauvres pour les étapes présentées ici) et sa connaissance est donc perfectible.
(MODIFIÉ d'après R. Chandebois, Pour en finir avec le darwinisme, Espaces 34, 1993, p 208, Fig.12); les 5 règnes ainsi que l'homme ont été individualisés.

3. Quelques questions-réponses autour de cette théorie
(les réponses n'engagent que ma compréhension personnelle ).

Quelles différences y-a-t-il entre évolution orientée et évolution directionnelle ?
Dire que l'évolution est orientée, c'est affirmer qu'elle à un sens (en mathématique on utilise ce terme pour les vecteurs et l'analogie est très forte puisque de nombreuses personnes se représentent le temps comme une flèche, et donc avec une orientation). Dire que l'évolution est orientée est donc une évidence si l'on ne désigne par là que le temps de l'évolution. Par contre, dire que l'évolution est directionnelle (toujours cette analogie avec la flèche du temps) suppose qu'elle est unique, qu'elle emprunte un chemin unique, déterminé en quelque sorte. Ce qui est un tout autre problème...non biologique. Pourrait-elle "reculer" c'est-à-dire aller dans un sens différent ? Clairement non, le passé est définitivement passé. De la même manière, pourrait-elle changer de direction ? Et dans ce cas, par rapport à quelle direction ? D'après la théorie de Mme Chandebois, on pourrait dire que la direction de l'évolution est unique, car elle n'est pas déterminée par le futur mais par le passé. En ce sens, l'évolution n'est pas directionnelle mais elle est bien orientée.

Quel est le moteur de l'évolution ?
C'est la vie, dans son caractère autonome et fragile ou adaptable: dans sa stabilité qui n'empêche pas la variation.
Certains verront dans l'évolution du vivant une constante adaptation, un réajustement, pourrait-on-dire, mais à l'échelle écologique et non plus de l'individu.
Du point de vue philosophique, on peut mettre dans la première cellule - en supposant que tous les êtres vivants dérivent d'une cellule unique - toute la capacité d'être (à l'état de possible) de l'ensemble des êtres vivants de tous les temps (ce que fera un matérialiste). On peut au contraire penser que la matière n'est que le lieu de cette capacité d'être et que le principe vital (l'être en tant qu'acte) est ailleurs et accompagne sans cesse chaque être vivant dans sa vie (ce qui est plus ou moins un vitalisme).

L'évolution est-elle terminée ? Que peut-elle encore donner ?
Sans jouer les prophètes on peut, à mon avis, adopter raisonnablement au moins deux attitudes, qui ne sont pas incompatibles d'ailleurs:
- soit penser avec P.P. Grassé (&3.d.2) et R. Chandebois que l'évolution actuelle se résume à la spéciation et que donc l'évolution est en train de se terminer: «...la marge de manœuvre de l'évolution n'a cessé de s'amenuiser : à l'Ordovicien, la genèse des embranchements s'arrête, au Jurassique, celle des classes, au Paléocène-Eocène, celle des ordres » (L'évolution du vivant, P.P. Grassé, Albin Michel, 1973, p 124); cet amortissement cadre avec l'alternance de l'évolution directionnelle et adventive, une évolution directionnelle intervenant maintenant ne peut faire sortir les individus du cadre de l'espèce (voir PFD, p 115 [38]).
- soit penser qu'un nouveau venu: l'homme, est capable, par sa technique, de diriger cette évolution comme nous le suggère par exemple G. Tibon-Cornillot dans son ouvrage Les corps transfigurés. Cette dangereuse liberté exige que l'homme agisse avec un respect total du vivant, à commencer par lui... L'ontogenèse évolutive repose sur une exploitation des potentialités de l'œuf (voir PFD, p 115 [39]) mais l'homme, par sa technique peut, à chaque étape modifier le déroulement de la progression autonome et donc multiplier les possibles.

L'évolution aurait-elle pu donner autre chose ? Si l'on rembobinait le film du temps pourrait-on voir se dérouler un autre film ?
Dans le cadre de la théorie présentée ici, et du fait du finalisme interne (voir question suivante) de l'évolution, la profonde similitude entre l'ontogenèse d'un individu et celle du monde animal montre l'irréversibilité et l'originalité du phénomène vivant qui ne saurait être autrement que celui qui a eu lieu, historiquement (PFD, p 115 [39]).
Mais en fait la question n'est pas scientifique ni paléontologique mais philosophique et Bergson à mon avis à un réponse bien plus profonde que l'habituelle opposition entre un déterminisme aléatoire (hasardeux) et un déterminisme orienté (finalisme). Pour lui, le futur n'est même pas un possible car il comprend des actes libres de l'homme. «... les philosophes qui croient que l'avenir est donné dans le présent... qui ont cru au libre arbitre, qui l'ont réduit à un simple "choix" entre deux ou plusieurs partis, comme si ces partis étaient des "possibles" dessinés d'avance... D'une action qui serait entièrement neuve (au moins par le dedans) et qui ne préexisterait en aucune manière, pas même sous forme de pur possible, à sa réalisation, ils semblent ne se faire aucune idée. Telle est pourtant l'action libre.»... «Radicale est donc la différence entre une évolution dont les phases continues s'entrepénètrent par une espèce de croissance intérieure, et un déroulement dont les parties distinctes se juxtaposent.» (La Pensée et le Mouvant, in Œuvres, Bergson, 2ème édition du centenaire, PUF, 1963).

Cette compréhension de l'évolution n'est-elle pas finaliste ?
Au sens de finalité externe, non. Cependant, comme toute interprétation physiologique ou tournée vers la vie elle présente bien sûr une finalité interne. Pour une discussion sur ces mots voir le cours de TS et une page du cours des PE ou directement l'ouvrage de D. Letellier (La question du hasard dans l'évolution, L'harmattan, 2002, p 27-29). Cette vision de l'évolution est téléologique (du grec teleo = la fin, le but) dans le sens où les êtres vivants sont en quelque sorte les produits de l'automatisme de l'évolution qui est donc dirigée ou directionnelle si l'on veut (voir ci-dessus). L'évolution n'obéit pas à un programme (que l'on a jamais trouvé) mais est le résultat des innombrables interactions (que l'on connaît) et mémorisations (que l'on observe et que l'on peut expérimenter) des processus du vivant réalisés par la vie au cours du temps. Ce qui est tout le contraire d'un déterminisme externe.

Quelle différence y-a-t-il entre progrès et évolution téléologique ?
Le terme de progrès a plusieurs sens. Le sens biologique de progression ou développement est tout à fait compatible avec l'évolution. Mais le sens d'augmentation, qui fait référence à un bien, et en définitive à une finalité externe, n'est pas acceptable. Le progrès pourrait alors désigner un déterminisme de l'évolution qui ne serait pas le seul fait du vivant. Au contraire, le terme d'évolution téléologique évacue cette dimension externe pour ne désigner que la finalité interne, qui est caractéristique du vivant: le travail du vivant (voir question précédente).

Cette théorie de l'évolution est-elle scientifique ?
Dans la mesure où c'est une théorie du vivant en développement, elle est expérimentale. Mais à partir du moment où elle cherche à expliquer comment les formes vivantes ont évolué les unes vers les autres par le passé, elle devient historique en intégrant des arguments de la paléontologie (voir méthode). Cette théorie ne se rapporte par contre à aucune option philosophique de façon absolue et peut très bien être acceptée dans le cadre d'un matérialisme que d'un vitalisme, ce qui n'était pas vraiment le cas du néodarwinisme.

La formulation de la théorie de Haeckel selon laquelle «l'ontogenèse récapitule la phylogenèse» semble bien cadrer avec cette théorie? Qu'en est-il réellement ?
Cette phrase de Haeckel cadre fort bien avec la théorie de Mme Chandebois uniquement si l'on comprend chacun des mots de cette formule dans le sens proposé ci-dessus: la phylogenèse, c'est la somme des innovations par lesquelles doit passer l'embryon au cours de son ontogenèse pour arriver à l'étape correspondant à la progression autonome de son phylum. Mais il est évident qu'au sens d'Haeckel cette formule recouvrait tout autre-chose: voir à ce sujet l'ancien cours de terminale (&4a2).

La théorie de la transmission de la mémoire de l'espèce par le fonds cytoplasmique ovulaire n'est-il pas une théorie "maternaliste" ou "féministe" ? Où est passée l'égalité de la génétique chromosomique ?
C'est une théorie "maternaliste" si l'on considère que le fonds cytoplasmique est PLUS que l'indispensable déclenchement de la reprise de l'automatisme ontogénétique, qui ne peut se faire que par la cellule sexuelle mâle capacitée. Les nombreuses parthénogenèse provoquées ou naturelles en sont l'illustration.
Mais l'information génétique apportée par le spermatozoïde n'en reste pas moins indispensable pour l'équilibre génotypique. Ce qui est maternel ou féminin dans la théorie téléologique c'est la transmission de l'automatisme du développement. Comme pour le corps humain où, l'organisme maternel est le seul capable de mener à bien le développement embryonnaire. En ce sens, seul le cytoplasme de l'ovocyte, cellule sexuelle femelle, est capable de démarrer le développement de l'embryon.

Comment répondre au problème de la sexualisation ? Notamment lors du passage de l'état unicellulaire à l'état pluricellulaire.
Chez un unicellulaire Flagellé, par exemple, la cellule végétative se sexualise progressivement sous l'action de certains facteurs (on considère notamment que des conditions défavorables à la survie comme le manque de nourriture sont inducteurs). La maturation sexuelle, longue, se termine par la condensation des chromosomes puis par leur appariement, auquel font suite deux divisions. L'ensemble est qualifié de méiose. Comme j'ai essayé de le proposer (voir page sur la méiose), la sexualisation peut être décomposée en une maturation sexuelle, longue, suivie d'une "mitose sexuelle" rapide sans séparation des chromosomes homologues appariés puis d'une mitose habituelle, elle aussi rapide. Les 4 cellules obtenues habituellement sont des gamètes haploïdes. Pour les Protistes, les anomalies de méiose et de mitoses sont très nombreuses, en regard du peu de cas où elles ont été observées et décrites. Les cytodièrèses sont souvent absentes et de nombreux noyaux issus des caryodièrèses (imparfaites) dégénèrent. On peut interpréter ces grandes variations de modalité de la sexualisation des Protistes comme étant le résultat d'un fort polyphylétisme.
Dans le cas des Protistes le fonds cytoplasmique de l'espèce ne quitte jamais l'unique cellule, même lors de sa sexualisation. Il n'y a donc pas de problème de transmission à la génération suivante.
Dans le cas des pluricellulaires, la persistance d'une lignée germinale, a été la réponse habituelle à la question de la sexualisation des individus. Cette lignée germinale peut être ici invoquée pour désigner une lignée de cellules qui conserve le fonds cytoplasmique puisque celui-ci est altéré par la différenciation des cellules somatiques. Cependant le soma semble toujours nécessaire à la récupération du fond cytoplasmique notamment par le transfert, vers les cellules germinales de réserves et surtout d'ARN (et probablement d'ADN par l'intermédiaire d'ARN transformants, voir page sur le développement). Les cellules germinales immatures ne donnent jamais des embryons viables. La distinction soma-germen n'est pas aussi tranchée qu'on veut parfois l'affirmer.
Une des tendances évolutives sera l'allongement de la maturation sexuelle (au sens proposé ci-dessus) qui dépendra toujours plus de cellules somatiques différenciées et nombreuses.

Comment concilier des termes comme l'automatisme ou le comportement social élémentaire avec les données modernes de la génétique du développement ?
La théorie de Mme Chandebois, même s'il elle se place à un niveau de compréhension d'ordre supérieur, n'empêche pas l'intégration des données de la génétique du développement, bien au contraire. Les tenants d'un programme génétique de développement font appel d'un part au concept de programme génétique - qui, pour être universellement employé, n'en est pas moins vague (voir discussion dans le programme de la classe de seconde)- et d'autre part à la notion de libération différentielle de l'information génétique. Dans ce cadre, la différentiation cellulaire se met en place grâce à l'activation de certains gènes spécifiques et la répression d'autres gènes. À la place de cette alternative (activation/répression) R. Chandebois propose (à la suite d'autres auteurs) la théorie d'une différenciation cellulaire basée sur des différences de rendements des gènes: certains gènes, dont l'activité dépasse un certain seuil de différenciation, sont fortement activés et signent le métabolisme principal de la cellule, d'autres gènes, plus ou moins faiblement activés, sont responsables des potentialités histogénétiques de la cellule; d'autres gènes enfin, fortement réprimés, et habituellement de façon irréversible, représentent en quelque sorte de l'histoire de la cellule. Cette théorie a été notamment développée par Clayton (Stability and Switching in Cellular Differenciation, R.M. Clayton ed., Plenum Press, New York, 1982 et autres sources citées in CCCA, p 84).

Une représentation d'une théorie de la différenciation selon le rendement des gènes
(d'après R. Chandebois, CCCA, 1999, p 18), modifié)
Dans une cellule, au sein d'un organisme en développement, les gènes A à G ont différents degré d'activation répression: les gènes A et B sont fortement activés et signent l'identité tissulaire, responsables en grande partie du métabolisme spécifique de la cellule; les gènes C, D et E sont plus ou moins activés et réprimés mais sont susceptibles d'avoir un rendement différent si la cellule est placée dans des conditions environnementales différentes, c'est en quelque sorte la plasticité fonctionnelle de la cellule ou ce sont les potentialités histogénétiques au cours du développement (le "futur" de la cellule); enfin les gènes F et G sont fortement réprimés et, dans des conditions physiologiques normales, de façon irréversible (le "passé" de la cellule).
D'autres exemples théoriques sous forme d'un test
Retrouver les correspondances entre les étapes décrites ci-dessous (a, b et c) et leur illustration ci-dessus (1, 2 et 3).

Trois illustrations correspondant à trois cellules d'une même lignée (issues les unes des autres par mitoses) ; par exemple :
a - une cellule de l'ectoblaste (stade blastula);
b - une cellule épidermique (stade bourgeon caudal);
c - un kératinocyte (cellule différenciée de l'épiderme).

(réponse: 1c; 2a; 3b)

Pourriez-vous donner un exemple plus précis de mise en œuvre de ces théories ou cours de l'embryogénèse ?
Un exemple mêlant ontogénie et phylogénie a été donné par R. Chandebois (PFD, p 132 s) et concerne le cartilage. Du fait de l'âge déjà avancé (1993) des données scientifiques présentées, voici une petite mise-à-jour personnelle.

Origines diverses du cartilage à la suite du développement in vivo et lors d'expériences in vitro chez différents Vertébrés (?) (d'après RC, PFD, p 133, fig 7)
Le cartilage provient aussi bien de l'ectoderme que du mésoderme. Les inducteurs sont différents selon les moments et les lieux où le cartilage est induit. Les inducteurs ne sont pas non plus interchangeables. Dans certains cas le cartilage peut émerger spontanément : dans les somites cordaux isolés; dans le mésenchyme des bourgeons des membres qui abouti à des îlots de précartilage; et enfin dans le mésoderme des flancs dans le cas où celui-ci est lésé expérimentalement par l'introduction d'un corps étranger ou isolé en culture. Enfin, le cartilage peut être induit in vitro dans des tissus qui normalement ne forment pas de cartilage comme le mésenchyme néphrogène non soumis à l'induction de l'urètre primaire.

La chondroïtine sulfate, un marqueur de la formation du cartilage
Le tissu cartilagineux est composé de cellules conjonctives sécrétant une matrice fondamentale particulière. Cette matrice comprend des substances protéiques comme le collagène et l'élastine mais aussi des composés glycoprotéiques nommés protéoglycannes (anciens mucopolysaccharides; en anglais proteoglycans [PGs]).
Ce sont de gigantesques molécules ramifiées formées d'un long filament de hyaluronate (un hétéropolysaccharide) auquel se rattachent de très nombreuses chaînes formées chacune d'un filament protéique sur lequel sont attachés d'innombrables chaînes glucidiques de type kératane sulfate et chondroïtine sulfate (des hétéropolysaccharides). Les chondroïtine sulfates ("chondroitin sulfate" (CS) ou "CS proteoglycans" (CSPGs) en anglais) sont aussi associées à certaines molécules de collagène (soutien de la structure fibrillaire de la molécule). La synthèse extrêmement abondante de chondroïtine sulfate est ainsi un bon marqueur du métabolisme des cellules cartilagineuses et osseuses.
Sans pouvoir entrer dans le domaine florissant de la recherche des gènes impliqués dans la synthèse des chondroïtine sulfates et avoir une vue exhaustive des fonctions de ces dernières, on peut juste citer que l'on a récemment cloné le gène de la chondroïtine synthase. Les chondroïtine sulfates sont reconnues dans les articulations comme des marqueurs de l'effort ou des pathologies au sens ou leur degré de sulfatation est notamment fonction des efforts mécaniques réalisés au cours la croissance du cartilage. Elles sont reconnues par de nombreux récepteurs de micro-organismes. Elles interviennent dans la croissance neuronale et dans les interactions entre cellules gliales et neurones. On connaît des chondroïtines plus ou moins sulfatées chez de nombreux invertébrés dont des Echinodermes, des Crustacés et l'incontournable Cœnorhabditis elegans. Chez ce dernier on a suivi par l'intermédiaire des ARN de la chondroïtine synthase le rôle majeur des chondroïtines non sulfatées lors de la morphogenèse; celles-ci s'étant révélées indispensables aux divisions cellulaires. D'une manière encore plus nette une chondroïtine sulfate a été isolée à partir de vésicules de sécrétion de la couche endodermique des blastula de l'oursin. Après exocytose, c'est cette chondroïtine sulfate, très hydrophile, qui serait responsable du gonflement d'une fraction de la matrice accolée aux cellules endoblastiques et qui provoquerait leur poussée vers le centre de la cavité embryonnaire (voir texte et figures (35,36 et 37) sur le site de jussieu: http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/oursinMDC/p4gastrula.html). Pour pousser le raisonnement plus loin on peut aussi faire appel à des liens qui commencent à être établis entre stimulus mécanique (ici le gonflement d'une couche hydrophile de par sa nature polysaccharidique particulière) et l'activation de certains gènes (voir par exemple Emmanuel Farge: «Certains gènes embryonnaires sont mécano-sensibles», brève de La Recherche, 369, novembre 2003, p 16-17 d'après E. Farge, Current Biology, 13, 1365, 2003).
Dans les colorations histologiques de préparations de cartilage utilisant un colorant (HE) basique (chargés positivement), ce dernier se fixe préférentiellement aux molécules chargées négativement (protéines et acides notamment). L'intensité de la coloration reflète assez bien la teneur de la matrice en protéoglycannes, fortement anioniques. Cette teneur est plus forte dans la matrice entourant les chondrocytes adultes que dans celle des cellules souches cartilagineuses ou chondroblastes. Avec des colorants plus spécifiques, on peut suivre encore plus finement la teneur en chondroïtine sulfate des tissus.

De la synthèse de chondroïtine sulfate, précoce et largement répandue dans le jeune embryon de la lignée animale à un métabolisme principal dans des tissus à vocation structurelle chez les vertébrés.
On a ainsi pu mettre en évidence par des méthodes histochimiques que la synthèse de chondroïtine sulfate n'est pas limitée aux cellules cartilagineuses mais qu'elle est présente aux premiers stades du développement, même dans les ébauches épidermiques qui n'engendrent jamais de cartilage. Sa synthèse est très fortement augmentée dans les tissus qui évolueront en cartilage alors que sa synthèse est diminuée dans les tissus qui ne donneront pas de cartilage. On peut aussi relier son niveau de synthèse aux autres rôles que l'on découvre progressivement.
R. Chandebois proposait en 1993 (PFD, p134-135) une audacieuse hypothèse concernant l'évolution de la formation du cartilage. Elle notait ainsi que tous les éléments inducteurs (chorde, somites, endoderme, épiderme...) que l'on retrouve chez les Vertébrés à squelette osseux et cartilagineux, sont présents chez l'Amphioxus (qui n'a cependant ni tissu osseux ni tissu cartilagineux) et donc susceptibles de déclencher des inductions nécessaires à la lignée cartilagineuse. Le vitellus est l'élément mésodermisant principal chez les vertébrés. Mais chez l'Amphioxus, dont l'œuf possède cependant une grande charge en vitellus, c'est une zone en forme de croissant, riche en mitochondries associées à du reticulum lisse qui possède les potentialités mésodermiques. Dans le cadre d'un hypothèse phylogénétique qui ferait dériver les vertébrés d'un ancêtre de l'Amphioxus, on peut imaginer que le changement radical d'un organisme non cartilagineux à un organisme cartilagineux ai pu s'opérer en une unique et brutale modification de la compétence chondrogénétique des premières ébauches à l'induction du vitellus. De même, on a longtemps considéré certains invertébrés comme très évolués, notamment du fait de métabolismes particuliers. C'est le cas des Céphalopodes parmi les Mollusques, dont certains membres synthétisent du cartilage. Ce changement serait aussi à rapprocher d'une évolution brutale ayant touché les ancêtres des Céphalopodes au sein d'une lignée déjà âgée de Mollusques. Dans les deux cas c'est une évolution brutale sur un terrain ontogénétique déjà prêt à recevoir ce changement de compétence. La synthèse d'une molécule spécifique à un tissu ne se situe pas en bout de chaîne d'inductions embryonnaires mais bien au début du développement, au moment où son métabolisme est larvé, selon la théorie de la différenciation par changement dans le rendement des gènes.
Cette hypothèse, revue à la lumière de connaissances modernes (voir ci-dessus les différents rôles des CS), reste cependant intéressante, malgré une indispensable reformulation. En effet, les résultats actuels ont mis en évidence que les très nombreuses chondroïtine sulfates des animaux - invertébrés compris - synthétisées dès les premières étapes embryonnaires ont un rôle majeur dans les mouvements cellulaires et donc dans la morphogenèse, comme il fallait s'y attendre de la part de molécules essentielles de la matrice cellulaire dont un rôle est, en quelque sorte, de guider les cellules. Le cartilage est bien un tissu très spécialisé dans lequel la synthèse de chondroïtine sulfate devient prédominante à tel point que cette substance confère sa principale propriété au tissu - sa souplesse - de par sa forte hydrophilie. Mais l'hypothèse phylogénétique du passage d'une position mineure d'un gène à la position de gène majeur, garde toute son actualité. Sa large distribution vient au contraire renforcer l'idée que c'est bien avec un nombre restreint de gènes polymorphes et polyfonctionnels que l'évolution progresse et non par ajout de gènes de plus en plus nombreux.

 

Peut-on dire, pour simplifier, que si l'évolution néodarwinienne résulte de l'accumulation de gènes nouveaux, l'évolution téléologique résulte, elle, de l'accumulation d'automatismes embryonnaires ?
En acceptant cette formulation, on risque de retomber dans une vision matérialiste qui réduit l'automatisme à un programme qui doit bien se trouver écrit quelque part. Or, une théorie téléologique est fondamentalement différente de cette vision, car, même s'il elle n'interdit pas une interprétation matérialiste, elle est ouverte à un vitalisme. Comme il est écrit plus haut, les termes de comportement social ou de travail sont toujours préférables à celui de mémoire. L'ovocyte ne mémorise pas les comportements déterminés. On peut dire qu'il contient la matière, l'information, les formes et les structures qui peuvent permettre, à sa réactivation (lors de la fécondation) de conduire les populations qui sont issues de son développement à donner naissance à un organisme qui atteigne au moins l'état évolutif de son ancêtre. Mais surtout l'ovocyte est lui-même la cellule sexuelle qui, pour un non matérialiste, dépasse en tant qu'unité fonctionnelle du vivant, la simple description de son contenu. Pour un vitaliste, l'évolution est en cela une continuité d'êtres vivants et non pas une succession d'êtres vivants qui se transmettent des éléments héréditaires (ADN, protéines, structures...). Du point de vue métaphysique ce passage d'une cellule sexuelle à un nouvel être vivant est une création nouvelle.

Ajout 2008 : cette question de la mémoire (qui occulte l'histoire) me paraît être clairement expliquée par André Pichot qui l'attribue à un héritage weismannien (repris dans le darwinisme moderne): voir par exemple les extraits de l'article: Hérédité et évolution (l'inné et l'acquis en biologie),André Pichot, Revue Esprit, juin 1996

A suivre....