Pour en finir avec le
Darwinisme, Espaces 34, 1993 (cité PFD dans le texte)
Comment les cellules construisent l'animal, Phénix
Éditions, 1999 (cité CCCA dans le texte)
L'essentiel des idées présentées ici viennent de Mme Rosine Chandebois (voir les références ci-dessus et d'autres dans la bibliographie). Bien évidemment, j'assume les déformations et incompréhensions que j'ai pu y ajouter, ainsi que ce qui me paraît être mon propre fond, dont je ne connais pas toujours l'origine.
L'évolution est à la fois
stabilité
et
variation
de la forme, des structures et des fonctions.
L'évolution c'est le résultat du travail de la vie.
C'est un travail commencé il y a peut-être des milliards
d'années et qui se répète dans chaque cellule.
La plupart du temps le travail est identique à lui-même:
chaque cellule donne naissance à une nouvelle cellule, qui
reproduit les mêmes propriétés que la cellule
mère.
Cette répétition repose sur la théorie
cellulaire (voir par exemple le cours
de seconde, §1.3), qui englobe
une théorie de la stabilité de la forme et des
fonctions que l'on peut appeler automatisme (toute cellule est
issue d'une autre cellule). Le problème de
l'origine de la vie est un problème à part
traité dans l'ancien cours
de terminale S. Mais si l'on veut
que les organismes puissent évoluer il faut un
mécanisme capable d'engendrer la variation et de la
mémoriser. Mais attention, ce dynamisme peut avoir une
origine interne: ce n'est pas la surimposition d'un
élément nouveau, mémorisé, mais ce peut
être une sorte de répertoire naturel de variation, un
futur toujours ouvert, bref une caractéristique profonde du
vivant. Les termes de comportement social (utilisé par
l'auteur) ou de travail sont toujours
préférables à celui de
mémoire.
Le terme de travail englobe et dépasse ceux
d'automatisme et de variation car, tout en évoquant la
répétition d'un même phénomène, il
laisse entendre, philosophiquement, que chaque nouvelle vie, chaque
instant du travail du vivant, est l'expression de quelque chose de
vraiment nouveau car il ne s'est jamais déroulé dans
les mêmes conditions par le passé (voir
par exemple la page sur le
temps du cours de terminale).
Du point de vue scientifique, il existe au moins deux modèles qui rendent compte de ce travail ou de cette stabilité et de cette variation.
A la notion de programme de développement (pour lequel aucune expérience n'a jamais pu mettre en évidence le début d'une preuve) R. Chandebois oppose, pour les pluricellulaires, l'automatisme embryonnaire caractérisé par une progression autonome et des réajustements, phénomènes réellement observables et dont la validité peut être testée expérimentalement en embryologie. L'autonomie du développement embryonnaire, principalement étudié chez les animaux, repose sur la double capacité de chaque cellule à répondre à chaque instant aux signaux qu'elle reçoit des cellules voisines et à mémoriser son histoire: ce que R. Chandebois appelle le comportement social élémentaire. Si ce comportement autonome reste un mystère, c'est celui de la vie. En effet, l'autonomie d'un organisme unicellulaire se résume aux trois aspects du travail du vivant: travail de relation, de nutrition et de reproduction (voir la diversité du vivant). Cette interprétation s'intègre donc aisément dans une vision "sociale" du travail du vivant et est d'une grande richesse pour des expériences à mener.
L'automatisme de l'évolution (évolution directionnelle et évolution adventive) est par contre du domaine théorique historique mais fournit un cadre pour l'interprétation des données paléontologiques.
Pour les pluricellulaires, le système cellule est
coiffé par un système hiérarchiquement
supérieur, le système individu au niveau duquel
sont coordonnées les progressions autonomes des
différentes populations cellulaires composant l'organisme,
notamment par le moyen de substances chimiques.
* Le système lignée ou la complexification des
formes vivantes dans l'espace (de petites formes à de grandes
formes, du milieu aquatique à tous les milieux terrestres... )
et dans le temps (des organismes dont la durée de
développement s'allonge et dont la durée de vie
s'allonge...) a depuis longtemps été
résumée par une loi qui est celle de la division du
travail (la formulation d'Haeckel, pourtant
identique, recouvrait des concepts très différents,
voir ancien cours de
terminale &4.a2).
Plus le travail du vivant est réparti
entre différentes structures, au sein d'un organisme, plus ce
dernier est évolué (ou récent
phylogenétiquement).
Cette division du travail résume une succession
d'innovations qui nous permettent de bâtir la
classification évolutive (phylogénétique) du
vivant. Parmi celles-ci on peut citer: la compartimentation de la
cellule (des procaryotes aux eucaryotes), la spécialisation et
différenciation cellulaire (des unicellulaires aux
pluricellulaires) ou encore la différenciation organique (des
thallophytes aux plantes...). Voir une
présentation de cette classification la
diversité du vivant.
* L'embryologie ajoute un autre élément qui semble
caractériser l'évolution: c'est l'allongement de la
période de développement. Ce que l'on pourrait appeler
le temps de travail ou, avec un clin d'il à Bergson,
la durée du travail.
Plus le travail du développement qui
donne naissance à un organisme dure, plus ce dernier est
évolué (c'est-à-dire récent,
phylogenétiquement).
Plus la durée du développement augmente,
plus les interactions entre cellules différenciées sont
nombreuses et complexes et conduisent à des organismes
évolués et complexes.
Étant donné les profonds changements d'ordre de grandeur entre les étapes évolutives qui font passer par exemple un ancêtre procaryote à l'état eucaryote, un eucaryote unicellulaire à un eucaryote métazoaire, un métazoaire invertébré à un métazoaire vertébré, ou d'un ancêtre des félidé au chat actuel, peut-être serait-il prudent de présenter plusieurs classifications phylogénétiques. Le premier problème à mettre en avant, sans pouvoir le résoudre, du moins dans le cadre d'un tel cours, est celui du choix, pour toutes les étapes évoquées, entre une origine monophylétique (une seule lignée ou clade) et une origine polyphylétique (plusieurs lignées conduisant à un groupe). Les arguments sont parfois solides pour les deux hypothèses, mais ne seront bien sûr pas détaillés ici.
On gardera ici la classification du monde vivant en 5
règnes, comme il a été vu en classe
de seconde (&1.4).
Pour chaque règne, je renvoie aux
généralités présentées dans une
page annexe sur la diversité du vivant,
dont voici cependant les grandes lignes:
Deux grandes étapes évolutives avec deux exemples de théories évolutives :
Une représentation de l'origine possible de
structures pluricellulaires à partir d'UN
Protiste Flagellé (phagotrophe
c'est-à-dire qui se nourrit de particules solides
en suspension par opposition à osmostrophe, qui se
nourrit de substances dissoutes, comme le font les
plantes notamment) qui donne en UNE unique
génération un descendant
pluricellulaire, capable d'autoreproduction sous la forme
de pluricellulaire. Le polyphylétisme étant
bien sûr possible: plusieurs flagellés
pouvant donner des descendants évolués
pluricellulaires de plusieurs types. C'est en effet le
fonds cytoplasmique qui
porte la mémoire de l'espèce
représentée ici sous forme de
"déterminants" (mais attention il
ne s'agit pas des éléments d'un programme
mais des composants (ARN associés à des
protéines généralement) de chaque
compartiments qui déterminent la
réalisation de tel ou tel travail cellulaire, le
moteur de la différenciation est dans la suite
d'interactions entre cellules engagées dans une
vie autonome, qui passe par des divisions cellulaires
répétées: c'est une progression
autonome) correspondant aux trois types de travail
du vivant (relation
(s, sensoriel),
nutrition (d,
digestif) et reproduction
(r)). |
En résumé voici une représentation simplifiée de l'arbre phylogénétique du vivant avec les étapes majeures (inductions) de l'évolution:
En bleu les 5 grandes
étapes (inductions)
isolées par R. Chandebois, pouvant être
regroupées en terme de division
du travail (division reprise pour
chaque règne dans la page annexe sur la
diversité du
vivant). |
Quelles différences y-a-t-il entre évolution
orientée et évolution directionnelle ?
Dire que l'évolution est orientée, c'est
affirmer qu'elle à un sens (en mathématique on utilise
ce terme pour les vecteurs et l'analogie est très forte
puisque de nombreuses personnes se représentent le temps comme
une flèche, et donc avec une orientation). Dire que
l'évolution est orientée est donc une évidence
si l'on ne désigne par là que le temps de
l'évolution. Par contre, dire que l'évolution est
directionnelle (toujours cette analogie avec la
flèche du temps) suppose qu'elle est unique, qu'elle emprunte
un chemin unique, déterminé en quelque sorte. Ce
qui est un tout autre problème...non biologique. Pourrait-elle
"reculer" c'est-à-dire aller dans un sens différent ?
Clairement non, le passé est définitivement
passé. De la même manière, pourrait-elle changer
de direction ? Et dans ce cas, par rapport à quelle direction
? D'après la théorie de Mme Chandebois, on pourrait
dire que la direction de l'évolution est unique, car elle
n'est pas déterminée par le futur mais par le
passé. En ce sens, l'évolution n'est pas directionnelle
mais elle est bien orientée.
Quel est le moteur de l'évolution ?
C'est la vie, dans son caractère autonome et
fragile ou adaptable: dans sa stabilité qui
n'empêche pas la variation.
Certains verront dans l'évolution du vivant une constante
adaptation, un réajustement, pourrait-on-dire, mais à
l'échelle écologique et non plus de l'individu.
Du point de vue philosophique, on peut mettre dans la
première cellule - en supposant que tous les êtres
vivants dérivent d'une cellule unique - toute la
capacité d'être (à l'état de
possible) de l'ensemble des êtres vivants de tous les temps (ce
que fera un matérialiste). On peut au contraire penser que la
matière n'est que le lieu de cette capacité
d'être et que le principe vital (l'être en tant
qu'acte) est ailleurs et accompagne sans cesse chaque être
vivant dans sa vie (ce qui est plus ou moins un
vitalisme).
L'évolution est-elle terminée ? Que peut-elle
encore donner ?
Sans jouer les prophètes on peut, à mon avis, adopter
raisonnablement au moins deux attitudes, qui ne sont pas
incompatibles d'ailleurs:
- soit penser avec P.P. Grassé (&3.d.2)
et R. Chandebois que l'évolution actuelle se résume
à la spéciation et que donc l'évolution est en
train de se terminer: «...la marge de manuvre de
l'évolution n'a cessé de s'amenuiser : à
l'Ordovicien, la genèse des embranchements s'arrête, au
Jurassique, celle des classes, au
Paléocène-Eocène, celle des ordres »
(L'évolution du vivant, P.P. Grassé, Albin
Michel, 1973, p 124); cet amortissement cadre avec l'alternance de
l'évolution directionnelle et adventive, une évolution
directionnelle intervenant maintenant ne peut faire sortir les
individus du cadre de l'espèce (voir PFD, p 115
[38]).
- soit penser qu'un nouveau venu: l'homme, est capable, par sa
technique, de diriger cette évolution comme nous le
suggère par exemple G. Tibon-Cornillot dans son ouvrage
Les corps transfigurés.
Cette dangereuse liberté exige que l'homme agisse avec un
respect total du vivant, à commencer par lui...
L'ontogenèse évolutive repose sur une exploitation des
potentialités de l'uf (voir PFD, p 115 [39])
mais l'homme, par sa technique peut, à chaque étape
modifier le déroulement de la progression autonome et donc
multiplier les possibles.
L'évolution aurait-elle pu donner autre chose ? Si
l'on rembobinait le film du temps pourrait-on voir se dérouler
un autre film ?
Dans le cadre de la théorie présentée ici, et du
fait du finalisme interne (voir question suivante) de
l'évolution, la profonde similitude entre l'ontogenèse
d'un individu et celle du monde animal montre
l'irréversibilité et l'originalité du
phénomène vivant qui ne saurait être autrement
que celui qui a eu lieu, historiquement (PFD, p 115
[39]).
Mais en fait la question n'est pas scientifique ni
paléontologique mais philosophique et Bergson à mon
avis à un réponse bien plus profonde que l'habituelle
opposition entre un déterminisme aléatoire (hasardeux)
et un déterminisme orienté (finalisme). Pour lui, le
futur n'est même pas un possible car il comprend des actes
libres de l'homme. «... les philosophes qui croient que
l'avenir est donné dans le présent... qui ont cru au
libre arbitre, qui l'ont réduit à un simple "choix"
entre deux ou plusieurs partis, comme si ces partis étaient
des "possibles" dessinés d'avance... D'une action qui serait
entièrement neuve (au moins par le dedans) et qui ne
préexisterait en aucune manière, pas même sous
forme de pur possible, à sa réalisation, ils semblent
ne se faire aucune idée. Telle est pourtant l'action
libre.»... «Radicale est donc la différence entre
une évolution dont les phases continues
s'entrepénètrent par une espèce de croissance
intérieure, et un déroulement dont les parties
distinctes se juxtaposent.» (La Pensée et le
Mouvant, in uvres, Bergson, 2ème édition du
centenaire, PUF, 1963).
Cette compréhension de l'évolution n'est-elle
pas finaliste ?
Au sens de finalité externe, non. Cependant, comme
toute interprétation physiologique ou tournée vers la
vie elle présente bien sûr une finalité
interne. Pour une discussion sur ces mots voir le
cours de
TS et une
page du cours des PE ou directement
l'ouvrage de D. Letellier (La question du hasard dans
l'évolution, L'harmattan, 2002, p 27-29). Cette vision
de l'évolution est téléologique (du grec
teleo = la fin, le but) dans le sens où les êtres
vivants sont en quelque sorte les produits de l'automatisme de
l'évolution qui est donc dirigée ou directionnelle si
l'on veut (voir ci-dessus). L'évolution n'obéit pas
à un programme (que l'on a jamais trouvé) mais est le
résultat des innombrables interactions (que l'on
connaît) et mémorisations (que l'on observe et que l'on
peut expérimenter) des processus du vivant
réalisés par la vie au cours du temps. Ce qui est tout
le contraire d'un déterminisme externe.
Quelle différence y-a-t-il entre progrès et
évolution téléologique ?
Le terme de progrès a plusieurs sens. Le sens
biologique de progression ou développement est tout à
fait compatible avec l'évolution. Mais le sens d'augmentation,
qui fait référence à un bien, et en
définitive à une finalité externe, n'est pas
acceptable. Le progrès pourrait alors désigner un
déterminisme de l'évolution qui ne serait pas le seul
fait du vivant. Au contraire, le terme d'évolution
téléologique évacue cette dimension
externe pour ne désigner que la finalité interne, qui
est caractéristique du vivant: le travail du vivant (voir
question précédente).
Cette théorie de l'évolution est-elle
scientifique ?
Dans la mesure où c'est une théorie du vivant en
développement, elle est expérimentale. Mais
à partir du moment où elle cherche à expliquer
comment les formes vivantes ont évolué les unes vers
les autres par le passé, elle devient historique en
intégrant des arguments de la paléontologie (voir
méthode). Cette théorie ne se
rapporte par contre à aucune option philosophique de
façon absolue et peut très bien être
acceptée dans le cadre d'un matérialisme que d'un
vitalisme, ce qui n'était pas vraiment le cas du
néodarwinisme.
La formulation de la théorie de Haeckel selon
laquelle «l'ontogenèse récapitule la
phylogenèse» semble bien cadrer avec cette
théorie? Qu'en est-il réellement ?
Cette phrase de Haeckel cadre fort bien avec la théorie de Mme
Chandebois uniquement si l'on comprend chacun des mots de cette
formule dans le sens proposé ci-dessus: la
phylogenèse, c'est la somme des
innovations par lesquelles doit passer l'embryon
au cours de son ontogenèse pour arriver à
l'étape correspondant à la progression autonome de son
phylum. Mais il est évident qu'au sens d'Haeckel cette
formule recouvrait tout autre-chose: voir à ce sujet
l'ancien cours de terminale (&4a2).
La théorie de la transmission de la
mémoire de l'espèce
par le fonds cytoplasmique ovulaire n'est-il pas une théorie
"maternaliste" ou "féministe" ? Où est passée
l'égalité de la génétique chromosomique
?
C'est une théorie "maternaliste" si l'on considère que
le fonds cytoplasmique est PLUS que l'indispensable
déclenchement de la reprise de l'automatisme
ontogénétique, qui ne peut se faire que par la cellule
sexuelle mâle capacitée. Les nombreuses
parthénogenèse provoquées ou naturelles en sont
l'illustration.
Mais l'information génétique apportée par le
spermatozoïde n'en reste pas moins indispensable pour
l'équilibre génotypique. Ce qui est maternel ou
féminin dans la théorie téléologique
c'est la transmission de l'automatisme du développement. Comme
pour le corps humain où, l'organisme maternel est le seul
capable de mener à bien le développement embryonnaire.
En ce sens, seul le cytoplasme de l'ovocyte, cellule sexuelle
femelle, est capable de démarrer le développement de
l'embryon.
Comment répondre au problème de la
sexualisation ? Notamment lors du passage de l'état
unicellulaire à l'état pluricellulaire.
Chez un unicellulaire Flagellé, par exemple, la cellule
végétative se sexualise progressivement sous l'action
de certains facteurs (on considère notamment que des
conditions défavorables à la survie comme le manque de
nourriture sont inducteurs). La maturation sexuelle, longue, se
termine par la condensation des chromosomes puis par leur
appariement, auquel font suite deux divisions. L'ensemble est
qualifié de méiose. Comme j'ai essayé de le
proposer (voir page
sur la méiose), la
sexualisation peut être décomposée en une
maturation sexuelle, longue, suivie d'une "mitose sexuelle" rapide
sans séparation des chromosomes homologues appariés
puis d'une mitose habituelle, elle aussi rapide. Les 4 cellules
obtenues habituellement sont des gamètes haploïdes. Pour
les Protistes, les anomalies de méiose et de mitoses sont
très nombreuses, en regard du peu de cas où elles ont
été observées et décrites. Les
cytodièrèses sont souvent absentes et de nombreux
noyaux issus des caryodièrèses (imparfaites)
dégénèrent. On peut interpréter ces
grandes variations de modalité de la sexualisation des
Protistes comme étant le résultat d'un fort
polyphylétisme.
Dans le cas des Protistes le fonds cytoplasmique de l'espèce
ne quitte jamais l'unique cellule, même lors de sa
sexualisation. Il n'y a donc pas de problème de transmission
à la génération suivante.
Dans le cas des pluricellulaires, la persistance d'une lignée
germinale, a été la réponse habituelle à
la question de la sexualisation des individus. Cette lignée
germinale peut être ici invoquée pour désigner
une lignée de cellules qui conserve le fonds cytoplasmique
puisque celui-ci est altéré par la
différenciation des cellules somatiques. Cependant le soma
semble toujours nécessaire à la
récupération du fond cytoplasmique notamment par le
transfert, vers les cellules germinales de réserves et surtout
d'ARN (et probablement d'ADN par l'intermédiaire d'ARN
transformants, voir page
sur le développement). Les cellules germinales
immatures ne donnent jamais des embryons viables. La distinction
soma-germen n'est pas aussi tranchée qu'on veut parfois
l'affirmer.
Une des tendances évolutives sera l'allongement de la
maturation sexuelle (au sens proposé ci-dessus) qui
dépendra toujours plus de cellules somatiques
différenciées et nombreuses.
Comment concilier des termes
comme l'automatisme ou le comportement social
élémentaire avec les données modernes de la
génétique du développement ?
La théorie de Mme Chandebois, même s'il elle se place
à un niveau de compréhension d'ordre supérieur,
n'empêche pas l'intégration des données de la
génétique du développement, bien au contraire.
Les tenants d'un programme génétique de
développement font appel d'un part au concept de
programme génétique - qui, pour
être universellement employé, n'en est pas moins vague
(voir discussion dans le programme
de la classe de seconde)- et
d'autre part à la notion de libération
différentielle de l'information
génétique. Dans ce cadre, la
différentiation cellulaire se met en place grâce
à l'activation de certains gènes spécifiques et
la répression d'autres gènes. À la place de
cette alternative (activation/répression) R. Chandebois
propose (à la suite d'autres auteurs) la théorie
d'une différenciation cellulaire basée sur des
différences de rendements des gènes: certains
gènes, dont l'activité dépasse un certain
seuil de différenciation, sont fortement activés
et signent le métabolisme principal de la cellule, d'autres
gènes, plus ou moins faiblement activés, sont
responsables des potentialités histogénétiques
de la cellule; d'autres gènes enfin, fortement
réprimés, et habituellement de façon
irréversible, représentent en quelque sorte de
l'histoire de la cellule. Cette théorie a été
notamment développée par Clayton (Stability and
Switching in Cellular Differenciation, R.M. Clayton ed., Plenum
Press, New York, 1982 et autres sources citées in CCCA, p
84).
|
|
(d'après R. Chandebois, CCCA, 1999, p 18), modifié) Dans une cellule, au sein d'un organisme en développement, les gènes A à G ont différents degré d'activation répression: les gènes A et B sont fortement activés et signent l'identité tissulaire, responsables en grande partie du métabolisme spécifique de la cellule; les gènes C, D et E sont plus ou moins activés et réprimés mais sont susceptibles d'avoir un rendement différent si la cellule est placée dans des conditions environnementales différentes, c'est en quelque sorte la plasticité fonctionnelle de la cellule ou ce sont les potentialités histogénétiques au cours du développement (le "futur" de la cellule); enfin les gènes F et G sont fortement réprimés et, dans des conditions physiologiques normales, de façon irréversible (le "passé" de la cellule). |
Retrouver les correspondances entre les étapes décrites ci-dessous (a, b et c) et leur illustration ci-dessus (1, 2 et 3). Trois illustrations correspondant à trois cellules
d'une même lignée (issues les unes des autres
par mitoses) ; par exemple : (réponse: 1c; 2a; 3b) |
Pourriez-vous donner un exemple plus précis de mise
en uvre de ces théories ou cours de
l'embryogénèse ?
Un exemple mêlant ontogénie et phylogénie
a été donné par R. Chandebois (PFD, p 132 s) et
concerne le cartilage. Du fait de l'âge
déjà avancé (1993) des données
scientifiques présentées, voici une petite
mise-à-jour personnelle.
Origines diverses du cartilage à la suite du développement in vivo et lors d'expériences in vitro chez différents Vertébrés (?) (d'après RC, PFD, p 133, fig 7) |
|
La chondroïtine sulfate, un marqueur de la
formation du cartilage De la synthèse de chondroïtine sulfate,
précoce et largement répandue dans le jeune
embryon de la lignée animale à un
métabolisme principal dans des tissus à
vocation structurelle chez les
vertébrés. |
Peut-on dire, pour simplifier, que si l'évolution
néodarwinienne résulte de l'accumulation de
gènes nouveaux, l'évolution téléologique
résulte, elle, de l'accumulation d'automatismes embryonnaires
?
En acceptant cette formulation, on risque de retomber dans une vision
matérialiste qui réduit l'automatisme à un
programme qui doit bien se trouver écrit quelque part. Or, une
théorie téléologique est fondamentalement
différente de cette vision, car, même s'il elle
n'interdit pas une interprétation matérialiste, elle
est ouverte à un vitalisme. Comme il est écrit plus
haut, les termes de comportement social ou de travail
sont toujours préférables à celui de
mémoire. L'ovocyte
ne mémorise pas les comportements déterminés. On
peut dire qu'il contient la matière, l'information, les
formes et les structures qui peuvent permettre, à sa
réactivation (lors de la fécondation) de conduire les
populations qui sont issues de son développement à
donner naissance à un organisme qui atteigne au moins
l'état évolutif de son ancêtre. Mais surtout
l'ovocyte est lui-même la cellule sexuelle qui, pour un
non matérialiste, dépasse en tant qu'unité
fonctionnelle du vivant, la simple description de son contenu. Pour
un vitaliste, l'évolution est en cela une
continuité d'êtres vivants et non pas une
succession d'êtres vivants qui se transmettent des
éléments héréditaires (ADN,
protéines, structures...). Du point de vue métaphysique
ce passage d'une cellule sexuelle à un nouvel être
vivant est une création nouvelle.
Ajout 2008 : cette question de la mémoire (qui occulte l'histoire) me paraît être clairement expliquée par André Pichot qui l'attribue à un héritage weismannien (repris dans le darwinisme moderne): voir par exemple les extraits de l'article: Hérédité et évolution (l'inné et l'acquis en biologie),André Pichot, Revue Esprit, juin 1996
A suivre....