le travail du développement... ou comment les cellules construisent l'organisme animal pluricellulaire

d'après le livre "Comment les cellules construisent l'animal" de Rosine Chandebois, Phénix-éditions, 1999 (cité avec la référence RC dans cette page, voir biblio)


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(autres ouvrages du même auteur, voir biblio)
Les livres scolaires sont cités par le nom de l'éditeur, la classe et l'année
Autres sources: Biologie moléculaire de la cellule, Alberts et al., 1994, Flammarion-Médecine-Sciences: chapitre 21: Mécanismes cellulaires du développement
Les inductions embryonnaires, Présentation des données récentes chez le Xénope et les autres amphibiens, Jean-Claude BOUCAUT et Mariel UMBHAUER, Biologie-Géologie (Bulletin de l'APBG), n°1, 1994, pp 139-160
De l'œuf à l'embryon, Christiane Nüsslein-Volhard, Pour la Science, Dossier "Les sociétés cellulaires", Hors Série, avril 1998, p 44-49
La différenciation cellulaire,
Jean-Jacques Kupiec et Pierre Sonigo, Pour la Science, Dossier "Les sociétés cellulaires", Hors Série, avril 1998, p 50-53
A l'origine des grands animaux, un petit ver tout nu; ce que nous disent les gènes de l'embryon sur l'origine des formes animales
, Eric H. Davidson, Kevin J. Peterson et R. Andrew Cameron, La Recherche, 296, mars 1997, pp 42-48
De la mouche à l'homme, un même supergène pour l'œil, W. J. Gehring, La Recherche, octobre 1995, 280, pp 58-64
Les gènes à homéobox et l'organisation du corps, Eddy De Robertis, Guillermo Oliver et Christopher Wright, Pour La Science, 155, septembre 1990, 50-56
L'origine des doigts, Denis Duboule et Paolo Sordino, La Recherche, 296, mars 1997, p 66-69
Comment se construisent les doigts ? Yann Hérault et Denis Duboule, La Recherche, 305, janvier 1998, 40-44
Biologie du développement, Albert Le Moigne, Masson, 1989
Encyclopedia Universalis, version 5 sur CDRom, articles DEVELOPPEMENT, ONTOGENESE et INSECTES... et tant d'autres
La génétique du développement de la mouche, Pierre Spierer et Michel Goldschmidt-Clermont, La Recherche, 165, avril 1985, p 452-461: pour revenir aux sources et retrouver les postulats et les techniques mises en jeu (programme génétique, mutations homéotiques, gènes sélecteurs, marche sur le chromosome ....), décrites dans un langage simple.
Biologie du développement, Scott F. Gilbert, De Boeck Université, 1996; une référence, sans aucun doute; l'auteur reste remarquablement lucide face à la génétique du développement, même s'il reste très classique. Une citation pour preuve: (p 74) «Après bientôt un siècle, nous commençons à comprendre comment les cellules contrôlent l'expression différentielle de leurs gènes de manière à ce que des gènes différents deviennent actifs dans des cellules différentes. (...) Un mot de mise en garde cependant. Si le ton de triomphe de ce chapitre vous donne l'impression que le développement ne résulte que de l'activité des gènes ... (...). Dans tous les cas, l'organisme hérite de l'aptitude à répondre aux signaux de l'environnement, mais il n'y a pas de prédiction du phénotype par le génotype.»
Analyse génétique moderne, Griffiths, Gelbart, Miller et Lewontin, 2001, De Boeck Université, ch 16, pp 504-530; une présentation originale d'idées conformes aux théories habituelles.
Emmanuel Farge: «Certains gènes embryonnaires sont mécano-sensibles», brève de La Recherche, 369, novembre 2003, p 16-17 d'après E. Farge, Current Biology, 13, 1365, 2003

Site internet très documentés iconographiquement et avec de nombreux liens sur d'autres sites (mais chiches en données expérimentales): http://www.snv.jussieu.fr/vie/
La page sur le développement embryonnaire de l'hermelle:
http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/SiteSabellaria/Sabelbm.htm est intéressante (la fécondation expérimentale chez l'hermelle est facile à réaliser dans nos salles de cours: voir reproduction). J'attire votre attention sur le passage où l'auteur affirme qu' "il a été démontré chez d'autres espèces que Sabellaria, que le lobe polaire correspond à une région cytoplasmique liée au destin du blastomère D et qui contient des déterminants cytoplasmiques nécessaires au rythme du clivage, à la spécification de l'axe dorsoventral et à la différenciation du mésoderme. Ces déterminants seraient liés au cytosquelette cortical. "
Les pages sur le développement embryonnaire du Xénope sont aussi très riches iconographiquement:
http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/xenope1/index.htm et peuvent documenter des recherches faites par les élèves.
Les pages (texte simple) présentant les homéogènes ou plutôt les gènes sélecteurs est illustrée d'images issues de différentes pages sur internet : http://
www.snv.jussieu.fr/bmedia/homeotique/homeo0.html: une erreur qui me choque: sur la page http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/homeotique/ homeo1.html: le code génétique n'est pas la séquence des bases de l'ADN du chromosome - qui pourrait plutôt être qualifiée d'information génétique - , mais la correspondance ARNm-ARNt-aa )

Le site de l'inrp possède aussi un dossier sur le développement: www.inrp.fr/Acces/biotic/develop/controle/accueil.htm , assez hétérogène (type de documents, auteurs, niveau des sources... très variables). La page pédagogique http://www.inrp.fr/Acces/biotic/develop/controle/html/plan.htm appelle bien des réserves et je souhaite y substituer une toute autre démarche (voir cours de seconde).


Plan de cette page:


Depuis les travaux de Archibald Garrod, Georges Wells Beadle, Edward Tatum, pour n'en citer que quelques-uns (voir une histoire de la génétique), la notion de programme génétique c'est progressivement imposée pour désigner les mécanismes à l'origine du développement d'un organisme. Ce n'est pas sans réticences que ce mot a été accepté par les embryologistes qui travaillaient sur un embryon qu'ils considéraient comme engagé dans un développement autonome. Les généticiens du développement se sont lancés dans la recherche des mécanismes qui mettent en action ce programme, avec la certitude qu'il y avait bien un programme, et ont obtenu des résultats extrêmement riches, grâce à des techniques de plus en plus sophistiquées. Plus les résultats s'accumulent, tous interprétés dans le cadre de cette théorie, plus la notion de programme génétique devient évidente et "acceptée" par tous les scientifiques. On pourrait même dire qu'actuellement TOUTES (?) les découvertes scientifiques, même en embryologie (?), sont INTERPRÉTÉES dans le cadre de cette théorie, du fait du l'aspect social, politique des sciences, l'argent de la recherche étant distribué prioritairement (si ce n'est exclusivement) à ceux qui travaillent dans cette théorie et avec ces modèles (Drosophila melanogaster, axolotl, Cænorhabditis elegans, Arabidopsis...). Qui suis-je pour essayer de remettre en cause ce postulat ? Et pourtant je crois qu'il est nécessaire de reformuler toutes les questions, puisqu'on demande aux enseignants du secondaire d'enseigner le développement. Et ainsi mettre en avant la part de la théorie dans tout résultat expérimental. Suggérer une autre théorie que le paradigme dominant n'est peut-être pas le rôle d'un enseignant du secondaire. Cependant, un site internet pourrait être un bon outil pour élargir la discussion avec un assez grand nombre de collègues. Cette page est le reflet de mon travail et une ouverture, je n'ai aucune prétention à présenter une vérité enseignée, même si j'utiliserai cette page pour construire mon cours.

La position de l'enseignant, et encore plus dans le secondaire, n'est pas propice à la participation à des discussions théoriques avec les chercheurs, on a souvent l'impression d'avoir quitté le lieu où se construit la science en passant du laboratoire à la classe. Mais il nous reste une passion pour essayer de comprendre, par bribes, tous les articles de "vulgarisation de haut niveau" (La Recherche, Pour la Science) qui nous tombent sous la main... et des ouvrages que nous achetons régulièrement pour nous "maintenir au courant" (collection DeBoeck Université pour n'en citer qu'une). Oserais-je dire que la théorie actuelle de la génétique du développement, ne me satisfait pas (je n'arrive pas à l'enseigner car je ne suis pas convaincu), tout comme la manière d'aborder la génétique et tant d'autres questions comme l'immunologie ou la physiologie dans les programmes du secondaire? Pour cette partie je vais donc essayer encore une fois de faire un cours qui, s'il n'est pas politiquement correct, reste, je l'espère, scientifiquement correct. Mes erreurs viennent de mes ignorances (reconnues ou non) et je sais bien que je ne suis ni un embryologiste, ni un généticien... de laboratoire. Mais je revendique le droit à comprendre avant d'enseigner. Je vais faire souvent référence à la théorie de Rosine Chandebois, qui me paraît un très bon fil directeur, même si je ne la comprends certainement pas dans son intégralité, et si je l'adapte certainement à ma manière de voir, en essayant, à chaque fois de remonter aux expériences, ce qui n'est pas toujours facile. J'ajoute que se réclamer d'une certaine philosophie ou idéologie de façon claire et ouverte (ici, un vitalisme) n'est jamais aller contre la science, c'est l'idéologie masquée qui est mensonge.

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1. Les grands axes de symétrie de l'embryon sont définis précocement

Par exemple chez les amphibiens on pense que les axes de symétrie de l'embryon sont définis par la charge en vitellus (axe animal-végétatif) et par le point d'entrée du spermatozoïde (axe dorso-ventral). C'est donc dans l'ovogénèse que l'on serait tenter d'abord de rechercher des éléments directeurs du développement.

1.1 l'ovogénèse

Les ovogonies sont issues de mitoses (dites goniales) qui :
- cessent au dernier stade larvaire avant la mue nymphale chez les insectes;
- présentent une activité saisonnière chez les amphibiens et quelques poissons osseux: après chaque ponte un stock d'ovocytes est reconstitué à partir d'ovogonies quiescentes;
- cessent, à de rares exceptions près, chez les reptiles, les oiseaux et les mammifères, à la fin de la vie embryonnaire ou peu après l'éclosion ou la naissance.

Les ovogonies évoluent en ovocyte dès la fin de la mitose en augmentant leur volume et la méiose se bloque à la fin de la prophase de première division (stade diplotène): on parle d'ovocytes I. C'est ici que commence le véritable développement embryonnaire (Le Moigne, p 25) avec des synthèses d'ARN, de protéines nécessaires au développement de l'embryon, et avec l'accumulation de réserves.


Croissance des follicules ovariens et des ovocytes chez le Xénope (d'après Le Moigne, p 30-31)
Les nids d'ovogonies de l'ovaire ne sont pas représentés (nombreuses mitoses goniales après chaque ponte pour reconstituer le stock d'ovocytes en croissance). Trois générations d'ovocytes en croissance sont présentes simultanément dans chaque ovaire.

La maturation d'ovocyte I à ovocyte II commence par migration de la vésicule germinative au pôle animal (déterminant une tache claire de maturation). Celle-ci se rompt et expulse le premier globule polaire (GP1). Les chromosomes se bloquent au stade métaphase de la 2ème division de méiose. De nouvelles protéines (dites de maturation) apparaissent et passent du nucléoplasme au cytoplasme et inversement. Elles persistent pendant la segmentation. Leur synthèse est nécessaire à l'expulsion du GP1 (l'inhibition de leur synthèse empêche cette expulsion). Les ARN nucléaires migreraient dans le cytoplasme et leur localisation serait déterminante pour la symétrie dorso-ventrale de l'embryon. Les cellules folliculeuses (épithélium ovarien interne), dont les prolongements étaient étroitement associés avec le cytoplasme périphérique de l'ovocyte (formant une zona radiata), se rétractent et se détachent de l'ovocyte.

 


Ovocyte II de grenouille ovulé (d'après Le Moigne, p 81)
Le diamètre de l'ovocyte (avec sa gangue) atteint souvent 5 mm (2mm sans sa gangue). La membrane vitelline (en rouge) enferme le globule polaire 1 (GP1) expulsé quelques heures avant l'ovulation et l'ovocyte II dont les chromosomes sont bloqués en métaphase de 2ème division de méiose. Les granules corticaux colorant le cytoplasme périphérique se trouvent à la périphérie du cytoplasme et dans la moitié apicale (absents chez les Urodèles et au voisinage du pôle animal formant ainsi une tache de maturation, plus claire). Le cytoplasme interne présente une polarité: le hyaloplasme est présent en majorité au pôle animal (PA) où se concentrent les ribosomes (en vert) et est peu abondant au pôle végétatif (PV) où dominent les réserves, notamment, le vitellus (en jaune). Les polarités sont associées à des structures dynamiques ou statiques du cytosquelette.

Le vitellus est concentré au pôle végétatif dans des plaquettes vitellines de grande taille. Le terme ancien de "vitellus" désigne un ensemble de substances sécrétées en dehors de l'ovocyte, transportées par le sang et accumulées dans le cytoplasme de l'ovocyte (protéines et phosphoprotéines synthétisées par le foie et accumulées sous forme de plaquettes associant des protéines et des lipides (phosvitine et lipovitelline dérivant toutes deux de la vitellogénine) sous contrôle mitochondrial, du glycogène et des lipides).

(en masse)

eau
protéines
lipides
glucides
divers
dont acides nucléiques
diamètre

ovocyte II

52,5%
34,5%
7,5%
3%
2%
2 mm

cellule typique d'amphibien

70%
18%
5%
2%
5%
50 à 100µm *

* le diamètre normal d'une cellule eucaryote est d'environ 20 à 40 fois plus faible que celui de l'ovocyte; on considère ainsi que l'accroissement de volume est de 27000 fois entre l'ovogonie et l'ovocyte II; ne pas oublier que l'accroissement de volume, pour une sphère, est proportionnel au cube de celui du rayon...

Le stock d'ARN maternels de l'ovocyte se constitue à partir d'une synthèse phénoménale: 89 % (pendant la prévitellogénèse) à 95% (pendant la vitellogénèse) des ARN synthétisés dans le noyau sont dégradés avant de passer dans le cytoplasme (la durée de vie des ARNm est courte: une demi-vie de 35 jours est considérée comme fort longue et caractérise des ARN stables). Le stock d'ARNm stables de l'ovocyte est maintenu grâce à des transcriptions incessantes (on estime à 15.000 le nombre de protéines traduites à partir de ces ARNm maternels). Les ARNm dirigés vers le cytoplasme sont utilisés pendant la segmentation car aucun gène maternel n'est actif pendant cette période et la traduction des ARN paternels ne commence qu'à la mi-blastula pour les amphibiens et la drosophile (dès la fécondation chez les oursins et les mammifères). En tout cas on peut dire que le développement du jeune embryon ne dépend pas immédiatement des premières synthèses d'ARN de son génome original. Ce décalage dans le temps de l'expression de l'information génétique propre de l'embryon est un argument fort pour rejeter l'idée d'un programme génétique embryonnaire de développement.
De nombreux ARNr sont aussi synthétisés. On estime à 1012 le nombre de ribosomes contenus dans un ovocyte de Xénope, ce qui est 100 fois supérieur à celui des ribosomes produits en une année par une cellule banale de l'organisme adulte. Cette synthèse de ribosomes est réalisée grâce à la réplication (500 à 2000 copies) de l'organisateur nucléolaire (environ 500 gènes identiques codant pour les ARN40s, précurseurs des ARNr18s et 28s) à l'origine de nucléoles surnuméraires. La masse d'ADN supplémentaire serait de l'ordre de 30 pg sur les 40 pg correspondant à la masse d'ADN totale du noyau de Xénope.

Ces données, certainement un peu anciennes, pourraient être revisitées à l'aide des nouvelles théories de M. Beljanski sur le rôle des ARN (voir page de génétique). Peut-être tous ces ARN ne sont-ils pas des ARNm ou des ARNr mais y-a-t-il parmi eux nombre d'ARN transformants, contenant une réelle information héréditaire pouvant être transcrite de façon inverse dans l'ADN (par une transcriptase inverse que M. Beljanski a isolé dans des œufs de poissons notamment) où être stabilisée (comme épisome et ainsi transmise par exemple à une lignée cellulaire) ou encore utilisée.

Les protéines spécifiques synthétisées lors de la maturation de l'ovocyte sont par exemple des histones (en quantité suffisante pour 20.000 cellules), de la nucléoplasmine (intervenant dans l'assemblage des histones avec l'ADN), de la tubuline, des protéines ribosomiques, de l'ADN polymérase, de l'ARN polymérase ( une vésicule germinative à une activité ARNpolymérasique égale à celle de la totalité des ARN polymérase de 400.000 cellules), de la fibronectine...

Remarques:

1.2 fécondation

La fécondation est externe chez les amphibiens et en milieu aquatique, essentiellement représenté par la gangue muqueuse qui entoure les œufs: le mâle arrose de son sperme les ovocytes II pondus par la femelle (le mâle tient fermement le dos de la femelle: c'est l'amplexus). La pénétration du spermatozoïde, provoquant une traînée spermatique, formée par les pigments corticaux entraînés avec le noyau spermatique, n'est possible que dans le seul hémisphère animal. Elle déclenche des remaniements qui déterminent le plan de symétrie dorso-ventral de l'embryon dans les deux heures qui suivent la fécondation. Le second globule polaire est émis, les granules corticaux rejettent leur contenu à l'extérieur du zygote (réaction corticale) et la membrane vitelline devient membrane de fécondation, se décolle de la membrane plasmique ce qui permet dans les 30 min suivant la fécondation (à 18°C), une rotation du zygote sous l'effet de la pesanteur, le pôle végétatif, plus lourd, s'orientant vers le bas (on parle de rotation d'équilibration). Chez les Urodèles il peut y avoir pénétration de plusieurs spermatozoïdes.

Une heure 10 min après la fécondation (toujours à 18°C) le cytoplasme superficiel (pigmenté) réalise une rotation de symétrisation qui est un mouvement de bascule autour d'un axe passant par le centre de l'œuf et orthogonal à un plan déterminé par les pôles animal et végétatif et la traînée spermatique (qui devient le plan de symétrie dorso-ventral de l'embryon). Le cytoplasme pigmenté se recentre en quelque sorte d'environ 30° autour du point d'entrée du spermatozoïde. Le cytoplasme peu pigmenté découvert par ce mouvement détermine un croissant plus claire appelé croissant gris. Il détermine la région dorsale du futur embryon. Chez le Xénope le mouvement de rotation de symétrisation est dirigé par les microtubules qui se développent en aster (spermaster) autour du centriole qui a pénétré dans l'ovocyte avec le noyau du spermatozoïde. Le détail des mouvements sort du cadre de ce petit aperçu mais il faut aussi tenir compte des mouvements du noyau de l'ovocyte II fécondé (pronucléus femelle) et de la présence de nombreux microtubules localisés essentiellement dans le cytoplasme cortical du zygote. Chez les Urodèles le déterminisme de la symétrisation de l'embryon est inconnue.

En résumé :
Un zygote d'amphibien n'est pas uniquement un noyau contenant une information génétique et un cytoplasme contenant une machinerie.
- C'est une cellule TOTIPOTENTE, c'est-à-dire capable d'une intense multiplication (développement AUTONOME), et pouvant donner tous les types cellulaires d'un individu.
- C'est une cellule polarisée et même ORIENTÉE: si elle est globalement sphérique son contenu n'est pas réparti de façon homogène: plaquettes vitellines (concentrées plus au pôle végétatif qu'au pôle animal) et ribonucléoprotéines (selon le gradient inverse: les ribosomes et les ARN sont plutôt concentrés au pôle animal); son cortex contient des granules pigmentant l'hémisphère animal. Le plan de symétrie bilatéral de l'embryon des amphibiens Anoures contient les pôles animal et végétatif et la traînée spermatique laissée par la pénétration du spermatozoïde.
- C'est une cellule protégée par une membrane et des enveloppes extérieures (gangue, cellules folliculeuses). Sa position n'est pas non plus indifférente: son environnement doit être favorable pour que le développement se poursuive. Dans le cas des amphibiens à fécondation externe et à développement aquatique, l'embryon se développe facilement dans sa gangue muqueuse si la température de l'eau n'est ni trop élevée ni trop basse.

Il n'est pas rare de voir écrit que le zygote est une cellule qui contient toute l'information nécessaire pour faire un individu pluricellulaire complet adulte. Mais cette vision n'est pas neutre philosophiquement. On pense facilement à une information figée et stable qu'il faut progressivement utiliser. Si cette affirmation est analogue à celle qui suppose qu'un bébé possède toutes les capacités nécessaires pour devenir un homme, cela est sans doute vrai, mais affirmer qu'il existe un programme, un déterminisme, en acte, dans le zygote, c'est aller beaucoup plus loin que de penser qu'il y a une potentialité, qui pourra s'épanouir, s'il n'y a pas d'accident, et si l'environnement est favorable à chaque étape du développement. On peut emprunter à Bergson sa vision du futur qui n'est pas, qui n'est pas même un possible car il serait alors déterminé. C'est la vie qui est le seul lieu de l'être, c'est le présent qui est mais ni le passé ni le futur. Le maintien dans l'être, le développement dans l'être est un présent nouveau posé à chaque instant du vivant. Cette question est bien sûr essentielle quand il s'agit de s'entendre sur le début de la vie de la personne pour l'être humain.

1.3 Expériences sur les ovocytes

1 - Expériences dites "de Gurdon", 1973: transplantation nucléaire chez la grenouille (J.B. Gurdon, Gene expression during cell différenciation, Oxford, U.K. : Oxford University Press, 1973, cité dans Biologie moléculaire de la cellule, 1994, p 1051; nombreuses autres données dans Biologie du développement, 1989, p 206-212)

Un œuf non fécondé mais mature (ovocyte II) de grenouille est irradié au pôle animal à l'aide d'U.V. (voir lumière, bien que je n'ai pas réussi à trouver précisément ce que l'on détruisait par les U.V...) qui dégradent la vésicule germinative (voir ci-dessus et plus bas). On injecte alors dans le cytoplasme de l'ovocyte ainsi énucléé un noyau (2n) d'une cellule dédifférenciée d'un tissu d'une grenouille adulte. Il faut aussi noter que seules certains tissus peuvent être mis en culture et se dédifférencier, comme par exemple les kératinocytes: cellules de la peau synthétisant de la kératine comme protéine essentielle. L'injection du noyau se solde souvent par la mort de la cellule énucléée et transplantée mais parfois on réussit à obtenir des divisions de l'ovocyte transplanté. Pour obtenir un têtard il est nécessaire de réaliser une seconde transplantation d'un noyau issu d'une cellule de la blastula (massif embryonnaire à une cavité) à l'intérieur d'un second ovocyte énucléé.

2 - Expériences de Gurdon, 1968 : technique de transplantation nucléaire chez le Xénope; (Biologie du développement, A. Le Moigne, Masson, p 208)

ovocyte II irradié (UV) au pôle animal pour détruire la vésicule germinative (lignée ovocytaire à 2 nucléoles) + transplantation à la pipette d'un noyau de cellule d'intestin de têtard (un seul nucléole). Donne une blastula dont on prélève les noyaux que l'on retransfère dans des ovocytes énucléés comme précédemment; on obtient:
- des blastulas que arrêtent leur développement au stade bourgeon caudal
- des blastulas dont on prélève une fois encore les noyaux pour les transplanter dans des ovocytes énucléés receveurs et qui donnent cette fois:
* des embryons anormaux
* des têtards anormaux et parfois normaux.
Il est à noter que les transferts doivent être très nombreux pour espérer obtenir un développement complet. Les embryons obtenus ont des cellules à noyaux mononucléolés, preuve que les noyaux de l'embryon proviennent du noyau greffé.

remarques:
- la méthode semble avoir été mise au point par Briggs et King en 1952
- la piqûre de l'ovocyte II permet aussi dans certains cas d'obtenir par gynogénèse (parthénogenèse à partir d'une cellule sexuelle femelle: voir cours sur la reproduction) un embryon normal, après division du noyau à n chromosomes de l'ovocyte. D'autres signaux mécaniques et chimiques peuvent aussi lancer le développement parthénogenétique.
- seuls certains types cellulaires peuvent se dédifférencier notamment les cellules épithéliales; les cellules sont dissociées à l'EDTA- éthylène diamine tétracetic acid
- seules certaines espèces de grenouille permettent de réaliser de telles transplantations
- aucune transplantation interspécifique ne conduit à un développement complet : le cytoplasme d'un ovocyte d'une espèce ne peut être transplanté que par un noyau d'une cellule de la même espèce, même si on a réalisé des greffes (ovocyte énucléé de Pleurodèle et noyau de cellule de rein de Xénope), pour pouvoir distinguer les protéines ovocytaires et les protéines issues du génome du donneur... ce qui a permis de montrer que les protéines nouvellement synthétisées sont des protéines ovocytaires de Xénope (et jamais de protéines rénales) ...
- l'ovocyte II des amphibiens présente un noyau volumineux à nombreux nucléoles (en plus des 2 présents dès le stade ovocyte I) appelé vésicule germinative (la croissance de l'ovocyte des amphibiens dure près de 3 années; voir plus haut); c'est en son sein qu'on trouve les fameux chromosomes en écouvillon qui ont permis d'étudier la synthèse des ARN dans l'ovocyte et notamment la synthèse des ribosomes à partir des ARNr... le rôle et la répartition du stock très important d'ARN et notamment d'ARNr synthétisés lors de la maturation de l'ovocyte (grâce notamment aux nucléoles supplémentaires) a été très étudié pour rendre compte des premières étapes du développement: les ARNr de l'ovocyte correspondent à un stock suffisant jusqu'au stade bourgeon caudal et les ARNt peuvent approvisionner 60 000 cellules.... Dans "l'expérience de Gurdon" je ne sais pas ce qui a été vraiment détruit par les UV même si l'ARN est plus stable que l'ADN...
- le tableau ci-dessous résume quelques résultats de transplantations (Biologie du développement, A. Le Moigne, Masson, p 207-208)

cellule énucléée receveuse
cellule donneuse de noyau
résultats
cerveau de l'adulte
cellules de mi-blastula

ovocytes I
en cours de maturation

arrêt des divisions et début de synthèse d'ARN

dans tous les cas le noyau transplanté modifie son activité pour se conformer aux activités normales de la cellule receveuse

augmentation du volume des noyaux des cellules somatiques transplantés, toujours plus petits que la vésicule germinative ( 3 fois pour un noyau d'une cellule de blastula et 60 fois pour le noyau d'un cellule de cerveau); ce qui indique qu'il y a passage d'éléments cytoplasmique dans le nucléoplasme, ce qui a été démontré

ovocytes II

arrêt des synthèses d'ARN, condensation des chromosomes sans synthèse d'ADN

zygote
ou
ovocytes II
activés mécaniquement

arrêt de la synthèse d'ARN, début de synthèse d'ADN et division

... d'autres expériences ont été réalisées avec des cellules différenciées de rein, cœur, des lymphocytes, des erythrocytes..et ont permis de d'aller tout au plus jusqu'au stade de têtard nageant

Les biologistes moléculaires interprètent habituellement cette expérience en terme d'expression différentielle de l'information génétique contenue dans le noyau d'une cellule. C'est ainsi qu'ils parlent aisément de clonage, en référence à l'information génétique potentielle contenue dans les cellules de l'embryon formé (le têtard possède matériellement la même information génétique que l'adulte qui a fourni le noyau transplanté).
Les embryologistes préfèrent parler de programme ovocytaire induit par le cytoplasme: les gènes des noyaux quiescents injectés sont activés par le cytoplasme selon un programme de synthèse de type ovocytaire (Le Moigne, p 209). Pour ce qui est des caractères héréditaires, étant donné le peu de réussite de la technique (nombre de têtards viables en regard du nombre de transplantations effectuées... moins de 1% certainement), on ne voit pas comment on pourrait l'étudier et quelle serait le degré de généralité des conclusions.

A ces expériences sur les amphibiens il faudrait ajouter les récents résultats obtenus sur les mammifères (Dolly...). Un dossier à consulter: "Clonage: la nature résiste", La Recherche, 334, septembre 2000, 28-40. « Depuis l'événement Dolly, en 1996, beaucoup d'animaux ont été clonés avec succès. Mais le taux d'échec est considérable. Beaucoup d'animaux ont des problèmes (il y a probablement une erreur de fond dans la recette...). Maint succès annoncé n'a pu être reproduit...»

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2. le comportement cellulaire

2.1 le comportement cellulaire est l'expression du travail du vivant

Des principes du fonctionnement cellulaire à ceux du développement
(extrait de Comment les cellules construisent l'animal, Rosine Chandebois, phénix éditions, 1999, p 24-25)
« Si on a postulé puis justifié l'existence d'un programme génétique ou de prepatterns qui orchestreraient les activités des cellules, c'est pour avoir donné de celles- ci une idée simplifiée à outrance. Avec un schéma plus élaboré, d'autres principes s'imposent pour le développement.

La libération différentielle de l'information génétique, qui est le principe de la différenciation cellulaire, est encore attribuée à la seule répression d'une partie du génome, sans accorder à la variabilité des rendements des gènes l'importance capitale qui lui a été reconnue. Celle- ci simplifie pourtant les problèmes dans la mesure où elle permet d'attribuer le même déterminisme à la différenciation tissulaire, apparemment d'ordre qualitatif, et à l'extrême diversité, dans chaque tissu, des rendements des synthèses spécifiques, puisque les cellules présentent les caractères histologiques d'un tissu donné lorsque leurs " valeurs" se situent dans une certaine marge.
Par ailleurs, on a pensé que le rôle particulier joué par chaque cellule lui est entièrement dicté à chaque instant parce qu'on a ignoré la mémoire cellulaire. Une activité biochimique momentanément entretenue par une cellule laisse dans son cytoplasme des traces qui sont transmises à sa descendance, mais qui toutefois s'effacent plus ou moins si elle est isolée. Ainsi, la singularité d'une cellule de l'organisme a été créée par un effet de sommation des informations extra-cellulaires successivement enregistrées par son ascendance depuis le début du développement, un progrès qui aurait été rendu impossible sans l'entretien d'une mémoire collective.

En ne voyant dans les cellules que des machineries de molécules commandées par les gènes, on a omis de prendre en considération les diverses composantes de leur comportement d'organismes autrefois libres. Or elles jouent un rôle essentiel dans la ségrégation des fonctions tissulaires et dans la création de la forme. Sensibles aux variations du métabolisme et aux agressions extérieures, leur dérèglement est à l'origine des malformations congénitales et accidentelles.
Si, dans l'organisme en développement, la cellule constitue une unité fonctionnelle et morphogénétique - parce que douée d'une certaine autonomie dans l'accomplissement de son métabolisme et dans son comportement individuel -, elle ne doit pas être considérée comme une unité opérationnelle, puisque les gènes, manipulés par le cytoplasme, ne peuvent être à l'origine de changements quelconques dans leurs activités. La cellule répond seulement à des modifications dans son environnement, soit dans les cellules avec lesquelles elle est en contact direct, soit dans la composition du milieu intercellulaire. Il s'en suit que la différenciation des cellules représente le travail de systèmes qui intègrent leurs activités.

Les principes de leur fonctionnement sont ceux des systèmes cybernétiques dits " téléonomiques", qui ont pour particularité de s'organiser seuls ( autopoïèse). Ce travail n'implique pas une augmentation des capacités des unités fonctionnelles, mais leur permet d'utiliser celles qu'elles ne peuvent manifester isolément. Les unités d'un système téléonomique doivent être conçues spécialement pour communiquer, pour entretenir des activités très diversifiées, pour garder la mémoire d'activités temporaires (où définitives quand le système, ayant épuisé ses capacités, est amorti), soit individuellement, soit collectivement.
Ce sont précisément là les caractéristiques des cellules qui ont constitué des organismes extrêmement complexes, sans augmentation de la masse d'ADN contenue dans leur noyau.
»

 

Une cellule est une unité fonctionnelle et structurale: son activité ou comportement peut être regardé selon les trois composantes du travail du vivant qu'elle réalise, même si les limites en sont un peu floues: travail de relation, de nutrition et de reproduction.
* le travail de relation qui, pour un ensemble de cellules peut être considéré comme le comportement social: le zygote, puis les cellules embryonnaires, reçoivent et émettent en permanence des informations des et vers les cellules voisines par l'intermédiaire de leur membrane. On distingue les interactions entre cellules (comme l'induction...) , la cohésion, l'adhésion sélective, le déplacement orienté... A l'information instantanée reçue par une cellule en provenance de son environnement, il faut ajouter la mémoire cellulaire qui englobe l'ensemble des informations qui se sont accumulées dans son cytoplasme sous forme de gradients, de métabolismes, voir de répressions ou d'activations de gènes...ces informations n'étant ni permanentes (elles s'effacent plus ou moins vite si l'on isole les cellules), ni transmises intégralement aux cellules filles. L'unité fonctionnelle de l'embryon en développement n'est pas la cellule mais la population cellulaire.
* le travail de nutrition qui est mesuré essentiellement par le métabolisme, sous étroite dépendance de l'information génétique (ARN et gènes exprimés) mais aussi de la mémoire cytoplasmique (voir ci-dessus): les premières cellules embryonnaires consomment les réserves accumulées et expriment le matériel génétique maternel ( stocké sous la forme d'ARNm maternels) puis progressivement elles mettent en place un métabolisme plus ou moins spécifique (expression du génome maternel et paternel hérités) dont les caractéristiques déterminent pour une bonne part l'identité tissulaire d'une cellule, sous le contrôle de informations extracellulaires arrivant des cellules voisines. On peut aussi placer au sein de ce travail les capacités d'auto-destruction - cytolyse ou autolyse ou encore mort programmée (apoptose*) - qui sont très importantes dans le développement embryonnaire: de nombreux tissus embryonnaires sont édifiés provisoirement et sont détruits ensuite au cours du développement, les cas les plus marquants étant les organes larvaires des animaux à métamorphoses.
* le travail de reproduction qui se concrétise par les capacité de division (prolifération).

2.2 Le début du développement (segmentation) semble fondamentalement reposer sur l'autonomie cellulaire, reflet du travail de reproduction mais sous l'étroite dépendance de la mémoire ovocytaire

La segmentation est totale et inégale chez les amphibiens; elle commence 2h30 après la fécondation (à 18°C); elle se déroule, comme le reste du développement embryonnaire, dans la gangue protectrice. Le premier plan de segmentation est dans 50% des cas très proche de celui de la symétrie bilatérale défini après la fécondation.

Les embryologistes proposent comme hypothèse du déterminisme des premières divisions la présence de différents déterminants cytoplasmiques (ou pourrait parler de mémoire ovocytaire) que l'on a étudié notamment dans les œufs des ascidies, des mollusques et des annélides dits "en mosaïque"(chaque cellule de la blastula a une détermination précise et on ne peut enlever des fragments cytoplasmiques ou fragmenter la blastula sans aboutir à un arrêt du développement; alors que dans les œufs "à régulation" - comme chez les oursins et les vertébrés - des ablations importantes de cytoplasme ou une fragmentation de la blastula sont régulés et permettent d'obtenir des individus complets). Le rôle des déterminants est encore flou, comme par exemple celui des ARNm maternels, des protéines de la vésicule germinative, et éléments des différents territoires comme celui du croissant gris ou du plasme germinatif qui donnera naissance aux cellules germinales primordiales. Les embryologistes moléculaires y ajoutent l'idée, sans vérification expérimentale, que ces déterminants pourraient réprimer le génome de chaque cellule embryonnaire jusqu'au stade où, suffisamment dilués par les divisions de la segmentation, l'expression du génome original de l'embryon pourrait s'exprimer.

Ceci est une vision extrêmement passive du rôle, lui-même très flou, des déterminants. Il est probablement plus riche d'essayer de comprendre d'une façon plus générale le comportement cellulaire comme résultat d'un comportement autonome et social. On touche là un point très classique: l'opposition, peut-être uniquement apparente, entre un mécanisme qui a tendance à regarder la cellule comme un ordinateur qui reçoit des données et prend des ordres après des cellules voisines ou, pire, qui obéit à un programme de développement déterminé qu'elle porterait en son nucléoplasme, et un vitalisme qui préfère parler de comportement, de tendance, de lois de développement qui sont celles de la progression autonome, de l'adhésivité cellulaire, de la cohésion sociale ou encore du comportement social élémentaire...

 

2.3 Le système population cellulaire est à la base de l'organogenèse et semble dominé par le comportement social des cellules, reflet du travail de relation

2.3.1 le système population et la progression autonome

La première étape de l'embryogenèse est donc le passage du système cellule -zygote (individu unicellulaire) puis amas de cellules (morula, individu pluricellulaire)- au système population cellulaire - l'individu étant composé de plusieurs populations cellulaires réunies en une gastrula.

Un cellule appartenant à une population cellulaire (qui initie donc une certaine différenciation ou spécialisation) perd une partie de son autonomie ce qui se traduit au niveau de chaque type de travail:
- du point de vue du travail de relation, son appartenance à un groupe de cellule détermine, à partir de sa cohésion et du type de liaisons mises en place avec les autres cellules (stables ou dynamiques, étroites-serrées ou lâches, communicantes ou fermées...) la morphologie du tissu. « En schématisant beaucoup, la morphogenèse est souvent une succession de passages de l'état épithélial à l'état de mésenchyme dissocié et migrateur pour former ensuite à nouveau un épithélium ». C'est tantôt le mécanisme des adhésions qui joue (en présence d'une ou de plusieurs CAM: cellular adhesive molecules), tantôt le mécanisme des migrations (avec des molécules de liaison à la fibronectine)(c.f. Le Moigne, p 166). D'un point de vue plus interne, une cellule appartenant à une population présente une compétence vis-à-vis de tel ou tel signal (les agents pouvant être des substances chimiques dites inductrices, des agents tératogènes, une modification du pH, de la température, une désorganisation mécanique...): cette capacité peut être regardée à la fois comme un vestige d'autonomie et comme une particularité liée à la population (résultat pour une bonne part de la mémoire cellulaire). La réponse possible d'une cellule appartenant à une population à la suite d'une modification de son environnement dépend donc fortement de cette mémoire.
- du point de vue du travail de nutrition on peut dire qu'une cellule appartenant à une population présente un profil métabolique qui représente à la fois la spécificité métabolique du tissu auquel elle appartient (une cellule musculaire synthétise énormément de myoglobine, d'actine, de myosine... par exemple) et ses propres capacités d'évolution (un erythrocyte ne synthétise plus que de l'hémoglobine, une fois perdu son noyau et une bonne part de ses organites, sa différenciation en hématie est irréversible; alors qu'une cellule épithéliale embryonnaire de la vésicule optique synthétise par exemple des cristallines qui lui confèrent une potentialité cristallinienne qui ne sera perdu que tardivement chez les plupart des vertébrés et peut même persister cher l'adulte dans quelques groupes d'amphibiens, ce qui explique la possibilité d'expériences de transdifférenciation: des cellules de la rétine peuvent encore se dédifférencier et redonner cristallin dans certaines conditions expérimentales). On considère qu'il existe une valeur critique pour chaque substance à partir duquel le métabolisme ne peut plus cesser sans causer la mort de la cellule, c'est le seuil de différenciation. Cette notion est assez claire pour une seule protéine mais beaucoup plus difficile à envisager pour un métabolisme particulier en encore moins pour l'ensemble des activités d'une cellule. Il y a presque toujours une certaine plasticité métabolique d'une cellule.
- du point de vue du travail de reproduction, la capacité à se multiplier peut ou non persister au sein de la population. Souvent seules certaines cellules, dites cellules souches, gardent cette capacité au sein de la population.

Les embryologistes désignent par PROGRESSION AUTONOME l'automatisme présenté par une population de cellules embryonnaires qui évoluent, en absence de toute information extérieure, dans la direction d'une spécialisation fonctionnelle (ou détermination). Une population en retour est défini par un ensemble de cellules issues d'une même cellule embryonnaire et engagées dans une même progression autonome. La composante cellulaire de la progression autonome est ce que Rosine Chandebois appelle le comportement social élémentaire (CSE), c'est-à-dire, avec mes mots, le travail de relation, de nutrition et de reproduction de la cellule au sein de la population.
Le terme de compétence est utilisé par les embryologiste pour désigner un état fugace pendant lequel une cellule ou un groupe de cellules appartenant à une population et donc engagée(s) dans une progression autonome est susceptible de passer un seuil de différenciation pour tel ou tel métabolisme et donc de s'engager dans une autre progression autonome, sous l'action d'un facteur inducteur (interaction avec une population voisine la plupart du temps). Par exemple l'ectoderme dorsal des vertébrés évolue naturellement par augmentation de l'adhésivité cellulaire en plaque neurale au contact (on parle d'induction) de la chorde (l'ectoderme seul dégénère) (RC, p 32). Ainsi les progressions autonomes s'enchaînent naturellement au sein de l'embryon par inductions. Dans certains cas on peut considérer qu'une seule progression autonome donne naissance à deux types de tissus différenciés différents si certaines cellules ne répondent pas à la même vitesse et surtout au même moment à l'induction ou à la détermination qui a enclenché la progression autonome. Par exemple le mésenchyme de rein donne à la fois des tubules urinaires et le tissu conjonctif qui les maintien en place selon que les cellules du mésenchyme ont réussi ou non à réaliser des condensations (RC p 33).
Les limites de l'action d'un inducteur sont déterminées, non pas par la zone de contact de celui-ci avec la population receveuse, mais par la compétence des cellules qui s'induisent de proche en proche (on parle d'induction homéogenétique); on pense que plus une cellule est éloignée de la zone d'induction, plus sa compétence risque d'être faible, ce qui détermine un gradient d'induction, lié non pas aux capacités de l'inducteur mais à la compétence des cellules induites (RC, p35).

Remarques: on peut perturber, lors du développement, la progression autonome d'une population cellulaire. Par exemple
- si l'on désagrège les cellules d'une population: la progression autonome s'arrête et peut reprendre une fois que les cellules sont reagrégées et s'achever normalement: .
- si l'on modifie la cohésion entre les cellules d'une population mais sans les séparer : par exemple si l'on cultive un fragment de vésicule optique en suspension on obtient une rétine alors que cultivé sur un support, le même fragment donne un épithélium pigmentaire; de la même manière un amas de cellules du mésenchyme du membre cultivé en suspension donne du cartilage alors qu'il donne des fibres musculaires s'il est cultivé sur un support (RC, p 29, voir planche dans la biblio de ce site).

2.3.2 Le système population et la genèse de la forme des organes

L'émergence de la forme d'un organe est sous la dépendance directe de la différenciation tissulaire, elle même sous la dépendance des interactions complexes entre les populations appartenant à l'organe et les populations voisines. On emploie le terme de réajustement pour désigner les interactions au sein des populations impliquées dans l'émergence d'un organe, qui font suite aux déterminations des progressions autonomes.

Un exemple (RC, p 41-43, figures extraites de l'ouvrage et modifiées légèrement):

Émergence de la forme du bourgeon de membre chez les Vertébrés Tétrapodes

observations
expériences
interprétations

le bourgeon de membre contient un mésenchyme à partir duquel se différencie une calotte apicale sous-la quelle on distingue une zone d'intense activité mitotique: la zone de prolifération apicale puis l'extrémité du bourgeon s'élargit

on n'observe pas de calotte apicale chez de nombreux groupes de vertébrés apodes

désagrégé et placé en culture, le mésenchyme engendre des îlots de précartilage typiques en nombre proportionnel au volume du tissu prélevé

le mésenchyme constitue une population engagée dans une progression autonome qui resserre les contacts cellulaires; un certain pourcentage de cellules arrive à se condenser en îlots qui évoluent différemment de la masse des autres cellules, dont les contacts ne sont pas assez étroits

l'ablation de la calotte apicale empêche l'émergence du membre
des agents chimiques (comme la thalidomide) ou des mutations (comme la mutation wingless chez le poulet) empêchent la croissance de la calotte

si l'on greffe une calotte supplémentaire à la base du bourgeon on observe une extrémité supplémentaire

la mutation eudiplopode chez le poulet provoque l'apparition d'une excroissance portant deux doigts supplémentaires (d'où le nom de la mutation)

à l'extrémité du bourgeon se différencie une calotte apicale par induction du mésenchyme sur l'épiderme

la calotte apicale induit en retour une activité mitotique intense dans les cellules du mésenchyme sous-jacentes (zone de prolifération apicale)

la mutation eudiplopode chez le poulet resserre l'adhésion des cellules de l'épiderme de la calotte ce qui délimite une calotte principale et une calotte secondaire donnant deux extrémités au bourgeon: l'une se développe avec deux doigts, l'autre avec les doigts habituels

Chez le mutant brachypode de la souris le membre est anormalement court

le mésenchyme du membre d'une souris brachypode cultivé un vivo forme des ilôts de précartilage plus rapidement que du mésenchyme non muté

des anomalies de même ordre ont été obtenues en traitant par l'acide rétinoïque des régénérats de pattes d'Amphibiens

la vitesse de la progression autonome peut être modifiée par des mutations ou des agents chimiques , et provoquer une anomalie morphogenétique

chez les mutants talpid du poulet la motilité des cellules du mésenchyme est réduite: elles se condensent avec difficulté (d'où le nombre plus élevé d'ilôts de précartilage par unité de volume et donc une polydactylie) et migrent trop lentement en direction de l'extrémité du membre (d'où un membre trop court ressemblant à un membre antérieur de taupe: talpus)

les cellules du mésenchyme sont attirées par les cellules apicales, on observe donc des déplacements de cellules du mésenchyme qui s'accumulent dans l'extrémité du bourgeon qui s'élargit donc

la répartition des îlots de précartilage et donc des futurs os du membre est donc sous la dépendance d'un gradient proximo-distal (le nombre d'ilôts est d'autant plus grand que le volume de mésenchyme est important, ce qui, du fait de l'élargissement de l'extrémité du membre, explique la séquence: 1 condensation pour le stylopode (humérus du bras), 2 pour le zeugopode (radius et cubitus de l'avant-bras) et davantage pour l'autopode (carpiens, métacarpiens et phalanges de la main)...)

les territoires situés dans la partie externe entre les îlots de précartilage présent une cytolyse (apoptose) qui séparent ainsi les doigts

une fois les doigts individualisés, la croissance du bourgeon s'arrête, seuls les doigts continuent de croître, momentanément

si la cytolyse ne se produit pas les doigts restent attachés les uns aux autres (syndactylie); ce qui est un phénomène normal par exemple chez les Palmipèdes munis d'une membrane palmaire

l'administration d'aspirine à des fœtus de souris au 11ème jour de la gestation, provoque la formation de doigts supplémentaires (en empêchant la mort cellulaire au niveau de la calotte)

la fragmentation de la calotte, due aux cytolyses des massifs interdigitaux, provoque l'arrêt de la croissance du bourgeon; les fragments de calotte encore au contact des extrémités des doigts permettent une croissance en longueur de ceux-ci; la croissance se termine par arrêt de la progression autonome

La mutation antennapedia de la drosophile s'exprime à la métamorphose par l'émergence des structures d'une patte dans l'ébauche larvaire de l'antenne. Ceci peut s'expliquer par une activité mitotique trop intense de la zone sous-apicale de la calotte antennaire. On peut provoquer cette activité en soumettant des ébauches à de faibles doses de rayons X ou en les cultivant dans des conditions qui ajournent la métamorphose. On peut supprimer cette activité en appliquant chez le mutant un antimitotique (colchicine) au stade de la crise épi génétique.

Une expérience classique de Holtfreter (1931) citée dans un ancien livre d'embryologie (Embryologie, Charles Houillon, Hermann, 1969) conduit à penser que chez les amphibiens la neurula âgée présente une détermination en territoires appelés champs morphogénétiques. Ces territoires avaient déjà été postulés par Harrison dans des expériences datant de 1918. sont maintenant appelés prepatterns et sont considérés comme étant sous la dépendance d'homéogènes. Voici quelques éléments de réflexion.
A la différence des territoires présomptifs de la blastula, les champs morphogénétiques sont caractérisés par une détermination qui ne peut plus faire l'objet de régulation... dans les conditions expérimentales de cette époque.


Les "champs morphogénétiques" comme ils étaient présentés par Houillon en 1969 (p 139) sur une jeune neurula d'amphibien
(et représentés aussi par Le Moigne en 1989, p 193)

L'ablation de la totalité du champ d'un membre empêche définitivement l'apparition de ce membre dans la suite du développement. Ce qui est interprété dans la cadre de la théorie des champs comme une détermination acquise définitivement par un territoire. Pour Rosine Chandebois ce n'est que la calotte apicale et le mésenchyme sous-jacent qui est enlevé et qui empêche effectivement le développement du bourgeon de membre. De la même manière si l'on greffe le territoire du membre antérieur sur une autre neurula on observe la formation d'une patte antérieure complète surnuméraire sur l'embryon receveur. Ce que Houillon interprète comme un comportement du champ morphogenétique identique à celui "d'un petit germe à l'intérieur de l'embryon". Pour Rosine Chandebois il ne s'agit que d'une induction réalisée par la calotte apicale supplémentaire greffée (voir cadre ci-dessus). Houillon note: "pour amputer un germe dès le stade neurula, il est nécessaire de pratiquer une très large ablation. Si l'ablation n'intéresse que la moitié du champ, la partie restante peut, par régulation, édifier tout de même un membre normal. Le greffon enlevé et transplanté sur un autre germe édifie à son tour un membre surnuméraire et même, si ce greffon se trouve fragmenté en deux éléments, deux membres surnuméraires s'édifieront. Ainsi, à partir du même territoire déterminé en tant que membre antérieur, il est possible d'obtenir par régulation trois membres complets.» Ces expériences s'interprètent aussi facilement dans le cadre de la théorie de Rosine Chandebois à partir d'une fragmentation de la calotte apicale. L'extension du pseudo champ morphogenétique étant celui de la population engagée dans une progression autonome de type membre et compétente vis-à-vis de l'induction réalisée par la calotte apicale épidermique.
On présente la neurula comme "une mosaïque de territoires capables de s'autodifférencier" ou champs morphogénétiques (Le Moigne, p 193). "Ces territoires de l'embryon ne représentent pas encore de différenciations visibles mais représentent l'ébauche réelle d'un organe". "A l'intérieur d'un champ, les régulations sont encore possibles, pendant un certain temps".
La reformulation moderne des champs morphogénétiques en prepatterns, généralement conçus comme des gradients de substances morphogènes ne modifie fondamentalement cette hypothèse ancienne qui consiste à imaginer que chaque cellule sait à tout instant quelle doit être son activité en fonction de sa position par rapport aux autres cellules d'une même structure. A cette hypothèse Rosine Chandebois oppose plusieurs arguments:
- la régulation des structures, c'est -à-dire la régénération après ablation partielle ou greffe, devrait être possible pendant toute la vie puisque le prepattern, codé génétiquement (?), serait une composante de la cellule spécialisée. Alors que Rosine Chandebois pense que la régulation n'est possible que dans le cadre de la progression autonome d'une population embryonnaire, même si, dans certains groupes, cette faculté puisse persister plus ou moins longtemps.
- la régénération, d'un membre par exemple, observée dans certains groupes est souvent interprétée comme étant une régulation embryonnaire reprogrammée à partir de cellules spécialisées. Alors que Rosine Chandebois pense que la partie manquante se reconstitue à partir d'un bourgeon juxtaposé à la souche, formé par des cellules retournées à l'état embryonnaire, parfois de la même manière qu'elle s'est édifiée pendant l'organogenèse. Éventuellement le régénérat se complète en imposant un remaniement de la souche à proximité de la section (RC, p 13).
- si la régulation des structures était une propriété de l'embryon persistant parfois chez l'adulte comment expliquer que certains organismes adultes soient capables de régénération alors qu'aucune régulation ne peut être obtenue expérimentalement au début du développement.
Pour Rosine Chandebois, une intervention microchirurgicale portant sur une population cellulaire chez l'embryon est souvent, mais pas toujours, suivi d'une développement normal, ce qui est qualifié d'une façon générale de régulation des structures alors que ce n'est pas forcément le même type de mécanisme:
- on parle de restitution après une ablation partielle
- d'assimilation, après transfert de l'une de ses parties dans une autre
- de régulation des excédents si tout ou une partie d'une population identique lui a été associée.
Si l'ablation ou la fusion intervient juste après la détermination et avant le réajustement, il est fort probable que la morphogenèse se déroule normalement, sans déficit ni excédent.
Par contre une population de cellules embryonnaires ayant acquis une certaine organisation est incapable de la réparer. Si une ablation est réalisée après le réajustement d'une ébauche la forme est irrémédiablement perdue. Pour réédifier un membre disparu la progression autonome devrait se dérouler dans le même environnement cellulaire que pendant l'organogenèse. Il faut donc invoquer d'autres mécanismes pour la régénération.

Remarque:
Il existe un modèle "darwinien" de différenciation proposé par certains généticiens qui est fondamentalement opposé de ce que je viens d'expliquer (voir par exemple
La différenciation cellulaire, Jean-Jacques Kupiec et Pierre Sonigo, Pour la Science, Dossier "Les sociétés cellulaires", Hors Série, avril 1998, p 50-53). Ils proposent une activation des gènes ordonnée linéairement (ce qui justifierait la colinéarité des gènes du développement), les types cellulaires seraient ensuite sélectionnés par des interactions cellulaires. Ils opposent leur modèle sélectif (qualifié de modèle "hasard-sélection") à des modèles instructionnistes (qualifiés de "lamarckiens"), les gènes étant activés dans l'ordre d'un programme déterminé, en réponse à des inducteurs extracellulaires. Mais ce modèle ne va pas contre l'idée de programme génétique du développement il se contente d'affirmer que le programme est dans la colinéarité, ordre des gènes dans le chromosomes. Ils proposent les modifications de l'ordre des gènes et des séquences régulatrices associées comme mécanisme évolutif.

La racine latine homœo orthographiée homéo en français viendrait du grec homolos = semblable et n'est donc pas différente de la racine homo. Les homéogènes ou gènes homéotiques ont été définis chez la drosophile par les travaux de Edward Lewis à partir de 1948 (Edward B. Lewis, Christiane Nusslein-Volhard et Eric F. Wieschaus ont ainsi reçu le prix Nobel de physiologie et de médecine en 1995 pour leurs travaux concernant le contrôle génétique du développement embryonnaire). Ces gènes "architectes" - comme les a nommé rapidement le grand public - avaient été postulés car on observait une modification importante et reproductible du plan d'organisation de la mouche adulte (l'homéose ou homéosis désignant le changement d'une partie du corps en une autre) à la suite d'une mutation. Des homéoses ont été décrites bien avant la connaissance des gènes : on cite notamment William Bateson, qui , en 1894, en étudiant les variations intraspécifiques chez un coléoptère, observa notamment l'apparition de pattes à la place des antennes. Il fit des observations similaires chez les végétaux, où les étamines pouvaient par exemple être remplacées par des pétales. Il n'y a pas de raison, sauf idéologique, de penser que toutes les homéoses sont d'origine génétique. Au début des années 1980 David Hogness et Welcome Bender isolèrent les gènes Ultrabithorax, Abdominal-A et Abdominal-B chez la mouche bithorax qui a deux paires d'ailes au lieu d'une paire d'aile et d'une paire de balanciers (illustrations sur: http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/homeotique/ homeo2.html). Walter Gehring, Richard Garber, Mathew Scott et Thomas Kaufman, isolèrent à leur tour les gènes Labial, Proboscapedia, Deformed et Antennapedia chez la mouche mutante antennapedia. Rapidement une séquence particulière isolée d'abord chez antennapedia fut retrouvée identique dans tous les gènes homéotiques (d'où le nom, car ils possédaient tous une partie de séquence semblable) et nommée homeobox. La grande surprise fut de retrouver cette homeobox chez la souris puis chez l'homme. Commencèrent alors des recherches, qui se poursuivent, pour déterminer où et comment, chez l'embryon, les homéogènes étaient exprimés et quel pouvait être leur rôle.

Cependant les homéogènes, dont la définition repose sur une mutation homéotique, ne contiendront pas forcément tous cette homeobox, même si, pour l'instant, c'est le cas (pour les animaux mais pas pour les végétaux). En retour, tous les gènes à homeobox ne sont pas des gènes homéotiques, ce qui est vrai pour de très nombreux gènes du développement (voir par exemple l'entretien avec Hervé Le Guyader sur le site de l'inrp: http://www.inrp.fr/Acces/biotic/develop/controle/html/leguyader.htm et l'encadré sur le développement de la drosophile). La présence d'une homeobox indique une fonction (exprimée ou non) de régulation de la transcription suite à la fixation de l'homéodomaine sur l'ADN: une protéine contenant un homéodomaine est donc a priori supposée être une protéine régulatrice.
Enfin, il est aussi important d'affirmer que les homéoses ne sont pas toutes d'origine génétique et n'impliquent pas forcément d'homéogènes. Elles peuvent être provoquées artificiellement chez nombre d'espèce par des greffes ou des traitements chimiques à différents stades du développement.


L'homéobox code pour une chaîne de 60 acides aminés (ou homéodomaine), très peu modifiée dans les différents groupes où elle a été isolée (voir schémas par exemple sur: http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/homeotique/ homeo2.html) . Ses 4 domaines en hélice semblent lui permettre de s'associer à l'ADN pour réguler son expression; elle reste d'ailleurs dans le nucléoplasme. Les protéines qui contiennent l'homeobox (ou plutôt un homéodomaine fonctionnel) appartiennent ainsi aux protéines de régulation ou facteurs de transcription. Les homéogènes dont les rôles ont été précisés par l'étude du développement chez la drosophile, par exemple les complexes bithorax ou antennapedia (du nom des mutations homéotiques correspondantes), déterminent, d'après certains généticiens du développement, les caractères antérieurs des segments de la mouche; ils les ont qualifiés de gènes sélecteurs homéotiques. D'une façon plus générale, les gènes à homéobox , qui ne sont pas associés systématiquement à des mutations mais codent pour des protéines faisant partie des facteurs de transcription, interviennent comme gènes de positionnement (associés au concept d'information de position).

Pour essayer d'illustrer (et de clarifier) mes propos je propose deux étapes:
* l'étude d'un exemple: la formation des doigts à partir d'articles de La Recherche, de Pour La Science et de l'ouvrage: Biologie Moléculaire de la cellule
* un essai de compréhension du développement de la Drosophile et les interprétations qu'en font les généticiens du développement

Exemple1: De la découverte des homéogènes à l'étude génétique de la formation des doigts

Les gènes à homéobox et l'organisation du corps, Eddy De Robertis, Guillermo Oliver et Christopher Wright, Pour La Science, 155, septembre 1990, 50-56

Face à des questions aussi controversées comment un professeur du secondaire peut-il comprendre et enseigner des éléments aussi contradictoires par rapport à tout ce qu'il sait déjà ? Pourrait-on aussi ajouter que les théories des chercheurs sont parfois masquées comme ici ? (quelques commentaires en bleu ont été insérés)

La commande de la différenciation cellulaire
Deux expériences semblent montrer que les gènes à homéobox activés commandent directement la différenciation des cellules embryonnaires
(comment invoquer un mécanisme moléculaire identique pour tout type de différenciation à tous les moments du développement, cette simplification (naïve ?) est pour le moins surprenante). Dans une première expérience, nous avons injecté des anticorps anti-protéine XlHbox 1 dans des oeufs fécondés de Xenopus, c'est-à-dire dans des embryons au stade unicellulaire (?!!). En se fixant sur la protéine XlHbox 1, les anticorps l'inactivent pendant une période cruciale de la morphogenèse - celle pendant laquelle l'organisation corporelle s'établit. Chez les têtards qui se développent ensuite, les tissus qui, dans les conditions normales, expriment la protéine XlHbox 1 et engendrent la moelle épinière antérieure, se différencient alors en une partie postérieure du cerveau. Autrement dit, l'inactivation de la protéine XlHbox 1 transforme une partie de la moelle épinière en une structure plus antérieure (il existe tant d'autres interprétations possibles: en injectant une substance toxique à une étape précoce du développement on ne sait jamais trop ce qui peut se passer; l'expression de ces gènes est sans aucun doute nécessaire, à une étape du développement mais de la à leur conférer un rôle quasi-magique il y a un fossé).
Dans une seconde expérience, P. Gruss et son collègue Michael Kessel ont injecté dans des embryons de Souris des molécules d'ADN contenant un gène à homéobox de Souris. Ces molécules étaient composées de telle sorte que le gène à homéobox s'exprimait dans tout l'embryon, même dans des régions où normalement il ne s'exprime pas, comme la tête et le cou. Les embryons se sont transformés en souris qui présentaient souvent de graves malformations de la tête, comme des fentes palatines ; les animaux possédaient également une vertèbre et un disque intervertébral supplémentaires, à la base du crâne, et parfois même une paire de côtes dans le cou. Ainsi chez les Vertébrés, l'expression anormale d'un gène à homéobox provoque des malformations homéotiques similaires à celles qui résultent des mutations chez la Drosophile
(même remarque: le développement embryonnaire est infiniment plus complexe que ce que l'on peut supposer à partir d'une seule expérience de transfert génétique; l'apparition de malformation qualifiées d'homéotiques met en évidence des dérèglements aléatoires d'un développement extrêmement complexe).
D'autres travaux indiquent que les gènes à homéobox déterminent l'identité cellulaire
(!!!). Nous avons vu que les gènes à homéobox s'expriment très précocement dans des bandes successives qui segmentent l'axe antéropostérieur de l'embryon. Quand ces bandes se transforment ultérieurement en organes, les mêmes gènes à homéobox s'expriment à nouveau très intensément, comme s'ils « rappelaient » aux cellules, par un signal moléculaire, leur origine dans l'embryon.
Le développement des membres antérieurs est exemplaire. Le champ morphogenétique des membres antérieurs correspond exactement à la bande de mésoderme qui exprime le gène XlHbox J. Les cellules de cette bande prolifèrent pour former, chez Xenopus, un bourgeon de membre antérieur, environ trois semaines après la fécondation.
A ce stade, le bourgeon du membre antérieur semble uniforme, mais il présente un « gradient » de concentration en protéine XlHbox 1 : cette concentration diminue progressivement du noyau des cellules antérieures - qui formeront le pouce - au noyau des cellules postérieures - qui formeront le petit doigt. Quand le membre s'allonge et prend forme, la concentration en protéine XlHbox 1 reste supérieure près de l'épaule (à l'extrémité proximale du bras). En revanche, la protéine codée par le gène Hox 5.2, un autre gène à homéobox, se répartit selon un gradient opposé : sa concentration est maximale près de l'extrémité postérieure et distale du membre antérieur.
Ces gradients de protéines XlHbox 1 et Hox 5.2 sont identiques dans les embryons de Crapaud, de Poulet et de Souris. Par ailleurs, d'autres gènes à homéobox participent à la formation des membres antérieurs : D. Duboule a identifié trois autres gènes à homéobox adjacents au gène Hox 5.2, et qui s'expriment successivement quand le membre s'allonge, dans un ordre correspondant à leur position.
Les gradients de protéines ou d'autres molécules dirigent efficacement les cellules vers leurs emplacements définitifs. Guidées par des quantités variables d'une même protéine, les cellules d'un bourgeon de membre migrent à des vitesses différentes et engendrent des doigts séparés. Ce système de gradient moléculaire est plus économique que l'utilisation de plusieurs protéines qui correspondraient chacune à un doigt.
Ainsi les mêmes gènes à homéobox organisent l'axe tête-queue du très jeune embryon, qui guident plus tard les cellules vers leur emplacement définitif, quand les membres se développent. Les protéines contenant l'homéodomaine restent dans les noyaux des cellules, comme doivent le faire des protéines qui activent ou inactivent les gènes. Comment s'établissent les gradients de ces protéines nucléaires dans les bourgeons de membres ? Les cellules envoient probablement à leurs voisines des signaux moléculaires semblables à ceux qui guident l'organisation de l'axe tête-queue ; les facteurs de croissance ou l'acide rétinoïque semblent participer à cette signalisation.
» (Toute cette interprétation repose sur une l'idée de programme génétique qui reste sous-entendue: la cellule obéit à tout instant à l'information qu'elle possède par son génome; cette information est progressivement exprimée au cours du développement; on retrouve dans la disposition spatiale des gènes et dans la séquence de leur activation les structures de l'embryon et l'ordre de leur mise en place...).

L'origine des doigts, Denis Duboule et Paolo Sordino, La Recherche, 296, mars 1997, p 66-69

Sept années plus tard, un article qui reste, à mon avis, dans la même ligne:

« Par la méthode d'hybridation in situ, nous pouvions enfin localiser précisément les domaines d'expression de chacun de ces gènes [homéotiques]. Autrement dit, prévoir où et quand ces gènes interviennent dans le développement des différents organes. Les doigts s'étaient-ils développés à partir d'un élément présent sur la nageoire ou bien s'agissait-il d'une véritable innovation morphologique? La génétique et l'embryologie allaient peut-être nous permettre de tester les hypothèses des uns et des autres. En quelques années cette technique s'est effectivement montrée très performante et nous a permis de décrypter la fonction et l'action de plusieurs dizaines de gènes homéotiques au cours des principales étapes de la morphogenèse des membres et des nageoires. Ces nouvelles expériences permirent d'étayer une idée déjà supportée par les études comparatives des bourgeons de nageoire et de membre, à savoir l'existence d'une sorte de bifurcation dans les phases tardives de leur développement.

Chez les mammifères, les homéogènes sont regroupés en quatre complexes HoxA, HoxB, Hoxc et HoxD* (Hox est une abréviation pour Homéobox) localisés sur des chromosomes différents(I, II). Très récemment, dans une étude portant sur la souris, nous avons constaté que les gènes HoxD s'exprimaient dans des régions différentes du membre pendant son développement. Dans une première phase (correspondant au début du bourgeonnement), ces gènes s'expriment suivant une stratégie de poupées russes centrée sur la partie basse du bourgeon. Dans une seconde phase, lors de la formation des doigts, leur domaine d'expression s'étend vers l'extrémité avant et les bords supérieur et inférieur du bourgeon.

Ce mécanisme est-il observé chez les poissons ? Pour répondre à cette question il nous faut d'abord caractériser le bagage génétique c'est-à-dire identifier les complexes Hox responsables de leur développement. Par clonage des gènes Hox d'un petit poisson du Gange, le poisson-zèbre (le Danio rerio), nous avons retrouvé les quatre mêmes complexes A, B, C, D, qui caractérisent donc tous les vertébrés. Premier élément important : le passage des poissons aux tétrapodes n'a donc pas été accompagné d'une augmentation du nombre de gènes Hox. Sur la base de cette découverte, nous avons suivi, dans un deuxième temps l'activation des gènes au cours du développement de la nageoire pectorale (celle située à l'avant, homologue à nos bras) du poisson-zèbre. (Cette constatation est très générale concernant l'évolution qui s'est probablement faite sans augmentation du nombre de gènes, ce qui est un argument en défaveur du programme génétique forcément de plus en plus complexe chez des organismes dont le développement est de plus en plus long et complexe).

Cette étude a permis de montrer qu'il existait au stade précoce du développement une grande similitude entre petit poisson et la souris, les gènes HoxD s'exprimant essentiellement dans la partie basse de la future nageoire. (Voilà une ressemblance moléculaire fort pertinente mais il ne faut pas oublier la ressemblance embryologique qui crève les yeux et qui a une toute autre importance: mêmes bourgeons, avec du mésenchyme surmonté d'une calotte apicale...) En revanche, dans le stade morphogenétique plus avancé, aucune activation de ces gènes n'est détectée dans la partie avant et sur les bords inférieur et supérieur du bourgeon comme c'est le cas chez la souris. Seule donc la phase précoce d'expression des gènes HoxD est observée chez les poissons. Il en est de même des gènes du complexe HoxA qui, au stade avancé du développement, ne sont pas activés de la même façon chez les poissons et les tétrapodes.

Une différence fondamentale dans la phase terminale de la morphogenèse suggère que les doigts sont bien des structures nouvellement formées.

D'un point de vue strictement moléculaire, la phase I du développement fait donc intervenir les mêmes gènes aux mêmes endroits chez le poisson et la souris, ce qui, à notre avis, explique les similitudes morphologiques (homologie) entre certains éléments osseux de la nageoire et les trois os principaux du membre. (Cette conclusion est aussi un peu surprenante alors que les auteurs viennent d'expliquer que les mécanismes anatomiques, histologiques et cytologiques sont identiques... peut-on faire reposer ces similitudes sur une étude moléculaire ?) En revanche, la nageoire semble être dépourvue de la phase terminale présente dans la morphogenèse des membres. Cette différence fondamentale suggère que les doigts sont bien des structures nouvellement formées. Les poissons pourraient-ils fabriquer des doigts ? Il est probable qu'ils en ont bel et bien le potentiel génétique mais qu'ils en sont empêchés au stade avancé du développement. (Vous pardonnerez cette remarque mais on a vraiment l'impression de se trouver en face d'un élève borné: pourquoi imaginer un programme commandant une structure alors que les conditions du développement suffisent à expliquer les différences entre les deux types de membres? ...Faire fabriquer des doigts à un bourgeon de téléostéen ne semble pas irréalisable si l'on pouvait contrôler la prolifération et l'adhésivité cellulaire du mésenchyme et reproduire les inductions...). Seule responsable de leur évolution morphologique, la machinerie génétique a choisi pour eux la solution «nageoire». (id.) Peut-on pour autant en conclure que ces choix génétiques sont les véritables initiateurs du passage de la nageoire au membre il y a environ 380 millions d'années ? Posé de cette façon, le problème reste entier. Les mécanismes moléculaires que nous avons décrits constituent une solution possible. Mais si cette solution est bien la bonne, quel scénario évolutif pouvons-nous proposer ? Il semble que le facteur déterminant du choix entre les rayons flexibles et les doigts soit le moment précis auquel la croissance du bourgeon diminue, suite au repli de la couche ectodermique. Il s'agirait donc d'une illustration très réussie d'un mécanisme d'hétérochronie* par lequel un temps - celui du repli détermine la structure finalement produite : le repli est précoce et les rayons apparaissent, le repli est tardif (ou inexistant) et les doigts apparaissent.(Voilà une remarque très intéressante: l'hétérochronie qui nous vient de la paléontologie est une présentation des variations chronologiques d'apparition de structures ou de fonctions chez des organismes voisins; elle s'intègre parfaitement à mon avis à la théorie de Rosine Chandebois; j'ai essayé d'en dire quelques mots dans le cours de paléontologie: 3.a.2) Une innovation morphologique qui aurait précédé de plusieurs millions d'années la colonisation de la terre ferme.»

exemple d'expérience issu de Biologie moléculaire de la cellule, Alberts et al., Flammarion, Médecine-Sciences, 1994, p 1064 (fig 21-35).

Une expérience de greffe d'un fragment mésodermique du bourgeon de la patte sous la calotte apicale du bourgeon de l'aile du poulet (d'après J.W. Saunders et al., Dev. Biol. 1/281-301, 1959): l'aile obtenue comporte un stylopode et un zeugopode resté embryonnaire avec respectivement un et deux os; l'autopode est différencié de façon anormale avec deux doigts.


D'après fig 21-36 de Biologie moléculaire de la cellule, Alberts et al., Flammarion, Médecine-Sciences, 1994, p 1064

La légende de la figure (partie de gauche) est: le tissu destiné à devenir une cuisse, greffé à l'extrémité d'un bourgeon d'aile de poulet, se transforme en orteil. L'interprétation proposée est la suivante:
« Cette expérience montre que les cellules précoces sont déjà déterminées en tant que patte et que, en dépit de leur détermination, elles n'ont pas encore reçu l'attribution de leurs valeurs de position détaillées le long de l'axe du membre et peuvent répondre à des signaux dans l'aile de façon à former l'extrémité d'une patte au lieu de sa base. Le système de signalisation qui contrôle les différentes parties d'un membre est apparemment identique pour l'aile et la patte. La différence entre les deux membres résulte d'une différence dans l'état interne des cellules au début du développement du membre. Même si les cellules semblent identiques et sont destinées à donner naissance au même assortiment de types cellulaires différenciés, elles ne sont pas équivalentes et ont des valeurs de position différentes. De cette manière la spécification finale du comportement d'une cellule de membre est réalisée de façon combinatoire : en premier lieu elle reçoit l'information qui lui indique si elle est une cellule de patte ou d'aile ; des signaux à l'intérieur du bourgeon du membre en cours de croissance déterminent ensuite des composants de résolution plus fine de valeur de position, reflétant sa position précise à l'intérieur du membre. »
Ce concept de valeur de position est fort controversé, notamment par certains embryologistes, car il ne correspond à aucun mécanisme informatif connu: comment une cellule peut-elle connaître sa position dans un membre qui n'existe pas encore si ce n'est toujours en se référant à un programme déterminé ? A ce concept des embryologistes comme Rosine Chandebois opposent une détermination qui provoque la progression autonome d'une population, les inductions et les réajustements. La greffe pratiquée prouve que la progression autonome de type patte et de type aile n'est pas la même donc qu'il y a bien une détermination, qui est celle de la population pour l'embryologiste et non celle de la cellule. Cette détermination n'est pas simple à expliquer si l'on essaye de le faire a posteriori comme ici. Par contre, sans chercher une causalité évolutive, il est facile de relier le devenir de telle ou telle population à son environnement. Chez les oiseaux le membre antérieur présente un développement retardé (se développe un peu plus tardivement) puis accéléré (croissance rapide) par rapport au membre postérieur. La progression autonome des cellules du mésenchyme des deux bourgeons n'en est pas au même stade à un instant donné. Il n'y a pas de nécessité d'invoquer une connaissance de son devenir pour une population donnée. Le membre "chimère" obtenu s'explique fort bien par les mécanismes invoqués dans le cadre précédent.Une première question fondamentale est de savoir pourquoi, s'il y avait un programme de développement au sein des cellules, aucune ne le mène à terme puisque le membre obtenu n'est ni une aile ni une patte. L'interprétation comme un doigt greffé sur une partie de type aile est de plus fort tendancieuse et même pour un non spécialiste, peu convaincante. Le stylopode et le zeugopode de l'aile ne se développent plus normalement, ce qui peut s'interpréter comme une induction inadéquate ou insuffisante du tissu greffé ou de la calotte, éloignée de son mésenchyme sous-jacent par la greffe. Il faut aussi noter que le mésenchyme normal situé auparavant directement sous la calotte a continué sa progression autonome dans une autre direction puisqu'il n'a pas donné l'autopode qu'il aurait du donner (à moins que le nouvel autopode soit lui-même chimère) mais qu'il a été en quelque sorte "reprogrammé", si l'on utilise les termes courants, pour donner des éléments du zeugopode. Par contre, l'induction de la calotte sur le mésenchyme greffé pourrait être qualifiée d'excessive et provoquer ainsi l'apparition d'un nombre réduit de doigts par allongement excessif de l'extrémité du bourgeon. (Je précise que je n'ai pas les compétences pour analyser comme un embryologiste ces expériences dont je n'ai que des retranscriptions partielles, mais je tiens cependant à essayer de comprendre)

Comment se construisent les doigts ? Yann Hérault et Denis Duboule, La Recherche, 305, janvier 1998, 40-44

un article avec le même auteur que l'article précédent de La Recherche sur le sujet mais une toute autre vision à mon avis... (10 ans plus tard voir une conférence de ce même auteur : http://www. college-de -france. fr/media/ phi_sci/UPL31 752_2008 _03_20 Duboule.pdf)

Les figures extraites de l'article sont volontairement modifiées afin de n'être utilisables que pour la seule illustration sans copie possible....

« Il est inutile de chercher "les gènes des doigts" : ils n'existent pas. Ceux qui ont été identifiés à ce jour sont aussi impliqués dans la genèse du système nerveux central ou du système uro-génital. La transformation d'un bourgeon cellulaire en un membre doté d'un bras, d'un avant-bras et d'une main à 5 doigts est un superbe exemple du bricolage de l'évolution, des contraintes imposées aux formes des organismes... et de l'étendue des problèmes de morphogenèse qui restent à résoudre. Il est probablement vain de disserter sur l'utilité d'avoir cinq doigts plutôt que trois ou quatre.

Au hit-parade des structures ayant joué un rôle important au cours de l'évolution, les doigts se trouvent certainement en bonne place. En effet, ces outils extraordinaires ont participé de façon essentielle à la colonisation du milieu terrestre, il y a plus de 350 millions d'années : les premiers vertébrés tétrapodes munis de doigts étaient très vraisemblablement aquatiques. Plus tard, ils ont sans doute contribué à l'acquisition de fonctions intégrées complexes, notamment au travers des changements de posture liés à une étape cruciale de notre phylogenèse : la libération des membres antérieurs des contingences liées au déplacement. En outre, les doigts (et les membres en général) représentent un exemple particulièrement parlant d'adaptations réussies à des contraintes très variées. Ainsi, le cheval court sur un doigt, la vache sur deux, un oiseau vole grâce à des ailes issues de trois doigts (mais marche avec quatre ou deux doigts, selon qu'il est poulet ou autruche), alors que noue pentadactylie nous autorise en principe des activités plus diverses. Pourtant, cette diversité de formes masque une grande unité dans les mécanismes développementaux sous-jacents, reflétant ainsi le paradoxe apparent du néodarwinisme : faire du différent à partir du semblable. Chez les humains, la construction de ces mécaniques de précision ne va pas sans poser problème : les malformations congénitales des membres affectent près de 7 enfants sur 10 000. Pour la plupart, elles dérivent de modérations des devenirs cellulaires au cours du développement embryonnaire. La détermination de l'origine moléculaire de ces pathologies, longtemps restée énigmatique, est aujourd'hui possible suite à des études menées sur les rongeurs. On commence à entrevoir l'avènement d'une véritable génétique de la digitation, nous permet, tant de comprendre les secrets de la fabrication des extrémités des membres et, par conséquent, les modifications qui y furent apportées au cours de l'évolution.

On observe des similitudes étonnantes entre certaines anomalies congénitales humaines et des phénotypes produits expérimentalement chez l'animal. Elles découlent des homologies entre les structures squelettiques dites appendiculaires des vertébrés tétrapodes. En effet, les membres des vertébrés supérieurs sont tous construits sur la base d'un plan unique, dont les multiples éléments peuvent être reconnus d'une espèce à l'autre. Ainsi, on distingue principalement trois parties dans le plan d'organisation du membre antérieur : le bras (ou stylopode), soutenu par l'humérus, l'avant-bras (ou zeugopode) constitué du radius et du cubitus, et la main (ou autopode) qui rassemble les os du poignet et des doigts. Trois axes principaux permettent d'orienter le membre et de repérer ses différents éléments dans l'espace : l'axe proximo-distal qui s'étend de l'épaule aux phalanges, l'axe antéro-postérieur, que l'on peut suivre du pouce vers l'auriculaire, et l'axe dorso-ventral, perpendiculaire à la paume de la main.

Les homologies entre les membres des vertébrés ne sont pas seulement visibles au niveau de l'organisation finale. Des études embryologiques ont mis en évidence la conservation de la séquence de formation du membre. Chez les tétrapodes amniotiques - dont nous faisons partie - la mise en place des éléments du futur squelette suit une séquence spatiale et temporelle, conservée et bien définie, faite de condensations spontanées, de segmentations et de branchements. Une analyse embryologique comparée de ce processus suggère que l'axe principal du membre passe par le bras, l'avant-bras, puis s'infléchit antérieurement pour former la main. C'est un axe dynamique établi sur les apparitions progressives des foyers de condensation des cellules qui donnent naissance aux éléments osseux du membre. La conservation de cette séquence d'apparition des foyers précartilagineux chez les différents tétrapodes, ainsi que les similitudes morphologiques, permettent d'envisager une généralisation des connaissances acquises dans plusieurs systèmes d'études.

Chez la souris, les membres émergent du tronc sous la forme d'une excroissance cellulaire appelée « bourgeon appendiculaire », dont la forme première est relativement simple. Au bout de quelques jours, cette structure présente une organisation quasi identique à celle du membre de l'adulte.

Le bras est déterminé et fabriqué le premier l'avant-bras ensuite, puis la main ; nos mains sont plus jeunes que nos bras

Le développement de ce bourgeon dépend de deux phénomènes essentiels qui adviennent au niveau de la partie distale : la prolifération et l'organisation des cellules. Ces deux aspects de la formation du membre ont souvent été considérés comme relativement indépendants, mais il apparaît de plus en plus évident qu'ils sont étroitement liés, en particulier au niveau de leur contrôle génétique.

Les bourgeons appendiculaires sont des structures très finement organisées. Différentes régions ont été identifiées lors de l'étude de la morphogenèse des membres du poulet. Chacune de ces régions possède un rôle spécifique, tout en interagissant avec ses voisines lors de la formation du membre. Ainsi, dans la partie terminale du bourgeon, on distingue un repli de cellules à la surface formant la « crête apicale ectodermique» (RER, la calotte apicale). Cette structure distale maintient la prolifération des cellules localisées en dessus, dans la « zone de progrès » (Pz). Une troisième aire, située postérieurement, la « zone d'activité polarisante» (ZPA), est impliquée dans l'établissement de la polarité antéro-postérieure. Après avoir quitté la zone de progrès au cours du bourgeonnement du membre, les cellules perdent leur capacité de croissance et commencent à se différencier. Elles forment des condensations précartilagineuses qui se diversifieront pas la suite, soit par branchements, soit par segmentations, pour donner les éléments squelettiques en suivant l'axe majeur du membre. Une des caractéristiques principales de la formation du membre découle de ce phénomène de croissance apicale : le bras est déterminé et fabriqué le premier, l'avant-bras ensuite, puis la main. Morphogénétiquement parlant, nos mains sont plus jeunes que nos bras.


fig 3 (légèrement modifiée) - Représentation schématique du membre antérieur de poulet en développement
à un stade précoce et au stade plus tardif du bourgeon, possédant une crête apicale ectodermique (AER), une zone de progrès (PZ) et une zone d'activité polarisante(ZPA). Au stade précoce commence la sécrétion du facteur FGF-8 par les cellules de l'extoderme sus-jacent (futur AER), qui va activer le gène ssh dans la partie postérieure (ZPA) du bourgeon. Une cascade s'ensuit, entraînant la synthèse de FGF-4 au niveau de l'AER.

Les facteurs qui contrôlent la croissance du bourgeon ont été identifiés au cours de ces dernières années. Le facteur de croissance FGF-8 («Fibroblast Growth Factor 8 ») est un des acteurs initiaux. Sécrété par les cellules de la crête apicale, il maintient la prolifération des cellules de la zone de progrès par la synthèse d'autres facteurs de type FGF, et intervient également dans l'induction de la zone polarisante. Celle-ci va synthétiser en retour le produit du gène sonic hedgehog (shh), médiateur de la polarisation antéro-postérieure. D'autres protéines sont synthétisées par les cellules ectodermiques. Ainsi, ENGRAILED-1 et WNT-7a sont impliqués respectivement dans la détermination des faces ventrales ou dorsales des membres. Des interactions entre les cellules des faces dorsale et ventrale résulte alors la synthèse de la protéine R-FRINGE et la formation de la crête apicale. L'ensemble de ces molécules participe à un réseau coordonné de signaux qui définit les trois axes de symétrie du membre. Ainsi, la sécrétion de FGF-4 dans la partie postérieure de la crête apicale, associée à la synthèse de WNT-7a par l'ectoderme dorsal du bourgeon, maintient la production de shh dans la zone polarisante. Cette protéine stimule en retour la production de FGF-4, établissant ainsi une boucle de rétroaction. Cet ensemble de signaux a pour conséquence la stimulation et la maintenance de l'expression des gènes architectes.

Les gènes architectes des membres des vertébrés appartiennent à la famille des homéogènes, ou gènes Hox. Ils codent des protéines qui régulent l'activité d'autres gènes. Les gènes Hox sont regroupés en quatre complexes indépendants, situés chacun sur un chromosome particulier. Ces groupes sont certainement apparus lors de duplications d'un complexe ancestral semblable à celui qui existe actuellement chez les céphalocordés, comme le lancelet. Comme conséquence de ces duplications, les gènes, localisés à la même position au sein de complexes différents, présentent d'importantes homologies de séquence : ils définissent treize sous-classes, ou « groupes de paralogies ». De plus, l'activation de ces gènes est réalisée séquentiellement en suivant l'ordre des gènes le long du chromosome, et leur domaine d'expression est de plus en plus restreint. Les gènes des sous-groupes de paralogie 9 à 13 sont exprimés au cours de la morphogenèse des membres. Ainsi, les gènes Hoxa-9 et Hoxd-9 sont exprimés dès l'apparition du bourgeon, alors que les gènes du groupe 13 sont activés plus tardivement dans la partie postérieure, au niveau de la zone de progrès. Les domaines d'expression des gènes Hoxd s'étendent plus antérieurement dans les parties les plus distales, tout en conservant une polarisation antéro-postérieure, contrairement aux aires d'expression des gènes Hoxa. Ces données descriptives sur l'expression des gènes Hox, corrélées à la fonction de leurs homologues ancestraux chez la drosophile laissaient penser qu'ils devaient jouer un rôle primordial dans l'établissement du patron du membre chez les vertébrés. Les manipulations génétiques ont permis d'estimer leur importance réelle dans la morphogenèse du membre et de poser les bases d'une étude fonctionnelle des gènes. Le rôle des gènes Hox des groupes 9 à 13 dans la modélisation du membre a été clairement démontré par cette approche. Des mutations conduisant soit à l'inactivation, soit à la modification d'une fonction HOX donnée ont été produites artificiellement dans trois laboratoires, dont le nôtre, à Genève. En règle générale, ces mutations induisent des modifications du squelette appendiculaire, qui sont réparties suivant une orientation proximo-distale dans les différents segments du membre. Cette répartition dépend de l'étendue du domaine d'expression du gène muté et, par conséquent, de sa position au sein du complexe. Un gène exprimé de manière précoce dans un domaine proximal (comme Hoxd-9) aura une fonction déterminante dans la modélisation du bras, alors qu'un gène exprimé tardivement dans un domaine distal (comme Hoxd-13) aura un rôle majeur dans la formation de la main. De plus, il existe des redondances de fonctions entre gènes d'un même groupe. Ainsi, chez des souris double-mutantes (ayant une double mutation) pour les gènes du groupe 11, Hoxa-11 et Hoxd-11, le radius et le cubitus sont quasiment absents, alors qu'une seule copie sauvage d'un de ces gènes dits paralogues est capable de préserver la formation de l'avant-bras. De même, la double inactivation des gènes du groupe 13 conduit à l'arrêt de là formation de la main alors que, chez les simples mutants de ces deux gènes, la plupart des éléments de la main sont correctement formés.


D'après fig 4. Représentation schématique et comparaison des altérations du squelette de la main, suite à diverses mutations de gènes homéotiques.

SUITE

Comment se construisent les doigts ? Yann Hérault et Denis Duboule, La Recherche, 305, janvier 1998, 40-44

La corrélation entre domaines d'expression et localisation des altérations chez les mutants des gènes Hox est évidente au niveau du bras et de l'avant-bras. Dans ces deux segments du membre, les gènes ont des fonctions sensiblement équivalentes. Cependant, au cours de la morphogenèse de la main, les interactions entre les différents gènes ne sont pas simplement synergiques. En effet, dans cette partie du membre où de nombreux gènes sont exprimés, il existe une hiérarchie fonctionnelle des gènes Hox suivant leur position relative sur le complexe. Ce principe se caractérise par le rôle dominant des gènes du groupe 13 sur la fonction des autres gènes. Ainsi, un simple mutant des gènes des groupes 11 ou 12 aura des mains moins altérées qu'un mutant pour un des gènes du groupe 13. Ces études révèlent la position hiérarchique dominante du gène du groupe 13 dans la modélisation de la structure finale de l'autopode. Elles suggèrent aussi que tous les paralogues de 11 à 13 sont recrutés afin de modéliser la partie terminale du membre, la plus complexe dans son organisation : la main.

Il semble bien que les produits des gènes hox interviennent non seulement dans le contrôle des voies de prolifération cellulaire, mais aussi dans celui des voies de condensation et de segmentation. Dans cette perspective, l'action des produits des gènes pourrait conduire une condensation précartilagineuse à se diviser par branchement sous l'effet d'une augmentation locale du nombre de cellules. De même, il pourrait entraîner l'arrêt prématuré d'une condensation par une diminution du nombre de cellules. L'activation progressive des gènes Hox dans des sous-populations cellulaires du membre pourrait engendrer un patron précis de condensation en fonction des masses cellulaires à disposition. « L'identité», d'un segment du membre semble être fixée par des petites variations dans l'équilibre de l'information à l'intérieur du même plan de construction, et par la mise en oeuvre progressive de nouveaux gènes. La genèse d'un membre ne se fait pas à partir d'un système de coordonnées cartésiennes définissant les structures comme des pions sur un échiquier, mais plutôt selon un référentiel dynamique avec trois dimensions spatiales et une temporelle. (Voilà une définition du rôle des homéogènes dans le développement qui est tout-à-fait compréhensible dans l'optique développée dans ce cours)

La découverte récente, chez l'homme et la souris, du fait que plusieurs syndromes résultent de mutations de certains gènes Hox, démontre de façon éclatante l'importance de ces gènes pour l'ontogenése d'une digitation normale. Ainsi, une mutation dans le gène Hoxd-13 est liée à un type de synpolydactylie (SPD) chez l'homme. Cette maladie génétique humaine se caractérise notamment par une déformation congénitale de la main et se transmet comme un trait autosomal dominant . Une autre mutation humaine, affectant le gène Hoxa-13 a été décrite dans le syndrome main-pied-génital (MPG). Les individus atteints de ce syndrome à l'état hétérozygote présentent des malformations de la main et du poignet qui ressemblent au phénotype des souris portant la mutation hypodactyle (Hd). Cette mutation engendre, par contre, un phénotype beaucoup plus sévère à l'état homozygote: les rares animaux Hd/Hd survivant jusqu'à la naissance ne possèdent en effet qu'un seul doigt. Il a également été démontré que cette mutation affecte le produit du gène Hoxa-13. Dans ces trois mutations naturelles de gènes Hox, les pièces du squelette altérées sont localisées au niveau des zones de fonction des gènes Hoxa-13 et Hoxd-13. En particulier, ces zones sont identiques dans le syndrome MPG et lors de l'inactivation du gène Hoxa-13 chez la souris. Au niveau moléculaire, la mutation du syndrome MPG est une véritable perte de fonction de la protéine HOXA-13, similaire à celle réalisée expérimentalement chez la souris. Par contre, les phénotypes des mutations naturelles SPD et Hd sont beaucoup plus importants que ceux des mutants homozygotes des deux gènes concernés. L'analyse moléculaire a montré qu'il ne s'agit pas dans ces deux cas d'inactivation simple de la fonction des gènes Hox. Néanmoins, il est tout à fait remarquable que le phénotype associé aux extrémités des patients souffrant du syndrome de synpolydactylie ressemble fortement à celui obtenu chez des animaux ayant une triple inactivation des gènes Hoxd-11, Hoxd,-12 et Hoxd-13, réalisée au sein de notre équipe par J. Zakany . Ceci suggère que la synpolydactylie humaine pourrait être causée par l'inactivation simultanée de plusieurs gènes Hox, probablement par la production d'une protéine HOXD-13 rendue dominante négative[un gène est dominant négatif s'il arrive toujours à exercer une partie de sa fonction mais d'une manière incomplète, même quand le gène est hétérozygote, et si cette fonction partielle est incapable d'inhiber la fonction d'autres protéines] par la mutation.

La liaison entre une mutation au niveau d'un gène homéotique et un phénotype que ce soit chez la souris ou chez l'homme reste pour moi encore extrêmement floue. Des tas de questions auxquelles je n'ai pas de réponse m'empêchent de comprendre. Par exemple: comment obtient-on des mutants ? (voir les articles suivants) Comment s'assure-t-on des caractères (anatomo-physiologiques) de la mutation portée, de son extension, d'éventuelles autres anomalies ? Peut-on vraiment dire que les individus qui sont appelés ici mutants Hoxa-13 par exemple ne sont "anormaux" que par ce trait génétique et n'ont d'anormal phénotypiquement qu'une malformation de la main ? (une réponse est apportée par l'article suivant pour les souris) Si je comprends assez bien ce que représente un génome d'unicellulaire comme une bactérie ou une levure et qu'une culture puisse comporter des mutants dont on a la maîtrise phénotypique et génotypique, j'avoue ne pas comprendre ce que cela veut dire pour un mammifère composé de milliards de cellules dont on ne" connaît pas" le génotype (connaître non pas au sens de la théorie mais au sens de l'expérimentation), ni vraiment le phénotype (et si ces termes ont un sens pour une cellule isolée). En effet, l'idée que chaque cellule ayant le même génotype puisse exprimer la mutation , étant issue du seule zygote par mitose, ne me satisfait pas vraiment, du fait d'une incontestable modulation cellulaire de cette information génétique par chaque cellule; les gènes homéotiques dans cet article sont bien présentés comme multifonctionnels (les gènes d'une cellule eucaryote ne sont pas si nombreux qu'il puisse y avoir des gènes spécifiques pour la main, d'autres gènes étant activés si c'est une cellule appartenant au pied par exemple... ) et donc ils doivent être mis en œuvre dans d'innombrables autres cellules que celles du membre antérieur.... Donc, ces gènes étant multifonctionnels, s'il n'y a pas d'altération alors que ces gènes sont défiscients, c'est que d'autres gènes ont été activés à leur place, pour un résultat équivalent (?)...Ainsi, une altération a pu être cachée au cours de l'embryogénèse ou au contraire apparaître du fait d'un autre facteur.... Enfin, pour que l'on puisse parler d'homozygotie ou d'hétérozygotie, on fait référence à une hérédité mendélienne, à l'aide de souches pures... et je ne conçois pas cela comme réellement possible pour ce genre de gènes... mais peut-être suis-je trop méfiant (une réponse partielle est fournie aussi dans l'article suivant). N'ayant pas de réponses à ces questions pour l'instant, je vais essayer de présenter d'autres résultats sur la drosophile qui seront peut-être plus documentés.

Les phénotypes observés chez l'animal après mutation d'un gène particulier impliqué dans la construction des doigts sont rares chez les humains

Dans un tel schéma explicatif, la protéine produite serait non seulement inactive, mais de surcroît empêcherait l'activité des protéines HOX voisines, provoquant ainsi une perte de fonction de plusieurs protéines. Dans ce cas précis, l'analyse des souris mutantes, ainsi que des années de travail sur la régulation de ces gènes, ont permis de proposer une base moléculaire à l'apparition du syndrome génétique humain, démontrant une fois de plus l'utilité de ces modèles animaux. Il est intéressant de constater que les phénotypes observés chez l'animal après mutagenèse d'un gène particulier impliqué dans la construction des doigts, sont rares chez les humains. Ce déficit de mutation naturelle, identique aux pertes de fonctions totales artificiellement produites chez la souris, est certainement dû à la multitude de fonctions dans lesquelles ces gènes sont impliqués au cours de l'embryogenèse. Il n'existe pas de gènes des doigts. Dés lors, les pertes de fonctions des différents gènes Hox ont des effets pléiotropiques [une mutation pléiotropique s'exerce sous plusieurs formes différentes]. Ces gènes étant notamment exprimés dans le tubercule génital et le sinus uro-génital, leur inactivation affecte les capacités de reproduction ou de gestation des animaux mutants. De même, les patients atteints de MPG présentent de graves altérations du système uro-génital. Les gènes Hox contrôlent également la formation du système digestif. Leur dysfonctionnement se traduit alors par l'apparition de pathologies spécifiques comme dans le cas de Hoxd-13. Dans le cas extrême de Hoxa-13, l'effet de la mutation sur la digitation adulte est difficile à estimer car les souris homozygotes meurent in utero pour des raisons encore obscures. Ces effets pléiotropiques ont des conséquences néfastes qui devraient conduire à une sélection négative d'une éventuelle mutation conduisant à une perte de fonction totale. C'est vraisemblablement pour cette raison que les mutations existantes chez les humains ont souvent une origine moléculaire complexe (recombinaison inégale, translocation, mutation de régulation) donnant lieu à des inactivations partielles, ou encore à des gains de fonction. Dans ce domaine, la nature est plus imaginative que l'expérimentateur.

Néanmoins, de tels effets sont parfois observés dans les syndromes associés à d'autres gènes impliqués dans la croissance du bourgeon. Ainsi, dans les syndromes dits de Crouzon, d'Apert ou de Jackson-Weiss, les anomalies des membres sont associées à de nombreuses malformations importantes (par exemple de la face ou de la soudure des os de la boîte crânienne). Ces syndromes sont dus à des mutations des récepteurs qui médient l'action des facteurs de type FGF, par exemple FGF-4 ou FGF-8. De même, la voie de signalisation stimulée par le gène shh est modifiée dans le syndrome de Smith-Lemli-Opitz, qui se caractérise par des modifications importantes du squelette appendiculaire, du crâne et d'autres organes internes. Les inactivations, réalisées chez la souris, des autres molécules impliquées dans la croissance du bourgeon des membres (FGF-4, WNT-7a, En-1, un des récepteurs au FGF ou au shh) ont montré qu'elles sont nécessaires au développement d'un embryon viable. Les formes naturelles des mutants de ces gènes sont donc là encore, comme dans le cas des mutations spontanées des gènes Hox, des mutations plus complexes que de simples pertes de fonctions, mutations dont les effets sur la digitation ne sont pas clairement établis. Ce problème, lié à la multifonctionnalité des gènes Hox, n'est pas restreint à cette famille de gènes, et semble bien être une des clés nécessaires à notre compréhension de la genèse des formes biologiques. En effet, il est maintenant bien établi que les contrôles du développement n'ont que très peu de spécificité spatiale. Par exemple, un gène de l'index n'existe pas, de même qu'un gène de la main. Les gènes impliqués dans la formation de l'index et de la main sont tous utilisés dans d'autres contextes, au détour d'une autre structure. Ceci est dû à la mécanique même de l'évolution, basée avant tout sur la réutilisation et le redéploiement de structures et de fonctions préexistantes. Ce bricolage de l'évolution, selon le mot de François Jacob, entraîne nécessairement une interdépendance génétique entre toutes nos fonctions, ce qui rend leurs modifications toujours plus compliquées. Le gène shh, par exemple, recruté à maintes reprises dans différents systèmes, semble non seulement être indispensable au développement de la main, mais également à celui du système nerveux central, de l'intestin, etc. La modification de son expression dans la genèse de la main serait certainement source de variations morphologiques intéressantes, mais l'éventail de ces variations est restreint par les fonctions de ce gène, un changement à haute valeur adaptative dans la main pouvant se traduire par une perturbation mortelle dans le cerveau.

 Cette approche théorique n'est pas facilement intégrable dans une vue strictement néodarwinienne de l'évolution

Ceci amène à la notion de contraintes internes au système et oblige à penser différemment le problème du déterminisme de la forme biologique. En effet, la multi, fonctionnalité des gènes restreint sévèrement la capacité d'une structure isolée à évoluer en dehors du contexte global auquel elle appartient. Dès lors, la forme de la main n'est peut-être pas en soi un facteur de sélection critique, et il est évident que la pentadactylie n'est pas une formule magique. Au contraire, il est probable que cette formule pentadactyle soit fixée par des critères génétiques qui ne sont pas directement impliqués dans la structure de la main( et pourquoi pas des critères spatio-temprorels dus à la progression autonome... ?). Ainsi, nos cinq doigts sont-ils peut-être la conséquence de la nécessité impérative d'une organisation précise de l'appareil uro-génital, de notre tube digestif ou de notre colonne vertébrale, puisque les mêmes gènes officient dans toutes ces structures (pourquoi une nécessité et pourquoi pas une conséquence ?). Il est donc vraisemblablement vain de disserter sur la valeur adaptative de la pentadactylie. Cette caractéristique, très répandue chez les tétrapodes, n'est peut-être que le sous-produit d'un plan d'organisation global qui n'a que faire du nombre de doigts. Cette approche théorique, qui s'appuie sur les résultats de la génétique du développement de ces dernières années, n'est pas facilement intégrable dans une vue strictement néodarvinienne de l'évolution. En effet, cette dernière voudrait que le tout soit l'ensemble de parties relativement indépendantes, ayant des potentiels évolutifs propres liés à des valeurs adaptatives locales. Alors que cette vue gradualiste semble être la règle chez les organismes peu complexes, tels que les bactéries, il est probable que le problème se pose en termes différents chez les eucaryotes supérieurs : la marge de manoeuvre évolutive de telles parties (par exemple la main) est alors conditionnée par leur appartenance au tout. Ceci amène à repenser le poids respectif des notions de variation et de sélection. Bien qu'il ne soit évidemment pas question de remettre en cause ces deux aspects fondamentaux de la théorie de l'évolution, et donc de son côté aléatoire et non déterminé, il est vraisemblable que la quantité de variations possibles n'est pas illimitée et que l'interdépendance génétique des systèmes ne permet à l'organisme de ne produire qu'un nombre restreint d'innovations morphologiques.(On ne peut pas ici se dispenser de citer d'autres théories évolutives qui sont basées non pas sur un déterminisme aveugle, appelé hasard par le néodarwinisme, mais sur un déterminisme biologique, qui prend appui sur le résultat actuel sans cesse renouvelé au cours du développement embryonnaire et que l'on qualifie de développement orienté).

Les mêmes gènes qui nous apprennent comment la main se développe nous révèlent donc également l'origine phylogénétique de nos doigts et nous renseignent sur l'étiologie et la pathogenèse de syndromes génétiques humains affectant la digitation. Ceci démontre bien que la biologie du développement, la génétique moléculaire, l'évolution et la génétique médicale ne sont que des aspects différents d'une même thématique générale, et que seule une approche globale faisant appel à toutes ces disciplines nous conduira vers une compréhension satisfaisante de ces phénomènes. En ce qui concerne nos doigts, une approche combinée similaire d'autres syndromes humains impliquant d'autres « gènes des doigts » permettra sans doute, dans un avenir proche, de poser les bases d'une vraie génétique moléculaire de la digitation.» (C'est comme cela que je rêve de travailler mais je me laisse parfois entraîner à critiquer plus qu'à construire, ce que je regrette: la génétique du développement devrait pouvoir s'intégrer à une vision biologique et vitaliste mais c'est un vaste chantier. A ce propos, si je partage l'optimisme de Michel Morange (L'importance croissante de la biologie cellulaire, Pour la Science Dossier Les sociétés cellulaires, Hors Sértie Avril 1998, p 4-5), je crois cependant que le réductionnisme mécaniciste liée au développement de la biologie moléculaire est encore tout à fait dominant, pour ce que je peux en voir en tant qu'enseignant du secondaire).

La génétique du développement de la mouche, Pierre Spierer et Michel Goldschmidt-Clermont, La Recherche, 165, avril 1985, p 452-461

Un article très clair qui permet de retrouver tous les postulats, souvent cachés aujourd'hui:

« La question que se posent maintenant les embryologistes est de comprendre la nature de ce programme [de développement] : où est-il enregistré et comment ?»
« Comment les cellules savent-elles qu'elles doivent se différencier en tissu d'aile plutôt qu'en tissu de balancier, et s'organiser en aile plutôt qu'en balancier ? On peut supposer qu'elles réalisent tel ou tel destin d'après la position qu'elles occupent dans l'embryon. ... Donc, les cellules doivent, d'une manière ou d'une autre, connaître leur position dans l'embryon, et d'après cette information réaliser leur propre activité métabolique et réaliser telle ou telle architecture avec leurs voisines. De manière générale, toute cellule réalise telle ou telle activité métabolique sous la direction de son patrimoine génétique contenu dans ses chromosomes.(...) Mais dans la mesure où une cellule devient une cellule d'aile plutôt qu'une cellule de balancier et qu'elle réalise donc une activité métabolique particulière plutôt qu'une autre, c'est qu'elle exécute certaines directives contenues dans le patrimoine génétique plutôt que d'autres. Pour prendre une image à l'informatique, on peut se représenter le patrimoiner génétique comme un programme, c'est-à-dire un ensemble d'instructions. Toutes les cellules possèdent la totalité du programme, mais on fonction de leur position, elles n'exécutent que certaines instructions. Nous arrivons donc à la
conception selon laquelle un programme de développement de l'organisme est inscrit dans le patrimoine génétique de cet organismePlus de 25 ans plus tard, cette conception du développement est passée dans les médias, et est en cours d'enseignement dans le secondaire par la plupart des enseignants (ceux qui se conforment aux manuels et, d'une certaine façon, au programme, ou plus précisément aux indications des GTD concernant le contenu de ce programme, les particpiants aux GTD pouvant changer et ayant effectivement changé entre la conception du programme et son application...). Les nouvelles conceptions, venant des embryologistes, comme celle de R. Chandebois, n'ayant actuellement que peu accès aux média.
Je renvoie à l'article très complet pour la suite de la présentation des mutations homéotiques, des gènes sélecteurs, de la marche sur le chromosome (technique de génie génétique ayant permis l'isolement de l'ADN correspondant aux gènes du complexe bithorax)...

Le remplacement des gènes, Mario Capecchi, Pour la Science, 199, mai 1994

Les généticiens créent des souris dont ils modifient les gènes. L'étude des organismes ainsi modifiés bouleverse la biologie animale.

Voici quelques réponses à partir de l'article cité:

Si l'obtention d'organismes mutés par exposition à des substances mutagènes qui endommagent l'ADN est relativement facile pour des unicellulaires, des problèmes insurmontables apparaissent avec les animaux:
* le premier est la taille de l'animal et la durée d'une génération: obtenir une culture d'un milliard d'individus prend quelques jours avec une bactérie qui se reproduit toutes les 20 min et occupe un volume de quelques centimètres cubes (une boîte de pétri), obtenir une population identique prend quelques semaines avec un unicellulaire eucaryote qui se reproduit toutes les heures et occupe un volume de quelques litres, alors que l'élevage d'un milliard de souris prend environ une année et occupe une surface d'un hectare, ce qui est techniquement possible, mais financièrement très coûteux. L'élevage d'un milliard de drosophiles est aussi un défi technique, même s'il est réalisable. Si l'on utilise de petites plantes (comme l'arabette des laboratoires... Arabidopsis thaliana), on peut par contre obtenir une population aussi nombreuse, dans un délai, un volume et pour un coût raisonnables étant donné le grand nombre de graines portées par un seul pied.
* le second argument est la taille du génome: une bactérie contiendrait 3.000 gènes, la drosophile plus de 20.000 et la souris plus de 300.0000, d'après l'auteur de l'article. Ce qui empêche l'exploration systématique de tous les gènes (avec une banque proposant un mutant pour chaque gène) et l'identification de tous les gènes impliqués dans une mutation donnée. Cet argument est surprenant car de très nombreuses sources affirment que la taille du génome n'augmente pas avec la complexité des organismes (en fait, il ne s'agit pas de comparer la taille du génome d'une bactérie avec celle de l'homme, ce qui n'apporte pas grand chose de précis, mais de regarder les différences entre des organismes appartenant à des embranchements plus ou moins proches: annelides et arthropodes, poissons et reptiles..., ce qui permet d'affirmer que, en termes de paires de bases, il n'y a pas de relation directe entre la taille du génome et la complexité des organismes) mais, et ceci est bien sûr sujet à discussion, la taille du génome n'augmente pas non plus en terme de gènes fonctionnels: la souris est l'homme possèderaient environ 25 à 50.000 gènes fonctionnels tous les deux... et la drosophile possèderait entre 10 et 20.000 gènes fonctionnels (voir histoire de la génétique). Par contre il est certain qu'une mutation, et surtout une mutation affectant un gène essentiel dans le développement, touche de nombreuses fonctions qui se développent dans le temps et que la plupart des mutants homozygotes pour ce genre de gènes ne survivent pas aux premières étapes du développement embryonnaire.

Bref, les mutants de souris présentés, par exemple pour les gènes Hox, sont des mutants dirigés c'est-à-dire obtenus par mutation dirigée, qui est en fait une technique de transgénèse. La technique extrêmement sophistiquée (... coûteuse) et longue (6 ans d'effort d'une équipe de chercheurs pour obtenir des résultats probants) consiste à insérer un gène dans une cellule souche (ce qui est un exploit technique: une cellule sur un million environ incorpore le gène au bon endroit) qui est insérée à son tour dans un embryon au stade blastocyste et qui intégre parfois (le taux d'échec est ici aussi très important) cette cellule à son développement (il faut pour cela disposer de marqueurs, habituellement ce sont des gènes affectant la couleur du pelage comme le gène agouti (pelage de couleur brune) qui sont ajoutés) et donne ainsi des individus chimères dont certains possèdent des gamètes transgéniques pouvant être à l'origine d'individus transgéniques possèdant un ou deux exemplaires du gène inséré (là encore une sélection est indispensable). (voir figure ci-dessous)

Dans le cas du gène Hoxa 3 par exemple, les souris obtenus par cette technique (croisement de deux souches hétérozygotes pour le gène Hoxa3 qui survivent sans déformation) meurent à la naissance principalement à cause de la malformation de leur appareil cardiovasculaire. Des coupes histologiques de l'embryon permettent de déceler de nombreuses anomalies au niveau du thymus, des glandes thyroïde et parathyroïdes, les os et cartilages de la région inférieure de la tête ainsi que des tissus conjonctifs, muscles et cartilages de la gorge. Ces anomalies sont apparemment localisées dans une bande correspondant à la base de la tête, au cou et à la première partie du thorax de l'embryon (voir dessins et photos dans l'article).(une question naïve: ? a-t-on réellement recherché d'éventuelles anomalies dans des coupes sériées de tout l'embryon ? question qui en appelle une autre: une présence d'anomalie est-elle pas la preuve d'absence de régulation plutôt que celle d'un dysfonctionnement ? la région où se développe les anomalies dépendant alors de la progression autonome et non d'une information de position)
Une maladie humaine, classée parmi les maladies génétiques, semble présenter des symptômes voisins: c'est le syndrome de Di George, mais une analyse chromosomique a montré que le gène Hoxa3 équivalent chez l'homme de celui de la souris, n'était pas muté chez les (?) malades où on l'a recherché.

D'après Pour la Science, 199, mai 1994, p 58-59 et 60-61, très modifié
Comment obtenir des mutants dirigés chez la souris ?
Une transgenèse très longue, complexe, coûteuse et aléatoire.

De la mouche à l'homme, un même supergène pour l'œil, W. J. Gehring, La Recherche, octobre 1995, 280, pp 58-64

Cet article a été pris comme point de référence par de nombreux collègues enseignants et un "résumé" non critique en a été fait sur le site de l'inrp: http:///www.inrp.fr/Acces/biotic/develop/controle/html/histgen.htm avec d'ailleurs une erreur de référence de l'article (octobre 1995 et non février 1995). Je souhaite en faire un commentaire critique.

(p 58) «l'œil possède un plan génétique de construction identique chez les insectes et les mammifères, bien que l'œil composé des insectes soit bâti de façon totalement différente de l'œil mammalien.» Cette phrase peut aisément être retournée: étant donné que l'œil composé des insectes est bâti de façon totalement différente de l'œil mammalien (on pourrait dire des vertébrés) et comme il met en jeu des mécanismes génétiques identiques chez les insectes et les mammifères, cela tend à prouver que l'œil ne possède pas de plan génétique de construction. La présence de gènes identiques ou similaires, ainsi que l'ordre de leur expression et les mécanismes de leur contrôle par des molécules voisines sont au contraire un argument contre la notion de programme de développement. Les similitudes moléculaires et physiologiques, étant donné le résultat final si différent, embryologiquement, histologiquement, anatomiquement tendent plutôt à situer l'origine de la différence et donc la causalité du développement autre part que dans les mécanismes invoqués. Si deux gènes similaires, activés à des moments différents chez deux individus appartenant à des groupes très éloignés donnent des structures très diverses, c'est donc qu'ils ne portent en eux que peu de spécificité. Cette remarque a été faite pour de nombreux gènes de développement (voir ci-dessous), notamment des gènes homéotiques, qui sont activés pour donner des structures très différentes.

(encadré p 63) «Certains gènes régulateurs [dont les produits contrôlent la transcription], les gènes maîtres (ou gènes de contrôle) sont situés au sommet d'un édifice génétique d'où ils régulent un ensemble de gènes secondaires qui, eux-mêmes, influencent l'activité d'autres gènes cibles, d'un niveau inférieur dans la hiérarchie. De cet édifice naissent des signaux chimiques qui sont transmis du noyau cellulaire au cytoplasme et de cellule à cellule. Finalement des gènes de structurs activés par ces signaux s'expriment et codent des blocs de construction, c'est-à-dire des protéines à partir desquelles les structures et organes de l'organisme sont mis en place.» Cette vue d'une hiérarchisation de l'information génétique ne reste pour l'instant qu'un rêve... de généticien: il est prouvé que l'information génétique va bien de l'ADN aux ARN puis aux protéines mais peut aussi aller des ARN à l'ADN. Par contre l'information cytoplasmique ou extracellulaire peut modifier l'information génétique (sous forme de protéine qui reste semble-t-il le passage obligé pour modifier l'expression génétique, même pour des hormones comme les hormones stéroïdes qui se fixent sur des récepteurs protéiques qui agissent comme facteurs de transcription). Présenter l'information du vivant comme gouvernée par des gènes fonctionnellement emboîtés est en fait réducteur et il me semble préférable de dire que l'information génétique est un outil au service de la cellule qui la module en fonction de sa mémoire cytoplasmique (son profil métabolique) et des données qu'elle reçoit venant des autres cellules.

une réponse de Rosine Chandebois, professeur à l'université de Provence, dans un courrier à La Recherche du mois de mai à la suite de l'article de W.J. Gehring :
« Après la parution de l'article de W.J. Gehring dans le n°280 (Octobre 95), il me paraît utile de rappeler que le développement des mutants eyeless (e) de l'Axolotl a été décrit et analysé notamment par Cuny et Malacinski (J. Embryol. exp. Morph. 96 1986).
« Chez les Axolotls homozygotes pour le gène e, le développement de la rétine est arrêté au stade de la jeune vésicule optique (stade 1), bien que des divisions sporadiques s'observent plus tard. A l'éclosion, la rétine neurale est représentée par une masse irrégulière de cellules. La rétine pigmentaire est, elle, représentéé par quelques cellules à pigment. De petits cristallins de forme anormale peuvent aussi se constituer. Les rudiments de la rétine et des cristallins se désintègrent pendant la vie larvaire. Chez les hétérozygotes pour les deux gènes e et r (insuffisance rénale, léthal, récessio les yeux se développent jusqu'au stade 16 ».
L'expérimentation (association in vitro de tissus de génotypes e-e et sauvage et application d'un extrait de cornée de boeuf qui stimule le développement de la rétine normale) a montré que la mutation crée une insuffisance. Cette insuffisance peut être liée à un défaut des desmosomes qui relâcherait les contacts cellulaires. Elle est localisée à la partie de la plaque neurale qui recouvre les territoires présomptifs des vésicules optiques et de l'hypothalamus, tous les autres tissus impliqués dans la formation de l'oeil présentant des capacités histogénétiques et morphogénétiques normales. De taille très réduite, la vésicule optique est cependant capable d'induire un cristallin dans l'épiderme, mais les inductions ultérieures (comée, cartilage scléraux) font défaut. En conséquence, l'évolution est bloquée. Enfin, faute d'innervation rétinienne, le tectum opticum demeure rudimentaire. La déficience de l'hypothalarnus se manifeste par l'insuffisance de deux hormones hypophysaires d'où la pléiotropie (stérilité des gonades, pigmentation anormale).
La mutation eyeless est donc ici clairement associée à une défiscience de l'ensemble de l'hypothalamus présomptif qui a son tour provoque la stérilité des gonades et des anomalies de la pigmentation de la peau. Ce cas illustre bien le fait qu'un dysfonctionnement tissulaire n'est pas forcément du à des gènes que le tissu doit maintenir constamment en activité. Autrement dit, un tissu ne fonctionne pas nécessairement de manière normale dans un organisme si les gènes dont il lui faut entretenir la transcription sont normaux. Ceci parceque les cellules ne sont pas sous le contrôle des gènes mais les utilisent en fonction des informations communiquées par leurs voisines et par la qualité du cytoplasme hérité de leur ascendance. (RC, notes 50 et 56, p 86, texte très légèrement modifié).

La formation des yeux sur les antennes et les pattes d'une drosophile est un phénomène de même ordre que celle d'une patte supplémentaire dans le flanc d'un arnphibien. Les mécanismes de l'émergence d'un bourgeon de membre sont bien connus. La détermination de son territoire présomptif est liée à celle d'un mésenchyme particulier, issu des lames latérales. L'amplification de la synthèse de protéoglycans qui a lieu se solde par l'émergence d'ilots de précartilage à l'origine des pièces du squelette (Ede et Flint, 3rd Symp. Froc. Soc. Dev. Biol. 1977). Sa croissance apicale, qui impose l'agencement particulier des îlots, est entrenue par la calotte qui se forme à son contact dans l'épiderme. La poussée d'un membre supplémentaire a été obtenue après implantation dans le flanc de l'embryon, à un stade critique du développement, d'une placode olfactive, d'une vésicule optique ou d'un bloc de celloidine (Balinsky, 1933).
D'après Stephen et al (J. Embryol.exp. Morph. 59, 1980), les lames latérales, même au niveau des flancs, élaborent du collagène et des protéoglycans identiques à ceux du bourgeon de membre, mais elles ne peuvent en acquérir les propriétés qu'après dissociation des cellules. Ce processus n'est pas un cas particulier. Dès 1952, Holtzer (J.exp. Zool.121) avait posé comme principe général que les produits spécifiques d'un tissu sont élaborés très tôt dans l'embryon, même en dehors de son territoire présomptif. Cette synthèse est amplifiée localement au moment de la détermination du tissu mais peut continuer ailleurs, à faible régime dans divers tissus, jusqu'à un stade plus ou moins avancé du développement (éventuellement chez l'adulte). Cela a été récemment confirmé pour la neuralisation de l'ectoderme (Sharp et al. development 107, 1989). Dans les tissus où subsistent ces activités résiduelles, les cellules conservent la faculté de prendre l'identité tissulaire correspondante (transdifférenciation) si une modification de leur cohésion leur est imposée.

Pour des raisons essentiellement techniques, des recherches analogues n'ont pas été réalisées sur les embryons de drosophile. Rien donc, pour l'instant, ne s'oppose à ce qu'on interprète l'expérience de Gehring comme celle de Balinsky. Un certain nombre d'arguments plaident d'ailleurs en faveur de cette extrapolation. A l'origine de cette homoeose, on trouve une transdifférenciation des téguments en cellules visuelles. Or la transdifférenciation inverse peut être provoquée par divers facteurs non spécifiques. C'est par exemple le cas pour les homœoses qui n'impliquent pas de changements d'identités tissulaires (Hadom in Locke : Major Problems in dev. Biol. N.Y. Acad Press, 1966). Par ailleurs, la répartition inégale des yeux atrophiques évoque bien une transdifférenciation. Ce phénomène n'affecte jamais la totalité d'un morceau de tissu mis en culture ou reconstitué par la descendance d'une cellule unique (Okada et al. Dev. Biol. 45, 1975). Les cellules transdifférenciées se condensent localement et s'organisent parfois de manière frustre (par exemple les corps lentoïdes de la rétine neurale). La composition du milieu ne la provoque pas, elle peut tout au plus la favoriser (Pritchard et al. J. Embryol. exp. Morph. 48, 1978). »

 

Conclusion-résumé:
Un gène architecte est un gène mis en œuvre dans des étapes de prolifération cellulaire dans toutes les populations engagées dans des progressions autonomes. Le point essentiel que cet article met en évidence est que les gènes architectes représentent une multitude de fonctions mises en œuvre dans de très nombreuses populations aux destinées différentes.
L'information de position est un concept qui n'est pas nécessaire d'invoquer si l'on considère le développement autonome et les interactions successives entre populations cellulaires (notamment les réajustements). Une cellule appartenant à une population engagée dans une progression autonome (on dit «déterminée») développe un certain métabolisme (on dit qu'elle a un «profil métabolique» défini) et garde en mémoire, dans son cytoplasme et de par les métabolismes qu'elle développe, une trace de son histoire. A partir d'un certain seuil (de rendement des gènes ou d'un type de métabolisme particulier) son engagement dans un type histologique spécifique devient, dans des conditions normales, irréversible. Les cellules engagées dans ce processus sont dites en cours de différenciation (le terme de «détermination» étant à réserver au démarrage de la progression autonome pour une population, ce qui se traduit par une certaine spécificité des cellules embryonnaires que l'on peut mettre en évidence par des greffes en embryologie expérimentale). Il reste à expliquer comment les gènes sélecteurs homéotiques des généticiens sont activés de telle façon qu'ils semblent déterminer l'organisation des premiers segments de l'embryon.

 

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exemple 2: l'étude du développement embryonnaire et post-embryonnaire de la drosophile,modèle de prédilection des généticiens : Drosophila melanogaster, Arthropode, antennate, Insecte, holométabole, Diptère

l'ovogénèse chez la drosophile

(schémas issus de La reproduction des invertébrés, Cassier et al., Masson, 1997, modifiés)

La structure allongée contenant les ovogonies et dans laquelle se déroule l'ovogénèse est une ovariole. Les ovaires sont constitués d'une ou de plusieurs ovarioles (je n'ai pas trouvé le nombre pour la drosophile). Les premières étapes de l'ovogénèse débutent chez la larve puis se continuent chez la nymphe (pupe). Les ovocytes sont issus d'une ovogonie unique (2n) qui subit une série de mitoses incomplètes car les cellules filles restent unies par des ponts cytoplasmiques (fig a); on parle d'œuf méroïstique (du grec méro = couper). Une seule cellule fille, normalement celle qui possède le plus de liaisons cytoplasmiques avec les autres (et qui hérite du centriole), évolue en ovocyte I en démarrant une méiose bloquée rapidement au stade diplotène. Les autres cellules sont appelées des trophocytes. Les cellules germinales sont entourées de cellules folliculaires (fig. b et c) par lesquelles transitent les nombreuses substances nécessaires à la fabrication des réserves importantes de l'ovocyte, qui sont majoritairement fabriquées dans le corps gras de l'insecte. Les cellules folliculaires participent activement à l'élaboration des enveloppes protectrices de l'œeuf (chorion) qui sont une caractéristique des œufs libérés en milieu aérien. L'œuf est centrolécithe, avec un vitellus abondant, le noyau étant au milieu de l'œuf.

L'ovulation se fait par expulsion de l'ovocyte I pourvu de ses enveloppes suite à l'accouplement. Les spermatozoïdes déposés dans le vagin par le mâle pénètrent à travers le chorion grâce à des micropyles et déclenchent la fin de la méiose avec expulsion des 2 globules polaires.

Le développement embryonnaire: commence à la fécondation et s'arrête à l'éclosion de la larve (asticot) .... le lendemain. En effet, le développement embryonnaire ne dure qu'un jour mais il est pourtant d'une complexité extraordinaire.


Schémas et photos d'après Belin, 2nde, Biologie moléculaire de la cellule et E.U. très modifiés

Le zygote commence son développement dès la fécondation mais les premières divisions du noyau (caryodiérèse) ne sont pas suivies par des divisions cytoplasmiques, peut-être en raison de la charge très importante en vitellus et de la position centrale du premier noyau. Si l'on désire comparer avec le développement des vertébrés comme celui de la grenouille, les premières phases finissent par aboutir à une segmentation de l'embryon en cellules disposées à la périphérie d'une masse cytoplasmique riche en vitellus et surmonté à un pôle par des cellule germinales. On parle alors de segmentation superficielle. La "cellularisation" de la masse cytoplasmique commence au stade 256 noyaux (28 ) par les cellules germinales et se termine avec environ 6.000 noyaux. Les cellules externes forment le blastoderme et les cellules internes, beaucoup moins nombreuses, les vitellophages, chargées de "digérer" le vitellus. Tout le développement embryonnaire se fait à l'intérieur des enveloppes (chorion, séreuse) et il est à noter que l'on ne peut pas rompre ces enveloppes sans stopper définitivement le développement (ce qui n'empêche cependant pas quelques opérations de microchirurgie, voir plus bas, mais qui constitue un handicap majeur pour une étude d'embryologie expérimentale classique comme pour les oursins ou les amphibiens). On parle cependant de stade blastula. La gastrulation est assez atypique: il se forme d'abord, sur la face ventrale , une bandelette germinative (ou embryonnaire) qui représente la première ébauche de l'embryon. Cette bandelette va se creuser d'un sillon médian longitudinal, le sillon gastrulaire, qui se referme ensuite et forme un tube individualisant un endomésoderme. Dans le même temps, les bords du blastoderme se soulèvent autour de l'embryon et forment des replis qui vont se rejoindre, formant une cavité amniotique, milieu liquide dans lequel «baignera» l'embryon (c'est un caractère que l'on rattache souvent à un développement protégé en milieu aérien). Dans l'ectoderme de l'embryon, des neuroblastes vont apparaître et former deux cordons nerveux longitudinaux à l'origine de la chaîne nerveuse ventrale. L'endoderme se différencie pour former l'intestin. Le mésoderme se développe avec l'apparition d'une métamérisation et la formation de somites qui fusionneront pour former l'hémocèle. La métamérie est la propriété des animaux triblastiques (formés de trois feuillets embryonnaires) coelomates (dont le mésoderme, feuillet intermédiaire se creuse de cavités cœlomiques formant un cœlome) et composée de segments embryonnaires anatomiquement et physiologiquement répétés (métamères). Cette métamérisation est progressive: elle apparaît soit au niveau de la tête et s'étend vers l'abdomen, soit au niveau du segment prothoracique et se propage dans les deux sens. Des appendices métamérisés se forment, mais ils ne persisteront que sur une partie des métamères. La métamérie embryonnaire ne subsiste que très partiellement chez la larve et encore plus partiellement chez l'imago.
Remarque:
les triblastiques cœlomates comprennent les prostomiens (dont le blastopore, orifice de la blastula donne la bouche: Annélides, Lophophoriens, Mollusques et Arthropodes) et les deutérostomiens (dont le blastopore donne l'anus: Chætognathes, Echinodermes, Stomocordés, Pogonophores, Urocordés, Céphalocordés et Vertébrés).

Comme pour l'embryon d'amphibien il a été établie une carte des territoire présomptifs de l'embryon de drosophile au stade blastoderme. Mais cette carte n'a pas la même valeur dans les deux cas: pour la drosophile elle n'est pas soutenue par des expériences d'embryologie expérimentale CAR je repète encore que L'ON NE PEUT PAS OUVRIR L'ENVELOPPE SANS TUER L'EMBRYON. La valeur des territoires présomptifs n'est que l'indication que, si l'on suit le devenir des populations sans perturber le développement, les populations du blastoderme se retrouvent à telle ou telle position, toujours identique dans la larve. Mais il n'y a pas de DETERMINATION. On ne suit que la progression normale du développement, comme on peut le faire à l'aide de marques colorées sur une blastula puis une gastrula d'amphibien.

a - Les gènes de polarité de l'œuf

Sur cette carte des populations cellulaires(en fait des progressions autonomes) on superpose une carte des anomalies de développement engendrées par des mutations de gènes qui ont été nommés: gènes de polarité de l'œuf. Ces gènes sont appellés des gènes à effet maternel car ce sont des gènes de l'ovocyte (seuls "activés" dans le zygote par l'intermédiaire de leurs produits: les ARNm maternels ; les gènes paternels n'étant activés qu'au stade mi-blastula (?) ... voir plus haut dans cette page). Pour obtenir un embryon anormal c'est donc une femelle homozygote mutée qu'il faut obtenir, le génotype du spermatozoïde n'intervenant pas ici. Ces gènes ont été identifiés lors d'une recherche exhaustive des mutants dans lesquels la polarité de l'embryon est perturbée (travaux de C. Nüsslein-Volhard, 1986, 1992). On les classe en un groupe de 12 gènes de polarité dorso-ventrale (dont le phénotype mutant provoque une absence de structures ventrales), 4 gènes de polarité antérieure (par exemple bicoïd), 11 gènes de polarité postérieure (par exemple nanos) et 6 gènes du groupe dit "des extrêmités"(par exemple torso). Les produits de ces gènes ont été activement étudiés. Les protéines de régulation peuvent être découpées, généralement en régions fonctionnelles appelées domaines. Un de ces domaines a la propriété de se lier à l'ADN dans les régions de contrôle de l'activité des gènes cibles. Plusieurs structures tridimensionnelles de domaines de liaison ont été mises en évidence. Celles-ci se retrouvent dans de nombreux gènes impliqués dans le développement embryonnaire de nombreuses espèces. Un de ces domaines s'appelle l'homéodomaine, car il a d'abord été décelé dans les protéines codées par les gènes homéotiques. La chaîne d'acides aminés de l'homéodomaine comporte quatre hélices, dont une assure la reconnaissance de l'ADN cible. La protéine du gène bicoïd  contient un tel homéodomaine. La protéine dorsal  contient un autre type de domaine de liaison à l'ADN. Il est lui-même présent dans plusieurs protéines de régulation connues chez les vertébrés. Certains de ces gènes, normalement employés lors du développement embryonnaire, sont d'ailleurs incriminés dans la génération de tumeurs après mutation ou réexpression anormale chez l'adulte. Les ARNm dorsal (détectés par hybridation in situ) et la protéine pour laquelle ils codent (détectée par des anticorps) sont répartis de façon homogène dans le cytoplasme du zygote. Mais au stade blastoderme, au début des caryodièrèses, la protéine se concentre dans les noyaux ventraux du blastoderme. On suppose alors qu'elle inactive ou active selon sa concentration les gènes nucléaires à effet maternel des cellules du blastoderme codant pour les autres protéines impliqués dans la polarité dorso-ventrale comme la protéine DPP par exemple (codée par le gène dpp décapentaplégique) dont la concentration présente un gradient dorso-ventral inverse à celui de la protéine codée par le gène dorsal.
Le système est à la fois trop complexe, du fait du degré de sophistication des méthodes de biologie moléculaire, et trop simpliste dans ses explications pour que je puisse avoir accès à l'ensemble des informations et que je puisse les comprendre et les présenter ici (tout revient toujours à une activation séquentielle de gènes du développement et donc d'un programme génétique de développement): il y a un réel fossé entre une technicité de la recherche de plus en plus poussée et une réflexion naturaliste. Il y a même une séparation d'avec la méthode expérimentale, car on à l'impression à la lecture des articles de vulgarisation qu'ils mettent à notre disposition que souvent les chercheurs ne cherchent pas à prouver une hypothèse mais à développer le paradigme dominant, dans le but d'une reconnaissance sociale et financière, ce qui est œuvre de technique.

Une technique de microchirurgie (H.G. Frohnhöfer, R. Lehman et C. Nüsslein-Volhard, 1986) permet d'extraire une partie du cytoplasme antérieure du zygote, par rupture très localisée de l'enveloppe, puis d'injecter par une micropipette un peut de cytoplasme postérieur venant d'un zygote donneur par cet orifice. On obtient le lendemain, si l'embryon se développe, une larve dite "double postérieure" qui présente une absence de tête. Mais je ne connais pas l'anatomie de cette larve et elle n'est probablement pas viable. Les généticiens du développement interprètent cette malformation provoquée par la présence de morphogènes spécifiques dans les extrêmités du zygote.


Expérience de microchirurgie sur le zygote de drosophile (d'après Biologie moléculaire de la cellule, 21-58)
Voir aussi la fig 6 p 47 dans l'article :
De l'œuf à l'embryon, Christiane Nüsslein-Volhard, Pour la Science, Dossier "Les sociétés cellulaires", Hors Série, avril 1998
où l'on obtient un résultat symétrique avec injection d'ARNm bicoïd dans la partie postérieure du zygote.

Dans le cadre de leur hypothèse, ils ont réalisé cette même expérience sur des zygotes possédant la mutation bicoïd c'est-à-dire qui conduisent normalement à des larves sans tête et sans structures thoraciques mais dont les structures abdominales se développent normalement. Si l'on injecte le cytoplasme de l'extrêmité antérieure d'un zygote non muté à l'extrêmité antérieure du zygote issu d'une mère homozygote bicoïd -/-, l'embryon obtenu semble complet. Cela met sans aucun doute en évidence le rôle essentiel des déterminants maternels de type ARNm dans le cytoplasme du zygote (voir plus haut, pour les amphibiens).
Dans le cadre de la même hypothèse on a, par des techniques d'hybridation in situ, localisé les ARNm bicoïd que l'on a suivi depuis leur synthèse dans les cellules nourricières (trophocytes: voir schéma d'un follicule dans une ovariole de drosophile ci-dessus) jusqu'à leur stockage dans le cytoplasme de l'ovocyte. Le gradient de concentration de la protéine Bicoïd, dont la synthèse commence dès la ponte, est orienté de façon décroissante depuis l'extrêmité antérieure du zygote jusqu'à l'extrêmité postérieure. Si l'on insère dans le génome maternel plusieurs copies de l'ADN bicoïd , on obtient des embryons normaux malgré une augmentation forte du gradient corrélée au nombre de copies du gène bicoïd et l'apparition d'une métamérisation décalée vers le pôle postérieur. C'est un cas important de régulation car, malgré ce décalage au tout début de l'organogenèse, les larves sont alors correctement proportionnées. Les auteurs des expériences les interprétent comme une confirmation du rôle de la concentration locale des protéines Bicoïd dans la mise en place des métamères antérieurs. Mais ils y associent le concept d'information de position matérialisé ici par un gradient de substance morphogène. Ce qui n'est pas forcément nécessaire. L'induction démarrant au pôle antérieur détermine naturellement un gradient par une progression de proche en proche depuis le pôle antérieur, de cellule à cellule. Ce type de gradient (gradient d'induction) est une conséquence directe de la progression autonome d'une population dont la détermination commence localement à la périphérie de la population et progresse ensuite de proche en proche.


Gradient d'expression du gène bicoïd (à effet maternel) dans le zygote de drosophile (pour zéro, une et quatre copies du gène)
visualisé grâce à un marquage radio-immunologique (anticorps marqués radioactivement dirigés vers la protèine Bicoïd)
et larve résultant du développement (d'après Biologie moléculaire de la cellule, fig 21-59 et 21-53, très modifiées).

Remarque:
une brève récente de La Recherche revêt à mon sens une importance particulière (Emmanuel Farge: «Certains gènes embryonnaires sont mécano-sensibles», La Recherche, 369, novembre 2003, p 16-17 d'après E. Farge, Current Biology, 13, 1365, 2003). Ce chercheur a soumis la larve de drosophile à une légère compression latérale et a noté que l'expression des gènes du système antéro-postérieur n'a pas été modifiée mais par contre que celle des gènes du système dorso-ventral dont le gène twist a été modifiée. Le gène twist, normalement exprimé dans les seules cellules ventrales, a été exprimé sur tout le pourtour de l'embryon (comme c'est le cas pour certains mutants). De même l'expression du gène twist est fortement amplifiée dans les cellules du pôle antérieur qui s'invaginent pour former le tube gastrique antérieur.
Cette liaison, qui demande sans aucun doute à être confirmée pour d'autres expériences, ouvre la porte à un raisonnement tout à fait original: les contraintes mécaniques auxquelles sont soumises les cellules au cours du développement du fait par exemple des divisions cellulaires, du gonflement de couches basales hydrophiles,..., peuvent modifier l'expression de gènes. On a donc un contrôle possible de l'expression du génome par des stimuli externes (travail de relation). Le travail du groupe de mécanique et génétique du développement embryonnaire de l'unité de physico-chimie de l'Institut Curie (UMR CNRS/IC) dont dépend E. Farge est sans aucun doute prometteur.

b - des gènes de segmentation
(gap, pair-rule, polarité segmentaire et sélecteurs homéotiques)

Un groupe d'environ 25 gènes de segmentation a été caractérisé de la même manière en contrôlant toutes les anomalies de développement portant sur le nombre de segments, sans modifier la polarité de l'œuf (antéro-postérieure et dorso-ventrale). Ces gènes appartiennent au génome propre du zygote et sont activés à la fin de l'organogenèse (on parle de gènes à effet zygotique). Par exemple chez le mutant Krüppel (muté au niveau d'un groupe d'au moins trois gènes de régionalisation dit gènes gap), il manque à la larve les 3 segments thoraciques et les 5 premiers segments abdominaux. De même la mutation even-skipped (eve) (correspondant à un groupe de huit gènes de parité segmentaire ou pair-rule) provoque l'absence de tous les parasegments pairs (les parasegments sont une dénomination commode pour les généticiens et correspondent aux segments (métamères) décalés d'un demi-segment vers l'extrémité postérieure: les 4 segments céphaliques correspondant aux parasegments 0, 1, 2 et la moitié du 3; les trois segments thoraciques aux parsegments, 3 (pour la moitié), 4, 5 et 6 (pour la moitié) et les 9 ou 10 segments abdominaux aux 8 et demi parasegments restants). Enfin la mutation goosberry par exemple (appartenant au groupe de 10 gènes de polarité segmentaire) provoque la perte de la moitié postérieure de chaque segment, c'est-à-dire la moitié antérieure de chaque parasegment. Toutes ces mutations conduisent à des arrêts précoces dans le développement et à la mort de l'embryon.
Comme c'est la même protéine, par exemple la protéine Eve (codée par le gène even-skipped ou eve), qui est synthétisée dans chaque segment, on cherche à trouver l'information de position dans les séquences régulatrices situées en amont du gène eve. Le gène eve présente une région régulatrice très étendue (formée par l'ensemble des séquences d'ADN gouvernant les facteurs de transcription du gène et estimée à environ 20.00 paires de bases - à rapprocher du chiffre de 140.000.000 de paires de bases pour la totalité du génome mais aussi de l'unité de recombinaison qui est de 500.000 paires de bases) au niveau de laquelle on pense qu'il existe des unités de regulation spatiales des 7 bandes d'expression du gène eve alignés comme dans l'embryon en cours de segmentation. A l'appui de cette théorie des expériences de déplacement de certains fragments de la zone de régulation. Par exemple la bande 2 est une bande sur laquelle on a identifiée des sites de fixation des protéines codées par les gènes de polarité de l'œuf (comme le gène bicoïd dont la protéine de régulation Bicoïd qui active la transcription du gène eve en se fixant sur cette zone de régulation ou le gène Krüppel dont la protéine de régulation inactive la transcription du gène eve). Vous noterez par exemple sur la figure ci-dessous qu'en absence de gène bicoïd le deuxième segment d'expression du gène eve est inactivé. On a déplacé cette bande 2 (480 paires de bases) de la séquence de régulation du gène eve et à l'a insérée en amont d'une séquence activatrice du gène de la ß-galactosidase, lui-même transféré avec ses séquences d'activation dans un génome d'embryon de drosophile. Et effectivement on a observé que ce gène de la ß-galactosidase était exprimé au niveau du deuxième segment d'expression du gène eve. Ce que l'on interprète comme une information de position contenue dans cette séquence régulatrice de la bande 2. Ne pourrait-on pas interpréter cette expérience comme une preuve de l'universalité des séquences régulatrices mais de la spécificité de leur activation ? Dans la zone précise où l'induction a lieu (notamment par la protéine Bicoïd) le gène de la ß-galadosidase est activé tout comme le gène eve puisqu'on lui a adjoint la même séquence de régulation. La séquence de régulation est inefficace dans d'autres cellules parceque ce sont les signaux inducteurs qui font défaut. Le travail de fourmi réalisé par les généticiens est colossal car il conduit à isoler pour chaque site la cascade d'induction. Comme la combinaison spécifique de différents inducteurs a un endroit précis détermine en quelque sorte la réponse d'une cellule (on parle de régulation combinatoire), les généticiens du développement s'appuient habituellement sur l'hypothèse d'une information de position: dans chaque noyau, en amont de chaque gène, les séquences régulatrices évaluent les concentrations en morphogènes afin de déterminer la position spatiale de la cellule. Si à l'opposé de cette hypothèse on donne la maîtrise à la cellule, au sein d'une population, et que l'on considère que c'est elle qui répond aux signaux inducteurs auxquels elle est soumise, avec sa part d'autonomie liée à son métabolisme (on parle plutôt alors de comportement social élémentaire). Sa position n'est jamais déterminée de façon absolue par des coordonnées mais de façon relative par rapport aux cellules de sa population et par rapport aux populations voisines.


Segmentation anormale des larves issues de zygotes mutés dans des gènes à effet zygotique du groupe de segmentation (conduisant à un arrêt précoce de développement)
et profil d'expression d'une protéine codée par un gène du groupe pair rule (gène even-skipped) chez un embryon issu du développement d'un zygote comportant zéro, une ou quatre copies du gène bicoïd à effet maternel (d'après biologie moléculaire de la cellule, 21-59 et 21-60, très modifiées et p 426-429)

Ces expériences atteignent un niveau de difficulté d'analyse très élevé:
* la technique est indirecte (radioimmunomarquage) et donc présente différente incertitudes et approximations qui sont évidentes pour un chercheur mais pas pour un élève - voir quelques données sur les techniques immunologiques dans le cours d'immunologie de terminale)
* d'un côté on a des gènes ovocytaires dont les ARNm sont suspectés avoir un rôle déterminant dans l'orientation de l'axe antéro-postérieur du zygote puis de la blastula (gène bicoïd: voir la figure au-dessus pour les conséquences au niveau de la larve);
* de l'autre on a des gènes activés chez l'embryon (gènes à effet zygotique) et dont le dysfonctionnement (réalisé par mutation) provoque des anomalies de segmentation reproductibles; ces gènes codant la plupart du temps pour des protéines régulatrices capables de se fixer à l'ADN.
A mon sens postuler le rôle d'un gène dans l'établissement d'une symétrie au sein d'un embryon (sur lequel on ne peut réaliser de greffes et autres techniques de l'embryologie expérimentale sans le tuer) à la suite de l'observation des conséquences de mutations sélectionnées revient en quelque sorte a essayer de connaître les règles du code de la route en observant les conséquences des accidents. Pour un biologiste naïf comme moi, ces hypothèses ne reposent que sur de fragiles comparaisons et un paradigme très fort: celui du programme génétique de développement (matériel, temporel et spatial). A l'opposé de cette vision, on peut expliquer à mon avis une malformation grave, avec un arrêt de l'organogenèse pour des populations situées dans telle ou telle partie du corps, par une absence de détermination de la progression autonome, due à l'inactivation de tel ou tel gène muté - indispensable à la mise en place d'une induction par exemple (c'est le cas des déterminants ovocytaires notamment) - ou encore par la perte de compétence. Si certains métamères ne se développent pas, il existe d'autres mécanismes qu'une information spatiale erronée (dite information de position) pour l'expliquer. Au cours de l'embryogénèse il est bien plus simple de justifier du développement successif des feuillets par des inductions et non par des déterminismes internes aux populations qui suivraient un programme déterminé. N'étant pas embryologiste je ne connais pas les mécanismes histologiques de la segmentation chez les arthropodes (j'ai lu cependant que le mésoderme axial se creuse d'abord de cavités cœlomiques paires métamérisées, qui fusionneront axialement, aussi pourrait-on imaginer de comparer les vésicules cœlomiques primordiales avec les rosettes du schéma ci-dessous mais je ne connais pas le mécanisme précis de la formation des vésicules cœlomiques). Le mécanisme ci-dessous, proposé par Rosine Chandebois pour la mise en place des somites des vertébrés, me semble un exemple d'un déterminisme plus simple et plus "biologique" pour ne pas dire vitaliste.

Un déterminisme de la somitogénèse sous le contrôle de la progression autonome et de la compétence des tissus (d'après RC, p 31)

La segmentation du mésoderme paraxial en somites est la conséquence d'un réagencement des cellules en "rosettes", passé un seuil critique de leur progression autonome. La progression de la somitogénèse se fait sous le contrôle d'inducteurs et se propage depuis l'avant de l'embryon vers l'arrière (gradient d'induction). La compétence des cellules mésodermiques à former des rosettes disparaît ensuite et si l'induction de la somitogénèse intervient trop tard, les rosettes ne se forment pas. Par exemple, lors d'un choc thermique affectant quelques massifs cellulaires avant leur induction, les membranes cellulaires sont réversiblement altérées et si l'induction arrive avant que les cellules n'aient récupéré leur intégralité cytologique, elles sont incompétentes et elles ne formeront plus de somites, même si la somitogenèse se poursuit normalement dans les zones non lésées.

La longueur de chaque métamère dépendrait de la concentration en inducteur, de sa diffusion, de la réponse des cellules... et ne serait bien sûr pas déterminée de façon absolue. Sa spécificité pour une espèce donnée dépendant des caractéristiques des feuillets embryonnaires mis en place (taille des cellules, nombre de cellules, types de jonctions....).


(D'après Rosine Chandebois, Comment les cellules construisent l'animal, Phénix éditions, 1999, p 31)

Le dernier groupe de gènes de segmentation est constitué par les gènes sélecteurs homéotiques qui déterminent les caractères des segments antérieurs de la mouche. Ces gènes sélecteurs ont pris une importance extraordinaire depuis que des gènes homologues (similitude de séquence proche de 90%, homologie de fonction supposée à partir de conséquences comparables lors de mutations;..) ont été trouvés chez deux vertébrés mammifères: la souris et l'homme.
Chez la drosophile ils forment deux complexes: le complexe bithorax et le complexe Antennapedia qui sont réunis en un seul complexe HOM chez d'autres insectes. On pense que les deux complexes de la drosophile se sont séparés à partir d'un complexe unique, ancestral. De nombreuses mutations (à l'état homozygote) au sein de ces complexes provoquent la mort de la larve à l'éclosion. Tous les gènes de ces complexes ont été clonés et on dispose actuellement de sondes ADN pour établir une carte spatiale du mode de transcription de chacun des gènes sélecteurs homéotiques par hybridation in situ. Ce sont des gènes activés (donc à effet zygotique) dans le blastoderme. Chaque gène sélecteur homéotique n'est normalement exprimé que dans les régions qui se développent anormalement lorsque le gène est muté ou absent. On a donc un profil d'expression qui est fixé définitvement puisque l'on ne peut pas déplacer des cellules dans un embryon de drosophile avant l'éclosion: le modèle drosophilien montre ici de façon évidente sa limite principale: comment expérimenter sur des déterminismes autres que génétiques si la seule manipulation que l'on puisse faire est d'ordre génétique ? On suit l'expression de gènes dans un embryon fermé et il n'y a pas de quoi s'étonner de la similitude de l'enchaînement des interactions moléculaires. Pour les mammifères l'accessibilité de l'embryon dans l'utérus n'est pas meilleure. D'ailleurs, même le très dogmatique Biologie moléculaire de la cellule émet quelques réserves sur les interprétations de l'information de position supposée contenue dans les gènes du complexe HOM (p 1096, &2) et c'est malheureusement(?) cet exemple qu'ont choisi les concepteurs du programme du secondaire pour présentee le développement aux enfants.

Remarque:
Une brève de La Recherche (L'inconnu du placenta, Olivier Donnars, mai 2003, 364, p 18) me conforte dans cette vision que j'ai d'une excessive confiance dans un paradigme (le programme génétique). Cette brève mat l'accent sur le lien souvent indu fait entre un gène non fonctionnel et une anomalie de développement ou une mort prématurée: ce n'est pas parceque la modification d'un gène cause la mort de l'embryon que l'on sait OU et QUAND ce gène non fonctionnel a été une cause cellulaire d'un phénomène qui a conduit à la mort de l'embryon. Dans le cas de la génétique du développement en milieu fermé comme on pourrait appeller les expériences sur la drosophile, on s'expose à ne jamais pouvoir comprendre OU et QUAND les pseudo-gènes du développement ont été exprimés.


(D'après Biologie Moléculairede la cellule, fig 21-69)
N.B. Le complexe HOM n'existe pas en tant que tel chez la Drosophile (le nom de hom vient de la racine homéo) mais les gènes homologues de celui-ci corespondent à deux complexes séparés mais portés tous les deux par le chromosome n°3. La taille totale des deux complexes mis bout-à-bout en comptant non seulement les séquences codantes mais aussi les séquences de régulation avoisine les 650.000 paires de bases. Les homologies avec des gènes sélecteurs homéotiques de vertébrés (4 groupes HOX (A, B, C et D) du nom "homéobox") sont proposés dans de multiples articles et sites internet (voir biblio en début de page et extraits sur la génèse des doigts dans l'encadré ci-dessus).

Je renvoie à la page d'histoire de la génétique pour un encadré sur le génome de la drosophile et les notions de carte factorielle et de carte cytologique. Le complexe homéotique HOM s'étend sur environ 650.000 paires de bases (séquences codantes et séquences régulatrices, notamment les sites de liaison aux produits des gènes de segmentation étudiés plus haut), chiffre qu'il faut comparer avec la distance moyenne entre deux sites qui ne recombinent pas par crossing-over chez la drosophile: 25.000.000 paires de bases (pour une unité de recombinaison) ou au chiffre de 1.000 à 30.000 paires de bases qui est environ l'éventail de taille d'une bande colorée d'un chromosome polytène - la totalité des chromosomes comptent environ 5.000 bandes pour 140.000.000 paires de bases soit 2.800 paires de bases pour une bande moyenne mais leur taille varie dans un rapport de 10 - : il est clair qu'on a changé ici d'ordre de grandeur par rapport à la génétique morganienne. Le complexe bithorax est situé à environ 58,7 centimorgans (unité de recombinaison) de la mutation roughoïd (ru), située elle-même à l'extrémité du chromosome; la mutation sepia (se) étant à 26,0 cmg de cette extrêmité, scarlett (st) à 45,1, ebony (e) à 70,7 et minute (g) à 106,2 cmg. Les techniques d'hybridation in situ et de transgenèse autorisent les généticiens du développement à travailler sur des fragements de chromosomes de plus en plus petits.

La technique d'hybridation in situ ....
permet d'identifier des gènes spécifiques à l'aide d'un sonde radioactive directement sur les chromosomes polytèniques de la drosophile.
Mais la technique demande de disposer d'une banque de sondes marquées pour les gènes recherchés.

dessins et textes d'après Gènes , fig 25-17 et 25-18

On notera que la disposition linéaire des gènes du complexe HOM respecte assez bien une orientation antéro-postérieure, comme si l'ordre d'expression de ces gènes était aussi celui de leur agencement le long du chromosome. On pourrait y voir un moyen commode pour répondre à une activation qui se ferait par propagation d'un système d'expression le long du chromosome.
La plupart des mutations homéotiques affectent les séquences régulatrices de ces gènes et non les séquences codantes. Ce qui explique la létalité de nombre d'entre elles et montre aussi, encore une fois, que l'on est loin du simple modèle d'un gène codant pour une protéine qui déterminerait à elle seule des caractéristiques d'un segment. On est toujours confronté à un réseau d'interactions.
Remarque:
l'observation des chromosomes polytèniques d'une larve de Chironome (vers rouges de vase dans les magasins de pêche) est aisée à faire en classe; la coloration se fait habituellement au vert de méthyle (voir par exemple; Didier Pol, Travaux pratiques de biologie, Bordas, 2.5 p 64)

Les gènes mis en évidence par la génétique du développement, même si leur rôle est loin d'être aussi simple que les appelations de gènes architectes ou gènes de la segmentation pourrait le faire penser, sont des gènes indispensables aux cascades d'inductions du développement, notamment aux périodes critiques pour lesquelles leur déficience provoque de graves malformations.
Certains lecteurs pourraient penser que la distinction que je fais n'est que de pure forme mais je ne le crois pas; il est très différent de dire qu'il existe des gènes de polarité de l'embryon qui déterminent des gradients de morphogènes selon des axes conceptuels prédéfinis ou au contraire de penser que des populations voisines en fonction de l'étape de leur progression autonome dans lesquelles elles se trouvent, envoient des signaux (qui peuvent être de type chimique mais aussi déterminés par le type de jonction cellulaire ou encore par des polarisations...) aux populations voisines. Celles-ci répondent à leur tour en fonction de leur avancée dans leur propre progression autonome; la genèse de la forme est la conséquence d'un plan dans le premier cas alors qu'elle est le résultat d'interactions dynamiques entre populations dans l'autre cas. La reproduction d'une forme dans une matière déterminée dans un cas (un matérialisme), et une création sans cesse renouvellée dans l'autre (un vitalisme).

En conclusion sur le développement embryonnaire:
Comme pour les amphibiens (voir plus haut) on pense que la symétrie antéro-postérieure et dorso-ventrale de l'embryon sont mises en place dans l'ovocyte grâce à des déterminants présentant des gradients de concentration au sein du cytoplasme du zygote. Parmis ces déterminants, des ARNm transcrits d'une trentaine de gènes maternels ont été identifiés grâce aux conséquences des mutations affectant ces gènes. Ces gènes codent majoritairement pour des protéines de régulation pouvant se fixer à l'ADN et donc activer l'expression d'autres gènes. Les protéines synthétisées à partir des transcrits de ces gènes lors des premières phases de l'embryogénèse sont considérés par les généticiens comme des morphogènes mais peuvent aussi être qualifiées d'inducteurs.

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3. l'individu intègre les populations en systèmes coordonnés

Une fois l'organogénèse bien commencée, on commence à voir émerger les traits d'une organisation intégrant les différentes populations. Ces regroupements non plus d'abord anatomiques mais physiologiques étaient qualifiés d'appareils: appareil respiratoire, circulatoire, digestif... selon le type de fonction biologique principalement réalisée pour le compte de l'organisme animal. Au premier plan les systèmes de communications qui sont le système nerveux pour le milieu extérieur et le travail de relation et le système immunitaire, qui comprend la fonction endocrine du système nerveux , est lié à l'appareil circulatoire, sanguin et lymphatique, et qui se charge des relations internes entre organes.
Cette partie est présentée par Rosine Chandebois en considérant l'individu comme un système cybernétique (informatif) téléonomique (orienté). Sans avoir peur des mots, j'ai du mal à les accepter. Cependant la téléonomie est sous-jacente à toute interprétation vitaliste.
Nous continuerons avec l'exemple de la drosophile.

Le développement post-embryonnaire comprend les 3 stades larvaires de l'asticot et le stade nymphal (pupe) jusqu'à l'imago. Le développement postembryonnaire est donc indirect car il présente une métamorphose, complète (insecte holométabole) car on distingue aisément 3 stades: larves, nymphe et imago, qui différent, morphologiquement, anatomiquement et éthologiquement (milieu de vie et mode de vie).


Schémas d'après Biologie moléculaire de la cellule, modifiés

La larve vermiforme ou asticot se développe habituellement dans le vinaigre qui se forme à partir des fruits attaqués par des levures (jus sucrés de fruits fermentés en alcools puis acides) d'où le nom de "mouche du vinaigre". La métamorphose qui se déroule en toile de fond des mues (qui sont des changements de l'enveloppe externe ou tégument de l'animal (exosquelette) comprenant une cuticule qui, bien que souple chez les insectes, est relativement inextensible et doit donc être renouvellée périodiquement) comprend des mécanismes très complexes étudiés depuis fort longtemps par les biologistes (je renvoie à des ouvrages spécialisés comme Larves et métamorphoses, Jean-Jacques Bounhiol, puf, 1980).
Le tégument (épiderme recouvert d'une cuticule) de l'asticot représente 50% de la masse totale de l'animal et constitue tout à la fois un revêtement protecteur, un squelette, un organe de réserve, un organe glandulaire multiple, et participe grandement aux organes sensoriels et aux appareils locomoteurs, respiratoires et digestifs. Les pièces buccales des asticots sont réduites à deux crochets qui dépassent légérement de l'avancée de la partie antérieure du corps de la larve qui recouvre la partie antérieure du tube digestif qui se trouve ainsi au fond d'une cavité (atrium) dans laquelle s'ouvre la bouche et débouchent les glandes salivaires. L'appareil excréteur, composé de 6 tubes de Malpighi est caractéristique des arthropodes antennates. Le tissu adipeux (ou corps adipoïde ou corps gras ou encore trophome) est un organe de réserve mais aussi un carrefour métabolique essentiel chez le larve, mais qui persiste chez l'adulte, de façon moins importante. Les cellules adipeuses fournissent l'énergie nécessaire à la construction des nouveaux tissus lors de la métamorphose (et des mues) mais ont aussi des fonctions endocrines et sécrétent par exemple les produits précurseurs (vitellogénines) des substances de réserve des ovocytes. Le cœur est un vaisseau dorsal composé de 5 cavités contractiles prolongé vers l'avant par une aorte qui amène le sang au voisinage du cerveau et des glandes endocrines associées. Le sang de la larve circule de l'avant vers l'arrière dans la partie ventrale de l'animal et dans le sens opposé dans la partie dorsale car le cœur se trouve séparé du reste de la cavité abdominale par un diaphragme horizontal (non étanche) et formant ainsi un péricarde. Il n'y a pas de vaisseaux ramenant le sang dans ce péricarde. La respiration de la larve est trachéenne, les trachéoles ramifiées (non représentées sur le schéma ci-dessous) amenant l'air au contact des cellules les plus internes. L'air entre par des stigmates (2 à l'avant et 2 à l'arrière de l'animal). Le système nerveux et les organes des sens sont rudimentaires chez la larve mais on s'est particulièrement interessé aux glandes endocrines, souvent associées au système nerveux en organes neuro-endocrines, du fait de leur intervention dans le contrôle des mues et de la métamorphose. L'anneau de Weismann, spécifique des Diptères supérieurs, enroulé autour de l'aorte est formé par la réunion des corpora allata (qui sécrétent notamment l'hormone juvénile, maintenant l'état larvaire), des corpora cardiaca et des glandes prothoraciques (ou péritrachéennes) latérales. Le cerveau (et plus spécialement les cellules sécrétrices de la pars intercerabralis) contrôle les corpora allata en inhibant ou en stimulant en fonction des périodes du développement (par des neurosécrétions) la sécrétion de l'hormone juvénile qui est l'hormone principale qui inhibe les ébauches imaginales (on connaît plusieurs formes (6) pour cette hormone (des sesquiterpènes apolaires apparentés à l'isoprène C5) dont la fonction varie selon sa structure moléculaire, ce qui explique des rôles antagonistes, et dont les protéines de transport modulent la destruction enzymatique). Mais les hormones juvéniles interviennent aussi dans les mues et dans de nombreuses autres fonctions, par exemple dans la vitellogénèse. Les nombreuses hormones du mue, dont la première isolée fût l'ecdysone, sont des hormones stéroïdes (principalement l'ecdysone et la 20-hydroxyecdysone) dont les récepteurs sont de facteurs de transcription qui se fixent à l'ADN. Les ecdystéroïdes, nom désignant ces hormones "de mue" sont sécrétées, sous le contrôle de neurosécrétions, par les glandes prothoraciques (parties latérales de l'anneau de Weismann chez la drosophile) au cours des stades post-embryonnaires puis par le follicule ovarien à maturité sexuelle.
Les cellules musculaires, celles des glandes salivaires et des tubes de Malpighi, tout comme les cellules intestinales de l'asticot, sont polyploïdes. Les tissus larvaires polyploïdes sont très nombreux et à la métamorphose ils sont profondemment modifiés et ne sont plus polyploïdes chez l'adulte. On considère que plus un tissu est polyploïde moins il subsiste lors de la métamorphose. Les tissus faiblement polyploïdes (jusqu'à 10n) sont parfois renouvellés par des mitoses anormales dont les cellules filles diploïdes se développent seules et renouvellent le tissu.
Les ébauches imaginales (du nom de l'adulte ou imago) sont formées par des populations quiescentes chez la larve (petits amas blanchâtres que l'on peut disséquer au microscope chez l'asticot... voir schéma ci-dessous) mais qui se développent rapidement (histogénèse) et donneront naissance à des organes cachés chez la nymphe puis, par simple extension (croissance), formeront les organes spécifiques de l'adulte: organes liés au travail de relation du fait du changement de mode de vie entre la larve et l'imago (yeux composés, pattes, ailes... mais aussi muscles qui possèdent des myoblastes imaginopotents) organes liés au travail de nutrition (remaniements profonds de l'appareil disgestif ...), organes liés au travail de reproduction qui dans la plupart des cas est propre à l'imago (organes copulateurs...). Chez l'asticot des Diptères les populations imaginales sont organisées en disques, qui sont des invaginations épidermiques qui peuvent s'enfoncer très profondément dans le corps de la larve) et en histoblastes, plus disséminés mais disposés de façon très précise. L'organisation en disques n'est pas absolue chez tous les insectes. Les larves des Coléoptères par exemple, n'ont pas de disques imaginaux pour les pattes et les ailes mais certaines populations cellulaires dispersées de la larve sont déterminées précocement et peuvent ,par des expériences de greffe, déterminer l'apparition d'organes rudimentaires déplacés. Il est à noter que les expériences d'ablation de disques imaginaux ou d'histoblastes ou encore de populations à destinée histogénétique, conduisent toujours à des déficits anatomiques: il n'y a pas de régulation ni de dédifférenciation de tissus voisins. Cependant, l'ablation chez une larve âgée de drosophile d'un demi-disque oculaire fournit une mouche ayant de ce côté un demi-œil.
Lors de la métamorphose, on observe de très nombreuses histolyses des tissus larvaires (tube digestif et formations annexes, muscles, trachées, épiderme, glandes produisant notamment la soie du cocon de nombreuses nymphes...), notamment par des mécanismes d'apoptose (voir annexe). Classiquement on parle aussi de remaniements pour des modifications affectant des tissus larvaires qui se transforment en tissus imaginaux sans mourir.

La métamorphose n'est aussi brusque et nette que chez les insectes dits holométaboles qui comprennent l'ordre des Diptères (mouches, moustiques...) ou encore les Coléoptères, les Lépidoptères ou les Hyménoptères. Plus les insectes sont primitifs et moins leur métamorphose est marquée.

Les expériences de microchirugie sur les larves sont plus facilement couronnées de succès que les tentatives sur le blastoderme.
On a pu dès 1931 (travaux de Geigy) montrer par des destructions spécifiques dirigées grâce à des irradiations ultraviolettes que les populations cellulaires de la larve et celles de l'imago qui coexistent en sont sein sont suffisamment indépendantes pour obtenir des asticots viables avec des populations imaginales détruites alors que l'imago est alors défiscient et non viable.
Si l'on transplante un disque imaginal à la place d'un autre dans la larve, et si on laisse ensuite la larve se métamorphoser, le disque greffé se différencie de façon autonome conformément à sa détermination, indépendamment de son site d'implantation. Les biologistes moléculaires (Alberts et al., 1097) concluent : « cela signifie que les cellules du disque imaginal sont gouvernées par une mémoire de leur position initiale. Les gène sélecteurs homéotiques sont des composants essentiels du mécanisme de la mémoire. S'ils sont éliminés des cellules des disques imaginaux au cours de la longue période qui conduit à la différenciation au moment de la métamorphose, les cellules se différencieront en structures incorrectes comme si elles appartenaient à un autre segment du corps »(voir ci-dessous). Il me semble nettement plus simple de voir dans cette détermination une des caractéristiques d'une population engagée dans une progression autonome, la mémoire étant celle d'un profil métabolique qui conduira à la différenciation en organe imaginal. Le fait de pertuber génétiquement le développement autonome conduit parfois celle-ci à stopper irrémédiablement le cours de la progression autonome et produit des tissus désorganisés qui pourraient parfois s'engager dans une nouvelle détermination.
Un exemple peut-être démonstratif est proposé par Biologie moléculaire de la cellule, p 1101-1102 avec les soies (appelées fort injustement poils dans l'ouvrage) et interprété de façon à mon avis rocambolesque alors que des solutions plus simples s'offrent. Les soies sont issues de cellules épithéliales embryonnaires dont certaines sont aussi présentes dans les disques imaginaux. Deux mutations (achaete et scute) ont été localisées dans une zone voisine et codent pour des protéines de régulation de la transcription dont l'absence empêche la formation de soies et l'ajout par transgénèse, l'apparition de soies supplémentaires (où ? sur un disque imaginal qui n'en comprend pas d'habitude ? autre part ?, comment ? combien ?). Si l'absence de soies peut aisément s'expliquer dans le cas d'une anomalie génétique, l'apparition de soies excédentaires relève d'un autre type de mécanisme. En effet, il a été mis en évidence que les cellules mères embryonnaires des soies inhibaient latéralement les cellules voisines pour éviter que des soies contigues ne se developpent. En cas de déficit moléculaire de cette inhibition (encore produit par une série de mutation touchant les gènes des médiateurs et de leurs récepteurs), des ilôts de cellules mères adjacentes se développent et forment des amas de soies. Ces expériences, loin de conforter des hypothèses de contrôle génétique, mettent plutôt à l'honneur la communication entre populations, leur développement autonome sous le contrôle des interactions entre populations voisines. L'universalité des médiateurs ne peut que confirmer l'idée que la recherche d'une individualité doit se faire au moins au niveau cellulaire et non au niveau moléculaire.

La technique de recombinaison mitotique induite par les rayons X (brève irradiation focalisée sur des tissus épithéliaux) est une forme de chirurgie génétique qui permet de marquer certaines cellules superficielles. Appliquée à tissus d'un hétérozygote pour des mutations dans les gènes homéotiques, on a pu observer des recombinaisons homologues qui font que les tissus traités aux rayons X présentent parfois des territoires de cellules homozygotes alors que le reste de la larve est hétérozygote.

Conclusion intermédiaire
Le développement post-embryonnaire fait appel à des interactions extrêmement diversifiées entre populations très nombreuses et la génétique moléculaire devient un outil fort délicat à manier. Son utilisation sur des populations imaginales déterminées dans la larve (disques imaginaux) permet de retrouver le même contexte expérimental si cher aux généticiens moléculaires que celui de l'embryon dans ses enveloppes : dans une population engagée dans une progression autonome (déterminée), on observe l'activation séquentielle de très nombreux gènes que l'on peut étudier grâce à des mutations. La cascade des interactions supposée gouverner la morphogenèse de l'imago ne se trouve certainement pas exprimée dans cette population déjà déterminée mais c'est l'ensemble de l'animal qu'une théorie du développement post-embryonnaire doit prendre en compte, ce qu'est bien incapable de faire une théorie d'un plan d'organisation génétiquement déterminé et séquentiellement exprimé. La théorie de Rosine Chandebois qui tient compte du rôle des hormones me paraît autrement mieux armée pour répondre à ces questions.

Le système individu dans la théorie de Rosine Chandebois

L'embryon qui pouvait aisément être regardé comme un ensemble de populations en interaction dynamique mais relativement indépendantes, est devenu maintenant une larve qui est un individu autrement plus complexe et surtout coordonné. C'est pour cela que j'ai essayé de détailler un peu la vie de la larve ci-dessus. Pour rendre compte de ce niveau supérieur d'organisation les mêmes mécanismes sont sans aucun doute nécessaires mais sont-ils suffisants ?
Rosine Chandebois affirme (RC, p 52): « Parce qu'elle est la conséquence de la progression de la différenciation tissulaire qui morcelle l'embryon en territoires de plus en plus spécialisés, la reproduction de l'architecture de l'adulte commence par les grands volumes et s'achève par les détails. Chacune des déterminations qui se succèdent dans la génèse d'un tissu entrâine obligatoirement un réajustement d'ensemble d'une population de cellules. Chaque détermination provoquant la ségrégation d'une population, chaque nouvelle ébauche emporte une partie de l'organisation créée lors du réajustement précédent, conservée par la mémoire individuelle et collective des cellules et compliquée par l'émergence de nouveaux traits qui interfèrent avec elle. Ainsi, l'enchaînement des PA entraîne une complication progressive de l'organisation de l'embryon. Les traits qui émergent au cours de cette succession de réajustements concernent des populations de plus en plus restreintes et revêtent ainsi de moins en moins d'importance. Chaque réajustement complique l'environnement des populations voisines, et en conséquence, les modalités de leurs réajustements respectifs, de telle sorte que les interactions cellulaires deviennent de plus en plus inextricables.» Là encore le modèle de la drosophile est particulièrement peu propice à la compréhension du développement étant donné la cohabitation des populations larvaires et imaginales chez l'asticot.
Le rôle des hormones est ici majeur:
« Le rôle des hormones dans l'achèvement du développement (p53)
Dans plusieurs lignées cellulaires, la différenciation terminale installe une fonction endocrine. Les hormones apparaissent dans le sang circulant. Leurs concentrations respectives augmentent, puis se stabilisent déclinent éventuellement, selon des chronologies différentes. Ainsi, pendant tout le déve loppement, la CONJONCTURE HUMORALE est constamment modifiée.
Un tissu donné réagit à une hormone donnée lorsque la concentration de celle- ci dépasse une certaine valeur ou SEUIL RÉACTIONNEL. Chaque tissu réagit en fonction de son identité, ce qui entraîne auto matiquement de nouveaux réajustements. C'est pourquoi l'installation de la fonction endocrine joue un rôle capital dans l'achèvement du développement.
La mise en circulation des hormones a pour effet de modifier les activités spécifiques des tissus et ainsi de compliquer l'organisation acquise. En conséquence, l'organogenèse se prolonge au delà des limites atteintes par le jeu des inductions embryonnaires.
Chaque tissu de l'organisme acquiert à un certain stade une compétence particulière et répond ainsi à l'apparition d'une hormone d'une façon particulière. On distingue quatre types de réactions :
- la RELANCE DE LA P.A., qui se traduit par la reprise du développement dans une ébauche restée à l'état embryonnaire.
- le BLOCAGE DE LA P.A., qui maintient une ébauche à l'état indifférencié (ou non fonctionnel), et dont les effets peuvent, à la longue, devenir irréversibles.
- une MODULATION, c'est-à-dire un changement dans la composition des substances spécifiques élaborées par un tissu déjà fonctionnel.
- la CYTOLYSE provoquée par la production accrue d'enzymes lytiques.
Dans certains cas, un tissu réagit seulement à la transformation d'un tissu voisin déterminée par une hormone à laquelle il est lui-même insensible. De ce fait, la libération d'une hormone peut provoquer de nouvelles inductions qui parachèvent le morcellement de l'embryon et font apparaître de nouveaux organes.
Lorsque les compétences des tissus sont épuisées, en chacun d'eux les modifications de la conjoncture humorale se répercutent seulement sur les " valeurs" des cellules, et donc sur leur activité mitotique. La croissance différentielle - dont le rôle fut éclipsé au cours de l'organogenèse par " importance des réagencements cellulaires - est maintenant seule à l'oeuvre. Ainsi, elle modifie et révèle les structures en gradient invisibles.
» Mme Chandebois applique sa théorie à l'étude de la métamorphose des amphibiens (RC, p 56) mais ces lignes s'appliquent aussi fort bien au développement post-embryonnaire des insectes.
La conclusion du chapitre est la suivante (RC, p 66):
« Le système «individu» et l'automatisme de l'ontogenèse
L'individu se présente comme un système cybernétique téléonomique ayant pour fonction de coordonner les contrôles qu'exercent les systèmes " population cellulaire" les uns sur les autres et, par là, leurs activités respectives. Pendant sa période d'autopoïèse ( le développement), le système " individu" harmonise la ségrégation et la structuration des systèmes " population", puis maintient leur organisation une fois qu'il est amorti ( adulte).
Le système " individu" fonctionne à coups de déclenchements qui s'enchaînent automatiquement : les déterminations qui apportent chacune d'infimes modifications dans les activités cellulaires, mais qui, en raison des réajustements, entraînent des complications structurales parfois considérables, programmées jusque dans leurs moindres détails par les événements antérieurs du développement. Ces facultés d'autopoïèse sont considérablement accrues par l'instauration d'une communication à distance : la mise en circulation des hormones qui permet l'utilisation de compétences précédemment acquises.
Des régulations de structures sont possibles à l'échelle du système " individu", mais, chez l'embryon comme chez l'adulte, elles sont restreintes en fonction de la spécialisation des cellules et de la complexité de l'organisation acquise. Si on met à part ces cas particuliers, toute anomalie structurale qui s'introduit dans le système " individu" par suite d'un dysfonctionnement temporaire (génétique ou autre) ou d'une modification topographique provoquée par un acte chirurgical, n'est jamais corrigée. Ou bien l'enchaînement automatique des interactions dans le système " individu" est interrompu et le développement avorte. Ou bien, il est de plus en plus faussé parce que l'anomalie, conservée par la mémoire collective des cellules, fausse le fonctionnement des systèmes " population cellulaire" engendrés par la ségrégation du système initialement touché et se répercute sur d'autres.
»

Conclusion empruntée à Mme Chandebois (RC, p 67)
«Les cellules étant vues comme des organismes susceptibles de survivre isolement et douées d'un comportement complexe, le système "individu" apparaît comme une société de progrès, dont les principes de fonctionnement sont tout à fait comparables à ceux des sociétés humaines. Les deux types de systèmes doivent leur pouvoir d'autopoïèse considérable aux capacités des individus qui les constituent : des " personnalités" diversifiables à l'extrême, la communication qui enrichit et entretient une mémoire collective ( sans laquelle un progrès ne peut faire naître de nouvelles compétences), des déplacements de populations qui créent de nouveaux échanges, 1"'invention" de la communication à distance qui bouleverse les structures de la société et qui rendent possibles de nouveaux progrès.»

 

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Les techniques de la génétique du développement

mutation

on sélectionne un mutant dans une population et on s'assure qu'il présente une permanence de sa mutation sur un grand nombre de générations.

en cours de rédaction...

hybridation in situ

avec sonde à ADN

avec sonde à ARN

isolement des gènes

étude des produits

transgenèse

hybrides de cellules mutantes

microchirurgie

échange de cytoplasme dans l'embryon précoce

disques imaginaux

recombinaisons génétiques


*apoptose: voir l'article de Jean CLOS et Yves MULLER dans Biologie-Géologie (Bulletin de l'APBG) n°2-2001, p 307-341: L'apoptose, une mort cellulaire programmée (retour texte); on distingue l'apoptose ( du grec apo = achèvement et ptôsis = la chute, qui désignaient ainsi la chute des feuilles mortes ou des pétales fanées) qui est une mort naturelle au cours de laquelle la cellule participe activement à sa destruction sous le contrôle de signaux externes et la nécrose où la mort de la cellule est accidentelle et passive. On distingue aussi l'aptotose d'autres suicides cellulaires ou morts cellulaires programmées comme l'autophagie (formation d'autophagosomes et condensation de la chromatine) ou la mort cytoplasmique (dilatation de l'enveloppe nucléaire et des organites...) par les phénomènes cytologiques et les conséquences au niveau de l'organisme. En effet lors d'une nécrose la cellule, ou le groupe de cellules habituellement, éclate et provoque une réaction inflammatoire alors que l'apoptose affecte généralement une cellule isolée qui se morcelle en petits corps apoptiques qui sont éliminés par les phagocytes et qui ne provoquent pas de réaction inflammatoire. L'apoptose intervient très couramment dans le développement embryonnaire mais aussi au cours de la vie et touche tous les tissus: système nerveux, système immunitaire... Les mécanismes moléculaires reposent sur les mitochondries qui seraient le régulateur central du mécanisme de l'apoptose par la libération de nombreuses molécules déclenchant ou intervenant dans l'apoptose. Certains auteurs pensent que l'apoptose serait un cycle cellulaire avorté.