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Un document (doc 6,
première question du deuxième volet) du sujet du CRPE
de l'académie de Rennes 1999 (sujet-corrigé-barême
officiel)
La question était:
«Le document 6 présente une séquence
proposée dans le cadre d'activités scientifiques
"découverte du monde au cycle 2". Analysez la démarche
suivie et précisez l'intérêt pédagogique
de chaque étape. Vous évaluerez la pertinence de ce
travail. (Une réponse synthétique d'une page maximum
est demandée).»
Questions pour guider l'analyse dans les deux directions proposées |
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savoir |
Quels sont tout d'abord les notions-concepts-mots de vocabulaire que vous souhaitez que l'on éclaircisse ? |
Quels étaient les objectifs notionnels disciplinaires (et donc du cycle considéré) fixés par le maître ? Ont-ils été atteint ? |
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Quels sont les savoir nécessaires au candidat au concours pour comprendre les questions du maître et en fait, les objectifs du concepteur du sujet ? |
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didactique |
En face du corrigé, quelles sont tout d'abord les éléments que vous auriez su trouver et ceux que vous n'auriez pas su trouver ? |
Y a-t-il dans le vocabulaire employé des mots que vous souhaitez que l'on définisse ? (Êtes -vous capable de tous les définir ?) |
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Quelles sont les critères d'évaluation de la pertinence d'une séquence de SVT ? |
|
Êtes-vous sûr de la qualité de l'apprentissage de la démarche expérimentale par les élèves ? |
|
Oseriez-vous proposer une autre séquence qui vous corresponde mieux ? Laquelle ? |
C'est un problème de niveau de formulation, d'où la
progression sur la
reproduction des animaux et des végétaux que je vous
propose (il est bien clair que cela relève de ma vision
personnelle du programme).
Quand au secret je le trouve bien pauvre... si l'on a comme objectif
de faire retenir à l'enfant que chez les Composées on a
des inflorescences et non des fleurs simples... le terme de
bouquet de fleur n'est pas mieux que fleur. J'aurais
préféré fleur, fruit et
graine....tous ces termes peuvent être acquis en cycle
1....Ainsi ni le maître, ni les élèves n'ont ici
eu de véritable démarche scientifique. Le maître
a essayé de faire "redécouvrir" le plus habilement
possible la notion de graine, qui n'apparaît pas dans
les termes du sujet... ce qui est compréhensible à un
plus haut niveau : puisqu'effectivement nous avons chez le pissenlit
un fruit-graine ou akène, ce qui oblige à
utiliser un terme moyen : semence, mais personnellement
je pense que cette distinction est bien pharisaïque. Il est bien
plus important que l'enfant acquiert une notion de fruit contenant
les graines, même si les différentes enveloppes en sont
soudées. Cette distinction est du même ordre que fleur
et inflorescence....faisons simple.
Texte de Claudette Balpe sur les hypothèses émises
par les enfants. (Claudette Balpe est maître de
conférence à l'iufm d'Aquitaine en didactique des
sciences et ancienne formatrice en sciences physique à
l'iufm). Ce texte est consultable sur le site internet de
Stéphane Respaud, professeur des écoles: (http://perso.club-internet.fr/srespaud/didacsciences.htm)
« Le terme d'hypothèse est en ce moment
galvaudé pour faire chic. Un enfant de moins de 8
ans n'est pas en mesure d'émettre des hypothèses
scientifiques (au sens épistémologique du
terme : affirmation émise avant sa mise à
l'épreuve expérimentale.
Une hypothèse s'applique généralement à
la recherche d'une causalité
. Ex : plus il fait chaud, plus l'évaporation est rapide).Dans
le cas de vos enfants (et de tous ceux qui ne sont pas en CM), ils
prévoient, ils supposent, ....et leur prévision est de
l'ordre de : oui, ce que je prévois va se produire...ou bien,
je suis sûr que c'est telle chose qui est en cause (ex : c'est
petit..alors, ça flotte.... quand c'est gros, ça
coule...) Ce ne sont pas des hypothèses mais de simples
prévisions ou suppositions.
Car l'hypothèse s'insère dans la VRAIE
DÉMARCHE EXPÉRIMENTALE. »
Dans la première étape l'hypothèse semble
être émise par les élèves : "Elles (les
fleurs jaunes") doivent faner et tomber" mais je serais
porté à croire que c'est le maître qui, en posant
la question "Et les fleurs jaunes, que donnent-elles ?"
, a plus ou moins suggéré cette hypothèse.
Dans la deuxième étape on ne sait pas qui émet
l'hypothèse : "Si les parachutes touchent le sol, ils
doivent donner des petits pissenlits" mais ce qui est plus
gênant c'est que dans les deux cas CE NE SONT PAS VRAIMENT DES
HYPOTHÈSES. Une hypothèse n'est pas une
prévision (si je fais cela, il va se passer cela). Dans la
méthode scientifique il faut proposer une explication, une
CAUSE, sinon il n'y a pas de compréhension du
phénomène observé. Par exemple il faut dire
"les boules blanches sont des fruits qui
contiennent des graines qui peuvent germer et
donner un nouveau plant de pissenlit". La notion de graine n'est
pas issue artificiellement de "l'expérience" qui n'en est pas
une (une culture) mais bien présente dans l'esprit du
maître (brusquement il change le terme de parachute en
semence), de l'examinateur (puisque ces pages ont pour
but premier de vous préparer à un concours) et
probablement de nombre d'élèves (fin de cycle 2...).
Il nous faut donc approfondir la notion de démarche expérimentale.
Une séquence proposée sur le site internet de "La main à la pâte". consultable à l'adresse : http://www.inrp.fr/lamap/activités/invertébrés/chenilles.htm
Questions pour guider l'analyse |
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savoir |
Quels étaient les objectifs notionnels disciplinaires (et donc du cycle considéré) fixés par le maître. Ont-ils été atteint ? |
didactique |
Peut-on réellement parler de d'initiation à la démarche expérimentale et dans quelles limites ? |
Peut-on assimiler suppositions et hypothèses ? |
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Quel est l'intérêt de prendre en compte les difficultés des enfants ? Doit-on forcément les voir comme des obstacles liés à leurs représentations ? |
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Activités : |
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Document de travail |
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Cycle 2 |
Proposition de Jean-Pierre Chevalier |
Enseignant |
CHEVALIERJp@district-parthenay.fr |
École La Touche |
2 rue des écoles |
79350 Amailloux |
Publication : 1997 |
Mise en ligne : mai 1998 |
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Résumé : mode de vie des chenilles. |
De nombreuses chenilles pullulent dans le jardin de l'école, dans les haies, ainsi que dans les champs et les jardins environnants. Les enfants ont quelques connaissances ou représentations livresques ou "encyclopédiques" sur les chenilles, pas toujours vraies. A partir de l'observation de ces chenilles, la question s'est posée de comprendre un peu mieux comment elles vivent, de quoi elles ont besoin pour se nourrir, comment elles se déplacent, et ce qu'elles deviennent Notions
scientifiques pour l'enseignant Termes
scientifiques Objectifs Durée
Démarche pédagogique Situation déclenchante Mot du
maître Organisation de la
classe Évaluation Documents
utilisés Prolongements de
l'activité D'autre part,
à partir de leurs lectures et de leurs observations,
les enfants ont réalisé une carte
d'identité des chenilles (du moins Enfin, il fut demandé aux enfants de représenter une chenille au début de la période d'observation, ainsi qu'à la fin; le croquis de la fin montrait une chenille correspondant plus à la réalité que le croquis du début de la période d'observation qui relevait plus de la restitution de savoirs "savants" appris dans des livres ou vus à la télévision. |
Commentaires personnels |
Les objectifs de la séquence sont clairement affichés: réaliser des observations et acquérir des connaissances et ne relèvent pas de la méthode scientifique en tant que telle. L'objectif "émettre des suppositions" est une autre formulation pour faire des hypothèses qui sont des questions ("pourquoi" , "comment", "est-ce que") alors qu'une hypothèse scientifique doit être une AFFIRMATION. On est bien dans le cadre d'une OBSERVATION de la nature et non d'une démarche scientifique au sens strict. De même les "expériences" sont des observations puisqu'elles reposent sur un élevage. |
Cependant de nombreuses "mini-démarches" scientifiques ont certainement été occasionnées par ce travail : en voici une parmi d'autres : lorsque la question s'est posée (problème) de savoir quel type de mode de locomotion avait telle ou telle chenille, des hypothèses, même non formulées, ont certainement été émises (reptation, marche, glissement...) et l'observation a servi d'expérience et en a réellement eu le statut. De même pour le régime alimentaire ou les mues ou encore l'observations de cocons. |
Cet élevage a donc été l'occasion de nombreuses démarches, réellement scientifiques, mais dont les étapes n'ont pas besoin d'être formulées. |
Vous pouvez aussi consulter le travail qui a été fait en formation continue avec les IMF bien que celui-ci n'ai pas été mis en forme de façon définitive.
Commentaire personnel sur
l'expérimentation dans la séquence sur le
pissenlit
Peut-on imaginer une véritable démarche scientifique
avec les élèves sur la reproduction du pissenlit ?
Oui, si c'est vraiment l'enfant qui, seul, propose de mettre à
germer ce qu'il pense être des graines.
Finalement, lors de la séquence ci-dessus, la démarche
scientifique ne dépasse pas un niveau très
élémentaire et comme il est difficile (et
peut-être pas souhaitable) d'avoir une pédagogie non
directive, n'aurait-il pas été tout aussi profitable de
travailler d'abord le concept de graine sans prétendre le
faire redécouvrir ? On aurait aussi pu insister sur le mode de
transport des graines en observant à la loupe ces graines ou
en les pesant...Nous discuterons de cet aspect pédagogique
ailleurs mais il est à mon avis très artificiel de
prétendre juger de la qualité pédagogique d'une
séquence située hors du projet de classe, sans
connaître le genre d'élèves, la situation de
l'école, la démarche du maître.... Cette
séquence n'est certes pas "scientifique" (au sens le plus
strict) mais elle a de nombreuses autres qualités.
Pour alimenter votre réflexion voici un autre texte de Claudette Balpe sur la différence entre manipuler et expérimenter. (Claudette Balpe est maître de conférence à l'iufm d'Aquitaine en didactique des sciences et ancienne formatrice en sciences physique à l'iufm). Ce texte est consultable sur le site internet de Stéphane Respaud, professeur des écoles: (http://perso.club-internet.fr/srespaud/didacsciences.htm)
« DIFFÉRENCE ENTRE MANIPULER ET EXPÉRIMENTER
UN EXEMPLE AVEC LA MISE EN ÉVIDENCE DE L'EXISTENCE DE L'AIR (cycle 2)
Cet échange a eu lieu sur la liste de discussion de La
Main à la Pâte ( http://www.inrp.fr/lamap/ )
Nathalie C. a écrit :
Bonjour. L'existence de l'air est explicitement dans les programmes
du cycle 2 Dans ma classe (GS-CP), nous avons regardé ce qui
se passait sur quelques objets .... avec un sèche-cheveux pour
fabriquer du vent. Ceci associé à une observation sur
la direction du vent rendue ainsi visible. Puis je leur ai
demandé comment faire pour voir l'air ? Un enfant m'a dit
aussi quand on souffle sur sa main, on le sent l'air .
Le commentaire de Claudette Balpe :
C'est ici que se pose le problème pour les enfants ils
considèrent généralement (cf les nombreux
stagiaires qui ont testé cette progression dans les classes et
en ont rendu compte) que l'air existe seulement en tant que VENT .
Lorsqu'on les laisse parler, ou qu'on leur pose des questions comme
qui a-t-il dans ce sachet de plastique transparent ???? --> leur
réponse est : RIEN.
D'où un premier travail par une situation convenablement choisie: que se passe-t-il si on ferme l'ouverture du sachet et qu'on ratatine le sachet de plastique transparent ? Prévision rien, il se ratatine or, quand on le fait il apparaît une sorte de bulle dans le sac, quelque chose qui résiste . D'où la question ? qu'est-ce ce quelque chose ???
On est là dans une véritable exploration par
essai - manipulation où l'enfant devient celui qui pose les
questions et qui propose des solutions ce faisant, il construit peu
à peu son savoir par l'aller-et retour du questionnement
logique (pensée abstraite) et de l'expérimentation
(action concrète qui interroge la nature).
Le maître aide à l'émergence des réponses
et de propositions.
Un véritable problème (contradiction) prend ainsi naissance . s'il n'y a rien dans le sachet comment expliquer qu'il reste une "bulle" ? Ou bien, nous remettons en cause notre prévision (i1 n'y a rien) en essayant de cerner cette chose qui résiste, ou bien cette bulle n'existe pas ce que nous ne pouvons admettre. Faisons sortir "la chose emprisonnée" par un petit trou (perçons le sachet) aussitôt, l'impression de vent sur la joue que l'on approche (cf. l'enfant qui souffle sur sa main), permet de relier à nos conceptions antérieures quand ça sort, c'est du vent. Avant, c'est quelque chose qui existe, qui peut faire du vent c'est de l'air. On peut recommencer en demandant comment retrouver le petit trou ? (l'allusion au trou dans un matelas ou bateau pneumatique est aussitôt activée : l'utilisation de l'eau est appelée, ET LA PRÉSENCE DE BULLE devient significative elle montre la présence d'air) .
C'est alors, seulement, le moment de proposer : comment savoir s'il y a de l'air dans ... UN verre, une seringue ...etc. Les enfant vérifient alors que, oui, il y a de l'air PARTOUT dans la classe, sans qu'il y ait du vent . Leur maninulation APPORTE ainsi UNE RÉPONSE : L'ENFANT A FAIT UNE EXPÉRIENCE .
Cette démarche suit bien une véritable investigation par questionnement.
Alors que la démarche qui était proposée est simplement de corroborer des suggestions : si on faisait des bulles ... oui, faisons des bulles ... d'où notre interrogation : Où Est LA "QUESTION -LEVIER" QUE L'ON DOIT TRANCHER ? Qu'est-ce que ça prouve à l'enfant le fait de faire des bulles ?
Je pose ici la question du SENS DES MANIPULATIONS proposées ce ne sont pas des expériences car l'enfant n'interroge pas la nature puisqu'il ne pose pas de question ; il agit avec les mains, il MANIPULE seulement .
C'est souvent le SENS scientifique des actions qui fait
défaut dans les manipulations, lesquelles se réduisent
à du savoir-faire pratique. C'est une grosse difficulté
pour le maître, j'en suis bien consciente, que de mettre en
évidence les questions directrices de l'activité de
l'enfant. Faire simplement agir est certes plus immédiat, mais
ne répond pas à la construction d'un savoir
scientifique.
Cette réflexion ainsi lancée a pour seul objectif de
sensibiliser à la difficile question de la différence
entre manipuler et expérimenter. »
Si l'on se réfère au dictionnaire (Petit Robert, 1984), le terme de science a une longue histoire et vient du latin: scientia, ayant pour racine le verbe scire: savoir. Depuis le XVème siècle le terme de science désigne aussi la pratique d'un art ou d'une technique (la science de la guerre par exemple). D'une manière très générale, une science est un ensemble de connaissances ayant un objet déterminé et une méthode propre.
Que sont la biologie et la géologie ?
* de par leur objet elles font
partie des sciences de la nature ou sciences
naturelles, on dit encore sciences de la vie et de la
terre. Leur objet est à la fois le vivant et le non vivant
mais en tant qu'élément de la nature. On tend
actuellement cependant à séparer les champs
disciplinaires et les sciences de la nature non vivante sont
scindées en géologie, géochimie, astrophysique
et d'une façon plus générale sont
essentiellement du domaine de la physique (on doit classiquement
inclure la chimie dans les sciences physiques)... Bref, toutes ces
délimitations ne sont pas définitives et on assiste
certainement en ce début de siècle à une
redéfinition des champs disciplinaires.
* de par leur méthode ce
sont des sciences expérimentales : elles utilisent la
démarche expérimentale (ou méthode
expérimentale). En tant que réaliste, je soutiens
fermement l'idée que cette démarche est unique
et a été explicitée par les philosophes
grecs dont Aristote est le chef de file, pour la première
fois, du moins pour les traces écrites que l'on en a. Le
deuxième philosophe qui a le plus clairement mis en
évidence les principes de la méthode
expérimentale et que l'histoire a retenu est Saint Thomas
d'Aquin, car c'est lui qui a développé le
réalisme ontologique (fondé sur l'être)
après les grands philosophes grecs. Enfin, la méthode
expérimentale est devenue un incontournable au XIXème
siècle avec des expérimentateurs extraordinaires comme
Claude Bernard, dont personne ne peut ignorer l'ouvrage
"Introduction à la méthode
expérimentale", si souvent cité, à tort,
comme ouvrage fondateur de la méthode.
Les contestations innombrables de l'unicité de cette
méthode dépendent essentiellement de théories de
la connaissance modernes (voir dans la page
suivante quelques données épistémologiques).
Dans votre programme de formation deux points apparaissent dans ce
chapitre : "la construction et la transmission du savoir
scientifique" et "des conceptions initiales
(représentations premières) aux concepts
scientifiques". Ces intitulés font clairement
référence à une théorie de la
connaissance dérivée d'une épistémologie
de type idéaliste dont nous parlerons au chapitre suivant.
Je vous renvoie d'une part à un tableau de l'histoire
des sciences, très incomplet, mais qui pourrait permettre
de placer dans le temps quelques grands noms et quelques grandes
étapes de l'histoire de la pensée scientifique, et
d'autre part à un texte de Georges Canguilhem dans "La
connaissance de la vie" dont voici un extrait significatif
à mon avis:
Il est d'usage, après Bergson, de tenir l'Introduction à l'Étude de la Médecine expérimentale (1865) comme l'équivalent, dans les sciences de la vie, du Discours de la Méthode (1637) dans les sciences abstraites de la matière . Et c'est aussi une pratique scolaire assez répandue que d'utiliser l'Introduction comme on utilise le Discours à seule fin de paraphrase, de résumé, de commentaire verbal, sans se donner la peine de réinsérer l'un ou l'autre dans l'histoire de la biologie ou des mathématiques, sans chercher à mettre en correspondance le langage du savant honnête homme, s'adressant à d'honnêtes gens, et la pratique effectivement suivie par le savant spécialiste dans la recherche des constantes d'une fonction physiologique ou dans la mise en équation d'un problème de lieu géométrique. Dans ces conditions, l'Introduction parait codifier simplement, tout comme selon M. Bachelard le Discours, « la politesse de l'esprit scientifique.., les habitudes évidentes de l'homme de bonne compagnie ». C'est ce que notait Bergson : « Quand Claude Bernard décrit cette méthode, quand il en donne des exemples, quand il rappelle les applications qu'il en a faites, tout ce qu'il expose nous paraît si simple et si naturel qu'à peine était-il besoin, semble-t-il, de le dire : nous croyons l'avoir toujours su . » A vrai dire, la pratique scolaire veut aussi que l'Introduction soit presque toujours réduite à la première partie, c'est-à-dire à une somme de généralités, sinon de banalités, en cours dans les laboratoires, ces salons du monde scientifique, et concernant aussi bien les sciences physico-chimiques que les sciences biologiques, alors qu'en fait ce sont la seconde et la troisième partie qui contiennent la charte de l'expérimentation en biologie. Enfin et surtout, faute de choisir expressément, pour apprécier la signification et la portée spécifique du discours méthodologique de Claude Bernard, des exemples d'expérimentation proprement heuristique*, des exemples d'opérations exactement contemporaines du seul savoir authentique, qui est une rectification de l'erreur, on en vient, pour n'utiliser que des exemples d'expérimentation de portée didactique, consignés dans les manuels d'enseignement, à altérer involontairement mais profondément le sens et la valeur de cette entreprise pleine de risques et de périls qu'est l'expérimentation en biologie. Soit un exemple. Dans une leçon sur la contraction musculaire, on définira la contraction comme une modification de la forme du muscle sans variation de volume et au besoin on l'établira par expérimentation, selon une technique dont tout manuel scolaire reproduit le schéma illustré : un muscle isolé, placé dans un bocal rempli d'eau, se contracte sous excitation électrique, sans variation du niveau du liquide. Où sera heureux d'avoir établi un fait. Or, c'est un fait épistémologique** qu'un fait expérimental ainsi enseigné n'a aucun sens biologique. C'est ainsi et c'est ainsi. Mais si l'on remonte au premier biologiste qui a eu l'idée d'une expérience de cette sorte, c'est-à-dire à Swammerdam (1637-1680), ce sens apparaît aussitôt. Il a voulu établir, contre les théories d'alors concernant la contraction musculaire, que dans ce phénomène le muscle n'est augmenté d'aucune substance. Et à l'origine de ces théories qui toutes supposaient une structure tubulaire ou poreuse du nerf, par la voie duquel quelque fluide, esprit ou liquide, parviendrait au muscle, on trouve une expérience qui remonte à Galien (131-200), un fait expérimental qui traverse, invariable jusqu'à nos jours, des siècles de recherches sur la fonction neuro-musculaire : la ligature d'un nerf paralyse le muscle qu'il innerve. Voilà un geste expérimental à la fois élémentaire et complet ; toutes choses égales d'ailleurs, le déterminisme d'un conditionnement est désigné par la présence ou l'absence, intentionnellement obtenues, d'un artifice dont l'application suppose d'une part la connaissance empirique, assez neuve au temps de Galien, que les nerfs, la moelle et l'encéphale forment un conduit unique dont la cavité retient l'attention plus que la paroi, et d'autre part une théorie psychologique, c'est-à-dire métaphysique, selon laquelle le commandement des mouvements de l'animal siège dans le cerveau. C'est la théorie stoïcienne de l'hégémonikon qui sensibilise Galien à l'observation que peut faire tout sacrificateur d'animaux ou tout chirurgien, qui l'induit à instituer l'expérience de la ligature, à en tirer l'explication de la contraction tonique et clonique par le transport du pneuma. Bref, nous voyons surgir notre modeste et sèche expérience de travaux pratiques sur un fond permanent de signification biologique, puisqu'il ne s'agit de rien de moins, sous le nom sans doute un peu trop abstrait de « vie de relation », que des problèmes de posture et de locomotion que pose à un organisme animal sa vie de tous les jours, paisible ou dangereuse, confiante ou menacée, dans son environnement usuel ou perturbé. |
*heuristique :(du grec heuriskein
= trouver) adj. qui sert à la
découverte ; n. f. partie de la science qui a
pour objet la découverte des faits. Méthode
heuristique : qui consiste à faire
découvrir à l'élève ce qu'on
veut lui enseigner. |
Remarques: |
Remarque:
La science (au singulier) est un terme qui désigne couramment
les sciences expérimentales. Par exemple quand on parle "des
progrès de la science..." ou "des scientifiques... (par
opposition aux littéraires)", on pense aux sciences
expérimentales. Parfois certains parlent de sciences exactes
par opposition aux sciences spéculatives ou pratiques. Enfin
tout dernièrement il est de bon ton de parler de sciences
molles (dans lesquelles il y a une incertitude, un
aléatoire non mesurable, imprévisible...
essentiellement les sciences humaines et les sciences de la
vie...mais aussi le politique ou l'économique, dans une
acception du mot science la plus large possible) et de sciences
dures (les sciences "exactes", pour lesquelles le modèle
décrit très fidèlement la réalité
: essentiellement les mathématiques mais aussi certains
domaines des sciences physiques....) . Derrière ces termes se
cachent plus ou moins des options philosophiques diverses.
Elle se déroule en 4 temps:
Remarques :
* L'épistémologie moderne (voir texte
de Canguilhem ci-dessus et surtout le chapitre
suivant) a mis en évidence que les hypothèses et
les problèmes ne sont énoncés que dans le
cadre de théories conceptuelles préexistantes.
Cette vision n'empêche absolument pas une mise en uvre
d'une démarche scientifique certaine dans l'ordre de la
raison, comme le pensent les réalistes. Tout autre, à
mon avis est l'affirmation selon laquelle, étant donné
que l'hypothèse est émise dans le cadre subjectif de la
raison, le résultat du jugement reste aussi dans le cadre
subjectif de cette raison individuelle. Je pense que ce
subjectivisme ("philosophie qui ramène l'existence de
toute chose à celle du sujet pensant", E.U.) est
erroné. Pour moi, le jugement scientifique, toujours dans le
cadre de la théorie, est vrai, scientifiquement, car il nous
permet de connaître la réalité, extérieure
à nous, expérimentable par tous dans des conditions
définies.
* On utilise beaucoup actuellement le terme de modèle,
mais je crois que ce concept recouvre bien la notion de
théorie. Et si beaucoup de modèles sont
mathématiques (par exemple un modèle permettant une
simulation climatique sur ordinateur et conduisant à des
prévisions météorologiques... dans la mesure de
la validité du modèle utilisé), d'autres
modèles peuvent simplement être historiques ou
artistiques (pour modéliser la notion de squelette
interne-externe on peut faire référence à
l'armure des chevaliers, aux tiges de métal
insérées dans la mousse de certaines figurines que l'on
peut déformer à loisir, ou encore aux planches plus ou
moins articulées que l'enfant peut s'attacher le long des bras
pour visualiser l'importance des articulations...). Il est certain
que le professeur des écoles utilise de nombreux
modèles pour illustrer, faire des comparaisons, provoquer une
"situation déclenchante"....
* On notera que les théories scientifiques ou les
modèles, même les plus enracinés dans les
esprits, et considérés dès lors comme des
évidences, sont toujours susceptibles d'être
invalidés par une seule et unique expérience
contradictoire. C'est la modestie du scientifique: se
soumettre au réel, à l'expérience.
Et si l'appréhension du réel ne fait pas
l'unanimité car de nombreuses philosophies se disputent son
interprétation, on retrouve ce terme de modestie, et
même celui d'humilité (qui fait
référence cette fois à une vertu surnaturelle
chrétienne, comme l'orgueil fait référence
à un péché, le plus "grand" de tous, dans la
morale chrétienne), de façon constante, comme par
exemple dans les pages fondatrices de l'expérience
pédagogique "La main à la pâte" (Flammarion,
1996), par exemple p 50 ou p 111.
* Un dernier point, plus important dans le secondaire que dans le primaire, mérite d'être cité : si la méthode expérimentale nous permet d'explorer la nature (nous sommes des naturalistes), le temps nous manque et nous sommes amenés à utiliser les résultats d'autres expérimentateurs: la démarche expérimentale se transforme alors en analyse. L'analyse expérimentale est une interprétation critique d'une expérience réalisée selon la méthode expérimentale. Paradoxalement, c'est ce que vous serez amenés à faire en tant qu'étudiants pour préparer vos séquences de classe et apprendre votre métier, même si vous n'aurez pas à faire ce travail avec les enfants.
La question de savoir à partir de quel âge une véritable démarche scientifique peut être réalisée par un enfant sans l'aide d'un adulte reste posée.
Dans une classe primaire, la démarche la plus courante est celle qui part de l'observation (même si elle n'est pas réalisée en classe, et je précise qu'il s'agit ici d'une véritable démarche investigatrice - voir ci-dessus et le texte de Pierre Kahn qui rétablit notamment la vérité historique: la démarche d'observation pour les matières d'éveil était, historiquement, tout le contraire d'une démarche passive; même s'il affirme que l'observation n'est pas première, ce qui est acceptable, même pour un réaliste : voir ci-dessus), débouche sur des questions (problèmes) et va jusqu'aux hypothèses. Mais c'est bien la phase suivante expérimentale qui n'est pas conforme à la méthode expérimentale. Les expériences-observations réalisées n'ont pas toujours d'hypothèse clairement exprimée, les hypothèses sont souvent implicites et multiples, les conditions de l'expérience ne sont pas assez bien définies, le témoin est oublié.... etc. Quand aux jugements, étant donné les imprécisions des hypothèses, ils ne peuvent pas non plus être clairement exprimés.
En fait il faut séparer l'apprentissage de la démarche, la confrontation avec la nature: ce que l'on pourrait appeler la pédagogie scientifique, d'avec l'acquisition de connaissances scientifiques. Ce que l'on fait avec les enfants n'est pas l'acquisition de nouvelles connaissances scientifiques, c'est une pédagogie des sciences expérimentales. Leur faire croire, et pire, croire soi-même, que l'on reproduit réellement les conditions d'acquisition de connaissances vraies, scientifiques, confortées par le réel, soumises à l'expérience, reproductibles, est trop ambitieux et trompeur. En fin de compte, l'enfant acquiert-il des connaissances scientifiques à l'aide de cette démarche ? Je ne le pense pas. Il me paraît illusoire de croire que l'enfant acquiert à l'école primaire des connaissances scientifiques par la démarche expérimentale.
Les ébauches de démarche scientifique sont
faciles à mettre en uvre et toujours attrayantes pour
les enfants. Même si la formulation n'est pas complète
il est sans aucun doute extrêmement profitable de confronter
l'enfant à la nature, de le guider dans la mise en forme de
ses questions, dans la formulation de ses hypothèses, de lui
apprendre à observer, à admirer et à
respecter.
Du point de vue didactique, lorsqu'un enfant pose une question du
type "Que mange cette chenille ?" ou "Est-ce que ce petit grain noir
est une graine ?" il n'a pas une démarche scientifique
complète mais son interrogation est excellente,
s'étonner n'est-ce pas le début de l'apprentissage de
la sagesse ?
On pourrait donc résumer cette attitude par deux erreurs
à éviter :
* pour l'enseignant, confondre une simple observation (ou
manipulation induite par le maître, voir plus haut) avec une
expérience (dans le sens le plus rigoureux)
mais il n'y a à mon avis aucun
inconvénient à employer ce vocabulaire avec les
enfants par contre c'est plus gênant dans une copie
de concours
* présenter la démarche scientifique comme des
solutions proposées en réponse à des
problèmes (idéalisme) mais bien dans la
vérification d'hypothèses qui sont des
affirmations. A ce sujet vous pouvez consulter quelques
remarques personnelles sur l'expérience pédagogique de
"la main à la pâte". Mais
nous aurons bien d'autres occasions d'y revenir.
Tant que l'on ne prétend pas avoir des démarches trop complexes (faire découvrir la notion de graine me semble illusoire par contre l'illustrer est indispensable pour aider l'enfant à mettre en place le concept) et atteindre des objectifs trop élevés (toute connaissance, même scientifique, n'est pas le résultat d'un apprentissage de l'enfant par la méthode expérimentale : apprendre peut être basé sur une relation de confiance envers l'enseignant, ce qui est une de ses grandes responsabilités), les sciences de la nature sont un champ disciplinaire ouvert, formateur, convivial... bref le domaine idéal.
Je suis assez tenté de croire que ce qui manque à
votre formation seraient des cours de philosophie
(générale et pas uniquement de
l'épistémologie et pas uniquement encore une
épistémologie idéaliste) plutôt que de la
psychologie seule. (Si vous voulez creuser un peu ces notions
n'hésitez pas à consulter l'Encyclopédie
Universalis qui est une mine notamment aux article réalisme,
métaphysique, méthode.... utilisez le moteur de
recherche du CDROM, il est extrêmement performant).
Par contre il est certainement indispensable que l'on se mette
d'accord sur la méthode scientifique qui doit être
une, même si l'interprétation de la
réalité des résultats obtenus dépendra de
la philosophie de chacun. A ce propos, je n'utilise pas le sigle
d'OHERIC proposé récemment , et dont on vous parlera
peut-être, car je pense qu'il résulte d'une
mystification de gens qui n'ont pas compris les enjeux philosophiques
du discours qui l'accompagne, à moins qu'ils ne s'en fassent
les hérauts involontaires. Je vous renvoie à la
méthode expérimentale présentée plus haut
dans cette page, dont l'origine remonte au moins aux philosophes
grecs. Certains philosophes, en se basant sur leur propre vision de
la réalité, tentent de proposer d'autres
méthodes permettant d'accéder à des
connaissances scientifiques. Changer de méthode modifie de
façon certaine le type de connaissance accessible. Ces essais
n'ont donc pas leur place à mon avis dans un enseignement
scientifique de base. On ne peut pas faire de science
expérimentale sans utiliser la méthode
expérimentale et celle-ci ne dépend pas de telle ou
telle philosophie. C'est une forme de connaissance qui forme un tout.
Changer de méthode rend incohérent les nouveaux savoirs
avec les savoirs obtenus par la méthode expérimentale.
L'interprétation que chaque scientifique fait des
résultats obtenus par la méthode (les faits
expérimentaux) dépend ensuite de sa philosophie
personnelle.
Il est bien certain que la méthode expérimentale n'est
pas la seule que vous allez appliquer pour augmenter vos
connaissances. Votre métier pluridisciplinaire et
évolutif nécessitera de vous familiariser avec bien
d'autres types de démarches que la démarche
scientifique. Il serait regrettable de vous faire croire que les
scientifiques ne sont même pas d'accord entre eux en ce qui
concerne leur méthode. C'est faux. Je me répète
encore mais les scientifiques sont d'accord avec la méthode
pas avec l'interprétation des résultats. Ce sont des
philosophes issus d'autres disciplines qui ont un regard
différent sur la science (notamment les
épistémologistes dont l'objet est justement la
science). Les scientifiques qui réellement font avancer les
connaissances scientifiques utilisent tous la même
démarche. Les épistémologistes ont par contre
bien sûr des visions très différentes de la
science (comme les scientifiques sur la philosophie de leurs
résultats).
Vous convaincre d'abandonner l'idéalisme ambiant peut
paraître voué à l'échec et pourtant je
suis certain que c'est la seule voie qui permette de redonner
confiance dans la science. En tout cas il n'est pas souhaitable que
l'éducation nationale se contente d'enseigner
l'idéologie idéaliste dominante. Vous avez le droit de
présenter le réalisme comme fondement de la
connaissance scientifique, même s'il n'est vraiment pas
à la mode. Voici deux textes qui peut vous aider à
réfléchir.
Une histoire de la méthode (Jean Largeault, Encyclopédie Universalis, article "méthode")
« Ce n'est pas un hasard que l'invention et les premiers développements de l'algèbre coïncident avec le renouveau de l'idée de méthode: à l'origine, l'algèbre se présente comme un système de règles opératoires qui prescrivent comment transformer des symboles indépendamment de leur interprétation. Elle possède donc le caractère essentiel d'une méthode, pouvoir s'appliquer à un nombre indéfini de situations formellement semblables. En principe, ses lettres figurent pour des nombres quelconques, mais l'algèbre peut donner l'idée d'une méthode qui porterait sur la combinaison de concepts.
On peut aussi avoir à combiner des faits. Observation et expérimentation existaient dans l'Antiquité: Aristote a pratiqué la première autant que le permettaient les conditions techniques. La méthode dont il donne un exposé canonique («Organon») est une logique de certains types de raisonnement déductif (syllogistique). Lui-même ne l'utilise jamais d'une façon explicite dans ses uvres scientifiques. La logique vient à bon droit au premier rang des méthodes, puisqu'elle est valable quelle que soit la réalité à décrire; seulement, comme nous l'apprenons en même temps que le bon usage de la syntaxe de la langue naturelle, l'application en est ensuite aisée et inconsciente. «Elle ne détermine pas l'intelligibilité que présentent les choses réelles» (E. Boutroux), et ses règles sont dépourvues d'intérêt. Des astronomes anciens ont manié l'induction sans se préoccuper de ses règles éventuelles, et de toute façon, en science comme dans la vie pratique, l'induction, en tant qu'inférence qui va au-delà du donné, est de plus grand usage que la déduction.
L'expérimentation, qu'on appelle aussi l'expérience méthodique, est apparue dans les écoles de médecine d'Alexandrie. À la Renaissance, la création d'une science quantitative du mouvement (la mécanique de Galilée), en liaison avec l'expérience dirigée, est contemporaine d'une effervescence intellectuelle qui se marque par la redécouverte des littératures grecque et latine, les courants mystiques et occultistes (Paracelse), le matérialisme romantique de G. Bruno, la critique des institutions et les utopies politiques (Campanella, T. More)... Dans cette époque d'anarchie intellectuelle, où le besoin d'un ordre est d'autant plus ressenti, François Bacon et Descartes, inquiets d'éviter, pour le nouveau savoir, le sort de la scolastique, désirent le confier à une méthode. Ils sont aussi impressionnés par la masse d'inductions fausses, d'analogies fourvoyantes, d'explications verbales, qu'on trouve dans les scolastiques et jusque dans Aristote. Comment reconnaître le vrai du faux? Qu'une bonne méthode devrait protéger des risques d'erreur et sinon procurer la certitude absolue, du moins exclure les illusions les plus grossières. Qu'une science n'est pas seulement un assemblage de découvertes disparates &endash; elle doit être un moyen de découvrir. Jusqu'alors, les découvertes, pensent-ils, ont résulté du hasard et de l'empirisme, lesquels composent «l'expérience vague». Que le but de l'homme est le pouvoir sur la nature; pouvoir et savoir ne font qu'un, ou plutôt le second est l'instrument du premier. Quels sont les moyens du savoir? La logique déductive, enveloppée dans la déchéance de la scolastique, est jugée inappropriée. D'ailleurs, elle sert au contrôle plutôt qu'à l'invention. Il faut un instrument plus puissant. Le procédé par lequel le savoir peut s'étendre est l'induction, qui marche du particulier au général: «L'art de la méthode comprend deux parties, car la méthode procède d'expérience en expérience, ou d'expériences vers des axiomes, qui peuvent à nouveau engendrer de nouvelles expériences. Nous appelons la première expérience savante, la seconde, interprétation de la nature [...]. Quand l'homme essaie toute sorte d'expériences sans méthode ni ordre, il tâtonne dans l'obscurité; mais, quand il procède avec une certaine direction et ordre, c'est comme s'il était guidé par la main; et c'est cela que nous appelons expérience savante.» Bacon ignore le moine Roger Bacon (XIIIe s.), dont il reprend les thèses: le savoir a deux sources, le raisonnement et l'expérience.
Galilée passe pour l'inventeur de la méthode expérimentale. Il utilise l'hypothèse et le raisonnement (expérience de pensée). L'expérience tantôt intervient pour confirmer des déductions à partir des principes supposés (vérifier l'adaptation des pensées aux faits), tantôt précède l'hypothèse, et Galilée cherche des principes capables de déduire les faits observés (adaptation des pensées entre elles). Exemple de la seconde: la variation imaginaire, qui consiste à considérer le mouvement de chute uniformément accéléré, puis des mouvements ralentis le long de plans plus ou moins inclinés. Le mouvement dans un plan horizontal apparaît au bout du compte comme un mouvement uniformément accéléré ou ralenti avec une accélération nulle: c'est le mouvement d'inertie. Descartes adopte les maximes pratiques de Bacon (méfiance des opinions reçues, nécessité de se mettre directement en face des choses). Blâmant Aristote de n'avoir pas assez observé, il observe encore moins; il ne cherche pas la vérité dans l'expérience; là-dessus, il ne partage pas les partis pris antidéductifs de Bacon, étrangers à sa mentalité théoricienne; il abuse de l'a-priori et introduit des hypothèses qui doivent plus à l'imagination qu'à la raison. Ce qu'il critique surtout dans les Anciens et les scolastiques, c'est le choix défectueux de leurs principes plutôt que les carences de leurs méthodes empiriques. Il lui suffit d'avoir «une idée claire et distincte», il lui paraît évident que la réalité ne saurait que s'y plier, les vérifications sont inutiles. À suivre H. Bouasse (cité en bibliographie), Descartes aurait eu raison dans le principe, car l'ambition de la physique est de déduire la réalité mathématiquement: «Ce qui fait l'originalité de la méthode en physique, c'est l'importance qu'y prend le raisonnement déductif [...]. La physique cherche à reconstruire le monde, à le déduire par voie purement syllogistique d'un principe général une fois admis.» Descartes aurait simplement fait un usage incorrect d'une méthode correcte. Où il a été plus heureux, c'est dans l'application de l'algèbre à la représentation des propriétés géométriques. Réputé pour le père de la méthode, il s'exprime avec mépris sur le compte des procédés formels qui permettent de parler sans jugement de ce qu'on ignore: la méthode est nulle quand elle n'a pas pour contenu des idées claires et distinctes.
Les méthodes de Bacon et de Descartes n'ont pas inspiré de grandes découvertes; Galilée et Newton ont réalisé une uvre importante pour s'être attaqués à des problèmes limités, au lieu que les «méthodes» de Bacon et de Descartes sont trop générales et trop vagues pour être d'aucune utilité. Malebranche reconnaît la trivialité des règles méthodologiques cartésiennes: «Il ne faut pas s'attendre ici d'avoir quelque chose de fort extraordinaire, qui surprenne ou qui applique beaucoup l'esprit [...]. Les règles sont naturelles et on peut se les rendre si familières qu'il ne sera point indispensable d'y penser beaucoup dans le temps qu'on s'en voudra servir.» Cinquante ans plus tard, Buffon note avec désabusement que les philosophes qui ont senti la nécessité d'une méthode pour conduire l'esprit, guider le raisonnement, l'empêcher de s'égarer, et qui ont voulu en tracer les délinéaments, n'ont laissé qu'une autobiographie intellectuelle, quelques exemples épars, et des vues hasardées.
Au XVIIe siècle, des expérimentateurs résument leurs principes. Mariotte écrit: «Si, une chose étant donnée, s'ensuit un effet; et, ne l'étant point, l'effet ne se fait pas, toute autre chose étant posée: ou si, en l'ôtant, l'effet cesse; et étant toute autre chose, l'effet ne cesse point &endash; cette chose-là est nécessaire à cet effet et en est cause.» L'auteur ajoute qu'il faut préférer celle des hypothèses qui rend compte du plus grand nombre de phénomènes, et qu'une seule expérience contraire suffit à réfuter une conjecture.
De Newton, on retient «je ne feins pas d'hypothèses», comprenons: je ne fais pas d'hypothèses fictives, à la manière des astronomes. Newton marque la différence entre ses hypothèses, qui résultent de l'analyse des conditions des phénomènes, et les imaginations gratuites des cartésiens. Lui-même fait des suppositions sur la gravité, la lumière, etc. À la différence des hypothèses qui «sauvent les apparences», étant à la base de calculs qui permettent de retrouver ces apparences, les hypothèses de Newton sont réalistes. On comprend parfois Newton autrement; il aurait procédé par généralisations inductives. L'autorité de Laplace renforce cette interprétation, mais on n'a pas fait attention que le géomètre français entend par induction une sorte d'instinct dans le discernement du vrai.
Au XVIIIe siècle, une conjoncture intellectuelle analogue à celle de Bacon-Descartes tend à se produire: à l'esprit de système, qui est spéculatif, on oppose l'esprit de méthode, qui est pratique et efficace; mais cette fois Descartes tombe du mauvais côté: il est taxé à son tour d'esprit de système. On trouve sous la plume des savants de ce temps-là les premières descriptions de ce qu'on appelle méthode scientifique ou expérimentale. Les médecins hollandais (Boerhaave, Musschenbroeke et al.) répandent sur le continent des idées sur l'induction, qu'ils croient trouver dans Newton. Le Suisse J. G. von Zimmermann distingue observation et expérience: «Une expérience diffère d'une simple observation, en ce que la connaissance qu'une observation nous procure semble se présenter d'elle-même; au lieu que celle que l'expérience nous fournit est le fruit de quelques tentatives que l'on fait dans le dessein de voir si une chose est ou n'est point [...]. L'observateur écoute la nature; celui qui expérimente l'interroge.» On expérimente en variant les conditions ou en en créant d'artificielles, afin de recueillir des observations. Priestley souligne le rôle de l'hypothèse et introduit le schéma bayésien de la convergence vers le vrai par approximations successives: conjecture, expérience, amélioration de la conjecture. «Il n'est nullement nécessaire d'avoir a priori des vues exactes et une hypothèse vraie pour faire de réelles découvertes. Des théories même imparfaites suffisent à suggérer des expériences, qui viennent corriger leurs imperfections et donnent naissance à d'autres théories plus parfaites. Celles-ci conduisent à d'autres expériences, qui nous rapprochent encore de la vérité, et, dans cette méthode d'approximation, nous devons nous estimer heureux si nous faisons peu à peu de réels progrès.» Les quelques idées directrices de la méthodologie falsificationniste et faillibilisationniste, dont on fait si grand bruit, sont donc assez anciennes.
Au XIXe siècle, Comte prône les méthodes inductives. Les sciences de la nature se donnent pour but de trouver les lois des phénomènes. Elles procèdent par voie d'expérimentation et d'induction, entendons que, au lieu d'imaginer a priori des explications globales, on veut rester près des faits et soumettre les hypothèses à leur contrôle. C. Bernard formule des règles de la méthode expérimentale appliquée à la physiologie. Ses considérations tournent sur les rôles respectifs des préalables abstraits et des données factuelles. En apparence, le problème est simple. Pour accroître son savoir, il faut poser des questions à la nature. On ne pose pas n'importe quelle question. L'idée doit donc précéder l'expérience. C. Bernard, suivant l'occasion, insiste tantôt sur l'élément d'invention (l'apport de l'idée), tantôt sur l'élément d'observation (l'importance du fait).
Les conceptions de W. Whewell sont à l'opposé de celles de Comte et des empiristes. Selon lui, la science commence par la description (observer, mesurer); l'étape suivante est l'établissement de lois par induction, c'est-à-dire par hypothèse: il faut deviner les bons paramètres et la forme appropriée des dépendances fonctionnelles. La recherche des causes commencera, une fois acquise la connaissance des lois; elle procède par hypothèses explicatives. D'un bout à l'autre, de la recherche de la loi qui décrit à la théorie qui explique, l'hypothèse est une conjecture plutôt qu'une inférence ou une généralisation de logicien. Du point de vue positiviste, l'étape causale n'a pas de raison d'être puisque les explications causales sont inutiles à prédire. Whewell est d'un autre avis; il croit que la science comporte, ou doit comporter, un élément d'intelligibilité, une valeur spéculative. Il étaye son point de vue sur des arguments tirés de l'histoire des sciences; il voit que les adversaires des vertus, des forces vitales, des fluides ou des tourbillons recourent à des postulats non moins gratuits et insuffisants, dont ils font un usage incorrect (mécanisme en biologie, etc.). La difficulté, en recherche des causes, d'éviter de se fourvoyer dans la création d'entités chimériques ne lui échappe point.
Vers 1900, sous l'influence du positivisme et de l'idéalisme, les épistémologues (P. Duhem, E. Le Roy) distinguent entre fait brut et fait scientifique: le second possède une charge théorique. Brunschvicg et Bachelard grandissent la contribution de l'esprit. Nos contemporains tournent cet idéalisme en pessimisme: des faits ne peuvent pas départager ni réfuter des théories dont ils tiennent leur sens. Chaque théorie a ses propres faits. Quand on pousse ces demi-vérités jusqu'à leurs ultimes conséquences, il en résulte qu'il n'existe ni langage commun ni consensus. L'incommensurabilité des paradigmes est un risque impliqué par la dépréciation du sensible.»
« De grands scientifiques déplorent l'ampleur du déchet de l'expérimentation. Dans certaines disciplines, telle la biologie, une masse de publications consiste en des rapports sur des corrélations dépourvues d'intérêt, ou à produire des tableaux de faits sans même une hypothèse de travail. Ces résultats risquent de s'accumuler sans profit pour la science, soit que l'avenir s'engage dans d'autres voies, soit que le progrès de la précision les périme rapidement. René Thom a pu parler du «torrent de futilités qui sort des laboratoires» (cf. bibl.). L'hypertrophie de la recherche expérimentale est une conséquence naturelle de placer l'accent sur les relations et les lois, comme l'ont préconisé Comte, Renouvier, Duhem, et toute la tradition positiviste et kantienne. S'il est vrai qu'on ne connaît les substances que par leurs actions (nous disons aujourd'hui leurs interactions), il n'y a qu'à multiplier les actions ou interactions. Par cette voie, on finira bien par mettre la main sur une loi. Comme le dit ironiquement Bouasse, on pourrait jouer de la clarinette aux plantes et noter leurs réactions: «En essayant toute espèce de combinaisons de causes, il est possible qu'on amène un effet nouveau; mais on risque aussi de perdre son temps.»
Il n'existe pas de méthode pour éviter les deux extrêmes des hypothèses vides et de l'expérimentation sans idées. En revanche, il existe des techniques locales liées à l'emploi d'appareils tels que microscopes, appareils à rayons X, accélérateurs linéaires, etc. Les opérations qu'on effectue dans les laboratoires sont trop particulières pour susciter la curiosité des non-professionnels. Que prouve au juste un résultat expérimental? Comment l'interprète-t-on? Confirme-t-il ou réfute-t-il l'hypothèse? Là-dessus, les épistémologues ont, la plupart, des vues simplistes, ils croient que tout est une affaire de lecture de cadrans. Cet aspect d'action et d'intervention de la science a pris un très grand développement. La conviction régnante, que quelques-uns tiennent pour fâcheuse et erronée, est que les phénomènes d'ordre perceptible, ou directement accessibles à nos sens, ont tous révélé leurs secrets, et qu'il n'y a plus de découverte à y faire. Pourtant, il arrive qu'une observation banale (par exemple sur l'annulation de la pesanteur dans un référentiel en chute libre) reçoive, moyennant une interprétation théorique ingénieuse, un sens profond et inattendu.
La méthode expérimentale s'apprend au laboratoire. C. Bernard remarque: «Cela ne servira jamais à rien de parler méthode expérimentale et expérimentation au coin de son feu, les pieds sur les chenets; il faut agir et alors on a une idée juste de la chose.» C'est une pratique plutôt qu'une théorie. H. Le Chatelier y fait écho: «Dès que l'on travaille au laboratoire, on est assailli d'une multitude de problèmes et la seule difficulté est de faire parmi eux un choix judicieux», écrit-il. Cela ne l'empêche pas de croire à l'existence de règles précises, «qui constituent ce qu'on appelle la méthode scientifique».
La méthode expérimentale est surtout une méthode de preuve: il s'agit de contrôler des hypothèses au moyen d'expériences systématiques. Pour cela, il faut inventer des appareils et apprendre à les utiliser: ce sont les techniques évoquées plus haut. D'autre part, l'interprétation de l'expérience, surtout dans les sciences biologiques (médecine, etc.) requiert souvent l'emploi de moyens statistiques, appropriés aux cas où la nature ne répond pas franchement par oui ou par non. Ces moyens sont ce qui s'apparente le mieux à ce qu'on attendrait d'une méthodologie intellectuelle efficace (tests d'hypothèses, tests de signification, moindres carrés, corrélation, estimateurs du maximum de vraisemblance, etc.). Bizarre à dire: on a moins de méthode pour le certain que pour le probable. »
...
« ...si le principe de la connaissance de l'objet est l'objet lui-même (réalisme), il serait paradoxal qu'on sache comment on le connaît avant d'en avoir une connaissance. Si au contraire le principe de la connaissance de l'objet est la pensée ou la structure mentale du sujet connaissant (idéalisme), la méthode pourra posséder une consistance indépendamment de ce à quoi elle s'applique.» (pour ces mots voir page suivante).
« Une philosophie est un système, non pas la réunion de quelques thèses ingénieuses.
On pourrait distinguer une méthode réaliste et une méthode idéaliste. Selon la première, l'être est la condition du connaître; l'objet est cause de la connaissance. C'est ce que croit toute personne sensée, et que croyaient la plupart des scientifiques, avant la théorie des quanta. La méthode idéaliste consiste à chercher dans le sujet connaissant les conditions de la connaissance. De ce que tout est donné dans la pensée ou dans la représentation, les philosophes de cette école concluent que tout est donné par la pensée ou par la représentation. L'au-delà de la représentation étant supprimé, le contenu de la représentation accapare toute l'attention; il devient l'objet principal d'étude, qui prend le nom de critique de la connaissance. Un criticisme (ou une philosophie de l'examen) ne se confond pas avec une attitude précautionneuse dans le maniement logique des concepts et des jugements fournis par l'expérience intuitive (comme font les mathématiciens, quand ils définissent avec soin la notion de polyèdre); c'est une attitude de méfiance et de soupçon systématique à l'égard de ce qui vient de l'objet et de tout donné supposé extérieur à la représentation. «L'esprit critique exprime la résolution de soumettre les faits au traitement qui convient pour que rien en eux ne résiste plus à l'esprit. La politique à suivre pour y parvenir est de substituer partout le point de vue de l'observateur à celui de l'observé» (E. Gilson).
La philosophie moderne est idéaliste. D'abord Descartes essaie de déduire de la pensée l'existence d'un monde extérieur à la pensée. Kant élimine comme superflue l'idée d'un au-delà de la pensée et soutient que la réalité (pour nous) est coextensive à l'expérience. De nos jours, l'idéalisme et le positivisme sont devenus dominants, la philosophie a abandonné toute prétention à connaître quoi que ce soit ou à avoir un contenu distinct de celui des sciences. Elle se donne pour but la réflexion sur les méthodes et le langage scientifique, ou, comme le propose Léon Brunschvicg, «la connaissance de la connaissance»: elle se réduit à l'épistémologie ou à la méthodologie. Apparemment, c'est le fruit d'un choix libre. En fait, la carte est forcée. Lorsqu'on dit qu'où il n'y a pas d'observation il n'y a pas de science, la philosophie, qui procède par raisonnement sur des idées, perd tout contenu propre. Elle n'est plus qu'un jouet pour scientistes.
Les historiens citent d'autres exemples de méthode en philosophie: méthode dialectique (Hegel), méthode d'analyse du langage ordinaire, où les problèmes métaphysiques sont présentés comme des conséquences de l'emploi idolologique de mots abstraits, qui sont «réalisés», au lieu d'être pris fonctionnellement et transitivement (Paul Valéry), méthode phénoménologique (Husserl), etc. »
Voici quelques textes sur le sujet.
1. celle d'Émile Durkheim, dans le Nouveau Dictionnaire
de pédagogie de Ferdinand Buisson (1911): la ...,
se définit par l'ensemble des manuvres que
l'intelligence déploie dans une société pour que
cet arbitraire de la chose «bien» ou «mal» faite
cède à la décision raisonnée de faire au
«mieux». En voilà une
définition claire !
2. "ensemble des techniques relatives à l'enseignement,
à la pédagogie" (Encyclopedia Universalis)
3. "une science de l'éducation"(la ... unifiée comme
science) (Encyclopedia Universalis)
4. "une méthode d'enseignement" (pratique) (Encyclopedia
Universalis).
5. "la qualité d'un bon éducateur, d'un bon enseignant
" (les ... comme corps unifié) (Encyclopedia Universalis).
6. Théorie et méthode de l'enseignement (Robert,
1984)
7. Science de l'éducation des enfants - méthode
d'enseignement (Robert, 1984).
Solution (à lire dans une autre police ou dans le code source html): pédagogie:1,3,4,5,7 - didactique: 2, 6
En me fondant sur une vision humaniste, voici une formulation qui me paraît claire:
C'est pour cela que l'agir de l'enfant est si important car la
personne est une personne avec son corps, c'est avec lui
qu'elle apprend. C'est encore pour cela que la personne de
l'enseignant est si fondamentale dans l'acte pédagogique car,
comme toute relation de personne à personne, elle se fait dans
le don. (voir par exemple les mots de Marguerite
Léna pour la relation éducative).
Quand j'utilise la formule "la vie est un travail" et que je
l'appelle une pédagogie du vivant, c'est parce que je
crois, que cette formulation est avant tout un moyen pour chaque
personne (enfant ou adulte) d'accéder au concept du vivant.
C'est par le travail et aussi son propre travail que l'enfant peut
prendre conscience de ce qu'est la vie. C'est à la fois un
guide pour ses sens (pour son agir avec son corps), que pour son
esprit (pour sa conceptualisation de la vie).
Le didacticien s'adresserait plutôt à l'homme, au-delà de la personne; il chercherait non pas à dépersonnaliser le savoir mais à le replacer dans une perspective plus sociologique.
« La didactique ne constitue ni une discipline, ni une
sous-discipline, ni même un faisceau de disciplines, mais une
démarche, ou plus précisément un certain
mode d'analyse des phénomènes de l'enseignement .
Trop souvent, la didactique n'est qu'un terrain vague où se
déroulent des rencontres truquées; mais, lorsqu'elle
remplit bien son rôle, elle apparaît comme un lieu
privilégié de conflits (conflits «de
compétence», c'est-à-dire: de savoir, de pouvoir,
et entre savoir et pouvoir).
Une étude didactique suppose fréquemment l'intervention
d'au moins deux disciplines: d'une part celle dont on
considère l'enseignement (nous l'appellerons
discipline-objet); d'autre part une discipline (ou un groupe de
disciplines) intervenant comme outil dans l'étude
envisagée.
Cette distinction (à peu près triviale) entre
discipline-objet et discipline-outil ne doit pas
être confondue avec d'autres différences (sans doute
plus profondes, au moins sociologiquement), à commencer par
l'opposition quasi rituelle entre le spécialiste et le
généraliste.
Certes, la didactique ne s'identifie pas aux «sciences de
l'éducation» en général (dans la mesure
où ces dernières ont une existence propre). Mais il ne
faudrait pas commettre l'erreur de ranger systématiquement la
discipline-objet dans la «pédagogie
spécialisée» et la discipline-outil dans la
«pédagogie générale». Il reste une
dernière opposition (sans doute la plus aiguë, en tout
cas la plus exploitée): celle qui s'exerce, à
l'intérieur d'une même discipline-objet, entre le
«savant» et le «pédagogue». Sous sa forme
la plus vulgaire, cette opposition se formule dans des questions
comme les deux suivantes:
&endash; Pour bien enseigner une discipline, doit-on
posséder des connaissances très approfondies
dans ladite discipline?
&endash; Un bon chercheur peut-il être en même temps
un bon enseignant?
Pour la première question, ... toutes les
expériences montrent à l'évidence qu'un
enseignant qui ne possède pas, dans la discipline qu'il est
chargé d'enseigner, des connaissances très vastes et
très précises (rarement fournies par le
système actuel de formation, initiale ou continue, des
maîtres) est incapable non seulement
d'«innover» (la possibilité ne lui en est
d'ailleurs presque jamais accordée), mais même de
résoudre ses problèmes pédagogiques
quotidiens: il se trouve en fait à la merci des
programmes, des manuels, des instructions ministérielles ou
simplement des modes passagères, faute de pouvoir les dominer
(a fortiori les critiquer). Par ailleurs, pour l'enseignement d'une
discipline-objet, une ignorance, même partielle, dans cette
discipline n'est jamais compensée (mais souvent au
contraire aggravée) par des connaissances, même
poussées, dans telle ou telle discipline-outil (la
compétence individuelle étant limitée tandis que
les compétences particulières peuvent s'additionner
dans une entreprise collective, on voit l'intérêt du
travail en équipe, malgré ses inconvénients trop
fréquemment sous-estimés).
Il faut toutefois remarquer, et c'est un peu le nud du
problème, que les connaissances dans une discipline
donnée nécessaires à l'enseignement de celle-ci
ne coïncident pas toujours avec les connaissances
utilisées pour la recherche «pure» dans cette
discipline: par exemple, un algébriste ou un analyste
professionnel peut à la rigueur ignorer presque tout de la
logique mathématique (cela ne constituera pour lui qu'un
défaut de culture générale); au contraire, il
apparaît de plus en plus évident que l'enseignement des
mathématiques, y compris (voire surtout) au niveau le plus
élémentaire, requiert une formation assez
poussée en logique (même si elle n'a pas besoin de
s'étendre jusqu'aux résultats les plus fins et les plus
récents).
Nous sommes ainsi ramenés à la seconde question
ci-dessus, qui devrait plutôt revêtir la forme
suivante:
&endash; L'enseignement d'une discipline donnée
peut-il constituer un domaine de recherches propre?
Là encore, une réponse affirmative devrait
dépasser le niveau de la politesse (ou de la vanité)
académique. En particulier, le caractère
«pluridisciplinaire» de la recherche didactique ne doit pas
accaparer l'attention. Certes, la fréquentation de diverses
disciplines-outils est utile pour l'étude pédagogique
d'une discipline-objet, mais beaucoup moins, en fin de compte, que la
familiarité avec la discipline-objet elle-même.
À la limite, il peut exister une recherche didactique
monodisciplinaire (c'est-à-dire sans intervention, ou
presque, d'une discipline-outil) procédant par analyse de
contenus et par enquêtes sur le terrain. Malheureusement, ce
genre de recherches est méprisé (peut-être parce
que redouté) à la fois par les spécialistes de
la discipline-objet et par les professionnels de la pédagogie;
nous reviendrons plus loin sur ce point.
...
On commence à saisir en quoi la démarche didactique s'apparente à celle d'un équilibriste sur une corde raide. Ici, les deux points fixes (les plates-formes où l'on doit sans cesse revenir) sont: d'une part, la matière enseignée, avec son contenu scientifique; d'autre part, l'acte concret d'enseignement, avec son travail sur le «terrain». Pour passer de l'un à l'autre, il convient d'utiliser des instruments: appareils, techniques, théories. Mais il ne faut pas s'y confier aveuglément. Dans la perspective classique, la psychologie relationnelle n'est en pédagogie que la servante de la psychologie cognitive: elle facilite la «transmission» des connaissances et remédie aux «blocages» affectifs. Il vient toutefois un moment (là encore, l'enseignement des mathématiques peut servir de révélateur) où l'on est bien forcé d'admettre que, dans le système scolaire, l'incompréhension des élèves (voire celle du maître) ne constitue pas un accident ou une «déficience», mais une finalité (et cela quelles que soient la bonne volonté des enseignants et les bonnes intentions des réformateurs). On voit alors que la recherche cognitive est conduite, par des nécessités d'ordre technique (et non pas seulement sociologique ou politique), à déboucher sur une analyse «institutionnelle» des rapports entre le maître et l'élève, c'est-à-dire entre la société et l'individu soumis à son enseignement.
En fin de compte, le didacticien doit décider ce qu'il
veut:
&endash; S'il désire acquérir du crédit
(dans tous les sens du terme), il lui suffit de s'instituer
démarcheur pour une marque d'instruments ou, mieux encore,
pour un couple de marques associant un gadget coûteux avec une
théorie abstraite (la machine à laver avec la poudre
détergente); par exemple un dispositif pour dressage de
pigeons avec une algorithmique, une batterie de tests avec une
analyse factorielle, une lignée d'ordinateurs avec une
épistémologie génétique, un appareillage
audio-visuel avec une psychanalyse des mass media, etc.
&endash; Si, par contre, il désire laisser quelque trace
(autre que commerciale), il lui faut se préparer à voir
son travail considéré par les augures comme du
bricolage et par les princes comme de la subversion. Chose plus
désagréable, il risque d'être amené
à remettre en cause son confort d'intellectuel et ses
prérogatives d'enseignant. »
La didactique : c'est prendre des distances avec la pratique...pour mieux y revenir. (in EPS Contenus et Didactique, actes du colloque, Paris, SNEP, 1986).
« Pour J.-P. Astolfi, (...) l'approche didactique travaille
:
- d'une part, en amont de la réflexion pédagogique, en
prenant en compte les contenus d'enseignement comme objets
d'étude. La didactique permet alors le repérage des
principaux concepts qui fonctionnent dans la discipline et l'analyse
de leurs relations. Elle s'intéresse à leur histoire,
leurs rectifications respectives, les modalités de leur
introduction dans l'enseignement. Elle examine le fonctionnement
social de ces concepts, les pratiques sociales auxquelles ils
renvoient... Les idées de trames conceptuelles, de niveaux de
formulation, de transposition didactique, de pratiques sociales de
référence sont ici présentes ;
- et, d'autre part, en aval, en approfondissant l'analyse des
situations de classe pour mieux comprendre de l'intérieur
comment cela fonctionne et ce qui s'y joue. L'étude des
représentations des élèves, de leurs modes de
raisonnement, de la manière dont ils décryptent les
attentes de l'enseignement intervient dans ce propos. Mais aussi
l'analyse du mode d'intervention de l'enseignant afin de lui
suggérer une gamme de possibles et non son enfermement dans
une modalité unique d'interventions. »
p. 120, un schéma issu de Jean-Louis Martinand,
Enseignement et apprentissage de la modèlisation en sciences,
Paris, INRP, 1992
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