Pédagogie et production d'enfants

retour accueil, planning PE1, cours PE1


1ère étape; Analyse d'une discussion entre enfants
2ème étape ; Analyse de deux dessins d'enfants
3. De la nécessité d'une approche épistémologique...mais pas d'une pédagogie unique
4. Conseils
5. Préparer une séquence
L'analyse de productions d'enfants est une épreuve du concours correspondant à la deuxième partie du premier volet (4 points) mais on peut aussi trouver des questions de ce type dans le second volet (8 points). C'est le plus souvent un dessin mais cela peut être un texte ou un ensemble de questions récoltées par le maître.

1ère étape; Analyse d'une discussion entre enfants

1er volet, 2ème partie du CRPE de l'académie de Rennes 1999 (sujet, corrigé)
La question est la suivante: repérez dans les propos des élèves A, B, C ce qui est exact et ce qui est inexact sur le plan scientifique. Justifiez vos choix.

Questions pour guider l'analyse du sujet et du corrigé proposé

Peut-on juger réellement de l'exactitude des concepts scientifiques abordés dans la discussion ? Ne faut-il pas aussi tenir compte du niveau proposé par les documents ? Et donc du niveau de formulation du cycle de l'école ?

Comment savoir à partir d'une expression enfantine, ce que l'enfant pense, à compris, est capable de restituer et avec quel vocabulaire ? A quelle science de l'homme fait-on appel ici ?

retour haut de page

2ème étape ; Analyse de deux dessins d'enfants

Ces deux schémas ont été faits par deux enfants dont l'âge est inconnu et qui n'ont pas eu de cours portant spécifiquement sur la digestion ; les indications de sources sont très incomplètes, la question réellement posée n'est pas certaine, mais je vous propose quelque chose du genre:
Représentez l'intérieur de votre corps (il est possible qu'une silhouette ait été fournie pour le dessin de droite)... (Tavernier, p 77 )

Cliquez ici pour ouvrir l'image à sa taille maximale dans une nouvelle fenêtre

Questions pour guider l'analyse

Dans la plupart des cas à quel étape du cours ce type d'activité est-il proposé ? Quel est alors son but ?

Sur quelle épistémologie repose ce travail ?

Exemple de corrigé

Il est d'usage de présenter les évaluations de productions sous forme d'un tableau indiquant les acquis et les inexactitudes par rapport aux notions exigibles au niveau considéré

Acquis
Inexactitudes
dessin de gauche
dessin de droite
dessin de gauche
dessin de droite

position des organes

globalement correct

-

cœur médian, foie trop bas ainsi que l'appareil digestif réduit et placé trop bas

---

nom des organes/orthographe

assez bon/moyen

-

aucun nom connu

présence des principaux appareils (respiratoire/circulatoire/excréteur/digestif/reproducteur)

poumons à 4 lobes

tous manquent sauf l'appareil digestif mais qui est scindé en deux tubes

relation entre les appareils circulatoire/digestif/excréteur

l'appareil digestif va de la bouche à l'anus

aucun, ni sang, ni même entrée/sortie des aliments/déchets

terme de tuyau pour le tube digestif

concepts erronés

Les organes séparés sont accolés les uns aux autres. Il manque les relations fonctionnelles entre organes. la notion d'appareil n'est certainement pas connue.

Seul l'appareil digestif semble exister. La séparation de l'eau et des aliments est aussi une erreur.

En conclusion, même si les schéma de gauche semble au premier abord bien meilleur que celui de droite, la notion de tube digestif ouvert aux deux extrémités étant la seule présente dans le schéma de droite, l'élève qui l'a réalisé par peut-être avec une conception moins mauvaise que celui qui a fait celui de gauche, du moins pour l'étude de la digestion....

retour haut de page

3. De la nécessité d'une approche épistémologique...
mais pas d'une pédagogie unique

D'abord en ce qui concerne le savoir. Le niveau conceptuel est forcément limité. La référence sans ambiguïté est le programme.
Ensuite en ce qui concerne l'analyse de production d'enfant. Une analyse est bien évidemment du ressort d'une psychologie... pas forcément d'une psychanalyse.

Pour reprendre les mots de Pierre Kahn: « Exit le modèle de la leçon de choses conçue comme leçon d'observation. Dès l'école primaire, on n'apprend plus des « choses », mais des concepts : non plus le système digestif, mais la digestion ; non plus les fonctions principales de la vie, mais la construction du concept de vivant. Quant aux classifications descriptives des trois règnes de la nature, qui faisaient le corps du cours de sciences du Cours élémentaire au Cours supérieur, elles perdent à la fois leur légitimité pédagogique et leur légitimité épistémologique.»
Par exemple sur la question du concept cellulaire, il n'y a pas toujours de réponse tranchée ; pour ceux que cela intéresse je conseille vivement la lecture du chapitre de G. Canguilhem sur la théorie cellulaire qui montre combien les théories philosophiques sous-jacentes sont variées et comment, de nos jours , un scientifique peut très bien s'opposer résolument à cette théorie sans pour autant être qualifié de non scientifique, ce qui pour beaucoup est synonyme de charlatan, alors qu'il existe certainement de nombreux autres modes de connaissances tout aussi certains que la méthode expérimentale (réfléchissez-y mais vous acceptez dans votre vie courante et familiale des connaissances que vous ne remettez pas en cause et qui vous sont données par d'autres modes de connaissance : il vous est plus naturel de faire confiance à ceux que vous aimez plutôt que de mettre leur parole en doute...).
Pour ceux que cela rebute, je précise en quelques mots ma pensée : il ne vous viendrait certainement pas à l'idée de mettre en doute l'idée que tous les êtres vivants sont composés de cellules et que toute cellule est issu d'une autre cellule ; et pourtant, cette idée simplificatrice est acceptable pour des organismes unicellulaires mais dès que l'on s'adresse à des pluricellulaires on observe des phénomènes curieux comme la division du cytoplasme en territoires possédant chacun un noyau, ou encore, de façon plus courante, le fait que les végétaux supérieurs aient un cytoplasme en continuité entre la plupart de leurs cellules (par les plasmodesmes), ou encore la présence de ponts cytoplasmiques entre les cellules de la lignée germinale mâle chez de nombreux animaux, dont les mammifères...bref la théorie cellulaire est bien encore de nos jours une théorie et non un fait... pour faire un petit tour d'horizon historique et philosophique, allez donc lire le texte de G. Canguilhem sur la théorie cellulaire).

On ne peut pas faire l'économie d'une approche épistémologique, même si elle reste à un niveau encore superficiel. L'épistémologie , qui est étymologiquement le discours philosophique (une science) sur les sciences (ou sur la connaissance si on accepte le sens plus large) a toujours accompagné la réflexion philosophique, depuis les premiers grecs. Pour avoir une idée de la richesse de la réflexion épistémologique je conseille la lecture de l'article "épistémologie" de l'Encyclopedia Universalis écrit par Gilles Gaston GRANGER et qui se termine par: « Et s'il fallait définir d'un mot l'épistémologie en lui donnant son acception la plus large, on pourrait dire qu'elle est le nom donné à tout essai pour déterminer, aujourd'hui et maintenant, le sens et les limites de la rationalité de la science.» Mais l'on entend souvent dans les iufm par épistémologie une approche bachelardienne (ou plutôt qui se réclame de Bachelard), ce qui est assez uniformisant. Très souvent on confond même épistémologie (qui est une approche philosophique) et didactique (qui est beaucoup plus multiforme et comporte un volet politique notamment). Quand ce n'est pas purement de la pédagogie dont on veut parler. Si tant est que pédagogie et didactique puissent aisément se distinguer actuellement. Je renvoie à la discussion de la page précédente.
Voici des éléments pour aborder une réflexion autour de l'epistémologie..

Quelques définitions de mots en "isme"

retour liste documents

Bachelard et l'obstacle épistémologique : un incontournable iufm...

En quelques phrases choc:
* C'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la connaissance scientifique.
* Rien ne va de soi. Rien n'est donné.
Tout est construit.
* La pensée scientifique apparaîtra comme une difficulté vaincue, comme un
obstacle surmonté.
* Ainsi toute culture scientifique doit commencer, comme nous l'expliquerons longuement, par une
catharsis intellectuelle et affective.
* Déceler les obstacles épistémologiques, c'est contribuer à fonder les rudiments d'
une psychanalyse de la raison.

Clique ici pou des extraits de "La formation de l'esprit scientifique" par Bachelard où vous trouverez le contexte de ces citations.

Il est clair que si, comme l'affirme Dominique Lecourt, Bachelard a conçu "une épistémologie qui a précisément fait de la difficulté la marque distinctive du travail productif - scientifique et philosophique", ceci n'est pas encourageant étant donné que je dispose de 50 heures pour balayer l'ensemble du programme du primaire en SVT. Ensuite, je dois avouer que je n'aime pas ce qu'écrit Bachelard (peut-être justement parce que je ne le comprends pas trop), tout comme je me méfie grandement de la psychanalyse.

retour liste documents

Dominique LECOURT - (Encyclopedia Universalis - article "immédiat")

Prenant pour objet les problèmes et les résultats des sciences contemporaines, leur travail réel, Gaston Bachelard, après avoir rejeté les catégories philosophiques traditionnelles des «théories de la connaissance», proclama, dès 1934, la « défaite de l'immédiat ». On ne s'étonnera pas de ce double geste: rejeter les unes, c'était s'affranchir de l'autre. Ce que Bachelard découvrait, c'est que les couples d'oppositions philosophiques sujet-objet, abstrait-concret, etc., ne parvenaient pas à rendre compte des derniers progrès de la microphysique. Partant de ce fait, il lui donna une portée générale: l'enquête historique prouvait que les catégories philosophiques « restaient immuablement étrangères » à la pratique des savants. Selon les philosophes, la connaissance part de l'immédiat: pour les savants, elle rompt avec l'immédiat pour construire &endash; au sens théorique et matériel &endash; son « objet »; selon les philosophes, l'objet qui est dégagé au terme du processus de connaissance peut être saisi par une intuition immédiate de l'esprit; au contraire, pour les savants, l'objet construit est plutôt une « touffe » de problèmes qu'une pensée achevée. Les longues pages où, dans la Formation de l'esprit scientifique , Bachelard s'attache à montrer qu'il existe une « rupture » entre l'immédiat (« l'expérience première ») et la connaissance scientifique, sont justement célèbres. Méconnaître cette rupture, c'est être victime d'un « obstacle épistémologique », c'est annuler l'abîme qui sépare l'expérience vécue de l'expérience théoriquement normée et techniquement ordonnée des sciences physiques. À ses yeux, dans une science, « rien n'est donné, tout est construit ». De ce point de vue, parler, comme Bergson, de « données immédiates de la conscience » est tout simplement un non-sens. « L'esprit scientifique, écrit Bachelard, doit se former contre la Nature, contre ce qui est, en nous et hors de nous, l'impulsion et l'instruction de la Nature, contre l'entraînement naturel, contre le fait coloré et divers. » La nécessité apparaît alors de rectifier la définition de ce que la philosophie appelle traditionnellement le réel . Le « réalisme » de la science ne saurait être que de « seconde position », ce ne peut être qu'un réalisme « en réaction contre la réalité usuelle, en polémique contre l'immédiat  ». « Si d'ailleurs, ajoutait-il dans un de ses derniers ouvrages, on voulait faire le point entre la philosophie du donné et la philosophie du construit, il faudrait souligner, à propos de la philosophie corpusculaire, un véritable effacement de la notion de donné , si traditionnellement reçue dans la philosophie. » Il faut préciser qu'au-delà des philosophies contemporaines de la « conscience », Bachelard entrait par là en polémique avec toute tentative d'élaboration philosophique d'une théorie de la connaissance, en congédiant les catégories de sujet et d'objet, de concret et d'abstrait, etc., comme inopérantes dans le champ des sciences. Il dénonçait comme obstacle l'idée qu'il pouvait y avoir un sujet de la science. Il montrait enfin que le seul sujet de la science n'était que la « cité scientifique », ou encore: « l'union des travailleurs de la preuve ». Dès lors la connaissance ne doit pas être pensée comme « découverte » ou « dévoilement » de la vérité, mais comme production historique et « socialisée » de concepts scientifiques. Que la connaissance soit production , voilà sans doute l'acquis le plus précieux de l'épistémologie bachelardienne. Qu'elle soit travail, indissociablement théorique et technique, sur cette « matière » que devient l'immédiat, voilà qui n'était pas pensable pour la philosophie traditionnelle. Voilà qui brise le cercle philosophique de l'immédiat. De nouvelles tâches s'offrent alors à l'épistémologie: élaborer un concept adéquat de « production scientifique », de « travail », d'« expérimentation », bref, les concepts qui lui permettront de penser l'histoire des sciences.

retour liste documents

Jean LARGEAUD (Encyclopédia Universalis - article "réalisme")

« Le mot «réalisme» a plusieurs acceptions. Le réalisme logique s'oppose au nominalisme, théorie des termes généraux: ceux-ci sont des noms d'entités pour le premier, des abréviations qui désignent collectivement des particuliers pour le second. Le réalisme métaphysique a pour antithèse l'idéalisme, que Berkeley appelle immatérialisme et qui consiste à nier l'existence d'une matière des corps, indépendante de nos perceptions. Le matérialisme, sorte de réalisme physique, comporte un postulat supplémentaire; il identifie matière et réalité sans être capable d'élucider la nature de la matière.
On qualifie indifféremment de réalisme ou d'idéalisme la doctrine platonicienne qui attribue aux idées formes une réalité indépendante, tant des substrats qui les portent que des individus qui en acquièrent une connaissance (du reste imparfaite). On nomme aussi réalisme la transformation d'une entité logique en un réel doué d'existence ailleurs que dans l'esprit d'un sujet connaissant (c'est, d'après Émile Meyerson, le réalisme «au sens que l'on attribuait à ce terme au Moyen Âge».)
Les réalistes affirment que des concepts tels que substance, infini, cause ne sont pas seulement des déterminations mentales ou des produits de l'entendement. Ils admettent parfois, outre une substance universelle, un découpage de cette substance en essences, donnant lieu à des substances particulières (individuation). Les idéalistes (Léon Brunschvicg après Charles Renouvier), qui critiquent les «abstractions réalisées», ne voient pas que la science «réalise» des concepts en supposant des atomes, des électrons, un espace-temps courbe, etc., avant que l'expérience soit en mesure de trouver ces entités dans le monde physique. Ces entités sont d'abord de nature virtuelle (voir les remarques d'É. Meyerson, Du cheminement de la pensée , 1931, II, paragr. 215, p. 356). Les idéalistes estiment les substances inutiles, parce que inconnaissables et indéfinissables, faute de propriétés par quoi les définir: nous ne connaissons que des rapports. Les philosophes réalistes repoussent l'objection en disant que les substances se révèlent par leurs relations. De plus, l'inconvénient de remplacer les substances par les lois se manifeste par des conséquences négatives en épistémologie (l'indétermination des relations, qu'on prétend justifier par une doctrine ad hoc, le conventionnalisme).

En résumé, réalisme et idéalisme sont des thèses sur ce qu'il y a et des doctrines du rapport de la pensée et de la réalité. Pour une métaphysique réaliste, les déterminations de la pensée ne sont pas étrangères aux objets; «les choses et leur pensée s'accordent quand elles sont pleinement actualisées» (Hegel). Une connaissance vraie atteint les choses telles qu'elles sont en soi, et les lois scientifiques ont d'abord leur raison d'être dans la réalité extérieure. Pour l'idéalisme, par exemple kantien, devenu l'orthodoxie des philosophes (et peut-être des savants?), ces lois sont fondées sur les propriétés de l'esprit humain; la pensée s'arrête aux phénomènes, c'est-à-dire que le sujet pensant perçoit des choses moyennant les formes de l'intuition et les catégories. (Les déterminations de l'universalité et de la nécessité, qui sont celles de la connaissance, l'expérience ne les fournit pas; elle ne contient que du variable et du contingent; universalité et nécessité, exprimées en des jugements soit analytiques soit synthétiques a priori, proviennent de la pensée.)

«Pour le réaliste, penser c'est seulement ordonner des connaissances ou réfléchir sur leur contenu» (E. Gilson). En idéalisme, la vérification, si on la cherche ailleurs que dans la cohérence ou la non-contradiction, finit toujours par poser problème, puisque nos normes d'intelligibilité sont les principes de la réalité et que la connaissance est la mesure de l'être réel.
On n'exigera pas de l'une des deux doctrines d'être cohérente avec les prémisses de l'autre; à chacune d'être cohérente avec ses propres principes. Le réaliste est tenté de faire droit à des présupposés idéalistes qu'il croit démontrés ou inévitables. Par exemple, il se demande si les choses sont conformes à la connaissance qu'on en a, alors que, selon sa théorie, c'est la connaissance qui est conforme à la chose.
Second point, les succès des sciences témoignent-ils pour l'idéalisme? En ce qui concerne les mathématiques, il est difficile d'exhiber des exemples de mathématiciens dont la philosophie personnelle a infléchi ou orienté les travaux (L. E. J. Brouwer, H. Weyl, R. Thom), ou exercé une influence sur leurs découvertes. En ce qui concerne la physique, l'impact est plus net. L'idéalisme et le réalisme ont orienté les préférences des chercheurs soit vers les théories prédictives, soit vers les théories explicatives. Mais un pragmatisme latent limite les effets qu'on pourrait attendre d'un choix philosophique. La communauté des physiciens accepte une théorie qui marche, quelle qu'en soit la métaphysique sous-jacente, tant qu'il ne s'en présente pas d'autre qui rende des services équivalents. En science, les présupposés métaphysiques se manifestent surtout à travers la méthode ; les praticiens la regardent comme un sous-produit plutôt que comme un programme a priori. Un instinct réaliste fait considérer que la méthode se déduit de la connaissance, plutôt que la connaissance de la méthode (de même que le droit dérive de l'état des mœurs, non pas l'état des mœurs des institutions juridiques). L'idéologie de l'efficacité s'accorde le mieux avec le succès des sciences, et avec cette partie des sciences qui ressortit au besoin d'action plutôt qu'au besoin de compréhension. (C'est elle que caractérise le jugement «La science ne pense pas»! )
L'idéalisme a contribué à mettre la science sur la voie de la recherche des lois. D'abord, le point de vue des relations, traduites sous forme de fonctions ou de corrélations quantitatives, a éliminé celui des substances. Ensuite, l'idéalisme s'implante quand on croit que les relations sont sans existence hors de l'esprit (Hume, Kant). En principe, les techniques de laboratoire devraient faire obstacle à l'idéalisme. L'obstacle s'affaiblit quant on soutient que les faits scientifiques sont des construits théoriques (E. Le Roy, Duhem). Quand on découvre que les appareils d'observation perturbent les processus observés, on se dit que Kant a raison, que la connaissance engendre son objet ou que l'objet est identique à la connaissance qu'on en a (esse est percipi).

L'idéalisme est sous-jacent à l'idéologie de l'efficacité. Il attribue à la connaissance le pouvoir de façonner ou de créer son objet: l'omnipotence est à l'horizon. Indirectement, le prestige de la science dans nos sociétés vient de ce qu'elle incarne l'idéalisme. Celui-ci, en débarrassant la scène des problèmes philosophiques de compréhension et de signification, libère les mains pour agir. Berkeley le remarque: «Beaucoup recommander et approuver la philosophie expérimentale» (Cahiers, no 509). L'idéalisme ouvre la porte à la démiurgie: l'homme est le démiurge du monde qu'il connaît; il le connaît autant qu'il le crée. On cite Poincaré: «C'est la connaissance qui est le but, et l'action le moyen.» Pieux hommage. Point besoin de rappeler que la science comporte, depuis l'origine, avec Bacon et Descartes, un activisme orienté vers la conquête de la puissance. C'est l'expression d'une tendance plus profonde et plus générale inscrite dans le désir même de connaître. «L'homme aspire à la connaissance du monde, il aspire à se l'approprier et à se le soumettre, et il faut que la réalité du monde en quelque sorte s'efface, c'est-à-dire s'idéalise devant l'activité humaine» (Hegel). L'idéalisme ne trouverait aucune créance s'il ne correspondait de quelque manière à la nature des organismes qui improvisent, inventent et organisent.

Le réalisme aujourd'hui

À une écrasante majorité, les épistémologues sont idéalistes. Dans l'espace d'un siècle, ils ont sondé tous les problèmes de l'idéalisme, se sont mis en peine de critères de démarcation, de fondements de l'objectivité, de justification du consensus des savants autour de tel ou tel paradigme. À bout de voies, ils finissent par penser que les disciplines scientifiques sont des jeux de langage d'accompagnement pour les techniques expérimentales. Les professeurs partagent cette conviction: «Le philosophe parle de philosophie, le savant des choses.» Ce genre d'aphorisme, ils le soumettent à l'admiration des étudiants, sans en voir la cruauté pour la discipline même qu'ils enseignent.

Parmi les théories physiques récentes, la relativité générale est réaliste. Einstein, voulant expliquer la gravitation, propose un modèle de l'espace-temps physique. La théorie des quanta est d'esprit idéaliste: son formalisme évite le dualisme du continu (l'onde) et du discret (le corpuscule), laissé ouvert par la mécanique ondulatoire; elle évite donc d'avoir à proposer une image du monde. L'espace-substrat de cette théorie est un espace de configuration abstrait; les champs physiques sont représentés par des fonctions de variable complexe sur cet espace et les grandeurs physiques par des opérateurs. Pour rejoindre la réalité, une théorie de la mesure est indispensable. Ce formalisme est sans interprétation directe; on peut seulement en comparer les conséquences avec les résultats expérimentaux.

Des physiciens de mentalité réaliste (Einstein, de Broglie) se sont désintéressés d'une théorie dont le développement s'engageait dans une voie qui leur répugnait intellectuellement. B. d'Espagnat examine en quelle mesure elle est compatible avec le réalisme. Dans la négative, nous connaîtrions de la réalité microphysique ce que définit le consensus des observateurs, donc un réel dépendant de l'existence d'une humanité qui procède à des expériences d'un certain type. Il conclut que la physique quantique est neutre; elle ne donne pas de réalité indépendante et n'interdit pas de penser qu'il y en a une, accessible par d'autres moyens: «un réel voilé». Meyerson était plus affirmatif: «La science entière repose sur le tuf, peu apparent sans doute, puisqu'on a tenté de nier l'existence de cette assise, néanmoins solide et profond, de la croyance à un être indépendant de la conscience.» »

retour liste documents

Résumé de l'article "La notion de réalité" de Clément Rosset
(dans l'Encyclopédie Philosophique Universelle, L'Univers Philosophique, PUF, 1991, p 96-99)

1. Le réel est immédiat: il survient ici et tout de suite et n'autorise aucune prise de distance. Ce qui a pour conséquence
* qu'il ne constitue en rien une expérience: le réel est la seule chose au monde à laquelle on ne s'habitue jamais (ce qui tend à insinuer qu'il y a plus de choses irréelles que de choses réelles et que l'on s'habitue plus facilement aux choses irréelles).
* qu'étant singulier et unique, le réel se dérobe à la réflexion, à la possibilité de le saisir dans un miroir qui en refléterait l'image. La réalité est ce dont on ne perçoit jamais aucun double, sinon par le biais du fantasme et de l'illusion.
D'où une certaine déconvenue façe à ce qui semble n'être qu'une multiplicité de points de vue (à chacun sa réalité...).
2. Une majorité de gens, face à ce caractère insaisissable du réel, le dévaluent, soit en lui opposant une "vraie" réalité ou en décidant que le réel n'a pas d'intérêt. Cette position semble être à l'auteur la suite légitime de la déconvenue face au réel.
3. L'auteur propose un retrournement: et si le réel était suffisant, s'il était le seul qui fût, le seul à suffire au bonheur des hommes ?

retour liste documents

Une pédagogie des sciences moderne (par Pierre Kahn dans "De l'enseignement des sciences à l'école primaire; l'influence du positivisme", Hatier, 1999)

(pour des extraits plus nombreux clicquer ici, notamment si vous désirer mieux cerner la pensée de l'auteur qui est plus complexe que ce que ces simples extraits montrent). Mes commentaires sont en bleu.

« Mais le discrédit actuel du positivisme et du scientisme n'est pas seulement culturel ou idéologique. Il est aussi épistémologique. Le modèle inductiviste de la fabrication de la science est largement battu en brèche, et les attaques viennent de plusieurs fronts.

* L'activité scientifique ne commence pas par l'observation (je veux quand même dire qu'il n'y a pas grand monde pour avoir affirmé cela, même pas Claude Bernard, voir les textes sur la méthode): elle commence par une problématisation du réel. C'est ce que nous apprend notamment Karl Popper dans sa logique de la découverte scientifique (parue en 1934, mais traduite en français seulement en 1972). «, La science naît de problèmes et se finit dans les problèmes », écrit Popper. Au schéma classique « observation -> généralisation -> lois -> vérification expérimentale » se substitue cet autre : « problème -> hypothèses -> contrôle des hypothèses par le truchement de leurs conséquences vérifiables ». La démarche scientifique n'est pas une démarche inductive, mais une activité de résolution de problèmes procédant selon ce que Popper appelle une « méthode déductive de contrôle » (Là encore, je pense que l'auteur n'y a pas de vision correcte historique de ce qu'est la méthode expérimentale, je renvoie aux textes de la page précédente).
Les observations restent alors, bien sûr, un élément essentiel de l'activité scientifique, mais elles ne sont pas initiales : la phase d'observation porte sur ce qui se produit lors du contrôle des conséquences vérifiables des hypothèses. Autrement dit, les observations sont toujours induites par les hypothèses, et elles ne sont observables qu'au sein des théories qui donnent sens à ces hypothèses (par exemple, on ne peut « observer », la structure d'une molécule qu'en se situant à l'intérieur de la théorie atomique de la matière). Il n'existe pas d'observable pur qui pourrait être la base logique du savoir scientifique.
La vieille leçon de choses voit donc invalidée l'épistémologie de référence qui contribuait à la justifier. On devine alors les usages pédagogiques que permet la lecture de Popper : en classe, les observations ne sont légitimes que si l'élève sait à quelle explication elles peuvent être utiles, c'est-à-dire quelle hypothèse elles permettront de corroborer ou d'invalider et, par conséquent, à quel problème elles pourront apporter une solution. C'est ce que résume le pédagogue Gérard Fourez en écrivant que « observer, c'est structurer un modèle théorique ». (Un petit exercice : comptez le nombre de fois où le mot "observation" apparaît dans la fiche "Chenilles : déplacement, alimentation et cycle de vie" sur le site de la Main à la pâte, présentée à la page précédente).

* La notion d'obstacle épistémologique, que nous devons à Gaston Bachelard, notamment dans sa célèbre Formation de l'esprit scientifique (1938), et dont la didactique contemporaine des sciences fera son miel.
L'esprit d'un enfant n'est pas une table rase. Il est structuré selon une physique, une biologie spontanées, qui expriment le rapport au réel des enfants. Ou, pour parler comme les pédagogues, les élèves ont des « représentations initiales ». Ces représentations sont toujours des explications implicites du monde; elles peuvent alors être des causes internes, psychologiques, d'incompréhension. Tel est, sommairement exposé, l'obstacle épistémologique selon Bachelard : il induit des interprétations erronées des problèmes posés, ou même empêche de les poser, en tout cas de les poser correctement. Ainsi, les enfants (et ils ne sont pas les seuls!) attribuent-ils assez communément aux caractères internes des objets leur capacité ou non à flotter, au lieu de l'expliquer par une propriété liée à la pression de l'eau. Une simple exposition du principe d'Archimède se superposerait à cette représentation, mais ne la modifierait pas. L'élève doublerait simplement sa représentation première d'un savoir scolaire qui ne serait en aucun cas pour lui un outil intellectuel augmentant sa compréhension des phénomènes.

Travailler sur les représentations des enfants, et surtout sur les représentations-obstacles ; s'efforcer de provoquer en eux de véritables ruptures épistémologiques qui les obligent à réaménager leur représentation du monde : tel est le nouveau modèle pédagogique qui rompt lui aussi avec l'approche positiviste d'un enseignement des sciences qui procède des « faits » aux « lois », par une généralisation progressive et sans rupture. De ce coup-là non plus, la leçon de choses ne se relèvera pas.

retour liste documents
retour haut de page

4. Conseils

Que ce soit dans l'analyse de séquence ou dans l'analyse de productions d'enfants, il manque toujours l'essentiel :
* le niveau réel de l'enfant et de la classe (l'indication du cycle est loin d'être suffisante, on sait tous chaque école est particulière)
* la personnalité de l'enfant qui est toujours inconnue quand on fait une analyse de production alors qu'elle est connue du maître dans sa classe (son niveau de dessin, d'expression écrite....)
* la démarche de l'enseignant (place de la séquence par rapport au projet d'école, situation dans la progression annuelle, particularités locales...).

L'analyse est donc bien un EXERCICE qui permet à celui qui le pratique de se former et certainement pas un JUGEMENT qui viserait à former l'auteur des séquences ou des production utilisées.
L'analyse n'est donc pas une critique, même constructive, c'est une réflexion (critique) à partir d'une progression ou d'une production sorties de leur contexte.

Cette épreuve est à mon avis strictement artificielle (un exercice de style) étant donné les inconnues concernant l'enfant qui a produit ce travail, ainsi que celles concernant l'environnement scolaire et la progression choisie par le maître. Je vous conseille donc surtout LE BON SENS pour apprécier toutes les facettes (compétences transversales et disciplinaires) du travail présenté:
* orthographe et écriture ou syntaxe s'il s'agit d'un texte
* soin et qualités artistiques s'il s'agit d'un dessin
* concepts scientifiques dans tous les cas

Le but principal de cet exercice est, à mon sens, de vous entraîner à reconnaître, à partir d'une production d'élèves, les concepts qui y sont exprimés, en vous éloignant le l'attitude du censeur qui juge et note ou de celui qui ne fait que corriger les erreurs. Il est probable que dans votre pratique courante vous n'ayez peut-être pas le temps de détailler chaque approche de chacun des enfants mais cette habitude prise pendant ces années de formation vous aidera sans aucun doute à éviter les jugements hâtifs.
L'idée principale peut être exprimée ainsi :
Quel est le concept scientifique sous-jacent à cette production (on parle aussi de représentation ou encore de représentation première, même si les interprétations de ces notions dépendant des théories de la connaissance auxquelles vous vous referez) ? En quoi diffère-t-il du concept que j'ai souhaité enseigner ? D'où vient l'éventuel décalage ? Peut-il être conservé comme source de diversité au sein de la classe ou bien est-il réellement erroné ?
On peut aussi effectuer l'analyse en terme de difficulté pour l'enfant (à surmonter) plutôt qu'en terme d'obstacle ou de représentation première.

Remarques:

Je renvoie enfin aux théories connexionnistes actuelles (Jean-Marie Vigouroux, communication personnelle) selon lesquelles la réactualisation de concepts erronés dans la mémoire proche conduit toujours l'enfant à renforcer ces concepts. Ce qui va tout à fait dans le sens de prudence proposé par R. Tavernier. Si l'enseignant se doit d'essayer d'être fin psychologue, dans le sens où il ne peut négliger la personnalité de chaque enfant, il n'a ni le temps ni les compétences pour faire une analyse psychologique de chaque enfant à toutes les étapes de ses apprentissages. L'analyse de productions d'enfants est formateur, et pour vous un exercice de concours, mais il n'est certainement pas un mode de travail courant à conseiller dans les classes. L'"émergence des conceptions initiales" va dans le même sens et doit être prise avec beaucoup de précautions.

 

retour haut de page

5. Préparer une séquence

Si la préparation de séquence doit faire l'objet d'un apprentissage professionnel, notamment pour les IPP, il sera surtout utile pour vous, candidats au concours (CRPE: concours de recrutement des professeurs des écoles), de travailler leur analyse. Ces séquences peuvent apparaître dans le deuxième volet (8 points) de l'épreuve écrite d'admission, soit qu'elles vous soient données à l'analyse, soit qu'elles vous soient demandées à la construction.

préparer

définir un ou des OBJECTIFS

savoir : formuler les connaissances que l'on désire que les enfants acquièrent par des mots précis, adaptés à leur niveau; ne pas avoir peur d'utiliser du vocabulaire spécialisé ; mais ne pas limiter les connaissances à des définitions, les concepts doivent aussi être précisés, par exemple en terme de fonction.

savoir-faire : compétences disciplinaires (dessin ou schéma d'observation, dissection, observation à la loupe, conception d'une expérience, d'un montage....) ou compétences transversales (lecture et compréhension d'un texte scientifique, recherche documentaire, rédaction d'un compte-rendu, communication-discussion...)

programmer la PROGRESSION

situation(s) déclenchante(s) prévisibles, susciter et mettre en forme les questions (problèmes si l'on se réfère à une ébauche de démarche scientifique)

prévision des activités soit induites à partir d'hypothèses émises par le maître ou les élèves ou provoquées par les événements prévisibles (travaux, sortie...) avec préparation du matériel de la durée approximative de la répartition éventuelle en groupe...

prévision de la production qui sera demandée à la classe ou à chacun des élèves : orale (mise en commun), écrite (lignes de compte-rendu et/ou dessin dans la plupart des cas), audiovisuelle (photos, films, panneau, livre, exposition.....)

choisir le type et la place (éventuellement la fréquence pour une longue activité) de l'ÉVALUATION

Il est conseillé de réaliser un document écrit de type "fiche de séquence"
La réalisation peut très bien être individuelle suivie d'une simple concertation entre collègues ou bien être le résultat d'un véritable travail en équipe ce qui est bien sûr toujours plus long, demande une certaine habitude et surtout la cohésion de l'équipe pédagogique, mais qui, aux dires de tous, est nettement plus enrichissant pour le maître.

Dans la plupart des séquences proposées lors du concours ces différentes parties un peu théoriques sont respectées mais par contre il existe des disproportions, des maladresses et surtout des étapes non formulées. A vous de les mettre à jour dans vos analyses de séquences. On vous demande plus de faire un commentaire positif que d'émettre des jugements de valeur parfois hâtifs, même si les formateurs eux-mêmes (dont je fais partie) tombent souvent dans cet écueil.

réaliser

de la souplesse et encore de la souplesse et surtout de l'attention aux élèves.
les grands principes vous seront donnés en SSH.
Ne pas se figer dans l'accomplissement de sa fiche de séquence, laisser la place à l'imprévu, même si l'exercice de l'autorité fait partie du métier. Par contre si un enfant se blesse au milieu de la séquence, ce sera d'autres compétences qu'il faudra mettre en œuvre que des compétences disciplinaires : polyvalence, polyvalence.

Pour le concours, seules des indications sur le déroulement de la séquence vous sont données. Elles ne rendent pas compte de l'ambiance et sont souvent idéalisées car une activité est bien souvent morcelée alors qu'elle apparaît artificiellement unifiée lors d'un compte-rendu de séquence. Des indications plus proches du vécu sont données sur le site de La main à la pâte.

analyser

il n'est pas nécessaire de faire une véritable analyse après chaque séquence, mais il est utile de revenir sur le déroulement une fois l'activité terminée, pour apprendre et progresser. Lister les échecs, les lenteurs, les obstacles rencontrés. Ce travail est bien évidemment plus riche en équipe si les séquences ont été réalisées dans des groupes différents. On parle souvent de mutualisation pour désigner ces échanges. Cette activité particulièrement formatrice est couramment pratiquée à l'iufm.

L'exercice d'analyse est justement celui qui est demandé lors de l'écrit du concours. Il est de bon ton de proposer des prolongements d'activité ou des améliorations suscitées par la séquence analysée.

Dans le vécu, une séquence est beaucoup plus SOUPLE. Les situations déclenchantes sont imprévues. Certains maîtres préfèrent chaque année inventer des progressions nouvelles à partir de thèmes choisis en début d'année de façon individuelle : au "coup de cœur" pour une exposition, une sortie, une compétence particulière d'un parent... et ils jettent toutes leurs notes en fin d'année. Ils insistent alors sur le côté personnel, original de chaque classe et donc de chaque apprentissage. Cela les aide aussi peut-être à évoluer et à ne pas sombrer dans la monotonie d'un métier qui demande sans cesse de renouveler son énergie.
D'autres par contre préfèrent garder la trace de toutes les situations vécues et les remodeler éventuellement chaque année. Ils ont ainsi l'impression de mieux emmagasiner des expériences et se sentir plus à l'aise dans toutes les situations.
Le maître idéal n'existe certainement pas. A chacun sa personnalité.

retour haut de page


1ère étape; Analyse d'une discussion entre enfants
2ème étape ; Analyse de deux dessins d'enfants
3. De la nécessité d'une approche épistémologique...mais pas d'une pédagogie unique
4. Conseils
5. Préparer une séquence
retour accueil, planning PE1, cours PE1