Je suis très mal à l'aise avec cet auteur qui, il me semble, masque ses références philosophiques. Ma culture philosophique est trop étroite pour reconnaître les philosophies qu'il utilise. Je sens confusément comme une référence à Hegel, notamment dans sa définition de l'acte éducatif en référence au savoir comme un "processus d'objectivation". Comment ne pas s'étonner qu'il fustige le positivisme dépassé pour parler ensuite de « fonder positivement une pédagogie de l'initiative et de l'anticipation ? (dernière ligne)». Le reste m'est assez étranger et je trouve son argumentation floue et peu convaincante.
Si la question de cet article est "comment certaines représentations des élèves peuvent faire obstacle à l'assimilation du savoir en biologie et en géologie ?" : la réponse me semble être que les enfants (tout comme certains adultes peu habitués à la méthode scientifique) ne hiérarchisent pas leurs connaissances et les méthodes se superposent.
A quoi peut servir une telle classification des représentations forcément vues sous l'angle d'une critique de la connaissance orientée philosophiquement ? Pour certains ces représentations seront de puissantes aides intégratrices qui les aideront dans leur travail scientifique qui est toujours un travail d'imagination auquel tout l'homme participe. Pour d'autres ces représentations seront des freins dans la mesure où elles les enfermeront dans un système. Personnellement, je crois qu'il existe plus de représentations libératrices que de représentations aliénantes et elles ne devraient pas empêcher un vrai scientifique, chercheur de vérité, de se lancer honnêtement dans un travail expérimental.
Finalement, ce qui me gêne le plus, c'est que l'auteur semble vouloir se poser en arbitre de la connaissance scientifique (à partir de l'analyse des obstacles pédagogiques...?) et donnant des critères d'objectivité.
Guy RUMELHARD, professeur au lycée Condorcet à Paris; enseigne également la didactique de la biologie-géologie à l'INRP et au DEA de l'ENS Cachan-Université Paris-Sud.
Biologie-Géologie (Bulletin de l'APBG: association des professeurs de biologie et géologie), 11, 1996
Mots-clés : représentations, obstacles, assimilation
du savoir, biologie-géologie, résistances,
classification.
Mes commentaires sont en bleu.
L'idée que certaines représentations des élèves puisse faire obstacle à l'assimilation du savoir en biologie et en géologie a progressivement pénétré l'enseignement depuis vingt ans. Notre revue a publié de nombreux articles sur ce thème, sous forme d'études de cas. Il semble désormais utile, avec un certain recul, de tenter de donner une définition générale des représentations, de carac tériser les principales propriétés, et de proposer une classification qui ne soit pas une typologie trop figée.
Pour comprendre la fonction pédagogique des représentations des élèves et des enseignants dans l'assimilation du savoir scientifique en biologie (savoir factuel, savoir conceptuel, savoir de techniques et de méthodes) on analysera un exemple avant de donner des définitions et de décrire des propriétés.
Anthropomorphisme et zoomorphisme
Tout enseignant a été confronté, sans même l'avoir cherché, à des propositions écrites ou orales d'élèves qu'il qualifie immédiatement d'anthropomorphismes et qu'il rejette comme inappropriées. Ces propositions apparaissent de manière privilégiée à propos de l'étude du comportement animal : le phasme imite une brindille afin de ne pas être reconnu, l'oiseau exécute une «danse» ou un «chant» destiné à séduire ou a repousser tel autre oiseau. Mais les végétaux et même les molécules peuvent donner lieu à des descriptions en termes de «comportement» identifiés à des comportements humains. « La molécule d'insuline répond à un excès de glucose. Elle quitte le pancréas pour se diriger vers le foie... »
Il n'est pas difficile de proposer un critère opératoire permettant de reconnaître ces propositions, au moins dans les cas les plus nets, et, de plus, de donner ce critère d'identification aux élèves pour qu'ils fassent eux-mêmes ce repérage : «en faisant cette proposition, qui vous semble être une explication, vous décrivez en fait les gestes, les sentiments, les réflexions que vous auriez ou que vous feriez si vous même étiez dans la situation de l'animal, du végétal ou de la molécule ».
La fonction principale de ce type d'expression, dans le contexte scolaire de la recherche d'explications scientifiques à un phénomène observé ou provoqué, est de proposer une phrase qui ressemble à une explication mais qui n'en est pas une. De plus cette pseudo-réponse fait obstacle à la recherche d'une explication en termes de « mécanisme » chimique ou de message précisément car elle se présente comme une réponse.
L'origine de ce type de proposition pseudo-explicative ne semble pas difficile à trouver. L'homme a toujours tendance à privilégier son mode de vie, son organisation sociale, ses réactions affectives, ses solutions technologiques comme modèle pour expliquer le mode de vie des autres êtres vivants. De même, et par ordre d'éloignement, il privilégiera le cas des animaux domestiques, puis celui des autres animaux comme modèle du fonctionnement des végétaux. Etape ultime, il privilégiera tout ce qui est «vivant» par rapport à la matière minérale, et parmi les molécules il conférera un statut particulier aux molécules «organiques». On pourra nommer « zoomorphisme» ou plus largement « biomorphisme» ces deux dernières attitudes. (Si je ne me trompe voilà un syllogisme: que l'on parle d'antropomorphisme, cela est compréhensible mais l'extension faite aux animaux et aux végétaux n'est pas du tout du même genre, c'est toujours l'homme qui pense, le zoomorphisme et le biomorphisme n'existent pas; dans le cas de l'homme il s'agit du vraie problème philosophique de la connaissance, dans le cas de la vie il ne s'agit que de modèles scientifiques dans le cadre de la connaissance scientifique).
De même, à l'intérieur de l'espèce humaine, les premiers ethnologues ont longtemps privilégié le mode de vie supposé «civilisé» par rapport aux autres modes de vie supposés «sauvages », ce que l'on nomme ethnocentrisme.
Cet égocentrisme adulte et enfantin (autant un égocentrisme est normal pour l'enfant autant il doit être dépassé chez l'adulte, c'est tout le rôle de l'éducation) justifie suffisamment la permanence d'un procédé explicatif qui recherche des modèles en survalorisant ce qui est vivant et proche de l'homme à propos de questions très variées et sans liens immédiats. Il n'est pas ici besoin de faire appel à un quelconque parallélisme entre le développement de la pensée enfantine et le développement de l'histoire des sciences pour justifier la permanence d'un type d'explication. Plusieurs didacticiens n'hésitent pas, en effet à formuler une sorte de nouvelle « loi biogénétique fondamentale» un nouveau parallélisme entre ontogénèse et phylogénèse au niveau de l'esprit humain en oubliant totalement l'erreur de Haeckel. Il est vrai que certains biologistes approuvent le bien fondé de la reformulation actuelle, par Nelson, de la « loi biogénétique».
Précisons que nous nous situons dans la perspective scolaire de l'assimilation d'un savoir scientifique. En effet la vulgarisation scientifique utilise abondamment l'anthropomorphisme, mais son objectif n'est pas nécessairement identique même si beaucoup pensent que l'enseignement devrait prendre les procédés de la vulgarisation comme modèle.
La publicité utilise également l'anthropomorphisme, mais ici l'objectif est clair. Susciter tel geste ou l'achat de tel produit en utilisant la valorisation affective ou sociale que l'homme projette sur ce qui l'entoure.
Si l'enseignant considère l'anthropomorphisme comme une erreur une expression fausse qui n'explique rien, le travail pédagogique consiste à l'interdire (c'est faux !). Mais le processus qui donne naissance à ce type de proposition n'est pas analysé ni même désigné. L'erreur risque donc de réapparaître dans d'autres situations à d'autres moments. Voici une première raison pour prolonger le travail d'enseignement au-delà de la simple censure du « faux » accompagné de la proposition « vraie ». Mais si, de plus, on analyse l'anthropomorphisme comme un obstacle, c'est-à-dire une proposition qui, en se présentant comme une réponse séduisante se suffit à elle même et marque un arrêt de la pensée, le travail pédagogique trouve une seconde raison de se prolonger. La réponse anthropomorphique interdite sans que l'élève sache exactement pourquoi conserve un caractère de séduction renforcé par la vulgarisation et la publicité. La réponse scientifique «vraie» risque de ne pas «déplacer» la précédente, de rester simplement juxtaposée, et ceci d'autant plus que, bien souvent elle est sèche et décevante. («non le rouge-gorge n'est pas amoureux, il détecte des plumes et on peut le leurrer !).
Quel travail pédagogique proposer ?
Il serait présomptueux de vouloir empêcher tout anthropomorphisme tellement ses manifestations peuvent être polymorphes, mais aussi dans la mesure ou son emploi peut être légitime en dehors du champ scientifique. (Dans ce cas ce n'est plus de l'anthropomorphisme, la discussion dérive). La poésie garde en particulier ses droits («objets inanimés avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et nous force à l'aimer »). Nous parlerons plus prudemment de déplacement pour situer la fonction du procédé en dehors du champ scientifique, pour préciser qu'il occupe de manière indue la place d'une explication scientifique.
Nous proposerons de le « déconstruire», le néologisme visant à marquer à la fois un travail positif (et non pas un travail négatif de démolition), mais aussi une épreuve. Le travail peut consister à donner aux élèves le critère d'identification cité plus haut et à le faire fonctionner dans diverses situations (« parmi les propositions suivantes... dites lesquelles sont partiellement ou totalement anthromorphiques, en précisant pourquoi»). L'épreuve à surmonter concerne une déception. Le comportement de l'oiseau est déclenché par un « motif», et il peut être « trompé ».
Positivement on peut désigner le progrès intellectuel à faire par le terme de « décentrement», de changement de point de vue, de déplacement, et d'abandon de toute «valorisation» du vivant. On peut multiplier les propositions pratiques allant dans ce sens, sans être jamais certain d'atteindre ce but. Penser utiliser un procédé unique supposé décisif serait illusoire. Le décentrement géographique est aisé à imaginer (redessiner la carte du monde centrée sur le Japon ou l'Australie...). Le décentrement zoologique concerne explicitement le problème que doit résoudre le cornac, le gardien de zoo ou le dompteur : mettez-vous à la place d'un animal qui perçoit l'homme en l'animalisant, et par exemple en l'incorporant à sa hiérarchie sociale. (Ce décentrement est tout à fait illusoire: c'est en homme que l'homme pense le monde: se mettre à la place d'un animal n'a aucun sens philosophique).
Positivement on peut également s'appuyer explicitement sur l'anthropomorphisme, d'autant que l'enseignant le fait souvent implicitement. On peut par exemple se demander si les phénomènes respiratoires existent chez les végétaux et sont identiques à ceux des animaux. (Je ne vois pas en quoi une telle question relève de l'anthropomorphisme). L'enseignant l'admet en général, s'appuyant sur une vision unifiée du monde vivant (ce qui est une affirmation philosophique qui relève de tout autre chose qu'un anthropomorphisme), et il se centre pédagogiquement sur une difficulté : celle qui consiste à identifier les échanges gazeux spécifiques de la photosynthèse. Ce faisant il oublie que Dutrochet, en 1837 a pris soin de démontrer cette respiration.
Mais le zoomorphisme joue et masque la difficulté. Il consiste à projeter sur les végétaux les fonctions physiologiques reconnues chez les animaux : existence d'une circulation, d'une respiration, d'une reproduction, d'une nutrition... On peut ainsi parler d'acceptation trop facile de la part de l'élève, à moins de supposer comme évident l'unification du règne animal et du règne végétal ainsi que l'existence de fonctions communes. Le mot «biologie » renforce certainement ce sentiment d'unité. En laissant jouer ce zoomorphisme les élèves sont donc disposés à proposer comme une certitude le fait que les végétaux se nourrissent et respirent. Ils chercheront éventuellement la bouche, les poumons aisément assimilés aux feuilles (comme le fit autrefois C. Bonnet). Il reste alors à transformer cette proposition en hypothèse à tester bien évidemment.
Mais ce terme d'anthropomorphisme est, d'une certaine façon une catégorie trop englobante. Il faudra la spécifier pour préciser quel champ de l'activité humaine structure implicitement la perception et les modèles explicatifs des savants ou des élèves. On distinguera ainsi des questions liées à l'usage ou à l'utilité des objets et des biens, des questions liées à leur finalité, liées à l'adaptation des outils, des questions liées à l'apprentissage, etc., que nous illustrerons par la suite.
Cette partie m'a semblé particulièrement peu convaincante. Probablement par l'usage du vocabulaire. Le sens des mots que l'auteur utilise n'a peut-être pas le même sens pour moi. S'il nous disait à quelle philosophie il se réfère ?
Définition
Dans l'enseignement de la biologie les représentations sont des éléments visibles, manifestes (phrases, actions, dessins, mais également «oublis») qui traduisent la présence de valeurs étrangères au savoir scientifique (survalorisations tout autant que dévalorisations) qui perturbent l'assimilation des connaissances (connaissances factuelles, conceptuelles, de techniques ou de méthodes). La perturbation se manifeste comme un obstacle qui empêche ou dévie la compréhension, ou bien au contraire qui conduit à une acceptation trop facile. En notant immédiatement que tous les obstacles ne donnent pas nécessairement lieu à une représentation. En notant également que l'emploi pédagogique du mot représentation peut traduire une volonté de rester à la surface visible ou tangible des «objets biologiques» sans rechercher les valeurs latentes. On peut de plus nier l'intérêt de ce travail dans la mesure ou précisément il nécessite des interprétations supposées hasardeuses. (Pour parler de survalorisation / dévalorisation, il faut définir une valeur et donc une référence au bien. On est dans une philosophie et non pas uniquement dans une définition d'un savoir scientifique.)
On définit donc, ici, les représentations (ou les
oublis) par leur fonction pédagoqique et non pas par
leur contenu explicite ou par la méthode permettant de les
recueillir (dessins, textes, questionnaires, observation des
actions...) :
- mettre au premier plan une méthode de recueil risque
de mettre sur le même plan tout ce qui est écrit ou
dessiné, ou observé,... en oubliant
éventuellement de vérifier si cela joue effectivement
un rôle par rapport à l'assimilation du savoir;
- privilégier le contenu manifeste de la représentation
risque d'insister sur le caractère «erroné»
de ce qui est dit, écrit, dessiné,
réalisé, sur l'écart par rapport à la
vérité, et donc de renforcer le statut négatif
ou dévalorisé du travail d'analyse ou de rectification
lié aux obstacles. Il favorise les catalogues de
représentations qui deviennent un but en soi, sinon même
un «sottisier» à but ironique. Il privilégie
les connaissances conçues comme savoir factuel.
Prendre en compte la fonction des représentations et donc le processus qui les a produites implique immédiatement de considérer que le savoir scientifique n'est pas uniquement une simple constatation de faits (vrais ou faux), mais qu'il doit être construit en se démarquant en particulier de tout ce qui n'est pas «connaissance scientifique». Et ceci n'est pas un donné immédiat de l'observation, mais un travail à faire.
Propriétés des représentations
Obstacles et conditions de possibilité
La réalisation d'une mesure rend souvent possible,
est une condition de possibilité d'un progrès
scientifique. On dit ainsi que la chimie commence avec la
pesée. Mais trop de mesures, ou trop de précisions
inutiles et illusoires nuisent à la compréhension
c'est-à-dire constituent un obstacle.
Expliquer un phénomène consiste à chercher
une ( ou plusieurs) causes. L'absence de cause, le fatalisme
s'oppose aux explications scientifiques. Mais le travail scientifique
consiste autant à retrancher des causes qu'à en
ajouter. Trop de causes devient tout autant un obstacle car cela
conduit à une sorte de pandéterminisme dans lequel tout
agit sur tout.
Ces deux exemples, et bien d'autres, conduisent à affirmer
que les obstacles sont souvent doubles : trop ou trop peu,
empêche, mais aussi fait accepter trop facilement,...
Le microscope optique est une technique qui de toute
évidence a permis des progrès, mais on oublie que
Pasteur entre autre a souligné qu'on devait s'en
méfier. Trop d'observation des microbes pouvait faire
obstacle, car leur forme n'est pas stable.
La classification systématique des êtres vivants, ou des
maladies implique la recherche d'une méthode, mais
l'esprit de système risque de rendre insensible à la
variabilité des cas. Inversement la prise en compte de la
variabilité rend difficile la constitution de
catégories.
Polymorphisme
Les obstacles sont polymorphes et semblent obéir à un principe permanent de métamorphose. En ce sens, en parlant a priori d'anthropomorphisme avant de décrire concrètement des phrases ou des dessins, on procède à l'envers. D'autant que l'étymologie du mot qui désigne la catégorie implique un procédé. En confrontant au contraire l'opinion de plusieurs enseignants sur des propositions concrètes, on mesurera mieux la difficulté à utiliser cette catégorie et à la faire fonctionner comme un processus.
Fonctions et usages en dehors du champ scientifique
Les représentations et les processus qui les induisent préexistent aux problèmes et questions scientifiques. Elles ne constituent pas une réponse adaptée à la façon dont le scientifique pose sa question. La persistance des réactions et des représentations vis-à-vis de la maladie, la croyance en l'existence du «mal» sont aussi vieilles que l'homme lui-même. Elles ont pour fonction de rassurer, de lutter contre l'angoisse, mais aussi de faire apercevoir la possibilité d'une action et donc d'une guérison. La représentation a donc une fonction affective et sociale autant qu'une fonction cognitive d'explication. Si la maladie est une lutte, si le mal est localisé, alors on peut envisager de manière optimiste la possibilité d'une action.
Surdétermination affective et sociale
Si l'on admet le point de vue précédent, la représentation ne peut se réduire à ce qu'elle dit explicitement. On peut apercevoir à travers elle toute l'épaisseur de la vie affective et sociale. Dans cette optique on peut considérer qu'elle manifeste, qu'elle est l'indice d'autre chose qui ne peut être mis au jour qu'à travers un travail d'interprétation. On utilisera le concept de surdétermination qui ne signifie pas «détermination par dessus», ou détermination multiple, mais le fait que tel objet ou tel comportement sert de substitut à un grand nombre d'objets ou d'actes interdits ou volontairement masqués.
Trois propriétés découlent de cette
définition :
- la résistance;
- le caractère latent;
- le caractère permanent.
On peut interpréter cette surdétermination dans un
double registre, celui de la psychanalyse ou celui de
l'idéologie :
- le caractère latent renvoie donc soit à
l'inconscient, au concept de censure, d'interdit entraînant
refoulement ou rejet et réapparition sous une forme
condensée, déplacée, substituée; soit
à l'idéologie dominante dont la fonction est de masquer
les rapports réels des hommes à la
société et à la production; en y substituant une
représentation imaginaire;
- la permanence n'est éventuellement qu'apparente et doit
éventuellement être décelée à
travers un certain polymorphisme. La psychanalyse propose le concept
de répétition obsédante (obsessionnelle) et
l'aphorisme «l'inconscient ignore le temps».
L'idéologie, sous des formes et un vocabulaire sans cesse
renouvelés est anhistorique puisqu'elle
vise sans cesse à masquer les rapports réels
d'exploitation.(Ô combien est vraie
cette phrase; je pense à ce que dit Marguerite Léna
dans l'esprit de
l'éducation :
« En dénouant les liens du passé au
présent et à l'avenir, ce qui est le propre du
mensonge, l'idéologie s'en
fait nécessairement la complice. Ainsi, loin de former un
homme nouveau, la dégradation en idéologie politique de
la fonction sociale de l'éducation, livre la
société toute entière aux passions tristes du
vieil homme, et invite les jeunes à la
dissidence.» ) « Il
en a toujours été ainsi» serait son mot d'ordre
que l'analyse historique réelle peut précisément
déconstruire;
- la résistance peut être analysée en termes de
«conflit défensif», concept qui est au coeur
même de la psychanalyse, ou bien en termes de luttes sociales.
Dans les deux cas on imagine donc un processus permanent visant
à recouvrir, à masquer, à empêcher la mise
au jour. D'une certaine façon, si la représentation
peut difficilement être niée dans ce qu'elle dit
explicitement, il est dans sa nature d'être niée dans ce
qu'elle est supposée « manifester ». Il est dans sa
nature d'être toujours-à-nouveau «réduite
» à ce qu'elle dit explicitement, et bien souvent
évacuée puisqu'elle ne dit souvent pas grand chose.
Ruptures
Une fois l'obstacle franchit la nouvelle façon de penser est souvent qualifiée, surtout en physique, de rupture, sinon même de révolution. La révolution copernicienne a surmonté l'anthropocentrisme, la révolution darwinienne a détrôné l'Homme de manière peu contestable. Il est plus difficile d'apprécier la portée de la « révolution pastorienne» et bien souvent, en biologie, les ruptures sont partielles, inaperçues et demandent un long travail pour comprendre qu'il s'agit d'une nouvelle façon de penser et que l'on a pu penser autrement.
Epreuve, sacrifice, renoncement à l'impossible retour
La rupture, le décentrement, le détour... constituent des épreuves. Elles nous rendent étrangers ce qui semblait familier, les objets nàifs de nos questions vitales. Si la pensée commune se précipite au réel, et cherche une réponse immédiate satisfaisante, chacun admettra que la réalisation de la satisfaction immédiate est régressivante, tandis que la capacité de détour est promotionnante. L'activité scientifique inclut l'interdit d'un retour-régression. Elle constitue le réel comme le lieu d'un impossible retour et d'une insatisfaction permanente.
Cicatrices permanentes et remise en continuité
La représentation étant dépassée, elle
demeure bien souvent sous forme d'un vocabulaire qui porte la trace
pour ne pas dire la cicatrice permanente des représentations
anciennes et induit donc toujours - à nouveau sa
réapparition. Le mot « organe » dérivé
de la technologie des machines et des instruments de musique en est
l'exemple le plus représentatif. Un vocabulaire ancien peut
véhiculer des concepts qui contredisent son étymologie
dans les domaines scientifiques très formalisés. La
géométrie (mesure de la terre) peut être dite
«non-euclidienne». Mais en biologie, de plus, c'est parfois
le caractère polysémique et métaphorique du
vocabulaire qui a permis un progrés conceptuel.
Ajoutons donc, comme on vient de le dire, le «travail
résistant» visant à recouvrir la
nouveauté, ainsi que le travail d'appropriation sociale qui
est toujours un travail de réinsertion dans un
système de valeurs et de remise en continuité.
Résistances
Le terme de représentation utilisé dans le domaine didactique n'a pas le privilège d'être unique et univoque. Un très grand nombre d'autres termes sont venus se juxtaposer ou ont tenté de se substituer à lui. Certains mettent en avant le contenu manifeste sinon même son caractère erroné (misconception), d'autres insistent sur la fonction négative (arrêt de pensée, déviation, blocage), ou bien sur une fonction positive (aide, niveau de formulation provisoire, but principal de l'action pédagogique). Le terme de représentation risque de privilégier le contenu manifeste, tandis que le terme d'obstacle qui met en avant une fonction risque de privilégier l'aspect négatif.
Le terme de résistance, ou mieux encore de travail résistant évoque par l'ambivalence de ses significations et la grande extension de ses usages une double fonction et une action exigeant un effort. Le terme est en effet utilisé en physique, biologie, histoire économique et sociale, psychologie... Il fait autant référence à l'analyse objective d'une situation qu'au sentiment vécu, au ressenti subjectif.
La résistance au changement technique est conçue comme conservatrice, archaïque dans le cadre d'une idéologie du progrès. Mais le développement du machinisme industriel et de l'automatisation, de la fragmentation et de la parcellisation des tâches, de l'organisation scientifique du travail ont fait apparaître la résistance de l'homme au travail et son refus positif de se laisser mécaniser.
Mais il est peut être illusoire de chercher un mot qui rendrait immédiatement manifeste le contenu et l'extension de son concept.
Origine des obstacles
La connaissance scientifique n'est pas un but en soi. En biologie le couplage étroit avec les questions de production agricole, de maladie, de santé, et, plus récemment, d'environnement vient le rappeler. Il s'agit d'apporter des solutions aux obstacles rencontrés dans l'exploitation de la nature, dans la production de nourriture et de remèdes, dans la recherche de sécurité existentielle, dans la réduction des peurs, des angoisses, des conflits.
Avant la science ce sont les techniques, les arts, les mythologies et les religions qui proposent leurs réponses. Après l'apparition de la science, ces réponses demeurent ou réapparaissent perpétuellement même si un scientisme naïf avait prétendu les faire disparaître y compris dans le domaine économique. Il n'y a pas de séparation définitive, de coupure évidente qui s'impose d'elle-même avec la force d'un donné. Toutes ces distinctions sont à construire dans un processus d'objectivation.
De plus, les réponses scientifiques ne se suffisent pas à elle-mêmes. Par exemple l'étude biologique de l'alimentation humaine détermine des règles qualitatives et quantitatives à respecter. Elle explique certaines maladies de carence et dit comment les éviter ou les corriger. Elle précise des règles de conservation. Mais elle n'explique pas les préférences et les exclusions culturelles, elle ne donne pas de sens au fait de se nourrir et de partager socialement les repas. Elle ne justifie pas le symbolisme de certains rites religieux. Les connaissances scientifiques se construisent en se rendant indifférent à certains choix de valeurs qui constituent des obstacles à la compréhension, mais elles n'annulent pas ces choix, ne les rendent pas caduques au niveau social. Les théories explicatives des maladies dictent des gestes thérapeutiques chaque fois que c'est possible. Mais elles ne donnent pas toujours la cause d'une maladie, et encore moins le sens d'une souffrance. Elles ne permettent pas de faire disparaître les sentiments de culpabilité. Pour toutes ces raisons la diffusion scolaire des savoirs et leur assimilation doit prendre en compte le conflit entre les vérités scientifiques et les valeurs affectives et sociales.
L'origine des représentations est donc à rechercher à travers ce que les diverses sciences humaines nomment : les règles du langage (linguistique), les fantasmes ou les complexes (psychanalyse), les mythes, la pensée dite primitive ou magique (ethnologie), la pensée commune (Bachelard), les représentations sociales (psychologie sociale), la pensée préscientifique (histoire des sciences), l'idéologie dominante, l'idéologie scientifique, les illusions, l'utopie, etc.
En présence d'une représentation donnée, il sera bien difficile de décider de son origine, d'autant qu'elle n'est pas nécessairement unique. Et c'est souvent peu utile pédagogiquement. L'origine guide rarement un moyen d'intervention.
Classification des obstacles
Pour faciliter le repérage on peut regrouper les diverses représentatitons et les caractériser par un mot. Mais il ne s'agit pas d'une catégorie permettant une classification et encore moins d'une typologie organisée autour d'archétypes. Les limites restent floues, le contenu polymorphe donnant le sentiment de circuler non pas dans un réseau cohérent et organisé mais dans un réseau lâche à n dimensions.
Les questions persistantes relatives aux origines de la vie sont les interrogations constamment renouvelées chez les élèves, mais sous des formes variées. La thèse de la génération spontanée, refusée quand il s'agit d'animaux aisément visibles, peut apparaître sous différentes versions quand il s'agit de vivants microscopiques, et/ou, de plus dans des milieux peu accessibles : profondeur des abysses, fond vaseux d'une mare. Autant de lieux attirants et repoussants, fascinants parce qu'ils se dérobent.(cette vision me semble dépassée avec la recherche océanographique, nos enfants n'ont pas ces peurs...). Mais pour l'individu humain sexué sa propre origine est aussi une question dissimulée à l'observation et, de plus, censurée, interdite (c'est tout le travail du pédagogue de manifester ce qui est caché par la nature. Cependant je ne crois pas que les mots censure et interdits (je rappelle que l'interdit est "un dit entre personnes" selon les mots de Marguerite Léna) soient appropriés : si l'auteur fait référence à un problème moral, on est plus du tout dans un effort d'analyse de la connaissance). A cet ensemble il faut ajouter la question de l'origine historique de la vie sur terre. S'agit-il de la même question au sens scientifique, ou bien d'un ensemble d'interrogations qui sont en résonance?
On peut ramener cette thèse à une hypothèse historiquement plausible en l'ahsence de moyens techniques d'observation, ou de moyens expérimentaux pour reproduire les conditions du milieu. On peut aussi lui donner le statut d'hypothèse admissible chez les élèves, faute de connaissances. Mais une expérience supposée cruciale a-t-elle historiquement suffit ? La polémique entre Pasteur et Pouchet en fait douter. La théorie d'une génération spontanée est une survalorisation des pouvoirs prêtés à la vie. La vie renaît incessamment. On peut y voir également le prestige de l'originel, du primordial, de l'original sinon de l'unique. Si la génération n'est qu'une succession il faut s'inscrire dans une suite, dans une filiation, une descendance... et c'est une dure épreuve d'humilité, sinon une servitude. Les nombreux mythes de négation, c'est-à-dire de refus de la naissance pourraient en apporter la confirmation. Dans le mythe de la naissance du héros Otto Rank développe la même idée, la promotion à l'état parfait, l'ascension sans ascendance, la domination. Et pour aller encore plus loin, il le relie au traumatisme de la naissance. Des propositions identiques de refus de filiation apparaissent à propos des questions d'hérédité.
Il est plus utile de chercher «comment telle représentation, repérée de manière concrète, ici et maintenant, fonctionne dans telle situation précise». Mais le travail ne peut être éternellement refait dans chaque classe et la liste ci-dessous aura une utilité pratique.
Par commodité nous distinguerons trois catégories de
représentations :
- les représentations, non pas du savoir, mais
liées au savoir factuel ou conceptuel, c'est-à-dire que
l'on risque de rencontrer sur le chemin de l'assimilation de ce
savoir;
- les représentations liées à l'activité
scientifique (savants, institutions,...) et à la production du
savoir (méthode, techniques...);
- les représentations liées au rapport au savoir, son
appropriation individuelle, sa diffusion sociale et la volonté
de le diffuser, son utilisation sociale, ses liens avec les pouvoirs.
Le recueil des représentations
Tout enseignant sait repérer des erreurs, des déformations, des écarts, des oublis, des manques, des incompréhensions par rapport au savoir factuel, à l'utilisation du vocabulaire, à la formulation d'un problème, à l'organisation d'une suite de questions, la réalisation d'un dessin,... mais tous ces éléments ne relèvent pas nécessairement du concept didactique de représentation. L'absence d'effort pour mémoriser, la contamination du vocabulaire anglais, la confusion liée à l'homophonie,... peuvent être des explications suffisantes. Et tout enseignant connaît des procédés pour rectifier ces erreurs et ces oublis, sans être jamais assuré du résultat. Ces procédés s'appuyent sur une cause possible de l'erreur : confusion entre nommer, décrire et expliquer; confusion entre cause et conséquence; entre hypothèse et conclusion; entre expérience et test destiné à faire apparaître le résultat ; entre abscisse et ordonnée, c'est-à-dire entre variable et fonction, etc.
La question se modifie lorsqu'il s'agit de chercher des causes «latentes » (doit-on dire profondes ?) de ces mêmes erreurs ou oublis manifestes, et bien sûr lorsqu'il s'agit de faire apparaître un obstacle inapparent dont on ne peut supposer l'existence qu'à partir d'indices qu'il faut interpréter, et qui, de plus, peuvent sembler mineurs.
Des techniques non scolaires peuvent s'ajouter aux procédés habituels d'évaluation. Observation de dessins en cours de réalisation, observation des gestes, des actions, questions fermées ou ouvertes, entretiens individuels. Tous doivent être interprêtés avec prudence en fonction des effets de distorsion (artéfacts) liés aux modalités de la question, de la situation scolaire ou non, de l'évaluation.
Mais si l'on accepte les trois propriétés de latence, de résistance et de permanence attribuées aux représentations, comment «observer» ce qui est latent, sinon à travers une interprétation, comment valider cette interprétation, comment apprécier une résistance sinon à travers la répétition du même, et comment s'assurer du fait qu'une permanence n'est qu'apparente et correspond peut-être à une origine et des conditions d'apparitions différentes?
L'enseignement lui-même, en biologie, est mêlé de représentations, dans le mesure où il est peu formalisé. Les manuels, les exercices d'évaluation sont donc une source et un objet d'analyse. Les procédés utilisés par la publicité et la vulgarisation scientifique, le théâtre, les bandes dessinées, le cinéma scientifique sont également des objets d'analyse.
Interventions didactiques
Il est bien difficile de décrire des procédés
pédagogiques qui seraient systématiquement utilisables
vis-à-vis de tel type de représentation, à la
fois parce qu'aucun procédé n'a d'effet garanti, chaque
enseignant le sait, et parce qu'une typologie est
inappropriée. Reste à analyser cas par cas et à
faire des tentatives. On peut cependant noter quelques remarques
générales :
- autoriser ou favoriser l'expression des représentations
n'est pas un but en soi. Cela implique de les prendre en compte dans
l'assimilation du savoir comme aide ou obstacle;
- une représentation n'apparaît pas
nécessairement comme telle a priori, mais plutôt a
posteriori, par rapport à la manière scientifique de
poser et résoudre tel problème;
- une représentation garde ses fonctions affectives ou
sociales même après avoir été
déplacée comme problème ou comme explication mal
fondée;
- on est souvent tenté d'opposer à une
représentation un fait bien observé, une situation
paradoxale, un raisonnement logique. C'est, d'une certaine
façon considérer le problème de la
méthode scientifique de validation comme résolu. Une
représentation qui se présente comme une fausse science
ne peut recevoir de démenti logique, ni de contradiction, ni
de paradoxe. D'une certaine façon elle ne rencontre pas le
réel, ni le faux. Elle ne renonce à rien, ou bien
accepte tout, elle ne change pas de langage ou bien les incorpore
tous pour perdurer;
- ces remarques n'interdisent pas le travail pédagogique mais
soulignent une dissociation entre les représentations du
savoir et celles de la méthode scientifique chez les
enseignants eux-mêmes. La conscience d'un sujet qui serait le
témoin objectif d'un monde parfaitement extérieur n'est
pas la condition initiale de la connaissance. Elle est aussi à
construire... et à compliquer progressivement;
- reconnaître l'existence de faits rendus le plus
«objectifs» possible en particulier par la
réalisation de mesures est une étape. Mais il n'existe
pas plus de «faits purs» que «d'expérience
pure». On peut donc aussi reconnaître : des faits qui ont
signifié historiquement quelque chose, mais ne signifient plus
rien ; des faits qui ont changé de signification ; des faits
qui ne prennent sens que dans le cadre d'une théorie, d'un
concept, d'un modèle; des faits qui nécessitent un long
travail critique pour être admis; des faits évidents et
qui pourtant n'ont pas été observés pendant
longtemps; des faits qui ne sont pas directement visibles (hasard,
grand nombre, absence,...) de façon à remettre en cause
l'équivalence : visible = réel = vrai, qui
prétend se passer de tout travail théorique ou
critique;
- on peut créer des mots qui identifient les obstacles :
hérédité-mélange,
hérédité-héritage,
immunité-événement,
immunité-propriété, respiration lente,
dévitaliser la vie, dématérialiser la
matière,
réalité-réalisme-surréalisme.
Intégration lente du concept didactique d'obstacle dans l'enseignement de la biologie
« L'enseignement des résultats de la science n'est jamais un enseignement scientifique». Cette affirmation de Gaston Bachelard est plus facilement acceptée, sinon même revendiquée au niveau des déclarations d'intention et des instructions officielles qui guident l'enseignement que réellement et aisément mise en pratique. On peut en effet soupçonner un important décalage entre les intentions et la réalité car de nombreux facteurs sociaux et affectifs contribuent à privilégier, dans la représentation des buts de l'enseignement scientifique, l'image symbolique de l'ingénieur, l'image de la science comme production de résultats, donc de savoirs et de savoir-faire.
Au nombre des conditions nécessaires pour qu'un enseignement scientifique devienne réellement une pièce d'une culture scientifique et technique, il faut mettre au premier plan l'intérêt croissant que cet enseignement porte à l'origine et au fonctionnement des obstacles à l'assimilation des connaissances scientifiques, comme en témoigne le récent colloque international qui a eu lieu à l'Université du Québec à Montréal en Septembre 1988.
Il ne s'agit pas d'une nouvelle panacée, selon une tradition bien ancrée qui veut que toute innovation soit immédiatement promue au rang de solution universelle à tous les problèmes, mais plus modestement d'un élément dans un ensemble de concepts permettant d'expliquer et éventuellement de rectifier certains types de difficultés rencontrées par les enseignants et les apprenants.
Mais ce concept d'obstacle, ou de résistance à l'assimilation questionne et remet en cause beaucoup d'autres principes d'enseignement. Il provoque un «bougé» dans l'ensemble de la réflexion pédagogique si l'on veut bien lui donner sa signification réelle. Il provoque donc, également un travail régressif de recouvrement et d'annulation de sa signification. La popularisation des termes de «représentation» ou de «conceptions» à la place des concepts d'obstacle ou de résistance en sont peut être la marque. On remplace la fonction (d'obstacle) par une chose (la représentation). Le concept d'obstacle s'oppose en effet au principe pédagogique d'un savoir clair en lui-même et qu'il suffirait d'énoncer pour qu'il soit compris. («pédagogie des idées claires» dans la tradition dérivée de Descartes). Il s'oppose également à une méthode d'enseignement qui s'appuie presque exclusivement sur une épistémologie privilégiant «le fait», et «l'évidence du visible», dans une tradition dérivée du positivisme. Elle conduit également à questionner et rectifier les méthodes dites «actives», dans la mesure où ce principe d'activité de l'élève a trouvé son expression conceptuelle la plus fréquente dans le pragmatisme. Dans la tradition américaine dérivée de J. Dewey, l'activité s'est souvent réduite «au faire», en devenant condition non seulement nécessaire, mais aussi, bien souvent suffisante «du comprendre».
Intégrer le concept d'obstacle invite à penser les finalités de l'enseignement non plus comme un ensemble d'objectifs désignables de manière explicite, et dont l'assimilation peut être évaluée de manière objective et observable, mais comme un processus d'objectivation*, c'est-à-dire aussi de renoncement, de deuil, de déplacement. de détour, de déconstruction, de substitution, d'indifférence aux valorisations, etc.
Ce courant de réflexion didactique a trouvé, en France, son origine dans l'oeuvre de Gaston Bachelard dont les idées ont été popularisées essentiellement après guerre. Il a trouvé son prolongement en biologie et en géologie dans les années cinquante dans l'oeuvre de Georges Canguilhem. Qu'il suffise cependant de rappeler que les travaux pédagogiques issus de ce courant d'idées sont longtemps restés occasionnels et fragmentaires, et que les premiers travaux de caractère universitaire ne datent que du milieu des années soixante-dix, pour souligner l'importance des résistances qu'il a fallu, et qu'il faut toujours à nouveau vaincre.
Parmi les facteurs expliquant qu'un tel temps se soit écoulé, on peut rechercher des obstacles à surmonter et des conditions de possibilité à réaliser. Le positivisme qui imprègne profondément l'enseignement de la biologie depuis Claude Bernard, connu et assimilé sans avoir été réellement lu, a joué un rôle positif en mettant l'accent sur l'aspect technique et expérimental de tout enseignement scientifique. La science n'est pas seulement un discours sur les résultats. Elle inclut des expériences produisant des observations. Mais ce positivisme constitue encore et toujours un redoutable obstacle dans la mesure ou, paradoxalement, il a en fait engendré plusieurs mythes épistémologiques tout en se voulant anti-métaphysique. En particulier l'existence de «faits» ou d'expériences bien faites constituant des éléments indépendants de toute théorie, ou bien l'existence d'une méthode générale guidant, ou devant guider les travaux scientifiques. Les Journées pour la Coordination des enseignements de philosophie et de Sciences naturelles organisées au Centre international d'études pédagogiques (CIEP) de Sèvres en 1951 à l'initiative de G. Canguilhem, alors Inspecteur général de philosophie ont tracé pour vingt ans les limites de cette incompréhension.
La réflexion critique ne pouvait venir de la tradition du positivisme logique anglo-saxon, même si plusieurs auteurs attribuent à l'irruption en France des traductions de Karl Popper ou de S. Kuhn, l'origine d'un changement de l'épistémologie «spontanée» des enseignants.
Piaget a joué un rôle positif en inaugurant les études sur les représentations cognitives des enfants. Mais il a également joué un rôle majeur de frein par sa volonté de promouvoir une pédagogie «autonome» par rapport à toute réflexion «philosophique», en la fondant «scientifiquement», en pensant créer une épistémologie expérimentale, en pensant débuter une étude expérimentale de l'esprit humain. Cette introduction du positivisme en pédagogie, la recherche d'obstacles ne prédispose pas, à tout le moins, à admettre cette idée d'obstacles latents.
Il fallait également que le discours sur l'enfant cesse de n'être que la projection de l'adulte, vision d'un adulte en réduction, ou négation de toute spécificité, pour prendre en compte l'enfant comme personne à part entière. Les travaux des psychanalystes et la popularisation que Françoise Dolto a su en faire à partir du milieu des années soixante constituent un élément de cette évolution.
Peut-être fallait-il également que l'enseignement prenne en compte la formation permanente pour s'affronter au savoir d'adultes qui a obligé, à la suite des travaux de J. Migne, Bertrand Schwartz et de l'INFA, à inventer un autre regard sur les difficultés d'apprentissage.
L'histoire des sciences qui a joué, en France, un rôle majeur dans la critique de certains mythes épistémologiques engendrés par les obédiences positivistes n'est que lentement devenue une discipline universitaire à part entière, tout en se diversifiant et en intégrant les perspectives sociologiques et institutionnelles.
De même, pour donner toute son ampleur au concept d'obstacle en histoire des sciences et en pédagogie des sciences, il a fallu attendre le développement de nombreuses études : la psychologie sociale, inaugurée par Serge Moscovici à propos de la psychanalyse et Claudine Herzlich en biologie médicale; les études sur les mythes (J.P. vernant, Mircea Eliade... pour n'en citer que deux); les études sur l'art et la littérature (le fantastique par exemple chez Jurgis Baltrusaïtis ou Tzvetan Todorov pour ne citer qu'un cas) ; les études sur la publicité, la vulgarisation, la muséologie...; les travaux des psychanalystes sur les mythes et les religions (Bernard This) ou sur les théories de la connaissance (J.P. Valabréga). Et la liste est bien évidemment ouverte. Car si, selon G. Canguilhem, «les sciences humaines contemporaines ont mis l'accent sur la présence obsédante, dans l'acte initial de la connaissance, de valeurs étrangères à la connaissance qui en perturbent la construction », il n'y a aucune raison de délimiter a priori l'horizon à partir duquel rechercher ces survalorisations/dévalorisations perturbatrices. Et si, comme nous le supposons, ces valeurs étrangères persistent dans la science constituée et dans son enseignement/assimilation, particulièrement en biologie ou en géologie qui sont des sciences peu formalisées, il faut se donner la culture la plus large possible pour rechercher des images, des métaphores, des archétypes, des mythes, des schémas de pensée dérivés des pratiques techniques, des pratiques corporelles, des pratiques institutionnelles, idéologiques, symboliques, religieuses,... qui risquent d'expliquer certains types de difficultés d'enseignement/apprentissage.
Mais si ce concept d'obstacle a une fonction principalement polémique et critique vis-à-vis de certaines conceptions épistémologiques, de certaines conceptions pédagogiques au niveau des méthodes d'enseignement et au niveau des méthodes de recherche pédagogique, il donne également un statut positif à l'erreur. Dans son livre sur La formation de l'esprit scientifique Gaston Bachelard, en exposant et illustrant «le concept d'obstacle épistémologique a fondé positivement l'obligation d'errer». L'erreur est nécessaire non par le fait de ce qui est extérieur à la connaissance, mais par l'acte même de connaître. Au niveau de l'assimilation des connaissances, ce concept peut donc fonder positivement une pédagogie de l'initiative et de l'anticipation.
Bibliographie
Articles sur le thème des représentations
déjà publiés par l'auteur dans Biologie
Géologie :
- Représentations et concepts, Thèmes et thèses
pour une recherche pédagogique, 1-1981, p. 127-136,
- La notion d'équilibre, concept ou métaphore? 3-1985,
p. 541-549,
- Les notions d'habitude et d'accoutumance, 2-1987, p. 331-339.
- Le concept biologique de milieu et les usages courants du mot,
1-1989, p. 146-160.
- La transformation des pneumocoques... Le risque de dogmatisme,
1-1992, p. 161-165.
- Enseignement et apprentissage de la causalité en biologie,
1-1994, p. 119-129.
- Permanence, métamorphose, transformation, 2-1995, p.
333-345.
La revue ASTER publiée par l'INRP depuis 1985, propose des
articles sur ce thème dans chacun de ses vingt numéros.