15/06/2006
L'idée
et la trame de cette page ont été
données par une conférence de Michel Morange
à l'ENS
dans le cadre de la Journée
Perspectives nouvelles en biologie
théorique
organisée par : Michel Morange (ENS) et Jean-Jacques
Kupiec (Inserm) dont le contenu
enregistré
est accessible sur internet à l'adresse:
http://www.diffusion.
ens.fr/index.php?r
es=cycles&idcycle=252.
La
conférence est très accessible, même
à un élève de terminale :
(disponible à
l'adresse: http://www.diffusion.ens
.fr/index.php ?res=conf
&idconf=1089)
1. Vers un regard
d'ensemble
La biologie
théorique peut se définir de bien des
manières:
- pragmatiquement ou
socialement :
elle est ce que les chercheurs en biologie théorique
en font ;
*
une biologie
théorique basée sur l'information ou
plutôt les relations entre les objets de
la biologie : elle met en évidence des réseaux
et met en avant notamment le concept
d'auto-organisation. (On peut lire par exemple
la déclaration du RNSC : Réseau National des
Systèmes Complexes :
http://complexsystems.lri.fr/RNSC/tiki-index.php?page=RNSC+Annexe+Scientifique,
une structure commune INSERM, CNRS, INRA).
Je
recommande des approches plus accessibles, beaucoup moins
formalisées et moins théoriques qui sont
davantage basées sur une interdisciplinarité
physique-biologie; une éminente représentante
en est par exemple : Annick
Lesne de l'UMPC et l'IHES;
je recommande son article sur les réseaux:
Réseaux
complexes: de la théorie des graphes à la
biologie;
elle signe aussi l'article "auto-organisation"
de l'E.U.
*
une biologie
théorique fondée sur l'étude de la
morphogenèse; ce courant va de D'Arcy
Thompson à René Thom en passant par
Turing.
*
une biologie
théorique développée à partir de
la compréhension du développement des
organismes (principalement animaux); elle a
été fondée par l'embryologie
expérimentale et restait peu
mathématisée
(sauf si l'on considère les efforts de Thom et plus
récemment les très nombreux efforts des
physiciens dans le cadre d'une morphodynamique qui rejoint
le courant précédant...)
*
une biologie
évolutive ou écologie évolutive
qui, à l'inverse de la plupart des autres champs est
reconnu académiquement, peut-être du fait que
son outil principal est la statistique. Elle est à la
frange de la biologie théorique.
*
un courant que
certains rattachent à la biologie théorique
qui est la biologie des systèmes
(system biology) assez diversifié dans son
approche.
Pour une
introduction à la systémique on peut par
exemple lire la page: http://www.afscet.asso.fr/resSystemica/sysminat1.html;
*
Michel Morange cite
enfin la biologie moléculaire comme une
branche très théorique de la biologie
basée sur la notion de programme biologique.
Cette
remarque est provocatrice mais peut brouiller les cartes
(toute biologie à ce titre a besoin de théorie
mais ce n'est pas pour autant qu'elle est constituée
en biologie théorique). Cependant il est très
important que les biologistes moléculaires se
joignent au débat de la biologie théorique.
Quand Michel Morange dit la
biologie moléculaire c'est une théorie en
action,
je ne suis pas sur que cela suffise pour la faire participer
au débat. Cependant, comme c'est la théorie du
paradigme dominant il est évident que les autres
théories vont se construire en regard, si ce n'est
contre cette théorie (la plupart s'accordent à
dire que les
modèles de la biologie moléculaire ont atteint
leurs limites).
Remarque:
Je
préfère d'autres approches qui ont le
mérite de mieux cerner les objectifs des
différents chercheurs. Je crois qu'en effet, dans
biologie théorique, la distinction des champs ne peut
pas se faire à partir de la biologie
(comme
M. Morange le présente dans sa conférence
ci-dessus) mais
bien à partir des théories et donc de la
philosophie.
Michel Morange a
classé autre part* ces courants selon ce qu'il nomme
des "schèmes" : « un schème
molécularo-mécaniste, un schème
darwino-historique et un schème physique
non-causal.
Le schème molécularo-mécaniste est le
fruit de la révolution moléculaire du milieu
du XXe siècle. Le schème darwino-historique a
une structure qui lui a été donnée par
150 années de recherches et de débats depuis
la publication de l'ouvrage de Darwin L'origine des
espèces. De même, le schème
d'explication de type physique a, en ce début de XXIe
siècle, des caractéristiques
particulières, qui lui viennent par exemple de
l'importance accordée à la structure et
à la dynamique des réseaux. C'est la mise en
oeuvre de ce schème explicatif physique qui se cache
derrière la bannière de la biologie
systémique ou de la biologie
intégrative.»
pluridisciplinaire
mais aussi anthropomorphique,
épistémologique,
politique, sociale...
ce qui est
patent dans son approche épistémologique...
mais ce qui donne lieu à d'innombrables affrontements
dus à des points de vue mais aussi à des choix
de vie différents. Mais je ne crois pas du tout que
ces affrontements soient mauvais, ni évitables; je
renvoie au texte de Mariano Artigas sur The Ethical Roots
of Karl Popper's Epistemology, disponible à
l'adresse
http://www2.nd.edu/Departments/Maritain/ti/artigas.htm.
Dans tout effort de vérité, ouvert à
l'autre, l'homme se grandit.
Comme
science elle est expérimentale par son objet mais pas
par sa méthode, si on veut bien me pardonner cette
figure de rhétorique, contradictoire en apparence
(elle n'utilise pas forcément la méthode
expérimentale - comme méthode propre - mais
elle s'intéresse avant tout à
l'expérience - car son objet est bien une science
expérimentale). Les méthodes de la biologie
théorique sont au moins triples : la logique (le
discours raisonnable), la mathématisation et
l'expérimentation. Comme discours elle
s'intéresse à la science (elle est
épistémologique) et aux biologistes (elle est
donc sociale, politique).
Ces deux aspects recoupent
ce que Michel Morange dit du champ de la biologie
théorique qui est historique
et contextuel.
La biologie
théorique a tout à gagner à s'appuyer
sur les philosophes qui l'aideront à
démêler l'écheveau des
matérialismes, naturalismes et autres philosophies de
la nature qui fondent souvent inconsciemment ses
démarches. Mais tout comme la biologie
théorique qui possède ses zélateurs
officiels et ses dissidents, la philosophie des sciences est
parfois phagocytée par une
épistémologie - officielle ou dissidente - qui
n'a pas grand chose à voir avec la recherche de la
vérité. J'appelle de tous mes vux une
formation philosophique pour les enseignants de SVT (et les
futurs chercheurs) mais rien ne peut remplacer la recherche
sincère personnelle de la
vérité.
Les
caractéristiques citées par Michel Morange
sont:
- la diversité du
champ...
Concrètement,
que faire ? Michel Morange
pointe 3 besoins de la biologie contemporaine:
- un besoin de
pluridisciplinarité (non pas forcément
pour des disciplines outil mais comme fondement du
questionnement sur la biologie: c'est donc avant tout une
épistémologie qui est nécessaire)
Lors de la discussion une
auditrice souligne que la biologie théorique
débouche essentiellement sur un besoin d'histoire, ce
qui est caractéristique du champ de la biologie
théorique, comme Michel Morange l'avait
souligné auparavant.
C'est on ne
peut plus clair pour l'enseignant que je suis.
Je
recommande fortement une conférence
(RealPlayer
streaming) d'André
Pichot à
destination des étudiants de l'ENS Lyon:
Histoire
des théories biologiques. (Comparaison et
articulation des explications mécanistes, chimiques,
et historiques en
biologie)
du jeudi 11 mars 2004.
La causalité
est une notion philosophique qui possède donc des
éclairages forts différents selon les
sensibilités.
Pour la majeure partie des
scientifiques la cause est comprise dans sa
définition kantienne
comme une catégorie mentale qui permet de penser la
succession des phénomènes dans le temps, ce
qui est un déterminisme (une causalité
nécessaire); Kant l'oppose à la
causalité libre, irrationnelle
(causalité transcendantale).
Forts de l'irruption de
l'indéterminisme en science
expérimentale
(voir page sur la
science),
certains philosophes
n'hésitent pas à montrer l'incohérence
de la position kantienne qui a tenté d'enlever la
liberté au domaine scientifique, réduisant
ainsi les sciences biologiques à un domaine inhumain,
car l'homme ne peut être privé de
liberté (par
exemple, voir quelques citations dans la présentation
d'Antoine Suarez, philosophe et physicien du Center for
quantum Philosophy (Zürich et Genève)
à l'occasion d'un séminaire interdisciplinaire
et international dans la résidence universitaire
londonienne Netherhallhouse (7 janvier 2007): Dieu
joue-t-il aux dés ? http://www.nh.netherhall.org.uk/Assets/january_seminar/Suarez-DescribingWorldWhereFreedomIsPossible.pdf).
Si la causalité est
de l'ordre ontologique (de l'être), le
déterminisme
est de l'ordre du phénomène.
Une cause n'est pas toujours
suivie d'effet, même si tout fait a une cause. Une
cause n'est pas démontrable c'est un principe
expérimental qui repose sur l'expérience du
changement (qualitatif) et du mouvement
(quantitatif).
L'analyse de Thom me
paraît profonde pour ce qui concerne le
déterminisme. S'il est clair que le réel est
fait de beaucoup de déterminisme et d'un peu
d'indéterminisme, on ne peut renoncer au
déterminisme sans renoncer à comprendre et
donc à savoir. « L'action humaine, pour
être efficace, requiert le déterminisme du
monde.» (Liberté et déterminisme :
une conciliation ?, 1993f11 mais René Thom a beaucoup
écrit sur le déterminisme et je renvoie le
lecteur au CDRom des uvres complètes et au
moteur de recherche intégré).
Les notions de
causalité descendante (up-down),
montante (bottom-up) et la nouvelle venue rayonnante
(middle-out) ne sont que des expressions
imagées par lesquelles il est très difficile
de savoir ce que veut dire la personne qui les emploie. En
tout cas elle n'ont pas de sens dans une vision ontologique
aristotélicienne de la causalité.
La
finalité
La cause finale
(voir les
4
causes en SVT)
n'est pas un problème pour un scientifique qui la
comprend au sens d'Aristote.
La rejet de tout vocabulaire
liée à la fin est bien souvent la marque d'un
néo-positivisme radical qui n'est pas ontologiquement
plus scientifique qu'une autre approche.
À la fin on oppose
souvent le hasard, considéré
comme beaucoup plus scientifique, et pourtant paré de
tous les attributs de la finalité (qui est de l'ordre
de la compréhension et non de l'explication
déterministe).
J'aime bien la
définition de Bertrand Saint-Sernin sur le hasard en
biologie (dans l'article "hasard" de l'E.U.): «Le
hasard signifie donc ici une interaction
imprévisible, parce qu'inhabituelle, entre des ordres
de phénomènes qualitativement distincts et
généralement autonomes». Dans cette
acception le hasard n'est plus la mystification d'une
absence de finalité (absurdité).
L'émergence
Ce mot que je croyais
innocent il y a encore peu (avec le sens d'apparition de
quelque chose de nouveau) a été
utilisé dans un sens particulier par plusieurs
personnes ou écoles et il n'est pas facile de s'y
retrouver (je ne suis pas compétent pour citer les
sens en linguistique, en psychanalyse.... et dans tant
d'autres domaines). Dans les réseaux neuronaux et en
intelligence artificielle on parle d'émergence (ou
auto-organisation) pour une performance
réalisée grâce à des
modifications de connexions non programmées
explicitement.
Souvent les débats
autour de ce mot recoupent bien d'autres notions
philosophiques sans que les contradicteurs s'entendent sur
le sens des mots qu'ils emploient.
L'ordre et l'organisation; le chaos et
le chaos déterministe...
voir Qu'est-ce
que la vie ? et cours
de 1ère S
(rechercher les mots dans ces
pages)
Je précise que,
d'une part, certaines
idées personnelles
ont été mélangées à
celles de Michel Morange et que, d'autre part, le but de
cette page n'est pas de proposer quelquechose de nouveau, ou
de très réfléchi, mais juste de me
faire l'écho des travaux et de la pertinence de ce
courant auquel je souhaite participer comme
enseignant.
par Michel Morange (ENS)
[27 février
2006 à 11h15]
La fronce thomienne du nouveau logo de la Société
Française de Biologie Théorique
il existe de nombreux courants ou écoles selon
les spécialités et les approches des acteurs
de la biologie théorique - on peut essayer de
goûter la diversité à partir des listes
d'intervenants aux rencontres de la Société
Française de Biologie
Théorique;
voici quelques écoles citées par Michel
Morange:
Cependant, je fais partie de ceux qui craignent (comme je
pense N. Amzallag) que cette approche parfois trop
"physicienne" ne s'approprie le vivant sans comprendre sa
profonde originalité: la physique n'a pas le
même objet que la biologie voir Qu'est-ce
que la vie ?
et
Les
sciences
expérimentales
et les méthodes peuvent légitimement
différer. Il ne faut pas oublier que le paradigme
moléculaire dans lequel la biologie se débat
depuis 60 ans nous vient des physiciens (voir
cours
de 1èreS).
On ne peut qu'être prudent.
* le
lien avec le résumé de la table ronde de 2005
(je crois ?) étant obsolète je renvoie
à la page d'accueil du site http://epigenomique.free.fr/fr/index.php).
On notera que l'épigénomique est
paradoxalement la discipline officiellement reconnue comme
interdisciplinaire et associée au schème
non-causal alors que, pour tout ce qui est
génétique, elle s'appuie sur une biologie
théorique très causale (même si le lien
est vague, comme le montre l'emploi irraisonné de
"programme génétique" qui perdure).
-
intellectuellement
: elle est
un état d'esprit
d'ouverture...
-
moralement
: elle est un
élan vers la
vérité...
-
métaphysiquement:
elle est une
science et un discours sur la science
(Cela me
rappelle mes années à l'iufm où je
m'étais efforcé de comprendre ce que l'on
entendait par didactique des sciences... il y a beaucoup de
similitude dans ces deux démarches... voir par
exemple une page sur
savoir et didactique).
- le lien étroit avec la technique mais qui n'est
fondamental que pour la biologie
synthétique....
je pense aussi que la biologie théorique doit pouvoir
rompre ce lien sans être
dépréciée...
- le lien fort avec les mathématiques qui n'est pas
encore absolu (et ne doit pas être poussé
à l'extrême comme avec Nicholas Rashevsky comme
cela est souvent cité)...
- une lien obligatoire avec l'expérience.
Je pense
que les formulations plus haut reprennent ces
idées.
2. La biologie théorique pour tous
Sur quoi
débouche ce que d'aucun qualifient de mode de la
biologie théorique
mais qui est bien plus profond car je pense que nous vivons
un changement de paradigme en biologie ?
- un besoin de vision globale (dans l'espoir de
dégager des lois (des principes); comme un retour
à une vision non réductionniste pour
rééquilibrer la vision moléculaire)...
ce qui nécessitera de déplacer les
thèmes des programmes de recherche et le niveau
d'explication des phénomènes....
En tant
qu'enseignant du secondaire j'appelle de tous mes vux
une refonte (et un allégement) des programmes de SVT
dans ce sens.
- un besoin de
temporalité (réintroduire le bruit et
l'agitation au niveau moléculaire, la dynamique au
niveau des systèmes et l'évolution à
tous les niveaux).
Ce que
je m'efforce de faire depuis 1998 est d'intégrer ces
éléments dans mon cours (voir la
page
sur la théorie des modèles de René
Thom
que j'ai essayé de formuler avec mes mots de
professeur de SVT et les quelques essais
de formalisation en seconde et première
S).
Les trois points essentiels sur lesquels je voudrais
être soutenu (et pour lesquels je ne le suis pas) sont
donc:
- la nécessité de l'histoire (ce qui
demande une formation des enseignants de SVT et de la
documentation préparée pour eux par des
historiens des sciences)
- l'ouverture à la pluridisciplinarité
(ce qui nécessite davantage de ponts avec nos
collègues philosophes; pourquoi pas des cours en
commun prévus à l'emploi du temps annuel...
selon les affinités évidemment; mais les
antagonismes ne sont pas encore une fois
rédhibitoires)
- le soutien aux mathématiques qui sont
très attaquées dans l'enseignement secondaire
(voir par exemple les
pages de Laurent Lafforgue).
Que l'on
ne me reproche pas de faire un cours orienté
épistémologiquement alors que c'est justement
une caractéristique de la biologie théorique.
C'est de la confrontation d'innombrables points de vue que
naîtra une biologie théorique vivante. Je pense
qu'il est de mon devoir d'essayer d'impliquer mes
élèves dans ce changement (ce que je me suis
efforcé de présenter lors d'une
conférence
à Poitiers).
3. Les questions ou les mots qui
fâchent
D'aucuns sont fidèles au
cartésianisme qui réduit la
causalité à la cause efficiente ou encore
à la vision empiriste où la cause n'est que la
relation qui lie deux phénomènes successifs.
Bien peu sont attachés à une définition
basée sur l'être, aristotélicienne
ou scolastique. Personnellement je crois que cette
approche reste le moyen le plus profond pour comprendre les
faits scientifiques comme tous les autres. J'ai
essayé de présenter
la
richesse et l'actualité de la causalité
dans une page sur les
4
causes en SVT.
Au sujet de la
causalité, même si la question n'est pas du
tout la seule abordée, je recommande la lecture de
l'article de Yves-Marie Visetti paru dans Intellectica
n°21, 1996: Fonctionnalismes
(http://formes-symboliques.org/IMG/pdf/doc-81.pdf),
particulièrement les pages 12-13.
Dans les discours simplificateurs dont les pédagogues
(dont je suis) font usage, il est fréquent que la foi
en un hasard "salvateur" soit élevée au rang
de dogme rationaliste (je
recommande à ce sujet Nissim Amzallag, L'homme
végétal : pour une autonomie du vivant, 2003,
Albin Michel, ch2; où l'auteur décrit les
étapes de la montée en puissance du hasard
explicatif qualifié de hasard
salvateur). Or, la
plupart des biologistes qui osent s'attaquer au hasard, y
compris dans une perspective darwinienne, ne le font pas
dans le but d'y substituer une causalité
transcendante, mais tout simplement de redonner à
l'être vivant son autonomie
et
son
mystère.
C'est dans cette perspective que la finalité
d'Aristote est tout à fait recevable scientifiquement
et ouverte à de nombreux courants
matérialistes ou plus vitalistes.