Expérimenter
... ce texte est destiné
à proposer une entrée un peu frontale pour les
questions que j'aborde de façon plus progressive avec les PE
à l'iufm...
La méthode expérimentale fait partie
intégrante du fondement de la connaissance scientifique. La
définition métaphysique d'une science
expérimentale ne s'oppose pas à une recherche
épistémologique, mais elle en est le point de
départ. On pourrait même dire que l'on ne peut pas faire
d'épistémologie sans croire à la science. La
science est une connaissance de la réalité, à
la lumière des causes immédiates (voir pages sur
la science et sur la méthode
sur le site associé).
La méthode expérimentale est une, du point de vue
philosophique, c'est-à-dire dans ses fondements, mais pas bien
sûr dans ses déroulements. C'est pour cela que les
critiques souvent adressées à une caricature de la
méthode (sigle OHERIC : observation, hypothèse,
expérience, résultat, interprétation,
conclusion) sont justifiées. Je pense notamment à ce
qui est qualifié de "démarche expérimentale".
Mais ces critiques ne s'adressent pas tant à la méthode
elle-même qu'à sa pédagogie. C'est la
façon de l'enseigner qui est critiquable. Ce qui ressort de la
critique épistémologique moderne c'est au contraire une
confiance dans la puissance de la raison à connaître le
réel (que l'on soit réaliste ou idéaliste). La
contingence historique des systèmes scientifiques, leur
dépendance à des modes de pensée, à des
philosophies anciennes, est au contraire un appui pour qui sait bien
que la connaissance que l'homme a de la réalité
n'épuise pas l'être de celle-ci. Si on y adjoint un
humanisme qui hiérarchise les
valeurs, je trouve que l'on peut dire que cette époque est
passionnante par les défis qu'elle pose.
Il faut donc réviser l'enseignement de la méthode
expérimentale sans pour autant provoquer le doute dans
l'esprit des enseignants. Leur donner les moyens d'avoir confiance
dans la science et les capacités de l'homme à
connaître le réel et mettre ensuite ses connaissances au
service de l'homme.
Il faut donc distinguer d'une part la recherche
épistémologique sur les sciences expérimentales,
et d'autre part la recherche pédagogique de l'enseignement des
sciences (on pourrait aussi dire didactique mais dans ce cas
l'épistémologie, incontournable, risque de rendre les
concepts plus flous pour quelqu'un qui n'est pas habitué
à les manipuler).
- En ce qui concerne la recherche épistémologique,
c'est essentiellement une épistémologie issue des
travaux de Bachelard qui est enseignée à l'iufm. Le
point d'orgue de la réflexion étant la
définition de l'obstacle épistémologique
(voir extraits).
Mais si Bachelard lui-même a utilisé des exemples
d'obstacles épistémologiques mis en évidence
à partir de leçons de science, il ne faut pas
oublier que son discours est avant tout philosophique. Il ne me
semble pas que son propos ait été
pédagogique. C'est bien plus tard que les didacticiens se
sont emparés de cette notion obstacle
épistémologique et ont construit une
pédagogie à partir de ce qu'ils considèrent
comme des obstacles épistémologiques. Un exemple
typique est à mon avis le texte de Guy RUMELHARD sur la
didactique des SVT. Si la recherche
épistémologique est légitime et
féconde, son application pédagogique est à
mon avis beaucoup plus discutable.
- On en arrive donc au deuxième point si souvent
mélangé avec le premier. Avec la critique
épistémologique des sciences expérimentales
on est arrivé à critiquer fortement l'enseignement
des sciences (pédagogie ou plus précisément
didactique du fait des liens qu'elle a avec la philosophie, mais
je préfère parler ici de pédagogie ; pour une
discussion à ce sujet voir savoir et
didactique). L'ancienne pédagogie est parfois
qualifiée un peu vite de modèle " observer pour
apprendre " (voir par exemple quelques critiques de Pierre Kahn
dans "De l'enseignement des sciences
à l'école primaire; l'influence du
positivisme"). D'une part, il semble émerger une
sorte de contre-modèle de la leçon de sciences, ce
qui est certainement tout le contraire de ce que cherchaient
Bachelard et ses successeurs, d'autre part peut-on actuellement
proposer un autre modèle, ou plutôt, est-ce
nécessaire ?
- Un contre-modèle de la leçon de science ?
C'est celui que l'on peut essayer de dégager de
l'étude des sujets de CRPE et CICRPE (partie
didactique): il pourrait avoir le squelette suivant:
- recueil des conceptions des enfants par un
dialogue dont le maître note les points essentiels au
tableau (l'intérêt est double : d'une part
connaître les conceptions des enfants qui pourraient
faire obstacle à un apprentissage (par exemple si un
enfant est persuadé que le tube digestif est
séparé en un conduit pour les liquides - qui
forme l'urine- et un conduit pour les solides- qui forme les
selles); d'autre part faire "émerger" un
problème que l'on souhaite traiter dans la
leçon (je précise bien que dans cette phase le
maître qui domine son sujet, peut très bien
accepter des problèmes auxquels ils n'avait pas
pensé ou au contraire guider les questions pour
déboucher sur des problèmes déjà
préparés...)
- phase active (pour les enfants): recherche
documentaire, mise en place "d'expériences"... la
plupart du temps en petits groupes...
- phase de regroupement et de "mutualisation" des
acquis ou encore de synthèse avec l'incontournable
trace écrite et évaluation.
- Je suis presque certain de ne pas me tromper en affirmant
que la première étape dite "de recueil des
conceptions des enfants" n'est ni généralisable,
ni voulue par les épistémologistes. On ne manque
pas maintenant d'exemples, étant donné l'emploi
fréquent de cette méthode pour commencer les
cours de sciences, où l'expression graphique ou
l'exposé oral de ces conceptions par les enfants,
provoque chez eux un renforcement, à l'opposé de
ce que l'enseignant voulait faire. De plus le
déchiffrement des productions d'enfants qui est une
réelle psychanalyse, demande une grande habileté
de la part de l'enseignant ce qui suppose une formation,
absente habituellement (voir productions
d'enfants).
Je ne nie pas la richesse de la recherche
épistémologique mais je crois au contraire
qu'elle vaut mieux qu'une caricature. Les pédagogies des
maîtres, forcément diverses, s'enrichiront de
cette prise de conscience des obstacles mais devront aussi se
sortir de ce faux carcan de l'analyse obligée des
productions d'enfants. Pendant la période de formation
à l'iufm, le travail sur les productions d'enfants
devrait être limité à quelques
séances et surtout abordé en formation continue
et à mon avis, retiré du concours.
Il existe de nombreuses autres méthodes pour aborder une
question en classe qui puisse laisser une bonne dose
d'autonomie et de spontanéité à l'enfant.
La mise en place d'élevages, de cultures est sans aucun
doute un exemple particulièrement
démonstratif.
- Le terme d'expérience ne doit pas à
mon avis être galvaudé et qualifier de simples
observations ou des manipulations. Une expérience
scientifique est une des étapes de la méthode
expérimentale et nécessite donc de s'inscrire au
sein d'une réflexion. Je renvoie par exemple aux
discussions sur
l'aquarium avec les PE2. En voici une formulation: les
hypothèses qui fondent les expériences ne sont
pas des suppositions et une expérience ne teste pas un
comportement mais une hypothèse (voir savoir
et didactique). Voici un exemple: on ne donne pas du
chocolat a une chenille en disant: "La chenille aime le
chocolat. Nous allons en faire l'expérience. Si la
chenille grignote le chocolat c'est qu'elle aime cela".
Évitons d'abord le vocabulaire anthropomorphique pour
désigner un aliment : préférons la
formulation : "la chenille mange le chocolat". Ensuite, la
chenille mangera peut-être le chocolat, mais cela ne
prouve rien si l'on est pas dans le cadre d'une théorie
scientifique sur le régime alimentaire de la chenille.
Ce qui n'est pas possible bien sûr avec un animal
d'élevage et avec un aliment artificiel. Mais on peut
tout de même "faire des sciences" avec une chenille et du
chocolat, même si l'on est pas dans une démarche
"naturaliste ou écologique". Une observation ne devient
scientifique, n'acquiert un sens, que si elle est
raisonnée, c'est-à-dire si elle s'inscrit dans
une démarche expérimentale. Une hypothèse
pourrait être ici que d'une part la chenille sent
(chimiquement) le chocolat et qu'il contient une ou des
substances chimiques attractives. On pourrait alors imaginer
une série d'expériences avec des objets de
même forme, couleur et taille que le carré de
chocolat, d'autres imprégnées de
différentes substances... bref, des expériences
testant ces hypothèses. Une hypothèse ne peut
désigner un comportement: la chenille va manger ou ne
pas manger...le chocolat. Elle doit désigner une
causalité: la chenille mange le chocolat
parcequ'elle le reconnaît comme nourriture non
toxique...ce qui est autrement plus difficile à prouver.
On peut aussi simplement proposer comme hypothèse que la
chenille est attirée par le chocolat.
Tout le travail d'exigence et de précision de
vocabulaire que demande le respect de la méthode
expérimentale n'est pas vain, bien au contraire. Il me
paraît être le garant d'un véritable
apprentissage de la méthode et par là d'une
connaissance scientifique. Je ne crois pas à l'inverse
que laisser les enfants faire des "essais pour voir" soit
formateur, du moins pour le sujet qui nous intéresse qui
est une formation à l'esprit scientifique. Il est
certain que dans le cadre d'un entraînement à
l'oral par exemple, on est dans une toute autre perspective. Je
renvoie encore à la discussion avec les PE2 sur
l'aquarium
où il a été clairement affirmé
qu'il ne fallait pas sous-estimer les enfants ou au travail
réalisé avec mes collègues sur la
polyvalence où il nous est
apparu clairement que l'approfondissement disciplinaire
était le gage d'un enrichissement mutuel.
- Il semble clair que les étudiants et les stagiaires
réclament des modèles de leçons...
au nom des critères qui autorisent les formateurs,
conseillers pédagogiques et inspecteurs, à juger
de la qualité des leçons qu'on leur
présente. Je crois que tout le monde est unanime pour
rejeter un modèle unique, contrairement à ce qui
peut être perçu par certains étudiants lors
de l'analyse des sujets de concours. Pas de pédagogie
unique. Pas de modèle unique. Mais bien une discipline :
les sciences de la vie et des la terre, qui sont un ensemble de
sciences expérimentales (biologiques au sens le plus
large et géologiques) mais aussi historiques (pour la
partie histoire de la vie et de la terre). La contribution d'un
formateur disciplinaire se situe donc dans ce domaine
précis de l'aide à la mise en place de
leçons de sciences qui permettent réellement un
apprentissage scientifique, en accord avec les instructions
officielles (I.O.) et des objectifs ambitieux
d'éducation. C'est dans cette optique que sont
proposés sur ce site des corrigés de
leçons (sujets du CRPE), des leçons
réalisées avec des objectifs didactiques
disciplinaires ou polyvalents... Pas de modèles de
leçons, donc, mais des leçons
exemplaires.