Cette page est recopiée de l'ouvrage de Georges CANGUILHEM, La connaissance de la vie, Hachette, 1952 (pp 13-45): les titres et commentaires en bleu sont personnels et les erreurs de copie involontaires, étant évident que je conseille au lecteur de se reporter au texte original...


MÉTHODE

 

0n serait fort embarrassé pour citer une découverte biologique due au raisonnememt pur. Et, le plus souvent, quand l'expérience a fini par nous montrer comment la vie s'y prend pour obtenir un certain résultat, nous trouvons que sa manière d'opérer est précisément celle à laquelle nous n'aurions jamais pensé.

H. BERGSON.

(L'Evolution créatrice , Introduction)

 

L'EXPÉRIMENTATION EN BIOLOGIE ANIMALE

La méthode expérimentale n'a pas été fondée par Claude Bernard
Il est d'usage, après Bergson, de tenir l'Introduction à l'Etude de la Médecine expérimentale (1865) comme l'équivalent, dans les sciences de la vie, du Discours de la Méthode (1637) dans les sciences abstraites de la matière (1). Et c'est aussi une pratique scolaire assez répandue que d'utiliser l'Introduction comme on utilise le Discours à seule fin de paraphrase, de résumé, de commentaire verbal, sans se donner la peine de réinsérer l'un ou l'autre dans l'histoire de la biologie ou des mathématiques, sans chercher à mettre en correspondance le langage du savant honnête homme, s'adressant à d'honnêtes gens, et la pratique effectivement suivie par le savant spécialiste dans la recherche des constantes d'une fonction physiologique ou dans la mise en équation d'un problème de lieu géométrique. Dans ces conditions, l'Introduction parait codifier simplement, tout comme selon M. Bachelard le Discours, « la politesse de l'esprit scientifique.., les habitudes évidentes de l'homme de bonne compagnie (2) ». C'est ce que notait Bergson : « Quand Claude Bernard décrit cette méthode, quand il en donne des exemples, quand il rappelle les applications qu'il en a faites, tout ce qu'il expose nous paraît si simple et si naturel qu'à peine était-il besoin, semble-t-il, de le dire : nous croyons l'avoir toujours su (3). » A vrai dire, la pratique scolaire veut aussi que l'Introduction soit presque toujours réduite à la première partie, c'est-à-dire à une somme de généralités, sinon de banalités, en cours dans les laboratoires, ces salons du monde scientifique, et concernant aussi bien les sciences physico-chimiques que les sciences biologiques, alors qu'en fait ce sont la seconde et la troisième partie qui contiennent la charte de l'expérimentation en biologie. Enfin et surtout, faute de choisir expressément, pour apprécier la signification et la portée spécifique du discours méthodologique de Claude Bernard, des exemples d'expérimentation proprement heuristique, des exemples d'opérations exactement contemporaines du seul savoir authentique, qui est une rectification de l'erreur, on en vient, pour n'utiliser que des exemples d'expérimentation de portée didactique, consignés dans les manuels d'enseignement, à altérer involontairement mais profondément le sens et la valeur de cette entreprise pleine de risques et de périls qu'est l'expérimentation en biologie.

Une expérience n'a pas de sens expérimental si elle n'est pas réalisée dans le but de tester une hypothèse
Soit un exemple. Dans une leçon sur la contraction musculaire, on définira la contraction comme une modification de la forme du muscle sans variation de volume et au besoin on l'établira par expérimentation, selon une technique dont tout manuel scolaire reproduit le schéma illustré : un muscle isolé, placé dans un bocal rempli d'eau, se contracte sous excitation électrique, sans variation du niveau du liquide. Où sera heureux d'avoir établi un fait. Or, c'est un fait épistémologique qu'un fait expérimental ainsi enseigné n'a aucun sens biologique. C'est ainsi et c'est ainsi. Mais si l'on remonte au premier biologiste qui a eu l'idée d'une expérience de cette sorte, c'est-à-dire à Swammerdam (1637-1680), ce sens apparaît aussitôt (4). Il a voulu établir, contre les théories d'alors concemant la contraction musculaire, que dans ce phénomène le muscle n'est augmenté d'aucune substance. Et à l'origine de ces théories qui toutes supposaient une structure tubulaire ou poreuse du nerf, par la voie duquel quelque fluide, esprit ou liquide, parviendrait au muscle, on trouve une expérience qui remonte à Galien (131-200), un fait expérimental qui traverse, invariable jusqu'à nos jours, des siècles de recherches sur la fonction neuro-musculaire : la ligature d'un nerf paralyse le muscle qu'il innerve. Voilà un geste expérimental à la fois élémentaire et complet ; toutes choses égales d'ailleurs, le déterminisme d'un conditionnement est désigné par la présence ou l'absence, intentionnellement obtenues, d'un artifice dont l'application suppose d'une part la connaissance empirique, assez neuve au temps de Galien, que les nerfs, la moelle et l'encéphale forment un conduit unique dont la cavité retient l'attention plus que la paroi, et d'autre part une théorie psychologique, c'est-à-dire métaphysique, selon laquelle le commandement des mouvements de l'animal siège dans le cerveau. C'est la théorie stoïcienne de l'hégémonikon qui sensibilise Galien à l'observation que peut faire tout sacrificateur d'animaux ou tout chirurgien, qui l'induit à instituer l'expérience de la ligature, à en tirer l'explication de la contraction tonique et clonique par le transport du pneuma. Bref, nous voyons surgir notre modeste et sèche expérience de travaux pratiques sur un fond permanent de signification biologique, puisqu'il ne s'agit de rien de moins, sous le nom sans doute un peu trop abstrait de « vie de relation », que des problèmes de posture et de locomotion que pose à un organisme animal sa vie de tous les jours, paisible ou dangereuse, confiante ou menacée, dans son environnement usuel ou perturbé.

Il a suffi d'un exemple aussi simple pour reculer très haut dans l'histoire de la culture humaine les opérations expérimentales dont trop de manuels attribuent à Claude Bernard, du reste en dépit de ses affirmations explicites, sinon l'invention du moins la codification. Sans toutefois remonter à Aristote ou à Galien, nous demanderons à un texte du XVIII° siècle, antérieur de plus de cent ans à l'Introduction, une définition du sens et de la technique de l'expérimentation. Il est extrait d'une thèse de médecine, soutenue à Halle, en 1735, par M.,P. Deisch : Dissertatio inauguralis de splene canibus exciso et ab his experimentis capiendo fructu (5) : « Il n'est pas étonnant que l'insatiable passion de connaître, armée du fer, se soit efforcée de se frayer un chemin jusqu'aux secrets de la nature et ait appliqué une violence licite à ces victimes de la philosophie naturelle, qu'il est permis de se procurer à bon compte, aux chiens, afin de s'assurer - ce qui ne pouvait se faire sur l'homme sans crime - de la fonction exacte de la rate, d'après l'examen des lésions consécutives à l'ablation de ce viscère, si les explications proposées par tel ou tel auteur étaient vraies et certaines. Pour instituer cet examen si douloureux et même cruel on a dû, je pense, être mû par cette certitude que nous possédons concernant la fonction des testicules dans les deux sexes, dont nous savons très solidement qu'ils ont dans la génération un rôle de première nécessité, du seul fait que les propriétaires ont coutume de livrer à la castration chaque année, quelques milliers d'animaux pour les priver à jamais de fécondité, sinon tout à fait de désir amoureux. Ainsi, on espérait pouvoir aussi facilement observer, sur les chiens survivant à l'ablation de la rate, quelque phénomène au sujet duquel les mêmes, observations seraient impossibles sur les autres animaux intacts et pourvus de ce même viscère. » Voilà un texte plein. Son auteur n'a pas de nom dans l'histoire de la biologie (6), ce qui semble indiquer qu'avec un peu plus d'érudition nous trouverions d'autres textes du même genre au XVIII° siècle. Il attribue clairement à la vivisection animale une valeur de substitut. Il lie l'institution de l'expérience à la vérification des conclusions d'une théorie. Il montre le rôle de l'analogie dans cette institution. Point capital, il met en continuité l'expérimentation aux fins de vérification théorique et des techniques biologiques, élevage et castration (7). Enfin, il fait reposer l'enseignement expérimental sur la comparaison établie entre l'animal préparé et l'animal témoin. Que pourrait-on vouloir de plus ? (on peut aussi prolonger cette discussion par la notion de modèle, modèle vivant dans ce cas, idée que je n'ai pas encore développée.) Sans doute, l'ablation de tout un organe peut paraître un procédé assez grossier. Mais claude Bernard n'a pas procédé autrement. Et lorsqu'en 1889 Von Mering et Minkowski découvrirent le diabéte expérimental et amorcérent les observations qui devaient amener à l'identification des îlots de Langerhans, c'est pour avoir privé un chien du pancréas total, considéré comme une glande unique jouant son rôle dans la digestion intestinale.

En fait, comme le montre Claude Bernard, ce n'est que par l'expérimentation que l'on peut découvrir des fonctions biologiques. L'lntroduction est, sur ce point, bien moins explicite que les Leçons de Physiologie expérimentale appliquée à la Médecine (1856). Contre le préjugé anatomiste remontant au De Usu partium de Galien, selon lequel la seule inspection du détail anatomique permettrait de déduire catégoriquement la fonction, Claude Bernard montre que ce principe concerne à la rigueur les organes dans lesquels, à tort ou à raison, l'homme croit reconnaître des formes lui rappelant celles de certains instruments produits par son industrie (la vessie est un réservoir, l'os un levier) mais que même dans ces cas d'espèce, peu nombreux et grossiérement approximatifs, c'est l'expérience du rôle et de l'usage des outils mis en oeuvre par la pratique humaine qui a fondé l'attribution analogique de leur fonction aux organes précités. Bref, la déduction anatomo-physiologique recouvre toujours une expérimentation. Le problème, dirions-nous, en biologie, n'est donc pas d'utiliser des concepts expérimentaux, mais de constituer expérimentalement des concepts authentiquement biologiques. Ayant noté que des structures apparemment semblables - même à l'échelle microscopique - n'ont pas nécessairement la même fonction (par exemple, pancréas et glandes salivaires), et qu'inversement une même fonction peut être assurée par des structures apparemment dissemblables (contractibilité de la fibre musculaire lisse et striée), Claude Bernard affirme que ce n'est pas en se demandant à quoi sert tel organe qu'on en découvre les fonctions. C'est en suivant les divers moments et les divers aspects de telle fonction qu'on découvre l'organe ou l'appareil qui en a la responsabilité. Ce n'est pas en se demandant : à quoi sert le foie ? qu'on a découvert la fonction glycogénique, c'est en dosant le glucose du sang, prélevé en divers points du flux circulatoire sur un animal à jeun depuis plusieurs jours.

On doit retenir au passage qu'en 1856 Claude Bernard donne les capsules surrénales pour exemple d'un organe dont l'anatomie microscopique est connue et dont la fonction est inconnue. L'exemple est bon et mérite attention. En 1718, l'académie de Bordeaux ayant mis au concours la question De l'usage des glandes rénales, c'est Montesquieu qui fut chargé du rapport concernant les mémoires reçus par l'académie. Voici sa conclusion : « On voit par tout ceci que l'académie n'aura pas la satisfaction de donner son prix cette année et que ce jour n'est point pour elle aussi solennel qu'elle l'avait espéré. Par les expériences et les dissections qu'elle à fait faire sous ses yeux, elle a connu la difficulté dans toute son étendue, et elle a appris à ne point s'étonner de voir que son objet n'ait pas été rempli. Le hasard fera peut-être quelque jour ce que tous ses soins n'ont pu faire. » Or c'est précisément en 1856 que Brown-Sequard fondait expérimentalement la connaissance des fonctions de la surrénale, mais à partir du Mémoire dans lequel Addison avait, l'année précédente (8) décrit les symptômes, révélés par le hasard de la clinique, de la maladie à laquelle son nom reste attaché.

On sait qu'avec les découvertes de Claude Bernard sur la fonction glycogénique du foie (9), les travaux de Brown-Sequard sur les sécrétions internes fondent la connaissance du milieu intérieur. Cette notion, aujourd'hui classique, doit nous renvoyer aux moments initiaux de sa formation. Nous y trouvons l'exemple d'un de ces concepts proprement biologiques dont l'élaboration est à la fois effet et cause d'expérimentations, mais surtout a exigé une véritable conversion théorique. « La science antique, écrit Claude Bernard, n'a pu concevoir que le milieu extérieur ; mais il faut, pour fonder la science biologique expérimentale, concevoir de plus un milieu intérieur... ; le milieu intérieur, créé par l'organisme, est spécial à chaque être vivant. Or, c'est là le vrai milieu physiologique (10). » Insistons bien sur ce point. Tant que les savants ont conçu les fonctions des organes dans un organisme à l'image des fonctions de l'organisme lui-même dont le milieu extérieur, il était naturel qu'ils empruntassent les concepts de base, les idées directrices de l'explication et de l'expérimentation biologiques à l'expérience pragmatique du vivant humain, puisque c'est un vivant humain qui ce trouve être en même temps, et d'ailleurs au titre de vivant, le savant curieux de la solution théorique des problémes posés par Ia vie du fait même de son exercice. Que l'on soit finaliste ou que l'on soit mécaniste, que l'on s'intéresse à la fin supposée ou aux conditions d'existence des phénomènes vitaux, on ne sort pas de l'anthropomorphisme. Rien n'est plus humain en un sens qu'une machine, s'il est vrai que c'est par la construction des outils et des machines que l'homme se distingue des animaux. Les finalistes se représentent le corps vivant comme une république d'artisans, les mécanistes comme une machine sans machiniste. Mais comme la construction de la machine n'est pas une fonction de la machine, le mécanisme biologique, s'il est l'oubli de la finalité, n'en est pas pour autant l'élimination radicale (11). Voilà pourquoi, dans quelque perspective finaliste ou mécaniste que le biologiste se soit d'abord placé, les concepts utilisés primitivement pour l'analyse des fonctions des tissus, organes ou appareils, étaient inconsciemment chargés d'un import pragmatique et technique proprement humain.

De l'expérience à la fonction et de la fonction à la technique et retour à l'expérience
Par exemple, le sang, la sève s'écoulent comme l'eau. L'eau canalisée irrigue le sol ; le sang et la sève doivent irriguer eux aussi. C'est Aristote qui a assimilé la distribution du sang à partir du coeur et l'irrigation d'un jardin par des canaux (12). Et Galien ne pensait pas autrement. Mais irriguer le sol, c'est finalement se perdre dans le sol. Et là est exactement le principal obstacle à l'intelligence de la circulation (13) On fait gloire à Harvey d'avoir fait l'expérience de la ligature des veines du bras, dont Ia turgescence au-dessous du point de striction est une des preuves expérimentales de la circulation. Or, cette expérience avait déjà été faite en 1603 par Fabrice d'Aquapendente - et il est bien possible qu'elle remonte encore plus haut - qui en avait conclu au rôle régulateur des valvules des veines, mais pensait qu'il s'agissait pour elles d'empêcher le sang de s'accumuler dans les membres et les parties déclives. Ce qu'Harvey ajouta à la somme des constatations faites avant lui est ceci, à la fois simple et capital : en une heure, le ventricule gauche envoie dans le corps par l'aorte un poids de sang triple du poids du corps. D'où vient et où peut aller tant de sang ? Et d'ailleurs, si l'on ouvre une artère, l'organisme se saigne à blanc. D'où naît l'idée d'un circuit fermé possible. « Je me suis demandé, dit Harvey, si tout ne s'expliquerait pas par un mouvement circulaire du sang. » C'est alors, que, refaisant l'expérience de la ligature, Harvey parvient à donner un sens cohérent à toutes les observations et expériences. On voit comment la découverte de la circulation du sang c'est d'abord, et peut-être essentiellement, la substitution d'un concept fait pour « cohérer » des observations précises faites sur l'organisme en divers points et à différents moments, à un autre concept, celui d'irrigation, directemen[ importé en biologie du domaine de la technique humaine. La réalité du concept biologique de circulation présuppose l'abandon de la commodité du concept technique d'irrigation.

En conclusion, nous pensons comme Claude Bernard que la connaissance des fonctions de la vie a toujours été expérimentale, même quand elle était fantaisiste et anthropomorphique. C'est qu'il y a pour nous une sorte de parenté fondamentale entre les notions d'expérience et de fonction. Nous apprenons nos fonctions dans des expériences et nos fonctions sont ensuite des expériences formalisées. Et l'expérience c'est d'abord la fonction générale de tout vivant, c'est-à-dire son débat (Auseinandersetzung, dit Goldstein) avec le milieu. L'homme fait d'abord l'expérience de l'activité biologique dans ses relations d'adaptation technique au milieu, et cette technique est hétéropoétique, réglée sur l'extérieur et y prenant ses moyens ou les moyens de ses moyens. L'expérimentation biologique, procédant de la technique, est donc d'abord dirigée par des concepts de caractère instrumental et, à la lettre, factice. C'est seulement après une longue suite d'obstacles surmontés et d'erreurs reconnues que l'homme est parvenu à soupçonner et à reconnaître le caractère autopoétique de l'activité organique et qu'il a rectifié progressivement, au contact même des phénomènes biologiques, les concepts directeurs de l'expérimentation. Plus précisément, du fait qu'elle est hétéropoétique, la technique humaine suppose une logique minima, car la représentation du réel extérieur que doit modifier la technique humaine commande l'aspect discursif, raisonné, de l'activité de l'artisan, à plus forte raison de celle de l'ingénieur. Mais il faut abandonner cette logique de l'action humaine pour comprendre les fonctions vivantes. Charles Nicolle a souligné très vigoureusement le caractère apparemment alogique, absurde, des procédés de la vie, l'absurdité étant relative à une norme qu'il est en fait absurde d'appliquer à la vie (14). C'est dans le même sens que Goldstein définit la connaissance biologique comme « une activité créatrice, une démarche essentiellement apparentée à l'activité par laquelle l'organisme compose avec le monde ambiant de façon à pouvoir se réaliser lui-même, c'est-à-dire exister. La connaissance biologique reproduit d'une façon consciente la démarche de l'organisme vivant. La démarche cognitive du biologiste est exposée à des difficultés analogues à celles que rencontre l'organisme dans son apprentissage (learning), c'est-à-dire dans ses tentatives pour s'ajuster au monde extérieur (15) ». Or cette obligation où se trouve le biologiste de former progressivement ou mieux de mûrir les concepts biologiques par une sorte de mimétisme c'est ce que, selon Bergson, Claude Bernard a voulu enseigner : « Il a aperçu, il a mesuré l'écart entre la logique de l'homme et celle de la nature. Si, d'après lui, nous n'apporterons jamais trop de prudence à la vérification d'une hypothèse, jamais nous n'aurons mis assez d'audace à l'inventer. Ce qui est absurde à nos yeux ne l'est pas nécessairement au regard de la nature : tentons l'expérience et si l'hypothèse se vérifie il faudra bien que l'hypothèse devienne intelligible et claire à mesure que les faits nous contraindront à nous familiariser avec elle. Mais rappelons-nous aussi que jamais une idée, si souple que nous l'ayons faite, n'aura la même souplesse que les choses (16). »

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 La méthode expérimentale appliquée aux êtres vivants leur est propre
L'intérêt de l'Introduction pour une étude des procédés expérimentaux en biologie tient davantage, au fond, dans les restrictions que Claude Bernard apporte aux considérations générales sur les postulats et les techniques de l'expérimentation que dans ces considérations elles mêmes et c'est pourquoi le deuxième chapitre de la deuxième partie l'emporte de beaucoup, selon nous, sur le premier. Sur ce point du reste, Claude Bernard a un précurseur dans la personne de A. Comte. Dans la quarantième leçon du Cours de Philosophie positive : Considérations sur l'ensemble de la science biologique, on peut lire : « Une expérimentation quelconque est toujours destinée à découvrir suivant quelles lois chacune des influences déterminantes ou modifications d'un phénoméne participe à son accomplissement et elle consiste, en général, à introduire dans chaque condition proposée, un changement bien défini afin d'apprécier directement la variation correspondante du phénomène lui-même. L'entière rationalité d'un tel artifice et son succès irrécusable reposent évidemment sur ces deux conditions fondamentales : I° que le changement introduit soit pleinement compatible avec l'existence du phénoméne étudié, sans quoi la réponse serait purement négative ; II° que les deux cas comparés ne différent exactement que sous un seul point de vue, car autrement l'interprétation, quoique directe, serait essentiellement équivoque (17). » Or, ajoute Comte : « La nature des phénoménes biologiques doit rendre presque impossible une suffisante réalisation de ces deux conditions et surtout de la seconde. » Mais si A. Comte, avant Claude Bernard, et vraisemblablement sous l'influence des idées exposées par Bichat dans ses Recherches physiologiques sur la Vie et la Mort, 1800 (18), affirme que l'expérimentation biologique ne peut pas se borner à copier les principes et les pratiques de l'expérimentation en physique ou en chimie, c'est bien Claude Bernard qui enseigne, et d'abord par l'exemple, que le biologiste doit inventer sa technique expérimentale propre. La difficulté, sinon l'obstacle, tient dans le fait de tenter par l'analyse l'approche d'un être qui n'est ni une partie ou un segment, ni une somme de parties ou de segments, mais qui n'est un vivant qu'en vivant comme un, c'est-à-dire comme un tout. « Le physiologiste et le médecin ne doivent donc jamais oublier que l'être vivant forme un organisme et une individualité.... Il faut donc bien savoir que, si l'on décompose l'organisme vivant en isolant ses diverses parties, ce n'est que pour la facilité de l'analyse expérimentale et non point pour les concevoir séparement. En effet, quand on veut donner à une propriété physiologique sa valeur et sa véritable signification, il faut toujours la rapporter à l'ensemble et ne tirer de conclusion définitive que relativement à ses effets dans cet ensemble (19). »

Reprenant maintenant en détail les difficultés relevées par A. Comte et Claude Bernard, il convient d'examiner, en s'aidant d'exemples, quelles précautions méthodologiques originales doivent susciter dans la démarche expérimentale du biologiste la spécificité des formes vivantes, la diversité des individus, la totalité de l'organisme, l'irréversibilité des phénomènes vitaux.

Spécificité. Contrairement à Bergson qui pense que nous devrions apprendre de Claude Bernard, « qu'il n'y a pas de différence entre une observation bien prise et une généralisation bien fondée (20) », il faut bien dire qu'en biologie la généralisation logique est imprévisiblement limitée par la spécificité de l'objet d'observation ou d'expérience. On sait que rien n'est si important pour un biologiste que le choix de son matériel d'étude. Il opère électivement sur tel ou tel animal selon la commodité relative de telle observation anatomique ou physiologique, en raison soit de la situation ou des dimensions de l'organe, soit de la lenteur d'un phénomène ou au contraire de l'accélération d'un cycle. En fait le choix n'est pas toujours délibéré et prémédité ; le hasard, aussi bien que le temps, est galant homme pour le biologiste. Quoi qu'il en soit, il serait souvent prudent et honnête d'ajouter au titre d'un chapitre de physiologie qu'il s'agit de la physiologie de tel animal, en sorte que les lois des phénomènes qui portent, ici comme ailleurs, presque toujours le nom de l'homme qui les formula, portassent de surcroît le nom de l'animal utilisé pour l'expérience : le chien, pour les réflexes conditionnés ; le pigeon, pour l'équilibration ; l'hydre pour la régénération ; le rat pour les vitamines et le comportement maternel ; la grenouille, « Job de la biologie », pour les réflexes ; l'oursin, pour la fécondation et la segmentation de l'oeuf ; la drosophile, pour l'hérédité ; le cheval, pour la circulation du sang, etc. (21). (je pense ici aux remarques de Rosine Chandebois dans Le gène et la forme, sur l'utilisation de la drosophile pour l'étude du développement, remarques que j'ai partiellement reprises dans mes pages sur la génétique).

Or, l'important ici est qu'aucune acquisition de caractère expérimental ne peut être généralisée sans d'expresses réserves, qu'il s'agisse de structures, de fonctions et de comportements, soit d'une variété à une autre dans une même espèce, soit d'une espèce à une autre, soit de l'animal à l'homme.

De variété à variété : par exemple, lorsqu'on étudie les conditions de pénétration dans la cellule vivante de substances chimiques définies, on constate que les corps solubles dans les graisses pénètrent facilement sous certaines conditions ; c'est ainsi que la caféine est inactive sur le muscle strié de la grenouille verte lorsque le muscle est intact, mais si on lèse le tissu musculaire une affinité intense se manifeste. Or ce qui est vrai de la grenouille verte ne l'est pas de la grenouille rousse : l'action de la caféine sur le muscle intact de la grenouille rousse est immédiate.

D'espèce à espèce : par exemple, on cite encore dans beaucoup de manuels d'enseignement les lois de Pflüger sur l'extension progressive des réflexes (unilatéralité ; symétrie ; irradiation ; généralisation). Or comme l'ont fait remarquer von Weiszäcker et Sherrington, le matériel expérimental de Pflüger ne lui permettait pas de formuler les lois générales du réflexe. En particulier, la seconde loi de Pflüger (symétrie), vérifiée. sur des animaux à démarche sautillante comme le lapin, est fausse s'il s'agit du chien, du chat et d'une façon générale de tous les animaux à marche diagonale. « Le facteur fondamental de coordination est le mode de locomotion de l'animal. L'irradiation sera identique chez les animaux ayant même type de locomotion et différente chez ceux qui ont une locomotion différente (22). » Sous ce rapport le chat se distingue du lapin, mais se rapproche du triton.

De l'animal à l'homme : par exemple, le phénomène de réparation des fractures osseuses. Une fracture se répare par un cal. Dans la formation d'un cal on distinguait traditionnellement trois stades : stade du cal conjonctif, c'est-à-dire organisation de l'hématome interfragmentaire; stade du cal cartilagineux ; stade du cal osseux, par transformation des cellules cartilagineuses en ostéoblastes. Or Leriche et Policard ont montré que dans l'évolution normale d'un cal humain, il n'y a pas de stade cartilagineux. Ce stade avait été observé sur les chiens, c'est-à-dire. sur des animaux dont l'immobilisation thérapeutique laisse toujours à désirer (23).

Individuation. A l'intérieur d'une espèce vivante donnée, la principale difficulté tient à la recherche de représentants individuels capables de soutenir des épreuves d'addition, de soustraction ou de variation mesurée des composants supposés d'un phénomène, épreuves instituées aux fins de comparaison entre un organisme intentionnellement modifié et un organisme témoin, c'est-à-dire maintenu égal à son sort biologique spontané. Par exemple, toutes les expériences relatives à l'efficacité anti-infectieuse des vaccins consistent à inoculer des cultures microbiennes à deux lots d'animaux interchangeables en tous points, sauf en ceci que l'un a été préparé par injections vaccinales préalables et l'autre non. Or la conclusion de la comparaison ainsi instituée n'a de valeur, en toute rigueur, que si l'on est en droit de tenir les organismes confrontés pour l'équivalent de ce que sont en physique et en chimie des systèmes clos, c'est-à-dire des conjonctions de forces physiques ou d'espèces chimiques dûment dénombrées, mesurées ou dosées, Mais comment s'assurer à l'avance de l'identité sous tous les rapports de deux organismes individuels qui, bien que de même espèce, doivent aux conditions de leur naissance ( sexualité, fécondation, amphimixie) une combinaison unique de caractères héréditaires ? (On se penche ici sur la définition de l'identité que je me suis notamment efforcé d'aborder dans le premier chapitre d'immunité du cours de TS : à la recherche de l'identité de l'homme.) A l'exception des cas de « production agame ( boutures de végétaux), d'auto-fécondation, de gémellité vraie, de polyembryonie (chez le tatou, par exemple), il faut opérer sur des organismes de lignée pure relativement à tous les caractères, sur des homozygotes intégraux, Or, si le cas n'est pas purement théorique, il faut avouer du moins qu'il est strictement artificiel. Ce matériel animal est une fabrication humaine, le résultat d'une ségrégation constamment vigilante, En fait, certaines organisations scientifiques élèvent des espèces, au sens jordanien du terme, de rats et de souris obtenus par une longue série d'accouplements entre consanguins (24). Et par conséquent l'étude d'un tel matériel biologique, dont ici comme ailleurs les éléments sont un donné, est à la lettre celle d'un artefact (25). Et de même qu'en physique l'utilisation, apparemment ingénue, d'un instrument comme la loupe implique l'adhésion, ainsi que l'a montré Duhem, à une théorie, de même en biologie l'utilisation d'un rat blanc élevé par la Wistar Insitution implique l'adhésion à la génétique et au mendélisme qui restent quand même, aujourd'hui encore, des théories.

Totalité. Supposée obtenue l'identité des organismes sur lesquels porte l'expérimentation, un second problème se pose. Est-il possible d'analyser le déterminisme d'un phénomène en l'isolant, puisqu'on opère sur un tout qu'altère en tant que tel toute tentative de prélèvement ? Il n'est pas certain qu'un organisme, après ablation d'organe (ovaire, estomac, rein), soit le même organisme diminué d'un organe. Il y a tout lieu de croire, au contraire, que l'on a désormais affaire à un tout autre organisme, difficilement superposable, même en partie, à l'organisme témoin. La raison en est que, dans un organisme, les mêmes organes sont presque toujours polyvalents - c'est ainsi que l'ablation de l'estomac ne retentit pas seulement sur la digestion mais aussi sur l'hématopoièse -, que d'autre part tous les phénomènes sont intégrés. Soit un exemple d'intégration nerveuse : la section de la moelle épinière sur le chat ou le chien, au-dessous du cinquième segment cervical (26) crée un état de choc caractérisé par l'abolition des réflexes dans les régions sous-jacentes à la section, état auquel succède une période de récupération de l'automatisme. Mais comme l'a, montré von Weiszäcker cette récupération n'est pas un rétablissement, c'est la constitution d'un autre type d'automatisme, celui de « l'animal spinal ». Soit un exemple d'intégration et de polyvalence endocriniennes : l'oiseau pond un oeuf qui grossit rapidement en s'entourant d'une coquille. Les phénomènes de mobilisation des constituants minéraux, protéiques et lipidiques de l'oeuf sont intégrés au cycle ovarien. La folliculine conditionne à la fois les modifications morphologiques du conduit génital et la mobilisation chimique des constituants de l'oeuf (augmentation de la production d'albumines par le foie ; néoformation d'os médullaire dans les os longs). Dès que cesse l'action de la folliculine, l'os néoformé se résorbe en libérant le calcium qu'utilise la glande coquillière de l'oviducte. Ainsi, l'ablation des ovaires chez l'oiseau retentit non seulement sur la morphologie de l'organisme mais également sur l'ensemble des phénomènes biochimiques.(Ce problème a été surtout abordé dans le cours de spécialité sur la régulation de la pression artérielle qui n'est certainement pas une fonction et qui n'est certainement pas réglé..., mais il est sous-jacent dans toutes les questions de physiologie et d'immunité).

Irréversibilité. Si la totalité de l'organisme constitue une difficulté pour l'analyse, l'irréversibilité des phénomènes biologiques, soit du point de vue du développement de l'être, soit du point de vue des fonctions de l'être adulte, constitue une autre difficulté pour l'extrapolation chronologique et pour la prévision. Au cours de la vie l'organisme évolue irréversiblement. en sorte que la plupart de ses composants supposés sont pourvus, si on les retient séparés, de potentialités qui ne se révèlent pas dans les conditions de l'existence normale du tout. L'étude du développement de l'oeuf ou des phénomènes de régénération est ici particulièrement instructive.(Je pense que l'on peut rapprocher cette idée avec la notion de science expérimentale actuelle et non passée : le passé n'est plus, il n'est pas du domaine de l'expérience, il est définitivement dans l'histoire. Cette question essentielle qui m'a été surtout suggérée par l'article de Pierre LAZLO (L'origine de la vie, 100.000 milliards de scénarios, La Recherche, 296, mars 1997, 26-28) a été abordée dans les pages sur la science et dans le cours sur l'histoire de la terre et de la vie.)

Le meilleur exemple d'évolution irréversible est foumi par la succession des stades d'indétermination, de détermination et de différenciation de l'oeuf d'oursin.
Au stade d'indétermination, l'ablation d'un segment de l'oeuf est compensée. Malgré l'amputation initiale, l'organisme est complet au terme du développement. On peut tenir une partie comme douée du même pouvoir évolutif que le tout.
Après le stade de détermination de l'ébauche, les substances organo-formatrices paraissent localisées dans des secteurs très délimités. Les parties de l'embryon n'étant plus totipotentes ne sont plus équivalentes. L'ablation d'un segment ne peut être compensée.
Au stade de différenciation, des différences morphologiques apparaissent. On remarquera à ce sujet comment des expériences de ce genre, en révélant des possibilités organiques initiales que la durée de la vie réduit progressivement, jettent un pont entre la constitution normale et la forme monstrueuse de certains organismes. Elles permettent en effet d'interpréter la monstruosité comme un arrêt de développement ou comme la fixation qui permet, selon l'âge de l'embryon, la manifestation par d'autres ébauches des propriétés que leur situation et leurs connexions ordinaires leur interdiraient (27).

A l'irréversibilité de la différenciation succède chez le vivant différencié une irréversibilité de caractère fonctionnel. Claude Bernard notait que si aucun animal n'est absolument comparable à un autre de même espèce, le même animal n'est pas non plus comparable à lui-même selon les moments où on l'examine (28). Si les travaux sur l'immunité et l'anaphylaxie ont aujourd'hui familiarisé les esprits avec cette notion, il faut bien reconnaître qu'elle n'est pas devenue sans difficulté un impératif catégorique de la recherche et que les découvertes fondamentales qui ont contribué le plus à l'accréditer n'ont été rendues possibles que par sa méconnaissance. Car c'est à deux fautes techniques que sont dues la découverte de l'immunité par Pasteur (1880) et la découverte de l'anaphylaxie par Portier et Richet (1902). C'est par inadvertance que Pasteur injecte à des poules une culture de choléra vieillie et par économie qu'il inocule les mêmes poules avec une culture fraîche. C'est pour n'avoir pas injecté à des chiens une dose d'emblée mortelle d'extrait glycériné de tentacules d'actinie, et pour avoir utilisé dans une seconde expérience les mêmes animaux, dont la mort suit en quelques minutes l'injection d'une dose bien inférieure à la première, que Portier et Richet établissent un fait qu'il faut bien dire expérimental sans préméditation d'expérience. Et on n'oubliera pas que l'utilisation thérapeutique des substances anti-infectieuses a fait depuis longtemps apparaître que les êtres microscopiques, bactéries ou protozoaires, présentent, dans leur relation avec les antibiotiques, des variations de sensibilité, des déformations de métabolisme, et donc des phénomènes de résistance et même de dépendance qui aboutissent parfois paradoxalement à ceci que le germe infectieux ne puisse vivre que dans le milieu artificiellement créé pour le détruire (29). C'est à quoi pensait Ch. Nicolle, insistant sur l'obligation d'étudier la maladie infectieuse, phénomène biologique, avec le sens biologique et non avec un esprit uniquement mécaniste, lorsqu'il écrivait que « le phénomène se modifie entre nos mains » et que « nous avançons sur une route qui marche elle-même (30) ».

On voit enfin comment l'irréversibilité des phénomènes biologiques s'ajoutant à l'individualité des organismes vient limiter la possibilité de répétition et de reconstitution des conditions déterminantes d'un phénoméne, toutes choses égales d'ailleurs, qui reste l'un des procédés caractéristiques de l'expérimentation dans les sciences de la matière.

Il a déjà été dit que les difficultés de l'expérimentation biologique ne sont pas des obstacles absolus mais des stimulants de l'invention. A ces difficultés répondent des techniques proprement biologiques. Sur ce point il faut convenir que la pensée de Claude Bernard n'est pas toujours très ferme, car s'il se défend de laisser absorber la physiologie par les chimistes et les physiciens, s'il affirme que « la biologie a son problème spécial et son point de vue déterminé », il écrit aussi que c'est seulement la complexité des phénomènes de la vie qui commande la spécificité de la pratique expérimentale en biologie (31). Or toute la question est de savoir si, en parlant d'un progrès de complexité, on n'affirme pas, implicitement quoique involontairement, l'identité foncière des méthodes. Le complexe ne peut être dit tel, relativement au simple, que dans un ordre homogène. Mais lorsque Claude Bernard affinne que la vie « crée les conditions spéciales d'un milieu organique qui s'isole de plus en plus du milieu cosmique », que le quid proprium de la science biologique consiste en « conditions physiologiques évolutives spéciales » et que par suite « pour analyser les phénomènes de la vie il faut nécessairement pénétrer dans les organismes vivants à l'aide des procédés de vivisection (32) », n'admet-il pas que la spécificité de l'objet biologique commande une méthode tout autre que celles de la physico-chimie ?

Il faut être aujourd'hui bien peu averti des tendances méthodologiques des biologistes, même les moins inclinés à la mystique, pour penser qu'on puisse honnêtement se flatter de découvrir par des méthodes physicochimiques autre chose que le contenu physicochimique de phénomènes dont le sens biologique échappe à toute technique de réduction. Comme le dit Jacques Duclaux : « A coup sûr, il doit être possible d'étendre par quelque moyen à la cellule des notions qui nous viennent du monde minéral, mais cette extension ne doit pas être une simple répétition et doit être accompagnée d'un effort de création. Comme nous l'avons déjà dit, l'étude de la cellule n'est pas celle d'un cas particulier pouvant être résolu par l'application de formules plus générales ; c'est la cellule au contraire qui constitue le système le plus général, dans lequel toutes les variables entrent en jeu simultanément. Notre chimie de laboratoire ne s'occupe que des cas simples comportant un nombre de variables restreint (33). » On a cru longtemps tenir dans une somme de lois physico-chimiques l'équivalent positif de la fonction d'une membrane cellulaire vivante. Mais le problème biologique ne consiste pas à déterminer là perméabilité de la membrane par les équilibres réalisés sur ses deux faces, il consiste à comprendre que cette perméabilité soit variable, adaptée, sélective (34). (Je souscris tout à fait à cette remarque et renvoie aux considérations de Pascale Mentré dans son livre L'eau dans la cellule et à quelques-unes de ses idées que j'ai essayé d'exposer dans le cours de spécialité sur les mécanisme ioniques en neurophysiologie.) En sorte que, selon la remarque pénétrante de Th. Cahn, « on est amené en biologie, inéluctablement, même en ne voulant vérifier qu'un principe physique, à l'étude des lois de comportement des êtres vivants, c'est-à-dire à l'étude par les réponses obtenues, des types d'adaptation des organismes aux lois physiques, aux problèmes physiologiques proprement dits (35) ».

Indiquons donc rapidement les principes de quelques techniques expérimentales proprement biologiques : elles sont générales et indirectes, comme lorsque l'on, modifie par addition ou soustraction d'un composant élémentaire supposé le milieu dans lequel vit et se développe un organisme ou un organe ; ou bien elles sont spéciales et directes comme lorsqu'on agit sur un territoire délimité d'un embryon à un stade connu du développement.

Les techniques de transplantation ou d'explantation de tissus ou d'organes ont acquis, du fait des expériences de Carrel, une notoriété insuffisamment accompagnée, dans le public, de l'intelligence exacte de leur portée. En insérant une partie de l'organisme à une place autre que la normale, chez le même individu ou chez un autre individu, on modifie ses relations topographiques en vue de révéler les responsabilités d'influence et les rôles différents de secteurs et de territoires différents. En plaçant un tissu ou un organe dans un milieu spécialement composé, conditionné et entretenu, permettant la survie (culture de tissus ou d'organes), on libère le tissu ou l'organe de toutes les stimulations ou inhibitions qu'exercent sur lui par la voie du milieu intérieur normal, l'ensemble coordonné des autres tissus ou organes composant avec lui l'organisme total.

Soit un exemple d'expérimentation et d'analyse authentiquement biologique. Pour dissocier l'action des hormones ovariennes et hypophysaires sur l'aspect morphologique des organes génitaux femelles, c'est-à-dire pour dénombrer et définir séparément et distinctement les éléments d'un déterminisme global, on institue chez une, femelle de rongeur une castration physiologique par transplantation des ovaires, greffés sur un mésentère. On obtient ainsi que, par la voie de la circulation porte, toutes les hormones oestrogénes traversent le foie qui est capable de les rendre inactives. On observe, à la suite de cette greffe, que les conduits génitaux s'atrophient comme à la suite d'une castration. Mais l'hypophyse, en l'absence du régulateur que constitue pour elle l'hormone ovarienne, accroît sa sécrétion d'hormone gonadotrope. En somme, les ovaires n'existent plus pour l'hypophyse puisque leur sécrétion ne l'atteint plus, mais comme ils existent toujours cependant et comme l'hypophyse existe pour eux, puisque sa sécrétion leur parvient, voilà qu'ils s'hypertrophient par réaction à l'excès d'hormone gonadotrope. On obtient donc, par modification d'un circuit excréteur, la rupture d'un cercle d'action et de réaction et la dissociation par atrophie et hypertrophie d'une image morphologique normale.

Naturellement, de telles méthodes expérimentales laissait encore irrésolu un problème essentiel : celui de savoir dans quelle mesure les procédés expérimentaux, c'est-à-dire artificiels, ainsi institués permettent de conclure que les phénomènes naturels sont adéquatement représentés par les phénomènes ainsi rendus sensibles. Car ce que recherche le biologiste c'est la connaissance de ce qui est et de ce qui se fait, abstraction faite des ruses et des interventions auxquelles le contraint son avidité de connaissance. Ici comme ailleurs comment éviter que l'observation, étant action parce qu'étant toujours à quelque degré préparée, trouble le phénomène à observer ? Et plus précisément ici, comment conclure de l'expérimental au normal (36) ? (voir aussi la conférence sur le normal et le pathologique.) C'est pourquoi, s'interrogeant sur le mécanisme de production de ces vivants paradoxalement normaux et monstrueux que sont des jumeaux vrais humains, et rapprochant pour leur éclaircissement réciproque, les leçons de la tératologie et de l'embryologie expérimentale Etienne Wolff écrit : « Il est difficile d'admettre que les facteurs accidentels exercent leur action avec autant de précision que les techniques expérimentales. Si celles-ci permettent de créer les conditions, idéales pour l'analyse des mécanismes et la compréhension des phénomènes, il est vraisemblable que la nature « utilise » plus souvent les méthodes indirectes que les méthodes directes. L'embryon entier est probablement soumis à l'action du facteur tératogène. Il y a peu de chances pour qu'un accident banal exécute le même travail qu'une opération délicate (37). »

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Expérimentation sur l'homme
Cet exemple des jumeaux vrais humains nous permet maintenant et enfin de poser un problème qu'un essai sur l'expérimentation biologique ne peut pas aujourd'hui ignorer, celui des possibilités et de la permission d'expérimentation directe sur l'homme.

Le savoir, y compris et peut-être surtout la biologie, est une des voies par lesquelles l'humanité cherche à assumer son destin et à transformer son être en devoir. Et pour ce projet, le savoir de l'homme concernant l'homme a une importance fondamentale. Le primat de l'anthropologie n'est pas une forme d'anthropomorphisme, mais une condition de l'anthropogénèse. Il faudrait, en un sens, expérimenter sur l'homme pour éviter l'écueil, précédemment signalé, d'une extrapolation d'observations faites sur des animaux de telle ou telle espèce. Mais on sait quelles normes éthiques, que les uns diront préjugés et les autres impératifs imprescriptibles, vient heurter ce genre d'expérimentation. Et ce qui complique encore le problème c'est la difficulté de délimiter l'extension du concept d'expérimentation sur l'homme, opération d'intention strictement théorique en principe, en la distinguant de l'intervention thérapeutique (par exemple, la lobotomie) et de la technique de prévention hygiénique ou pénale (par exemple, la stérilisation légale). Le rapport de la connaissance et de l'action, pour n'être pas ici fondamentalement cohérent de ce qu'il est en physique et en chimie, retire de l'identité en l'homme du sujet du savoir et de l'objet de l'action un caractère si direct, si urgent, si émouvant que les élans philanthropiques venant interférer avec les réticences humanistes, la solution du problème suppose une idée de l'homme, c'est-à-dire une philosophie.

Nous rappelons que Claude Bernard considère les tentatives thérapeutiques et les interventions chirurgicales comme des expérimentations sur l'homme et qu'il les tient pour légitimes (38). « La morale ne défend pas de faire des expériences sur son prochain, ni sur soi-même ; dans la pratique de la vie, les hommes ne font que faire des expériences les uns sur les autres. La morale chrétienne ne défend qu'une seule chose, c'est de faire du mal à son prochain. » Il ne nous paraît pas que ce dernier critère de discrimination entre l'expérimentation licite et l'expérimentation immorale soit aussi solide que Claude Bernard le pense. Il y a plusieurs façons de faire du bien aux hommes qui dépendent uniquement de la définition qu'on donne du bien et de la force avec laquelle on se croit tenu de le leur imposer, même au prix d'un mal, dont on conteste d'ailleurs la réalité foncière. Rappelons pour mémoire - et triste mémoire - les exemples massifs d'un passé récent.

Il est essentiel de conserver à la définition de l'expérimentation, même sur le sujet humain, son caractère de question posée sans préméditation d'en convertir la réponse en service immédiat, son allure de geste intentionnel et délibéré sans pression des circonstances. Une intervention chirurgicale peut être l'occasion et le moyen d'une expérimentation, mais elle-même n'en est pas une, car elle n'obéit pas aux règles d'une opération à froid sur un matériel indifférent. Comme tout geste thérapeutique accompli par un médecin; l'intervention chirurgicale répond à des normes irréductibles à la simple technique d'une étude impersonnelle. L'acte médico-chirurgical n'est pas qu'un acte scientifique, car l'homme malade qui se confie à la conscience plus encore qu'à la science de son médecin n'est pas seulement un problème physiologique à résoudre, il est surtout une détresse à secourir.(Nous avons du aborder le problème dans le cadre des questions de bioétique et plus généralement lorsque le cours interfère avec des questions de médecine.) On objectera qu'il est artificiel et délicat de distinguer entre l'essai d'un traitement pharmacodynamique ou chirurgical pour une affection donnée et l'étude critique ou heuristique des liaisons de causalité biologique. C'est vrai, si l'on s'en tient à la situation du spectateur ou du patient. Ce n'est plus vrai, si l'on se met à la place de l'opérateur. Lui, et lui seul, sait précisément à quel moment l'intention et le sens de son intervention changent.(il me semble que c'est le problème en la loi et la morale qui, elle, est une pratique : c'est à la conscience d'appliquer la loi à l'acte à réaliser... voir les pages sur l'éthique.) Soit un exemple. Le chirurgien américain C.F. Dandy, au cours d'une intervention chirurgicale sur le chiasma optique, a pratiqué Ia section complète de la tige hypophysaire chez une jeune fille de dix-sept ans. Il a constaté que la section ne trouble pas la vie génitale de la femme, à la différence de ce qu'on observe chez certaines espèces de mammifères où le cycle ovarien et la lactation sont notablement perturbés (39). Pour dire s'il y a eu, dans ce cas, expérimentation ou non, il faudrait savoir si l'on pouvait ou non éviter de sectionner la tige hypophysaire et ce que l'on s'est proposé ce faisant. Seul l'opérateur, dans un cas semblable, peut dire si l'opération a dépassé le geste chirurgical strict, c'est-à-dire l'intention thérapeutique. Dandy n'en dit rien, dans l'exemple cité.

Nous savons qu'on invoque ordinairement, pour trouver un critère valable de la légitimité d'une expérimentation biologique sur l'homme, le consentement du patient à se placer dans la situation de cobaye. Tous les étudiants en bactériologie connaissent l'exemple célèbre des Dick déterminant une angine rouge ou une scarlatine typique par friction de la gorge, sur des sujets consentants, avec une culture de streptocoques prélevés dans le pharynx ou sur un panaris de malades atteints de la scarlatine. Pendant la seconde guerre mondiale, des expériences relatives à l'immunité ont été pratiquées aux Etats-Unis sur des condamnés, sur des objecteurs de conscience, avec leur consentement. Si l'on observait ici que, dans le cas d'individus en marge et soucieux de se réhabiliter en quelque façon, le consentement risque de n'être pas plein, n'étant pas pur, on répondrait en citant les cas où des médecins, des chercheurs de laboratoire, des infirmiers, pleinement conscients des fins et des aléas d'une expérience, s'y sont prêtés sans hésitation et sans autre souci que de contribuer à la solution d'un problème.

Entre ces cas limites d'apparente légitimité et les cas inverses de manifeste ignominie, où des êtres humains, dévalorisés par le législateur comme socialement déclassés ou physiologiquement déchus, sont utilisés de force à titre de matériel expérimental (40), se place l'infinie variété des cas où il devient difficile de décider si, faute d'une connaissance complète des éléments du problème - que l'opérateur lui-même n'a pas, puisqu'il expérimente, c'est-à-dire court un risque - on peut encore parler du consentement d'un patient, à l'acte semi-thérapeutique et semi-expérimental qu'on lui offre de subir (41).(Pour qu'il y ai consentement éclairé, la connaissance est nécessaire et je ne suis pas sûr, par exemple dans un cas aussi banal - ce qui ne veut pas dire bénin - que la contraception chimique, les personnes qui y ont recours savent exactement ce à quoi elle s'exposent, ce qui suppose que les pharmaciens qui proposent le contraceptif connaissent aussi tous les rôles des substances absorbées, ce qui est loin d'être clair. Il est certain que l'on se trouve souvent devant le cas de publicités franchement mensongères.)

Enfin, nous noterons qu'il y a des cas où l'appréciation et les critiques pourraient viser aussi bien le consentement des patients que l'invitation des chercheurs. C'est ainsi que la connaissance des premiers stades du développement de l'oeuf humain a bénéficié d'observations faites dans les conditions expérimentales que voici. Le gynécologue invite certaines femmes qu'il doit opérer pour des affections utérines variées à avoir des rapports sexuels à des dates fixées. L'ablation de l'utérus intervenant à des dates connues, il est possible de débiter la pièce prélevée et d'examiner la structure des oeufs fécondés dont on calcule aisément l'âge (42).

Le problème de l'expérimentation sur l'homme n'est plus un simple problème de technique, c'est un problème de valeur. Dès que la biologie concerne l'homme non plus simplement comme probléme, mais comme instrument de la recherche de solutions le concernant, la question se pose d'elle-même de décider si le prix du savoir est tel que le sujet du savoir puisse consentir à devenir objet de son propre savoir. On n'aura pas de peine à reconnaître ici le débat toujours ouvert concernant l'homme moyen ou fin, objet ou personne. C'est dire que la biologie humaine ne contient pas en elle-même la réponse aux questions relatives à sa nature et à la signification (43).

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Cette étude a voulu insister sur l'originalité de la méthode biologique, sur l'obligation formelle de respecter la spécificité de son objet, sur la valeur d'un certain sens de nature biologique, propre à la conduite des opérations expérimentales. Selon qu'on s'estimera plus intellectualiste ou au contraire plus empiriste que nous-même, on estimera trop belle la part faite au tâtonnement ou au contraire à l'invention. On peut penser que la biologie est aujourd'hui une science de caractère décisif pour la position philosophique du probléme des moyens de la connaissance et de la valeur de ses moyens, et cela parce que la biologie est devenue autonome, parce que surtout elle témoigne de la récurrence de l'objet du savoir sur la constitution du savoir visant la nature de cet objet, parce qu'enfin en elle se lient indissolublement connaissance et technique.

Nous voudrions demander à une image de nous aider à mieux approcher le paradoxe de la biologie. Dans l'Electre, de Jean Giraudoux, le mendiant, l'homme du trimard qui heurte du pied sur la route les hérissons écrasés, médite sur cette faute originelle du hérisson qui le pousse à la traversée des routes. Si cette question a un sens philosophique, car elle pose le problème du destin et de la mort, elle a en revanche beaucoup moins de sens biologique. Une route c'est un produit de la technique humaine, un des éléments du milieu humain, mais cela n'a aucune valeur biologique pour un hérisson. Les hérissons, en tant que tels, ne traversent pas les routes. Ils explorent à leur façon de hérisson leur milieu de hérisson, en fonction de leurs impulsions alimentaires et sexuelles. En revanche, ce sont les routes de l'homme qui traversent le milieu du hérisson, son terrain de chasse et le théâtre de ses amours, comme elles traversent le milieu du lapin, du lion ou de la libellule. Or, la méthode expérimentale - comme l'indique l'étymologie du mot méthode - c'est aussi une sorte de route que l'homme biologiste trace dans le monde du hérisson, de la grenouille, de la drosophile, de la paramécie et du streptocoque.(Je suis aussi un amoureux d'Electre, depuis ma prime jeunesse, et si j'osais je ne dirai pas que les routes de l'homme traversent le milieu de vie du hérisson mais c'est bien la rencontre de deux histoires : l'homme et le hérisson se retrouvent sur la même route à un moment donné.
Sous forme de pastiche cela donnerait quelquechose comme :
Quelle idée d'aller creuver sur une route ! Ce n'est pas qu'ils ne l'avaient pas vu, ce n'est pas qu'ils ne savaient pas que cette route était leur mort. Pensez-donc ! Un hérisson , c'est malin. Ils avaient bien vu que les voitures y filaient comme le vent. Ils savaient que la route ne leur appartenait pas. Mais ils traversent quand même. Ils y courent vite, sans regarder, tendus vers leur but. C'est tout simplement parceque l'amour des hérissons est plus fort que la mort : il faut traverser la route d'homme pour vivre sa vie de hérisson. Electre savait qu'en se déclarant elle allait provoquer une tuerie. Mais c'est cette soif de vérité qui la pousse à commettre son massacre.)
Il est donc à la fois inévitable et artificiel d'utiliser pour l'intelligence de l'expérience qu'est pour l'organisme sa vie propre des concepts, des outils intellectuels, forgés par ce vivant savant qu'est le biologiste. On n'en conclura pas que l'expérimentation en biologie est inutile ou impossible, mais, retenant la formule de Claude Bernard : la vie c'est la création (44), on dira que la connaissance de la vie doit s'accomplir par conversions imprévisibles, s'efforçant de saisir un devenir dont le sens ne se révèle jamais si nettement à notre entendement que lorsqu'il le déconcerte.

 

Notes

(1) La Philosophie de Claude Bernard, discours du 30 décembre 1913, reproduit dans La Pensée et le Mouvant, 6e édition, P.U.F., p. 258.

(2) Discours d'ouverture du Congrès international de philosophie des sciences, Paris, 1949 (Actualités scientifiques et industrielles, n°1126, Hermann, Paris, 1951, p.32).

(3) Op. cit., p. 218.

(4) Cf. Singer : Histoire de la Biologie, trad. fr., Payot, Paris, 1934, p. 168.

(5) Dissertation inaugurale sur l'ablation de la rate chez le chien et sur le fruit que l'on peut retirer de ces expériences. Le mémoire est publié chez Haller. Disputationum anatomicarum selectarum, volumen III, Göttingen, 1748.

( 6) Il ne figure pas dans l'excellente Medical Bibliography, de Garrison et Morton (London, Grafton and C°, 1943).

( 7) Notons en passant que l'auteur distingue fort bien, dans l'acte de reproduction, la fécondité et Ia puissance. On sait que c'est à partir d'observations du même ordre, en rapport avec la pratique vétérinaire, que Bouin a été conduit aux travaux qui lui ont permis d'identifier, histologiquement et fonctionnellement, dans le testicule, la glande interstitielle, c'est-à-dire les cellules à sécrétion d'hormone, distinctes des cellules de Ia lignée séminale.

(8) En fait, Addison avait dès 1849 publié ses premières observations dans un article de deux pages.

(9) C'est l'ensemble de ces découvertes qui valut à Cl. Bernard le grand prix de physiologie en 1851.

(10) Introduction, p. 165.

(11) Voir plus loin, l'essai intitulé Machine et Organisme.

(12) Des parties des Animaux, III, v, 668 a 13 et 34.

(13) Singer ; op. cit., p. 1253

(14) Naissance, Vie et Mort des Maladies infectieuses, P. U. F., 1980, p. 28- 37.

(15) Remarques sur le problème épistémologique de la biologie, Congrès international de philosophie des sciences, Paris, 1949 : Epistémologie, p. 143 ; Hermann, éd., 1951.

(16) La Philosophie de Claude Bernard, p. 264.

(17) Cours, éd. Schleicher, t. III, p. 169.

(18) « Il est facile de voir, d'après cela, que la science des corps organisés doit être traitée d'une manière toute différente de celles qui ont les corps inorganiques pour objet. Il faudrait, pour ainsi dire, y employer un langage différent, car la plupart des mots que nous transportons des sciences physiques dans celle de l'économie animale ou végétale nous y rappellent sans cesse des idées qui ne s'allient nullement avec les phénoménes de cette science. » (Ire partie, article VII, § ler : Différence des forces vitales d'avec les lois physiques.)

(19) Introduction, p. 187-188. Voir également p. 190-191 le passage relatif au décalage obligé entre la synthèse et l'analyse.

(20) Op. cit., p. 218.

(21) Consulter à ce sujet Les Animaux au service de la Science, par Léon Binet, Gallimard, 1940

(22) CH. KAYSER : Les Réflexes, dans Conférences de Physiologie Médicale sur des sujets d'actualité, Masson, 1933.

(23) Cf. LERICHE : Physiologie et Pathologie du Tissu osseux, Masson, 1938, Ire leçon.

(24) Cf., L. CUENOT ; L'Espéce, Doin, 1936, p, 89.

(25) Jacques Duclaux montre très justement dans L'Homme devant l'Univers ( Flammarion, 1949) que la science moderne est davantage l'étude d'une paranature ou d'une supernature que de la nature elle-même : « L'ensemble des connaissances scientifiques aboutit à deux résultats. Le premier est l'énoncé des lois naturelles. Le second, beaucoup plus important, est la création d'une nouvelle nature superposée à la première et pour laquelle il faudrait trouver un autre nom puisque, justement elle n'est pas naturelle et n'aurait jamais existé sans l'homme. » ( P. 273.) (26) Pour respecter la fonction respiratoire du diaphragme.

(27) Etienne WOLFF : La Science des Monstres, Gallimard, 1948, p. 237.

(28) Introduction, p. 255.

(29) Paul HAUDUROY : Les Lois de la physiologie microbienne dressent devant les antibiotiques la barrière de l'accoutumance, La Vie médicale, mars 1951.

(30) Naissance, Vie et Mort des Maladies infectieuses, p, 33.

(31) Introduction, p. 196-198.

(32) Introduction, p. 202-204. On se reportera aussi sur ce point au célèbre Rapport sur les progrès et la marche de la physiologie générale en France (1867) dont voici un passage significatif : « On aura beau analyser les phénomènes vitaux et en scruter les manifestations mécaniques et physico-chimiques avec le plus grand soin ; on aura beau leur appliquer les procédés chimiques les plus délicats, apporter dans leur observation l'exactitude la plus grande et l'emploi des méthodes graphiques et mathématiques les plus précises, on n'aboutira finalement qu'à faire rentrer les phénomènes des organismes vivants dans les lois de la physique et de la chimie générale, ce qui est juste ; mais on ne trouvera jamais ainsi les lois propres de la physiologie. »

(33) Analyse chimique des fonctions vitales, Hermann, 1934, p. X. Tout l'opuscule est à lire.

(34) Cf. GUYENOT : La Vie comme invention, dans L'lnvention ( Semaine internationale de synthèse 1937), P. U. F., 1938.

(35) Quelques bases physiologiques de la Nutrition, Hermann, 1946, p. 22.

(36) Cf. notre Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique, 2° éd., Les Belles Lettres, 1950, p. 86- 89.

(37) La Science des Monstres, p. 122.

(38) Introduction, p. 209.

(39) American Journal of Physiology, 1940, t. CXIV, p. 312. Nous devons à l'obligeance du professeur Gaston Mayer, de la Faculté de médecine de Bordeaux, l'indication de oette expérienoe et de quelques autres citées à la suite.

(40) Plutôt que de rappeler de nouveau d'horribles pratiques, peut-être trop exclusivement mises sur le compte de la technocratie ou du délire raciste, nous préférons signaler l'antiquité de la vivisection humaine. On sait que Hérophile et Erasistrate, chefs de l'école médicale d'Alexandrie, ont pratiqué la vivisection sur des condamnés à mort : « Longeque optime fecisse Herophilum et Erasistratum qui nocentes homines a regibus ex carcere acceptos, vivos inciderint, considerarintque, etiamnum spiritu remanente, ea quae natura ante claudisset, eorumque positum, colorem, figuram, magnitudinem, ordinem, duritiem, mollitiem, laevorem, contactum, etc. , CELSE : Artium liber sextus idem medicinae primus, Proemium.

(41) Cf. GUYENOT : Les Problèmes de la Vie, Bourquin, Genève, 1946, L'Expérimentation sur l'homme en parasitologie. Nous avons lu trop tard pour pouvoir l'utiliser un article du professeur René Fontaine sur l'Expérimentation en Chirurgie (Somme de Médecine contemporaine, I, p. 155 ; La Diane Française, édit. 1951). Il a le grand mérite de ne pas éviter les difficultés et de ne sacrifier ni au conformisme ni aux conventions.

(42) John ROCK and Arthur T. HERTIG : Some aspects of early human development, dans American Journal of Obstetric and Gynecology, Saint-Louis, 1942, vol. XLIV, n° 6, p. 973-983.
John Rock et Miriam F. Menkin ont pu féconder in vitro des oeufs humains, recueillis par ponction de follicules sur des ovaires prélevés pour raisons thérapeutiques, et observer quelques développements ovulaires ; cf. In vitro fertilization and cleavage of human ovarianeggs, dans Am. J. Obs. and Gynec., 1948, vol. LV, n° 3, p. 440-452.

(43) Cf. Marc KLEIN : Remarques sur les Méthodes de la Biologie humaine, in Congrès intemational de philosophie des sciences, Paris, 1949, Epistémologie, I, p. 145 ( Hermann, éd., 1951).

(44) Introduction, p. 194.