Phénotypes et génotypes


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Sources:
Analyse génétique moderne, Griffiths et al., 2001, DeBoeck Université (notamment pour la définition de la norme de réaction)


Si la biologie moléculaire du gène est unifiée et que les mécanismes de transmission de l'information génétique sont clairement identifiés, la notion d'allèle reste inséparable d'une histoire héréditaire ce qui empêche de l'utiliser simplement en biologie moléculaire. Les termes de phénotypes et de génotypes sont aussi issues de la notion de gène héréditaire mais peuvent s'étendre aux gènes moléculaires (voir cours de seconde); voici la figure qui résume le problème.

Il y a deux attitudes à éviter:
* d'une part affirmer que la biologie moléculaire du gène moléculaire permettra un jour d'expliquer tous les niveaux du vivant, depuis le niveau cellulaire local jusqu'au niveau social (cette thèse n'a plus beaucoup de défenseurs)
* d'autre part condamner les théories chromosomiques de l'hérédité - qui sont souvent revues à l'aide des outils de la biologie moléculaire et qui confondent alors gène moléculaire et gène héréditaire - (ceci est par contre un danger réel).


Plan de cette page:
1. La notion d'allèle n'est utilisable que chez les eucaryotes car elle est inséparable des chromosomes

1.1 Le phénotype héréditaire est la forme visible d'un allèle. Le génotype héréditaire est l'ensemble des allèles d'un gène héréditaire.
1.2 Le génotype héréditaire d'un individu eucaryote n'est qu'une liste d'allèles correspondant aux seuls caractères héréditaires associés à des gènes héréditaires
1.3 Le phénotype héréditaire d'un individu eucaryote ne prend en compte que les caractéristiques visibles associées à des allèles et donc à des gènes héréditaires
1.4 Chez les procaryotes il n'y a pas de gènes héréditaires mais uniquement des gènes moléculaires: il n'y a donc ni allèle ni génotype héréditaire ni phénotype héréditaire, sauf par analogie avec les eucaryotes.

2. La notion de gène moléculaire peut être étendue à la cellule mais non aux pluricellulaires

3. Synthèse


1. La notion d'allèle n'est utilisable que chez les eucaryotes car elle est inséparable des chromosomes

Un allèle, c'est la forme (ou la version) d'un gène héréditaire.
Un allèle c'est une portion de chromatide.
Un
gène héréditaire est un segment de chromosome associé à la transmission d'un trait de caractère
(voir
cours de spécialité).

Les allèles sont disposés linéairement le long du "chromosome" linéaire héréditaire (ou groupe de liaison = ensemble des allèles - associés à des traits de caractères - transmis en même temps par hérédité et que l'on dit donc « liés»);
on établit des cartes génétiques ou cartes chromosomiques de ces allèles (ou encore carte factorielle).
On établit ensuite des correspondances entre la position des allèles et la carte physique du chromosome, structure colorable du noyau des eucaryotes.


Un exemple très simplifié de correspondance entre la carte chromosomique (en haut)
et la position des bandes colorées du chromosome X géant de la drosophile (petite mouche du vinaigre)
- les noms anglais sont des noms correspondant à des allèles mutés:
par exemple "white" désigne le trait de caractère (ou allèle) "yeux blancs" (l'allèle habituel est "yeux rouges"-

(Nathan, TC, TD, 1983)
Attention chaque bande colorée contient bien sûr de l'ADN mais en tellement grande quantité (entre 500.000 et 2.500.000 paires de bases !!!!) qu'il est hors de question de relier tout cet ADN directement à des gènes moléculaires précis.

Chromosome
nombre de sites de recombinaison pour chaque chromosome

(deux sites de recombinaisons séparent deux gènes héréditaires)

nombre de bandes colorées pour chaque chromosome
1 ou X
66
1012
2
108
1940
3
106
2062
4
0
45

1.1 Le phénotype héréditaire est la forme visible d'un allèle. Le génotype héréditaire est l'ensemble des allèles d'un gène héréditaire.

Il semblerait (http://www.esp.org/timeline/) que ce soit Johannsen (en 1909 ?) qui aurait forgé, à la suite de sa définition des gènes, au sens actuel de gènes héréditaires, les termes de génotype et phénotype (du grec phainein = paraître) lors d'études sur les caractères des pois. J'ajoute que génotype est daté de 1937 et phénotype de 1934 par le Petit Robert (ed. de 1984) mais sans autre précision. Je pense que l'on peut affirmer, historiquement du moins, que ces termes font bien référence à des caractères et donc à des gènes héréditaires et à des allèles au sens Morganien (voir cours de spécialité). On est donc clairement dans le cadre d'une hérédité chez des organismes eucaryotes.

Un phénotype héréditaire est la forme d'un allèle.
On peut donc parler du phénotype héréditaire d'un allèle, qui est unique mais qui peut varier, chez différents organismes (ayant le même allèle) ou au cours de la vie d'un même organisme (avec son âge ou son état physiologique).
Le génotype héréditaire est l'ensemble des allèles d'un gène héréditaire.

1.2 Le génotype héréditaire d'un individu eucaryote n'est qu'une liste d'allèles correspondant aux seuls caractères héréditaires associés à des gènes héréditaires

Le génotype héréditaire, associé à un seul gène héréditaire, est vite devenu le génotype d'un individu. Pour un trait de caractère, et donc pour un gène héréditaire, le génotype héréditaire d'un individu est donc habituellement composé de deux allèles, l'un venant du père, l'autre de la mère. Si l'on étend la notion de génotype héréditaire à l'ensemble de tous les traits de caractères héréditaires on peut imaginer une liste d'allèles qui serait en quelque sorte la carte d'identité héréditaire d'un individu. Mais cela ne signifie en rien que toutes les caractéristiques anatomiques, physiologiques, éthologiques.... puissent être décrites par des traits de caractères héréditaires qui puissent correspondre à une hérédité chromosomique. Il suffit de voir les cartes chromosomiques actuelles pour être frappé par la faiblesse du modèle chromosomique à expliquer la transmission héréditaire de caractéristiques NORMALES d'une espèce (on attend en vain un gène héréditaire de la pilosité, de la forme d'un membre, du nombre de doigts...). L'explication habituelle étant que l'ordre supérieur est expliqué par la somme des interactions des éléments d'ordre inférieur. Mais il faut avouer qu'à part cette pétition de principe on ne trouve rien à se mettre sus la dent (voir page sur le développement). Il est temps de dire que LA PLUPART des caractéristiques de l'être vivant échouent à être reliés à des segments de chromosomes et donc à des gènes héréditaires. On peut donc sans hésiter affirmer qu'il y a encore de la place pour une théorie de l'hérédité non chromosomique. Personnellement je suis très tenté par des théories de la morphogenèse qui utilisent les outils mathématiques développés à partir des travaux de René Thom.

En tout cas je refuse d'enseigner sans critique l'idée que le génotype héréditaire pourra un jour être décrit comme l'ensemble de toutes les formes des gènes moléculaires de toutes les cellules au sein de leur environnement cellulaire et donc finalement décrire la totalité des caractéristiques de l'individu. Ce qui revient à dire qu'un jour on pourra relier tous les gènes héréditaires à des gènes moléculaires et que le génotype moléculaire décrira l'être vivant par des processus chimiques prévisibles. Ce qui est plus qu'un rêve mais une erreur de méthode (du complexe au simple; du discontinu au continu) et rend stérile la recherche si l'on persiste à garder ce seul modèle explicatif.

1.3 Le phénotype héréditaire d'un individu eucaryote ne prend en compte que les caractéristiques visibles associées à des allèles et donc à des gènes héréditaires

De la même manière que pour le génotype héréditaire et étant donné les interprétations globalisantes des mécanismes de l'hérédité chromosomique, on a vite pris l'habitude de parler non pas du phénotype héréditaire d'un allèle, chez un individu donné à un moment donné, mais du phénotype héréditaire d'un individu, comme ensemble du phénotype héréditaire de tous ses allèles, à un moment donné; sorte de carte d'identité phénotypique. Phénotype héréditaire est devenu un équivalent de l'ensemble des caractères et l'on oublie souvent d'ajouter "héréditaires" (au sens morganien). Sans me répéter je pense que l'on pourrait dire que c'est comme si on avait fait un rapide aller retour depuis l'allèle, support d'un trait de caractère - placé dans un chromosome par l'hérédité morganienne -, vers la cellule et son ADN, pour revenir ensuite à l'organisme comme somme de l'expression des gène moléculaire de toutes ses cellules. C'est aller trop vite et trop loin. Tous les traits de caractère d'un individu ne sont pas des allèles parce qu'ils ne correspondent pas à des gènes héréditaires étant donné que l'on ne peut pas suivre leur transmission héréditaire par hérédité chromosomique.
Ceux qui utilisent le terme de phénotype pour désigner toute caractéristique visible (à quelque niveau que ce soit: moléculaire, cellulaire, organique, individuelle, sociologique...) font en quelque sorte allégeance à cette vision d'un pouvoir descriptif pratiquement illimité de la théorie chromosomique de l'hérédité alliée à la biologie moléculaire du gène moléculaire.
Si l'on part de la notion de gène moléculaire on ne peut pas non plus affirmer que toute caractéristique cellulaire dépend du fonctionnement d'un gène moléculaire. On est encore loin de pouvoir décrire les fonctions globales de la cellule, même procaryote, à partir des gènes moléculaires. Il y a donc encore un fossé entre le gène moléculaire et le gène héréditaire. Fossé qui est peut être du même ordre qu'entre l'hérédité et l'hérédité chromosomique.

Pour formuler ces notions émergentes de façon simple et moderne on pourrait dire
* qu'un individu transmet d'abord à ses descendants des caractères stables de l'espèce (c'est la définition même de la reproduction). Cette hérédité ne peut pas actuellement être décrite par une hérédité chromosomique ou, autrement dit, les chromosomes ne sont pas le support des caractères de l'espèce; l'entité minimale à transmettre est la cellule, recomposée éventuellement à partir de plusieurs cellules fournissant chacune une part de l'information nécessaire;
* qu'ensuite certains caractères héréditaires plus ou moins stables que l'on pourrait qualifier de caractères héréditaires individuels sont transmis matériellement par les chromosomes.

1.4 Chez les procaryotes il n'y a pas de gènes héréditaires mais uniquement des gènes moléculaires: il n'y a donc ni allèle ni génotype héréditaire ni phénotype héréditaire, sauf par analogie avec les eucaryotes.

Un chromosome (voir cours de seconde) c'est une particule colorable. Il n'y a pas de chromosome chez un procaryote.
Il n'y a pas d'hérédité chromosomique chez un procaryote.
La notion de gène héréditaire n'existe pas puisqu'elle est définie au niveau d'un chromosome.
Les gènes moléculaires portés par l'ADN bactérien (de la boucle ou des plasmides) sont dupliqués avant la division puis répartis dans les cellules filles. Il y a donc une hérédité stable, sauf perturbation environnementale.
Des fragments d'ADN peuvent aussi être transmis lors de la conjugaison bactérienne qui fait suite à un accolement de deux bactéries et la formation d'un pont cytoplasmique entre les deux conjuguants dont l'un (donneur) transmet à l'autre (receveur) la totalité ou une partie de son ADN.

Cependant il ne faut pas oublier que le génome d'une bactérie comme Escherichia coli atteint 4,2 millions de paires de bases pour quelques 2.000 gènes, ce qui est déjà assez complexe (des gènes se chevauchent, certains sont transcrits dans différents sens... bref, la biologie moléculaire des procaryotes a encore du travail). On n'a pas encore fait l'inventaire de tous les types de produits qui interviennent dans le métabolisme d'une telle "machinerie".

2. La notion de gène moléculaire peut être étendue à la cellule mais non aux pluricellulaires


La terminologie des caractères héréditaires revue par la biologie moléculaire...chez les procaryotes et les unicellulaires eucaryotes.

Certains s'essaient à combler le fossé entre unicellulaires et pluricellulaires en définissant des notions intermédiaires comme la norme de réaction. On définit la norme de réaction d'un génotype moléculaire comme l'ensemble des phénotypes moléculaires produits par un génotype moléculaire donné dans différentes conditions d'environnement.
Cette idée, séduisante au départ, me semble finalement n'être qu'un moyen supplémentaire d'embrouiller les idées. Cette notion n'est pas extrapolable au pluricellulaire et ne peut surtout pas rendre compte de ce qui viendrait moduler le génétique (l'épigénétique). Elle reste toujours dans un modèle génétique et l'épigénétique n'est définit que comme modulation du génétique alors qu'il peut être tout autre (et ne devrait pas porter ce nom).
Dans un sens héréditaire la norme de réaction contiendrait par exemple les phénotypes moléculaires obtenus par phénocopies (voir cours de seconde).

Toujours dans le cadre de la biologie moléculaire du gène, si l'on s'efforce de trouver des modèles pour rendre compte de la complexité des interactions entre gènes moléculaires on arrive à UNE ILLUSION DU CONTINU. Tout particulièrement chez les pluricellulaires. Si l'on somme tous les phénotypes moléculaires cellulaires dans le temps (embryonnaires, de différenciation, de croissance, de renouvellement cellulaire...) et l'espace (tous les tissus)...on obtient des variations de plus en plus continues. La variation discontinue (à petite échelle) est attribuée aux génotypes moléculaires. La variation continue (à grande échelle) est attribuée à la somme des génotypes moléculaires et à leurs interactions entre eux et entre l'environnement. En fait il y a non seulement perte d'information mais, plus grave, illusion du continu.

Remarque:
Voici une citation de Thom (in stabilité (SSM, 1968) p 213) qui, à mon avis, précise pourquoi la notion de phénotype moléculaire n'est même pas utilisable pour un procaryote.
« Chez les Bactéries, le comportement enzymatique ou la résistance aux antibiotiques sont des composantes importantes du phénotype (peut-être plus pour des raisons de commodité expérimentale que pour des raisons intrinsèques) ; il importe de se convaincre que, même en un sens aussi étendu, la définition du phénotype comme une classe de formes modulo un groupe d'équivalences G garde toute sa valeur. Par exemple, une bactérie donnée, placée dans un milieu donné contenant de la streptomycine à concentration c, donne naissance à une colonie dont le développement sera donné par une fonction N = F(c, t) ; il est clair dès lors, que le caractère streptomycine dépendant ou résistant est donné par le type topologique de la fonction F(c, t). D'un point de vue abstrait, le phénotype pourrait ainsi se définir comme l'ensemble des réponses de l'organisme à toutes les perturbations possibles du milieu et à la classification qualitative de ces réponses. C'est dire qu'il est pratiquement impossible de donner une définition formelle du phénotype ; la Génétique dite formelle repose ainsi en entier, sur un concept, celui de phénotype normal ou sauvage qui se révèle impossible à formaliser. Mais c'est là une situation qu'on rencontre communément même en des disciplines plus exactes et un mathématicien ne saurait s'en formaliser.»

 3. Synthèse

>>> ou <<< désignent des extensions ACCEPTABLES de concepts en précisant bien à chaque fois le sens du mot
Procaryotes
Eucaryotes
Unicellulaires
Pluricellulaires

pas de chromosomes, pas d'hérédité chromosomique donc pas de gènes héréditaires

<<<
gène héréditaire = segment de chromosome associé à la transmission d'un trait de caractère
<<<
allèle d'un gène héréditaire = forme (ou version) d'un gène héréditaire
<<<
génotype = ensemble des allèles d'un gène héréditaire chez un organisme
V
V
V
génotype d'un unicellulaire = ensemble de tous les allèles de tous ses gènes héréditaires à un moment donné de sa vie

le génotype d'un individu unicellulaire reste une notion théorique (dans le sens d'inaccessible expérimentalement) même si on peut caresser l'espoir de relier de très nombreux caractères héréditaires à des gènes héréditaires

génotype d'un pluricellulaire = ensemble de tous les allèles de tous ses gènes héréditaires à un moment donné de sa vie

le génotype d'un individu est une notion théorique (dans le sens d'inaccessible, expérimentalement) car un gène héréditaire n'est défini que par rapport à un caractère héréditaire observable et relié à un segment de chromosome; un gène héréditaire n'est pas défini au niveau de chaque cellule mais est le résultat du fonctionnement d'un très grand nombre de cellules

<<<
phénotype = forme visible d'un allèle
V
V
V
phénotype d'un unicellulaire = ensemble de tous ses caractères héréditaires
phénotype d'un pluricellulaire = ensemble de tous ses caractères héréditaires

allèles, génotypes et phénotypes sont des notions HISTORIQUEMENT héréditaires mais il existe un sens analogique à ces termes en biologie moléculaire; les liens entre les deux sens ne sont pas encore intégrés dans une théorie globale et restent donc INCOMPATIBLES

gène moléculaire = séquence d'ADN associée à la synthèse d'un ARN

>>>

>>>

Vocabulaire ANALOGIQUE : gène moléculaire n'est pas égal à gène héréditaire

allèle d'un gène moléculaire= séquence d'un gène moléculaire (il est préférable de parler de séquence allèlique d'un gène moléculaire) >>>

génotype moléculaire d'un procaryote = ensemble des séquences (allèles) des tous ses gènes moléculaires
>>>
génotype moléculaire d'une cellule eucaryote = ensemble des allèles de tous ses gènes moléculaires
>>>

Même si l'on peut définir le génotype d'un pluricellulaire comme la l'ensemble de toutes ses paires de séquences allèliques pour tous ses gènes moléculaires on ne peut imaginer que toutes les cellules possèdent les mêmes allèles, les mêmes normes de réactions et que par là on puisse définir un phénotype moléculaire au niveau de l'organisme. La dichotomie génétique + épigénétique* n'est pas non plus satisfaisante puisqu'elle ne fait pas sortir du cadre de l'interprétation de la biologie moléculaire.

phénotype moléculaire d'un procaryote = ensemble des caractéristiques cellulaires visibles résultantes de l'expression de des gènes moléculaires
>>>
phénotype moléculaire d'une cellule = ensemble des caractéristiques cellulaires visibles résultantes de l'expression de ses gènes moléculaires
>>>
Procaryotes
Unicellulaires
Pluricellulaires
Eucaryotes

* Si l'on revient aux faits, la génétique moléculaire, celle des procaryotes, n'est que la synthèse des protéines (et peut-être pas de toutes). Comme on trouve des protéines partout dans la matière vivante, TOUT EST GÉNÉTIQUE. Mais les gènes sont eux mêmes dans un cytoplasme cellulaire, lui-même dans un environnement extracellulaire : le fonctionnement des gènes est épigénétique. TOUT EST ÉPIGÉNÉTIQUE. Belle avancée théorique.