Manipulations cellulaires et nucléaires: cellules et clones


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Comme chaque fois qu'une question scientifique remet en cause des concepts anciens et devient un sujet de discussion pour de nombreux non scientifiques, il est difficile de conjuguer les exigences de précision du vocabulaire scientifique, la remise en cause de la signification de certains termes par les scientifiques eux-mêmes et les emplois inadaptés mais fréquents d'autres termes...voici un exercice périlleux pour lequel je ne suis pas sûr de ne pas faire d'erreur.

dénomination
concept ancien
nouveau concept et sens dérivés ou étendus, discussions

des cellules souches "adultes" sont pluripotentes et certaines sont peut-être totipotentes comme les cellules souches "embryonnaires"

cellule souche

Une cellule souche est une cellule capable de se diviser de façon autonome et de donner naissance à une lignée de cellules possédant des caractéristiques semblables (une souche désignant une lignée) mais des types cellulaires différents (les cellules issues de la cellule souche doivent se différencier de plusieurs façons: on parle de répertoire de différenciation : plus une cellule a un répertoire de différenciation étendu plus elle est multipotente).

Chez l'homme les cellules souches de la moelle osseuse donnent toutes les cellules sanguines (voir cours d'immunologie); on parle aussi de cellules souches pour désigner les cellules de renouvellement de tissus comme l'épithélium intestinal ou la peau.

Récemment cependant on s'est aperçu que les cellules souches présentes dans les organes et censées pouvoir régénérer les types cellulaires de cet organe étaient aussi capables de donner des types cellulaires non présents dans cet organe (elles sont donc pluripotentes: ce qui signifie capable de donner plusieurs types cellulaires différenciés; on les qualifie aussi de cellules multipotentes) une fois sorties de leur contexte tissulaire habituel: par exemple la découverte de cellules souches multipotentes dans le cerveau de l'homme adulte, pouvant donner naissance aux neurones, aux astrocytes et aux oligodendrocytes (Gage et Frisen) met fin à l'infaillibilité du "dogme" selon lequel le capital cellulaire du cerveau ne peut que décroître avec l'âge. De même les cellules souches mésenchymateuses de la moelle osseuse de l'homme peuvent donner naissance, selon le milieu de culture, à des lignées cellulaires du type fibroblaste, ostéoblaste, chondrocytes, myoblastes ou adipocytes (Pittinger, 1999) et même de cardiomyocytes (Wang, 2000) et de neurones (Woodbury, 2000). (voir texte de la conférence du Professeur Gérard Milhaud à l'Académie Nationale de Médecine 20 mars 2001 "Une cellule souche pluripotente présente dans le sang de l'homme adulte : vers une nouvelle voie de thérapie cellulaire pour la réparation tissulaire" sur le site www.genethique.org ainsi qu'une revue de certaines de ces expériences (depuis 1999), principalement réalisées chez la souris, dans le texte de Philippe Caspar sur les cellules souches: sur le même site). On désigne ces cellules souches sous le terme de "cellules souches adultes"; cette acception étant la plus ancienne. Actuellement, certains chercheurs pensent que ces cellules, qui constituent un grand espoir pour la régénération de tissus et organes lésés ou malades, pourraient être totipotentes, c'est-à-dire donner tous les types cellulaires de l'adulte, voir, même régénérer un individu complet; cette idée n'est encore qu'un rêve.

Plus récemment , certains auteurs désignent toute cellule pluripotente (ou multipotente) du nom de cellule souche: ainsi les cellules embryonnaires internes du blastocyste capables de donner les trois feuillets embryonnaires des triblastiques (voir cours de seconde et développement) sont devenues pour eux des "cellules souche embryonnaires" ou "cellules staminales" ou "embryonic stem cells" (cellules embryonnaires en anglais = cellules ES). Classiquement, pour les premières cellules embryonnaires (de la blastula), on parle de cellules totipotentes, puisque ces cellules sont capables de donner naissance à tous les types cellulaires de l'organisme. Mais du point de vue de l'ontologie et donc de l'éthique, il y a une grande différence entre ces deux types cellulaires: une cellule souche adulte n'est que la partie d'un individu (que l'on peut donc manipuler -avec le respect du au corps- pour soigner d'autres parties vivantes...par exemple) alors qu'une cellule souche embryonnaire, une fois séparée de sa blastula, devient un individu en puissance, un embryon au sens ontologique et donc, pour l'être humain, une personne. (Je renvoie avant tout au texte de l'ACADÉMIE PONTIFICALE POUR LA VIE dans sa DÉCLARATION SUR LA PRODUCTION ET L'USAGE SCIENTIFIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES HUMAINES mais aussi au texte de Philippe Caspar sur les cellules souches sur le site http://www.genethique.org)

Remarque: on ne doit bien sûr pas parler de cellule souche lorsque l'on arrive in vitro à obtenir la division de cellules isolées (par exemple des fibroblastes): la division n'est pas alors autonome mais induite. Étant donné que les cultures de cellules souches dont on parle ici sont toutes réalisées in vitro, c'est-à-dire en dehors de leur contexte tissulaire et organique, il y a toujours une induction du processus de division, alors plus ou moins autonome. C'est donc l'autonomie de division in vivo (au sein de l'organisme vivant) qu'il faut comparer.

cloner n'est que fabriquer des êtres vivants ayant la même information génétique; deux êtres vivants clonés restent différents par leurs informations cytoplasmique et extracellulaire (environnementale); lors de la reproduction asexuée la nature ne réalise pas des clones mais des individus, qui ont en commun bien plus que la seule information génétique

clone

Un clone est un ensemble de cellules identiques par leur seule information génétique.

Il serait préférable de réserver l'usage de ce mot à des ensembles de cellules manipulées génétiquement pour lesquels seule l'information génétique serait identique: dans ce cas précis le terme cloner serait correctement employé. Cloner désignant l'action de construire un organisme génétiquement identique à un autre.

D'une façon abusive on tend à désigner par clone tout ensemble cellulaire issu de divisions binaires mais ces cellules sont non seulement identiques génétiquement mais aussi vis-à-vis de leur information cytoplasmique et souvent aussi vis-à-vis de leur information extracellulaire (pour les définitions concernant ces informations voir le cours de seconde)
* un embryon animal est un clone mais est bien plus qu'un clone: les cellules qui le constituent ont la même information génétique mais aussi cytoplasmique et extracellulaire
* une colonie bactérienne issue d'une cellule unique est aussi un clone mais est à nouveau plus qu'un clone: l'information cytoplasmique est elle aussi identique et l'information extracellulaire est partagée par tous les individus de la colonie
* deux jumeaux vrais ne sont pas non plus des clones au sens strict ils ont en commun les trois types d'information du vivant: génétique, cytoplasmique et extracellulaire.

Les "clonages reproductifs" sont des transferts nucléaires (de noyaux activés physiquement par différents procédés) de cellules différenciées d'un individu dans le cytoplasme de cellules sexuelles femelles (ovocytes) ou des cellules embryonnaires d'autres individus, précédemment énuclées (dont on a retiré le noyau).

Aujourd'hui, on a réussi à cloner des moutons, des vaches, des porcs, des chèvres et des souris avec des fortunes diverses. Par clonage, on obtient rarement plus de 1 % de naissances vivantes, très souvent associées à diverses anomalies du placenta, de l'appareil cardiovasculaire, du système immunitaire ou à un syndrome comportant un tableau d'anasarque particulier avec macroglossie, grosse tête et hypertrophie hépatique. (LE CLONAGE HUMAIN, Dr Henri Bléhaut, Centre Médical Jérôme Lejeune, http://www.genethique.org/)

un embryon est constitué d'une seule cellule au début de son développement

embryon

un embryon est un organisme en voie de développement

On a pris l'habitude de réserver le terme d'embryon aux stades postérieurs à l'ovocyte fécondé, c'est-à-dire à ne parler d'embryon qu'à partir de la première division de celui-ci. Mais la définition biologique nous renvoie à la première étape du développement qui commence donc juste après la fécondation et démarre donc avant la première division de l'ovocyte fécondé.
Pour le développement humain on a pris l'habitude de parler de période embryonnaire pour les 8 premières semaines de développement (caractérisées par l'organogenèse, mise en place des organes) et de période fœtale au-delà. Mais au sens large tout être vivant en développement est un embryon.

Lorsqu'on sépare les premières cellules embryonnaires d'un blastocyste de mammifère pour les réimplanter séparément dans des utérus de "mères porteuses", on réimplante clairement des embryons. On a donc, biologiquement, réalisé une multiplication ou reproduction asexuée artificielle. Chaque cellule embryonnaire séparée mécaniquement devient à son tour un embryon puisqu'elle est capable de régénérer un organisme complet.

Lorsqu'on utilise une cellule non embryonnaire, si tant est que cela soit possible, on transforme une cellule (ou un assemblage de parties de plusieurs cellules) en embryon.

Mais une "cellule souche adulte", même pluripotente, n'est pas un embryon, même si elle peut régénérer des tissus ou peut-être un jour des organes entiers.

En ce qui concerne le statut ontologique de l'embryon, c'est un être vivant complet et donc, pour l'homme, un individu et une personne (voir avant tout le texte de l'ACADÉMIE PONTIFICALE POUR LA VIE dans sa DÉCLARATION SUR LA PRODUCTION ET L'USAGE SCIENTIFIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES HUMAINES puis le texte de Philippe Caspar sur les cellules souches sur le site http://www.genethique.org).

Pour un biologiste il n'y a aucun doute sur le début de l'existence de l'individu biologique: un zygote de chien est la première étape du développement de l'individu chien qui comprend la totalité de son cycle biologique (voir par exemple S. Gilbert, Biologie du développement, 2004, De Boeck, p 25 (ch. 2): «Or le chien est chien depuis la fécondation jusqu'au moment où il est vieux et mourant»; ce qui n'empêche pas son auteur de proposer une réflexion personnelle sur son site avec une toute autre dimension mais surtout en contredisant ce qu'il vient d'affirmer pour le chien http://8e.devbio.com/article.php?ch=2&id=162; il va sans dire que je ne partage pas ces vues qui, sous prétexte d'information exhaustive masquent les positions; l'auteur a participé au débat en Angleterre qui a conduit au graves dérives que l'on sait; pour suivre l'actualité voir le site http://www.genethique.org ).

Pour aborder la question de l'embryon (à partir de quand une cellule ou un groupe de cellules est-il un embryon ?) voir la conférence d'Henri Atlan : Le statut de l'embryon : du transfert nucléaire à l'utérus artificiel dans le cadre de l'Ethique à l'ENS, du 13 avril 2005 (accès direct à l'enregistrement audio : http://www.savoirs.ens.fr/diffusion/audio/2005_04_13_atlan.mp3, 20,39 Mo).

 

Les essais de thérapie génique ont donné lieu à des "accidents" non expliqués par les promoteurs de la technique. Le clonage "thérapeutique" prend le même chemin. (ce texte reprend celui d'une lettre de Rosine Chandebois, auquel ont été ajoutés quelques références personnelles en bleu et rouge).

  1. La technique du clonage ne semble pas garantir la fabrication de tissus compatibles avec ceux du sujet à traiter. Dans les ovules de diverses espèces, on a identifié des ADNs courts, différents de ceux de l'ADN mitochondrial, stockés et stabilisés dans le cytoplasme. Répliqués après la fécondation, ils seraient intégrés au génome, ce que n'a pas démenti la méthode pour obtenir des animaux transgéniques. Donc, à moins que l'ovule humain fasse exception, les embryons clonés ne peuvent pas être une "copie conforme" de l'individu dont proviennent leurs noyaux.
    L'ADN d'un noyau d'ovocyte n'est pas le même qu'un noyau de cellule différenciée. L'information génétique d'un noyau d'ovocyte contient de l'ADN (issu de la transcription inverse d'ARN maternels (voir par exemple la découverte des ARN courts intégrés sous forme d'ADN par M. Beljanski)) qui n'est plus présent dans la cellule différenciée. L'information génétique d'une cellule différenciée est altérée par rapport à celle de l'ovocyte qui est originale.
  2. Les tissus engendrés dans les embryons clonés avec des noyaux d'adultes ont toutes les chances d'être génétiquement ou physiologiquement anormaux. Depuis près d'un demi-siècle - à l'exception fort douteuse de la brebis Dolly - on n'a jamais pu obtenir un développement complet en remplaçant le noyaux de l'œuf par un noyau prélevé dans un tissu adulte, le blocage se produisant à un stade plus ou moins avancé selon les cas. L'explication est simple, on a décrit des délétions et des mutations (chromosomiques et géniques) qui font partie du processus normal de la différenciation tissulaire : le noyau injecté n'est pas identique à celui de l'œuf dont il provient, on pourrait penser que la difficulté serait contournable en prélevant le noyau destiné au clonage dans dans le même tissu que celui qui servira à des fins thérapeutiques, puisqu'il contiendrait le sous-programme génétique nécessaire à son fonctionnement, or l'échec est prévisible pour deux raisons. D'une part, on sait que des noyaux prélevés sur des embryons plus ou moins âgés et injectés dans des œufs de la même espèce montrent des ruptures chromosomiques. D'autre part, quand bien même ce genre d'accident serait évité, avec un génome différent de celui de l'œuf, le jeu des interactions cellulaires impliquées dans la genèse des tissus serait obligatoirement faussé. On sait que chaque lignée cellulaire acquiert son identité tissulaire par une sommation d'informations qui lui sont communiquées par d'autres lignées. Si certaines d'entre elles font défaut, ou sont modifiées, les cellules peuvent éventuellement constituer un tissu d'aspect histologique parfaitement normal mais qui fonctionne anormalement.
    L'ADN d'une cellule différenciée est souvent altéré. La genèse d'un tissu ne provient pas de la mise en œuvre d'un programme contenu dans l'ADN mais d'une suite d'interactions entre tissus voisins au cours du développement. Les lois de la dédifférenciation ne sont PAS les mêmes que celles du développement (dans le sens où, si les acteurs restent les mêmes, le contexte HISTORIQUE du développement d'une cellule appartient définitivement au passé et n'est donc pas reproductible à l'identique).
  3. Même si la méthode de clonage garantissait la différenciation normale des cellules à transplanter, les risques d'insuccès ou d'accidents sont à peu près certains. En effet, une fois transplanté, le tissu embryonnaire devrait acquérir sa physiologie adulte en modifiant la constitution de ses molécules spécifiques. Dans le développement normal, cette maturation nécessite un environnement tissulaire très particulier, qui permet aux cellules de maintenir une certaine cohésion et leur apporte les molécules indispensables pour effectuer leurs synthèses spécifiques. Si l'on se réfère aux nombreux travaux réalisés à ce sujet, on peut prévoir, après un transfert direct de cellules à un organisme adulte : leur dédifférenciation, ou leur prolifération anarchique (avec possibilité d'infiltration dans les tissus voisins), ou un changement d'identité tissulaire par "transdifférenciation" (par exemple la transformation de fibres musculaires ou de rein en cartilage) ou par le biais de renouvellements cellulaires (par exemple la conversion d'un épithélium muqueux en épithélium kératinisé). On ne peut pas exclure l'éventualité d'une transformation cancéreuse.
    Il faut souligner que des expériences préliminaires sur l'animal ne garantiraient nullement un succès chez l'homme car on a fait état de différences importantes dans la chronologie de la différenciation des tissus, notamment en ce qui concerne la perte des capacités de transdifférenciation.