Sources
Pour en finir avec le darwinisme; une nouvelle logique du
vivant, Rosine Chandebois, 1993, Éditions Espaces
34, p 167
Les éléments de réflexion proposés par
Stéphane Jourdan à l'adresse
http://www.ifrance.com/tahitinui//pinus/glossaire.html
me semblent particulièrement pertinents; j'ai fini par
accepter comme vrai ce qui m'est d'abord apparu comme une erreur
historique: les termes d'hétérochronie (et de
néoténie par extension) doivent être
exclusivement utilisés dans un sens
phylogénétique; l'embryologie ne peut pas utiliser ces
termes dans un autre sens sans prêter à confusion.
Sciences de la Terre et de l'Univers, coll.,
Vuibert, 1999, p 552-555
* du point de vue théorique, les informations les plus
facilement accessibles en français sur le net sont issues de
The Shape of Life Genes, Development and the
Evolution of Animal Form, Rudolf. A. Raff, 1996, Chapitre 8: It's not
all heterochrony.
* Les figures issues de Reilly et al. (Biol. Journal of the Linnean
Soc., 60, 119, 1997) sont reprises, notamment dans La
Recherche (Quand l'évolution change le temps des
êtres, Jean Chaline et Didier Marchand, La Recherche, 316,
janvier 1999, p 56-59), dans le manuel scolaire Nathan
TS, 2002, p 137, ou encore sur les pages de
Planet-Terre.
* De nombreux laboratoires de recherche, principalement en
anthropologie s'intéressent aux hétérochronies
mais les publications ne sont pas facilement accessibles et les
résumés permettent de douter que le terme soit vraiment
pris dans son sens exact. L'article de Fernando V. Ramirez Rozzi,
Hétérochronies : êtat des
lieux, dans Primatologie, 2000, 3, 479-511 est assez
éclairant à ce sujet. http://www.ivry.cnrs.fr/
deh/ramrozzi/tap/
heterochronies.pdf
retour accueil, plan du cours de Terminale S
Du point de vue étymologique le terme hétérochronie (du grec hétéro = différent et chronos = le temps) désigne un décalage dans le temps mais n'est pas utilisé par tous dans le même sens. Historiquement, le concept vient des paléontologues, mais son utilisation en embryologie est délicate, même si elle me paraît plus riche de promesses:
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La liaison phylogénétique n'étant pas expérimentale mais historique les hétérochronies sont des processus qui ne relèvent pas du domaine expérimental (on ne peut pas prouver expérimentalement une hétérochronie proposée comme interprétation) mais bien du domaine de l'interprétation évolutive. Les hypothèses de type hétérochronie sont ainsi intégrées aux théories évolutives qui les utilisent.
Cependant le concept d'hétérochronie mérite bien toute l'attention des embryologistes et pas seulement animaux, même si les ontogénies animales et végétales diffèrent profondément. Au contraire, l'utilisation du concept d'hétérochronie, en respectant sa dimension phylogénétique, doit déboucher sur une embryologie évolutive. Couplé à des données embryologiques, un processus hétérochrone devient un vrai mécanisme évolutif.
Remarque:
pour R. Chandebois, embryologiste, dont j'ai
essayé de présenter quelques idées sur mes
pages, les
hétérochronies
désignent des décalages mineurs dans
l'amortissement de la croissance post-embryonnaire en fin de
développement observées chez différentes
espèces proches. Dans sa
théorie
évolutive, elles seraient à
l'origine de la diversification des espèces, au sein de
lignées évolutives.
En effet, les décalages majeurs dans le temps, dus
à des facteurs accidentels au cours de l'embryogenèse,
conduisent le plus souvent à un arrêt de
développement et, dans certains cas, à des formes
monstrueuses. Dans d'autres cas ils ont été
rapportés comme des éléments essentiels de la
genèse de lignées. Un des exemples les mieux
documentés 2 est la sirénomélie, qui
se traduit par la fusion puis l'atrophie des membres
postérieurs, le développement exagéré de
kla boîte crânienne. A partir d'une étude
embryologique minutieuse sur des ftus humains monstrueux
présentant cette malformation R. Chandebois propose comme
cause unique (mais avec des modalités variées)
«un déroulement trop rapide de la progression
autonome (PA - qui désigne l'automatisme embryonnaire chez
cet auteur - voir page
sur le développement) dans
l'ébauche de la chorde, au stade où elle fonctionne
comme centre organisateur de l'embryon». L'auteur va
jusqu'à proposer des modalités similaires de
modification du métabolisme mésodermique pour la
tendance à la réduction des pattes postérieures
et l'augmentation du nombre des vertèbres chez de nombreux
Vertébrés (anguilles chez les Poissons, Siren chez les
Amphibiens, serpents, Scinque et orvets chez les Reptiles...). Elle
ajoute qu'«il est fort possible que
l'adhésivité différentielle soit touchée,
d'un côté supprimant dans le mésenchyme des
flancs la compétence pour donner un bourgeon de membre, de
l'autre augmentant le nombre de rosettes (ébauches de somites)
par unité de volume».
Les hétérochronies ne désignent pas de tels
décalages mais des décalages de moindre amplitude qui
se passent en fin de développement. On sait que la
différenciation des tissus est un phénomène
progressivement amorti. En fin de développement, les tissus
prolifèrent (croissance post-embryonnaire) sous le
contrôle de nombreuses hormones. Mais cette croissance
s'amortit progressivement, probablement du à une perte de
compétence des tissus différenciés. Rosine
Chandebois2 refuse le statut d'interprétation
évolutive aux hétérochronies. Pour elle ce sont
des modalités bien connues de la diversification des
espèces et non des mécanismes évolutifs (au sens
de mécanismes majeurs de la variation qui conduit à
l'apparition des embranchements par exemple).
On classe THÉORIQUEMENT les
hétérochronies (ou processus
hétérochrones) de la façon suivante
- taux de développement (ou de croissance)
accéléré (accélération) ou ralenti
(décélération)
- début de développement plus précoce
(prédéplacement) ou plus tardif
(postdéplacement)
- fin du développement plus précoce (progenèse)
ou plus tardive (hypermorphose).
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(= vitesse ou/et intensité de développement selon les cas) |
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(néoténie) |
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(hypomorphose**) |
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Remarques:
* pædomorphose
s'écrit aussi paédomorphose ou
paedomorphose ce qui aide à éviter de confondre
les lettres "æ" et "".
** L'hypermorphie et l'hypomorphie sont des
états de sur- et de sous-développement morphologique
alors que l'hypermorphose et l'hypomorphose sont des
processus aboutissant aux états précités et qui
entrent, dans l'acception qui est ici soutenue, dans le cadre d'un
processus hétérochrone.
On ne peut pas donner d'exemple d'hétérochronies,
comme quelque chose de connu, mais bien des exemples
d'interprétations à l'aide
d'hétérochronies ce qui rend beaucoup plus difficile
leur présentation pédagogique.
Voici celle de Sciences de la Terre et de l'Univers,
coll., Vuibert, 1999, p 553-554 (fig 13-54,
légèrement modifiée), qui me
paraît nettement plus claire, une fois l'effort de
compréhension fait, que les habituelles courbes. Les
schémas et le texte de l'encadré de la p 57 de
L'évolution, Belin-Pour La Science,
Bibliothèque Pour La Science, 1998 (Les
hétérochronies du développement par Didier
Néraudeau), sont aussi tout à fait corrects.
L'ontogenèse est illustrée par 3 caractères: la taille de l'organisme (taille 1 à 5), la taille de la bouche (de 1 à 4) et le nombre d'épines (0,2,4, 6 ou 8). |
Le développement normal de cet "organisme" pédagogique comporte 4 étapes A, B, C et D, représentées ci-dessous. Dans la figure originale les durées croissantes de chaque phase (A, B,C et D) étaient représentées par des rectangles de longueur croissante, ce qui n'a pas toujours été respecté ici. |
Pour chaque type d'hétérochronie deux exemples sont proposés selon une modalité globale (taille globale, taille de la bouche et nombre d'épines augment ou diminuent corrélativement = c'est une allométrie positive) et selon une modalité locale (dissociée) où seule la taille de la bouche augmente plus ou moins vite selon le type d'hétérochronie; la longueur des rectangles des étapes de développement est représentative de leur durée.
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accélération
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décélération
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Pour une durée de développement allongée, la bouche est plus grande car sa taille a augmenté précocement |
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(hypomorphose)
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Un exemple d'interprétation "hétérochrone" de formes actuelles (il serait préférable de dire: un exemple d'interprétation mettant en jeu des processus hétérochrones): Cardium plicatum et Cardium fittoni (in Sciences de la Terre et de l'Univers, coll., Vuibert, 1999, p 554, fig 13,54 repris d'après Skelton, 1993).
Chez Cardium fittoni, l'adulte mesure environ 35 mm de large et son ornementation ressemble très fortement à celle de C. plicatum juvénile |
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Cardium plicatum juvénile mesure environ 5 mm de large et atteint près de 17 mm à l'état adulte mais son ornementation change (le nombre de côtes augmente et celles-ci sont moins marquées. |
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au stade juvénile j1 les deux espèces seraient morphologiquement semblables et commenceraient à différer au stade j2; C. fittoni atteint à l'âge adulte une taille supérieure à celle de C. plicatum (les dessins intermédiaires en violet sont INVENTÉS et donc FAUX d'après Sciences de la Terre et de l'Univers, coll., Vuibert, 1999, p 554, fig 13,54, eux-mêmes d'après Skelton, 1993, très modifiés). |
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Les "données" paléontologiques que l'on ne remet pas en question dans cet exemple: Remarque: |
* on considère comme acquis, même si ce
n'est qu'une hypothèse paléontologique, que la
petite forme est bien la forme juvénile de la grande
forme, cette dernière étant la plus
ornementée des deux, et qu'ils forment une seule
espèce paléontologique: Cardium
plicatum.
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Mais... |
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Si l'on suit les règles données, cette
ressemblance doit donc être interprétée
comme une pædomorphose qui peut prendre
deux aspects: C. fittoni dérive de C.
plicatum par une ralentissement du développement
global (décélération ou
"néoténie") et/ou une
hypermorphose. En effet, le ralentissement
n'empêche pas que - ou même induit le fait que -
le développement se poursuive plus longtemps chez
C. fittoni que chez C. plicatum, ce qui peut
être considéré comme une hypermorphose,
la taille de C. fittoni étant nettement
supérieure à celle de C. plicatum |
Des études de biométrie réalisées par exemple par Anne-Marie Guihard-Costa (Directeur de recherche au C.N.R.S., UPR 2147 "Dynamique de l'Évolution Humaine : Individus, Populations, Espèces", voir http://www.ivry.cnrs.fr/deh/guihard/guihard.htm) ont permis de mettre en évidence l'existence d'une modulation des vitesses de croissance au cours de la vie ftale avec une décélération marquée en fin de gestation. De même cette auteur a développé la caractérisation d'une "période de transition adaptative" autour de la naissance, débutant 5 à 6 semaines avant la naissance, au cours de laquelle on observe une augmentation considérable de la variabilité individuelle, chez les sujets normaux.
Courbes moyennes de vitesse de croissance
comparées
entre les diamètres bipariétal et abdominal transverse
et la longueur du fémur
(http://www.ivry.cnrs.fr/deh/guihard/fig2.htm)
Ces courbes montrent une modulation des vitesses de croissance au
cours de la vie ftale avec une
décélération marquée en fin de gestation.
Attention ces courbes ne représentent pas toutes le même
type de croissance (une croissance en longueur et deux croissances en
diamètre), les organes sont différents (un os long, des
os crâniens formant la boîte crânienne et des
viscères) et n'atteignent pas une maturité identique en
même temps.
En tant que telle une décélération de croissance, comparativement au rythme de la croissance déjà irrégulier au cours de la vie ftale, n'est aucunement un processus hétérochrone. Pour le qualifier ainsi il faut une comparaison avec des organismes reliés phylogénétiquement. Des comparaisons doivent donc être menées sur des embryons de Primates dans la lignée humaine.
Ces résultats, replacés dans une perspective évolutive, permettent cependant d'intéressantes hypothèses. Par exemple on peut considérer cette période d'instabilité de fin de développement ftal comme une possibilité d'accroissement des potentialités adaptatives du ftus. De même l'analyse et la comparaison des rythmes de croissance pré- et post-nataux chez les Primates, replacées dans leur contexte d'environnement écologique, peut sans aucun doute aider à définir le rôle adaptatif de ces processus de croissance. Ces travaux sont développés par exemple dans l'équipe UPR 2147 du CNRS, Dynamique de l'Évolution Humaine (http://www.ivry.cnrs.fr/deh/themes.htm#theme2) Processus ontogéniques et hétérochronies (A.-M. Guihard-Costa, G.Berillon, Y.Deloison, P.Droullé, J.-C.Pineau, H.Pucciarelli, F.Ramirez-Rozzi). Les processus ontogéniques étudiés morphométriquement sont: d'une part le développement ftal et néonatal humain, en général, et d'autre part, des points plus précis comme le développement dentaire, la morphologie crânienne ou la dimension longitudinale du visage ou encore la morphogenèse postnatale du pied au cours de l'apprentissage de la marche. Les mécanismes hétérochroniques sont par exemple appliqués à l'étude des dents des Hominidés plio-pleistocènes.