retour hygiène
Extrait (chapitre 4, aux erreurs de copie près) de Apprendre la santé à l'école, Brigitte Sandrin-Berthon, ESF, Collection Pratiques & enjeux pédagogiques, 1997
Cette première expérience, bien qu'un peu ancienne, nous paraît toujours d'actualité. La question des rythmes de vie des enfants est évoquée à chaque nouvelle rentrée scolaire. Semaine de quatre jours pour satisfaire les adultes qui veulent partir en week-end, vacance; écourtées au risque de mécontenter les professionnels du tourisme, activités artistiques et sportives l'après-midi que les communes ont bien du mal à financer : on peut regretter que le bien-être de l'enfant soit rarement au cur du débat. Alors on peut attendre passivement une réforme en profondeur de l'Éducation nationale. On peut aussi agir modestement à un niveau très local, profiter de l'espace de liberté même minime que nous offre la réalité. C'est ce que font dans certaines communes les élus, les enseignants et les parents : ils réfléchissent ensemble et trouvent des solutions consensuelles à défaut d'être idéales. C'est aussi ce que nous avons essayé de faire, il y a quelques années, dans une ville de la banlieue parisienne. Le travail relaté ici n'a rien d'exemplaire. Aucune évaluation rigoureuse ne permet d'affirmer que les élèves étaient moins fatigués à l'issue du projet qu'à son démarrage. En revanche les « bénéfices secondaires » nous ont paru incontestables en termes de mobilisation des enseignants, des enfants et des parents et en termes de satisfaction collective. Au-delà des connaissances acquises par les uns et les autres, chacun a pu s'exprimer, chacun a pu être entendu, chacun a pu découvrir que sa parole avait une valeur et qu'il pouvait contribuer à améliorer la vie quotidienne à l'école. C'est pour cela que nous pouvons parler d'éducation pour la santé à propos de cette expérience.
Dans la narration, nous nous intéresserons
successivement:
- à ce que nous ont dit les enseignants et à ce qu'ils
ont observé en classe,
- à ce qu'écrivent les spécialistes des rythmes
biologiques,
- à ce que nous ont dit les enfants,
- à ce que nous ont dit les parents.
Ensuite nous raconterons comment l'équipe éducative a pris en compte ces différents points de vue.
Au cours de l'année scolaire 1988-1989, à Ivry-sur-Seine, les enseignants d'une école primaire, réunis en conseil des maîtres, se disaient préoccupés par la fatigue excessive et quasi permanente des enfants et leur grande fragilité face aux maladies infectieuses. Ils incriminaient le manque global de sommeil et les trop longues soirées passées devant le poste de télévision. Ils souhaitaient que nous intervenions auprès des élèves et de leurs parents, pour expliquer de quelle manière le sommeil contribue au développement harmonieux et à la bonne santé des enfants. En tant que médecin scolaire,la question soulevée nous semblait importante mais l'analyse du problème et la réponse proposée, un peu trop hâtivement élaborées. Nous proposâmes donc aux enseignants de cerner un peu mieux le problème avant d'entreprendre une action. Il s'agissait en fait d'étudier les besoins et les demandes relatifs à ce problème de santé que nous ne jugions pas nécessaire de vérifier par une enquête épidémiologique approfondie : les enseignants faisaient référence à des taux d'absentéisme importants, à des somnolences fréquentes en classe, à des difficultés d'attention et cela confirmait des observations informelles que nous avions pu faire en recevant les enfants au cabinet médical, pour des actions de dépistage ou en intervenant dans les classes, pour une raison ou pour une autre. Cette commune de la banlieue parisienne est particulièrement touchée par les problèmes de pauvreté, de chômage, d'immigration, d'insalubrité des logements, de délinquance, de toxicomanie. L'école est implantée dans l'un des quartiers les plus défavorisés et la fatigue des enfants est une réalité indéniable.
Notre hypothèse de départ était que les difficultés sociales et familiales, les mauvaises conditions de logement étaient sans doute partiellement responsables de la fragilité des enfants mais que l'organisation de leur vie, au sein même de l'école, n'était pas idéale et constituait un facteur supplémentaire de fatigue. Nous avons donc demandé aux enseignants de nous remettre l'emploi du temps hebdomadaire de leur classe. Nous leur avons également fourni une grille d'observation qu'ils devaient remplir pendant une semaine, en notant à chaque moment de la journée : la matière étudiée, le sujet abordé, la forme de travail et l'ambiance générale de la classe.
Classe : Nombre d'élèves dans la classe
: |
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Parallèlement à ce travail, il nous a semblé indispensable d'enrichir nos connaissances dans le domaine des rythmes de vie de l'enfant, de la fatigue et du sommeil. Nous souhaitions, en particulier, avoir des informations objectives sur la façon dont les rythmes de vie imposés aux enfants peuvent avoir des répercussions sur leur état de fatigue, sur leur comportement et plus généralement sur leur santé.
L'organisation d'une demi-journée pédagogique nous a permis de présenter aux enseignants la synthèse de leurs observations en classe, une analyse critique de leurs emplois du temps hebdomadaires et les résultats de notre recherche documentaire.
Merci de bien vouloir remplir cette feuille d'observation pendant la semaine du 23 au 28 janvier 1989. Dans la colonne « activités » vous indiquez les activités effectivement réalisées avec les enfants et qui peuvent donc différer de l'emploi du temps prévu. Dans la colonne « description de la classe », vous choisissez parmi les adjectifs proposés, celui ou ceux qui décrivent le mieux l'ambiance générale de la classe, pendant chaque séance de travail. Si la liste vous semble inadéquate dans certains cas, vous pouvez, bien sûr, utiliser d'autres adjectifs ou faire des remarques particulières. |
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Les documents ont été remplis avec beaucoup de
rigueur par les neuf enseignants présents cette
semaine-là dans l'école. Voilà les principaux
éléments de synthèse que nous avons
restitués à l'équipe pédagogique et qui
ont permis de lancer un débat.
Deux enfants sur trois mangent à la cantine (55 à 78 %
selon les classes). Un enfant sur cinq reste à l'étude
(8 à 43 % selon les classes).
À propos de l'emploi du temps hebdomadaire, nous nous sommes
intéressées aux activités physiques. Sur 36
journées complètes de classe (9 x 4), 16 ne comportent
pas d'activités physiques en dehors de la
récréation. Deux classes ne font de la gymnastique
qu'une fois par semaine, une classe en fait tous les jours (ce qui
prouve au moins que c'est possible).
Du point de vue de la répartition des matières dans la
journée, on note que, dans la grande majorité des
cas,la matinée est consacrée au français et aux
mathématiques. Cette deuxième matière est
souvent abordée après la récréation du
matin ou bien en début d'après-midi. Les
activités d'éveil sont programmées
l'après-midi : histoire, géographie, sciences, dessin,
chant, poésie, bibliothèque... Dans une classe de CP,
on fait une demi-heure de chant ou de poésie en arrivant
chaque matin. Dans une classe de CM2, on pratique une activité
physique dans la cour chaque jour en fin d'après-midi.
À propos du comportement des enfants, pour chaque quart de
journée, nous avons noté la façon dont les
enseignants avaient perçu leur classe : +, - ou 0 selon les
qualificatifs utilisés ou les remarques formulées.
Lorsque l'appréciation était globalement positive, nous
notions +, Lorsqu'elle était globalement négative, nous
notions - et lorsqu'elle était mitigée, nous notions 0,
En additionnant les notes de toutes les premières parties de
matinée, on obtient un score de 24, en fin de matinée
un score de 14. Au début de l'après-midi, le total est
négatif: -7. En fin d'après-midi il est de nouveau
égal à 14. Parmi les qualificatifs utilisés,
nous avons étudié ceux qui ne présentaient pas
d'ambiguïté et nous avons noté le nombre de fois
où ils avaient été utilisés par quart de
journée.
Moment de la journée |
Classe endormie |
Classe distraite |
Classe agitée |
Classe attentive |
Classe dynamique |
Début de la matinée |
3 |
5 |
9 |
24 |
16 |
Fin de la matinée |
0 |
5 |
3 |
16 |
16 |
Début d'après-midi |
9 |
9 |
11 |
11 |
12 |
Fin d'après-midi |
2 |
6 |
5 |
11 |
10 |
Sans accorder une valeur exagérée à ces quelques chiffres, les enseignants ont constaté qu'ils ressentaient souvent le début d'après-midi comme un moment difficile et la matinée comme la période la plus propice aux apprentissages et ce, quelles que soient les activités proposées aux enfants.
L'école se doit d'être à l'écoute des enfants qu'elle accueille. Elle ne doit pas pour autant oublier qu'elle a un savoir à transmettre. C'est la raison pour laquelle il nous a paru important de rendre compte ici des connaissances scientifiques sur lesquelles nous nous sommes appuyés pour agir. Nous décrirons ensuite comment les enseignants ont su les intégrer à leurs propres observations. Le texte qui suit sur les rythmes biologiques n'a pas la prétention de l'exhaustivité. Il résume l'intervention que nous avions faite à l'époque. Nous avions surtout utilisé les ouvrages de Pierre Crépon (Les rythmes de vie de l'enfant, du tout-petit à l'adolescent, Paris, Retz, 1983 ) et d'Hubert Montagner (Les rythmes de l'enfant et de l'adolescent, Paris, Stock/Laurence Pernoud,1988).
C'est la science qui étudie les rythmes biologiques des êtres vivants. Trois notions de base sont à retenir.
Premièrement, notre organisme fonctionne à tous les niveaux selon des rythmes, des alternances de temps forts et de temps faibles. Citons par exemple l'alternance veille-sommeil qui concorde chez l'adulte avec l'alternance jour-nuit, le rythme cardiaque, le rythme respiratoire, les cycles ovulatoires chez la femme dont la fréquence est d'ailleurs identique à celle des cycles lunaires, et l'activité cérébrale qui fait que nos performances sont différentes selon les heures de la journée. On retrouve même ce fonctionnement cyclique au niveau cellulaire : l'activité de la cellule hépatique, par exemple, n'est pas la même à tous les moments de la journée, des médicaments peuvent ainsi être métabolisés à certaines heures et pas à d'autres. L'existence de rythmes est intimement liée à l'existence de la vie : ce n'est pas seulement vrai pour les hommes mais pour l'ensemble des organismes vivants.
Deuxièmement, chaque individu a une structure temporelle qui lui est propre, même s'il y a des constantes dans la race humaine. En principe, nous sommes tous dotés d'une tête, d'un tronc, de deux bras et de deux jambes ; pourtant nos physionomies sont suffisamment différentes pour que nous nous distinguions les uns des autres. On peut dire la même chose de notre structure temporelle qui est commune dans ses grandes lignes avec celle de nos semblables et qui est pourtant unique.
Troisièmement, nous ne pouvons pas vivre constamment à contretemps de nos rythmes psychologiques et physiologiques sans ennui grave : la fatigue est un signal d'alarme. Il est important de le rappeler à une époque où la répartition des moments consacrés au travail, aux loisirs et au repos se fait de plus en plus souvent en fonction d'impératifs sociaux et économiques, sans tenir compte des impératifs qui relèvent de la biologie humaine.
L'alternance de l'état de veille et de l'état de sommeil constitue le rythme biologique de base de l'espèce humaine et de la plupart des espèces animales. Le sommeil est un besoin fondamental qui correspond à un temps de repos nécessaire pour le cerveau. Chez l'enfant, c'est pendant le sommeil qu'est sécrétée l'hormone de croissance. La quantité de sommeil nécessaire est très variable d'un individu à l'autre. Il y a des petits dormeurs et des gros dormeurs, il y a des couche-tôt et des lève-tard : cela correspond notamment aux variations de la température corporelle. Ces variations individuelles dans les besoins de sommeil se constatent très tôt, dès l'âge de 6 à 9 mois.
Une nuit de sommeil est formée de plusieurs cycles de 90 à 130 minutes selon les individus. En fin de soirée arrive une période d'endormissement : la personne bâille et ses paupières sont lourdes. Le marchand de sable est passé et c'est le bon moment pour aller se coucher. Si on tarde trop, il faudra attendre le cycle suivant pour pouvoir trouver le sommeil. On ne peut donc pas dormir sur commande. Puis apparaît le sommeil lent qui dure environ 90 minutes. Il est d'abord léger puis de plus en plus profond : le dormeur devient progressivement insensible au bruit et à la lumière. Les ondes observées sur l'électroencéphalogramme sont très ralenties, le dormeur est immobile, sa tension artérielle est basse, ses fréquences cardiaque et respiratoire également. Le sommeil rapide ou paradoxal arrive ensuite : les ondes sur l'électroencéphalogramme sont très rapides, identiques à celles observées à l'état de veille ; les yeux bougent dans tous les sens, la respiration, la fréquence cardiaque et la tension artérielle sont irrégulières ; les organes génitaux sont en érection et des secousses musculaires se produisent un peu partout dans le corps. Pourtant le sujet est très profondément endormi et son tonus musculaire est à zéro. Les rêves dont on se souvient se produisent essentiellement à cette phase du sommeil. A la fin de celle-ci, le sujet pousse un profond soupir et revient à un état proche de la période d'endormissement. On parle de période intermédiaire : le sujet peut se réveiller spontanément ou replonger dans un nouveau cycle de sommeil comprenant phase lente et phase rapide. Au cours de la nuit, quatre à six cycles se succèdent ainsi. L'éveil spontané survient toujours en fin de cycle.
Le sommeil lent est réparateur de la fatigue physique : sa durée augmente à la suite d'un effort physique important. Le sommeil paradoxal est réparateur de la fatigue psychique et permet la mémorisation des choses apprises pendant la journée. La proportion de chaque type de sommeil, à l'intérieur d'un cycle, varie au cours de la nuit : la durée de sommeil lent diminue tandis que la durée de sommeil paradoxal augmente. Écourter la nuit d'un enfant en le réveillant provoque donc une baisse de son temps de sommeil paradoxal avec risque d'instabilité, de difficultés de concentration pendant la journée et de mémorisation. L'idéal est de permettre à chaque enfant de s'éveiller chaque jour spontanément. Il suffit pour cela de l'observer pendant une période de vacances, de noter avec lui le temps de sommeil dont il a besoin et d'en déduire son heure idéale d'endormissement en fonction de l'heure à laquelle il doit se lever le matin pour aller à l'école. Par ailleurs, l'organisme a besoin, pour fonctionner au mieux de ses possibilités, d'une grande régularité. Il faut éviter de bouleverser constamment l'alternance veille-sommeil car bon nombre d'autres rythmes biologiques en dépendent.
Cela signifie que la grasse matinée du dimanche compense très mal le manque de sommeil accumulé pendant la semaine. Il serait bon de dormir chaque nuit le nombre d'heures dont on a besoin.
Ce fonctionnement cyclique existe aussi à l'état de veille. À peu près toutes les deux heures, on peut constater une baisse de la vigilance qui se traduit par une rêvasserie de quelques minutes, un «coup de pompe». Ce décrochage du cerveau est tout à fait repérable sur l'électroencéphalogramme. On ne peut pas se concentrer à ce moment-là : l'adulte interrompt son activité pour boire un café ou allumer une cigarette, l'enfant se coupe de ce qui l'entoure, se replie sur lui-même, ce qui peut être à tort considéré comme un signe d'instabilité ou de désintérêt. Cette période dure cinq à dix minutes selon les individus et correspond à une nécessité biologique : c'est l'éveil passif.
Au cours de la journée on note aussi, chez la plupart des enfants, deux moments de moindre attention : il s'agit de la fin de matinée et du début d'après-midi, et ceci indépendamment de la sensation de faim ou de la digestion.
Le niveau de vigilance varie également sur des périodes très courtes, de quelques minutes. Quand un enfant doit apprendre une chose difficile, il écoute et comprend pendant un instant puis il rêve un peu et redevient vigilant. Les explications données en classe doivent donc être répétées plusieurs fois si l'on veut que chaque élève en bénéficie.
Un adulte ne peut pas avoir une activité physique ou intellectuelle soutenue sans se reposer régulièrement. Chez les enfants, ce besoin est majoré par le fait qu'ils sont en situation quasi permanente d'apprentissage, ce qui est beaucoup plus fatigant qu'un travail routinier. La mise en place de moments de repos améliore le rendement du travail et plusieurs pauses courtes sont plus avantageuses qu'une seule pause longue. De toutes façons, chez les enfants, la durée maximale d'une période d'attention soutenue est largement inférieure à une heure. Elle est en moyenne de 25 minutes pour les enfants de 6 à 8 ans et de 30 minutes pour les enfants de 8 à 10 ans. De grandes variations individuelles existent entre les enfants, mais il serait profitable à tout le monde d'interrompre très régulièrement les phases de travail par des moments brefs de repos, c'est-à-dire des moments où l'on ne demande pas aux enfants d'être attentifs. Quand les enfants arrivent au cours préparatoire, il serait souhaitable de commencer par des séquences de travail extrêmement brèves, n~excédant pas 5 à 10 minutes, et de les entraîner progressivement à allonger leur capacité d'attention.
L'organisation de la journée de l'écolier devrait toujours respecter une triple alternance. C'est ce que recommandaient déjà Debré et Douady dans un rapport publié en 1962. Nous venons de parler de l'alternance entre le travail et le repos. L'alternance entre le mouvement et l'immobilité est également indispensable pour une croissance harmonieuse. La récréation qui est souvent une explosion motrice a des vertus différentes de la séance dirigée d'activités physiques : l'une ne peut pas remplacer l'autre, les deux sont nécessaires quotidiennement pour assurer le développement moteur correct de l'enfant. Il faut aussi respecter une alternance entre le rationnel et l'imaginaire, entre la pensée logique qui relève de l'hémisphère gauche du cerveau et les émotions qui relèvent de l'hémisphère droit. Il s'agit de ne pas privilégier les activités rationnelles au mépris des activités artistiques : celles-ci sont tout aussi importantes pour le développement de l'intelligence. Cette triple alternance doit être présente dans l'emploi du temps quotidien et pas seulement dans l'emploi du temps hebdomadaire.
À la lumière de ces nouvelles données, dont certaines venaient confirmer et enrichir leurs propres observations, les enseignants ont souhaité, sans plus attendre, modifier l'organisation de la journée à l'école, en changeant notamment les horaires des récréations. Il leur paraissait pertinent de retarder la récréation du matin et d'avancer celle de l'après-midi pour que l'une et l'autre se situent dans la période de moindre vigilance des enfants. Cela comportait pourtant, en cours d'année, de nombreuses difficultés, du fait de l'utilisation d'installations sportives municipales, de salles d'informatique et de l'intervention de maîtres spécialisés pour les cours d'arabe et de portugais, et à des horaires bien précis, établis en concertation avec les autres écoles de la commune : cela nécessitait donc des aménagements bien au-delà des emplois du temps des classes. Des pauses brèves, effectuées sans sortir de la classe, ont été instaurées en première partie de matinée et en deuxième partie d'après-midi. Trois mois plus tard, en fin d'année scolaire, l'équipe s'est déclarée satisfaite de ces changements et a décidé de les maintenir l'année suivante. Une réflexion a par ailleurs été amorcée sur l'organisation de la cantine et du temps de repos qui suit le déjeuner.
Certains enseignants ont changé l'emploi du temps hebdomadaire de leur classe en évitant notamment de placer les cours de mathématiques en début d'après-midi. Les plus fortes résistances au changement sont apparues à propos des activités physiques. Les instituteurs éprouvaient de réelles difficultés à envisager de modifier leurs habitudes dans ce domaine.
Ce n'est qu'au début de l'année scolaire suivante, après cette remise en question du fonctionnement de l'école, que nous avons commencé à travailler avec les enfants et les parents. Il nous semblait alors indispensable de donner la parole aux uns et aux autres, de recueillir leur avis plutôt que de leur dicter des règles de bonne conduite dans le domaine du repos et du sommeil. De septembre à décembre 1989, nous avons donc reçu en entretien des parents et des élèves de l'école, pour les entendre parler des rythmes de vie, de la fatigue et du sommeil des enfants, pour connaître leurs opinions dans ce domaine.
Il faut dit-on donner la parole aux enfants, prendre en compte leurs représentations, leurs connaissances préalables. Concrètement, comment peut-on s'y prendre ? Comment les aider à s'exprimer ? Comment utiliser ce qu'ils disent et ce qu'ils savent ? Comment introduire ensuite ce qu'on veut leur enseigner ? La technique que nous avons utilisée ici pour dialoguer avec les enfants est celle de l'entretien semi-directif.
La secrétaire médicale est allée dans chacune des onze classes de l'école pour présenter brièvement notre travail aux enfants. Le jour de l'entretien, nous y sommes retournées et nous avons choisi quatre enfants, par un tirage au sort effectué devant l'ensemble des élèves. Nous avons, bien sûr, demandé à chaque enfant désigné par le hasard s'il était d'accord pour venir bavarder avec nous et nous n'avons enregistré aucun refus. L'une des classes n'a pas participé à ce travail car la demi-journée prévue pour les entretiens coïncidait avec la séance de piscine : la maîtresse trouvait illogique de priver quatre enfants d'une activité sportive pour les faire participer à un travail sur les rythmes de vie. Nous nous sommes rangées à son opinion. Dans l'une des classes, cinq noms d'élèves au lieu de quatre ont été tirés au sort par erreur et nous les avons tous reçus pour ne décevoir personne. Nous avons donc rencontré au cabinet médical de l'école quarante-et-un enfants âgés de six à douze ans : neuf groupes de quatre élèves et un groupe de cinq. Nous avons choisi de recevoir les enfants par petits groupes pour ne pas trop les intimider puisqu'il s'agissait pour eux de s'exprimer en présence de deux adultes. Nous étions attentives à ce que chaque enfant donne son avis sur chaque sujet abordé. Sans doute n'avons-nous pas évité tous les phénomènes de « contamination », dans les opinions formulées par les uns et les autres, mais notre travail n'avait de toute façon aucune prétention statistique : les informations que nous désirions recueillir étaient d'ordre qualitatif.
Avant de poser des questions aux enfants, nous nous présentions à eux et nous leur demandions de le faire également. Après les avoir remerciés de bien vouloir nous rencontrer, nous avions quelques minutes d'échanges informels avec eux, à partir de leurs remarques spontanées ou de leur curiosité. Cela permettait de faire connaissance, d'instaurer un climat de confiance et d'aborder le sujet des rythmes de vie de façon plus détendue et chaleureuse. L'entretien durait environ 45 minutes. La secrétaire restait généralement silencieuse et notait, aussi scrupuleusement que possible, les phrases exactes prononcées par les enfants. Les questions que nous posions étaient pré-inscrites sur la feuille. A la fin de chaque entretien, nous relisions les notes prises afin d'utiliser notre mémoire immédiate pour éventuellement compléter le manuscrit. Un enregistrement par magnétophone aurait bien sûr été plus fidèle mais nous ne disposions pas d'assez de temps pour utiliser cet appareil : ce genre de travail ne représentait bien sûr qu'une petite partie de nos tâches professionnelles.
Voici la grille d'entretien que nous avons utilisée :
- Quel est pour toi le meilleur moment de la journée ?
- Quel est pour toi le plus mauvais moment de la journée ?
- Que veut dire être fatigué pour toi ?
- Comment ressens-tu ta fatigue ?
- Es-tu content de te réveiller le matin ? Pourquoi ?
- Est-ce que cela te fait plaisir d'aller te coucher ?
- Qu'est-ce qui t'aide à t'endormir ?
- Qu'est-ce qui te gêne pour t'endormir ?
À propos du déroulement de la journée, nous avons observé que les réponses diffèrent notablement selon l'âge des enfants. Les enfants de CP et CE1 (6-7 ans) apprécient surtout les moments passés en famille. Quand ils parlent de leur journée, la relation avec les parents constitue leur principale référence.
Le meilleur moment de la journée c'est : « Quand je me couche parce que mon papa dort avant, ma maman fait du piano en bas, je suis juste entre les deux. » - « Aller au parc avec ma maman et mon frère. » Le discours sur l'école est pratiquement toujours négatif : ils ne parlent pas des copains ; la cour de récréation est un lieu extrêmement menaçant ; aucune distinction n'est faite entre les différentes matières enseignées et le travail est souvent présenté comme une grande contrainte par opposition au dessin et au jeu ; la notion de plaisir en est tout à fait absente. Les contraintes liées à la vie collective et à la discipline pèsent lourd.
Le plus mauvais moment de la journée c'est : « Quand on m'attaque dans la cour, on me fait des coups de pied. » - « La récréation parce que je me fais du mal, on me bouscule, on me fonce dessus. » - « Le matin, on se range, on croise les bras et on fait du travail. » - « La cantine parce qu'on ne peut pas faire des tables comme on veut. » - « A la cantine, le directeur vient toujours nous engueuler. » - « Quand on fait des bêtises, la maîtresse nous fait dormir. »
Cette dernière remarque fut bien sûr l'objet d'une discussion avec les enseignants : peut-on valoriser le sommeil auprès des enfants si l'on continue de l'utiliser comme sanction ?
En CE2, CM1 et CM2 (8-10 ans), l'appréciation portée sur les différents moments de la journée est davantage liée à la présence ou à l'absence de copains.
Le meilleur moment de la journée, c'est : « Être en classe, je m'ennuie à la maison. » - « La récré parce que j'aime pas trop travailler, j'y comprends pas grand chose. » - « L'heure du repas, on peut discuter avec les copains pour mieux les connaître car on les connaît de visage mais on ne connaît pas leurs goûts. »
Le plus mauvais moment de la journée, c'est : « Le midi, je n'aime pas rentrer à la maison, je voudrais rester à la cantine. Je suis tout seul avec mon frère. » - « Quand la journée est bonne et qu'il faut rentrer le soir à la maison, on n'a plus ses copains. » - « Dès qu'on rentre chez nous le soir après 16 h 30 parce qu'on doit faire toujours les mêmes choses : les devoirs, le bain, manger, dormir, je n'ai jamais le temps de m'amuser. »
Les différences de goût s'affirment vis- à-vis des matières enseignées, du mode et du moment de travail.
Le meilleur moment de la journée, c'est : « L'après- midi, on fait moins d'exercices, on fait de l'histoire et de la science. » - « Les maths et la récréation. » - « Quand le maître explique et que l'on n'a pas à écrire. » « Le matin, parce que l'après- midi on est fatigué, le matin on réfléchit mieux. »
Le plus mauvais moment de la journée c'est : « L'heure de français. » - « Le matin quand on écrit : si on n'a pas fini, on ne va pas en récré. »
En revanche, quel que soit l'âge des enfants, le moment du lever est très mal vécu : il a été cité comme étant le plus mauvais moment de la journée dans huit classes sur dix alors que nous n'avions pas encore posé la question sur l'éveil du matin.
Le plus mauvais moment de la journée, c'est : « Le
matin quand je me réveille parce que j'ai toujours envie de
dormir. » - « Quand on se lève parce qu'on
est bien dans le lit. »
« Le matin, je suis dans les " vapes " quand j'arrive
à l'école. » - « Se lever. »
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À propos de la définition de la fatigue, nous avons obtenu des réponses très diverses que nous avons pu classer en cinq groupes.
La fatigue du corps, après l'effort physique : ce sont les enfants les plus âgés qui nous en ont parlé et nous avons noté une certaine inquiétude dans leur formulation, comme s'ils percevaient des sensations étranges qu'ils ne savaient pas expliquer.
« Le cur bat fort, notre tête allait exploser, ça fait une drôle d'impression. » - « On a du mal à marcher. Quand je m'assois, c'est pire, je sens mes jambes trembler à l'intérieur. »
La fatigue liée au travail scolaire : elle était surtout mentionnée par les enfants de CP (6 ans), comme si le travail leur était tombé dessus comme une calamité à leur arrivée en école élémentaire. Cela rejoint d'ailleurs les avis exprimés sur les différents moments de la journée. Rappelons que ces entretiens ont eu lieu pendant le premier trimestre de l'année scolaire.
« J'ai mal au doigt quand j'écris, j'ai mal à la tête mais il faut travailler. » - « On a envie de se reposer l'après-midi. » - « On fait un dessin pour se reposer du travail. »
La fatigue due à l'inactivité, à l'ennui : plusieurs enfants nous ont parlé de la difficulté qu'ils ressentent à rester immobiles et leurs réflexions ne peuvent que nous interroger sur les six heures quotidiennes de classe, avec la faible part consacrée aux activités physiques.
« Être fatigué c'est s'ennuyer, on n'a rien à faire, on s'endort. » « Je suis fatigué quand je reste trop longtemps sans bouger. »
La fatigue au réveil : plusieurs enfants nous en ont parlé à ce moment de l'entretien et cela n'a fait que renforcer la mauvaise appréciation déjà portée sur ce moment de la journée.
« La fatigue c'est mes yeux qui tombent et qui sont collés le matin. » « Être fatigué c'est quand on dort et qu'on se réveille. »
La fatigue de fin de journée : les enfants nous parlent alors du sommeil, de l'endormissement.
« Le soir ma tête elle est gonflée comme un ballon. » - « Je sens mon corps mou, je vois mon lit devant moi, j'ai envie de dormir. »
En ce qui concerne la façon dont ils ressentent leur fatigue, nous avons été surprises par la richesse des descriptions enfantines. Cette question qui aurait sans doute désarmé plus d'un adulte, ne semblait pas causer de difficulté particulière aux enfants. Toutes les parties du corps ont été nommées, chaque enfant semblant plus sensible à l'une ou l'autre d'entre elles.
« C'est mes yeux, ils clignotent. » - « Il y a les bras qui tirent. » - « Y a pas de muscles. » - « Notre cur qui bat fort. » - « On a mal aux pieds. » - « Les jambes s'alourdissent. » - « Ça fait drôle sur les dents. » - « On a la gorge sèche. » - « Ça fait mal aux doigts à force d'écrire. » « J'ai mal aux reins. » - « J'ai mal à la tête. »
Nous avons aussi entendu quelques considérations plus générales : « Je sens mon corps mou. » - « Je ne suis pas de bonne humeur. » « J'ai froid. » - « Je perds des forces. »
À propos du réveil, conformément aux réponses précédentes, la plupart des enfants nous ont dit qu'ils trouvaient ce moment très désagréable.
Es-tu content de te réveiller le matin ? « Non, je suis fatiguée, je voudrais encore dormir. » - « Non, maman crie pour me réveiller. » « Non quand on dort on rêve et on est obligé d'ouvrir les yeux et on ne voit plus notre rêve. » - « Pas du tout, le froid me rendort et maman me jette de l'eau sur les yeux pour me réveiller. »
Il faut signaler qu'au travers de leurs propos, nous n'avons repéré un éveil spontané que chez deux enfants, c'est-à-dire un éveil survenant en fin de cycle, lié au lever du jour ou aux bruits matinaux de la maison et de la rue, ne nécessitant ni appel répété ni sonnerie stridente ni secousse corporelle.
« J'aime bien me lever, parce qu'on démarre l'école plein d'énergie, je me réveille toute seule quand j'entends maman. » - « C'est très agréable, je me lève vers cinq ou sir heures et ma mère me dit de me recoucher. »
L'endormissement et le sommeil sont racontés de façon très intense et très fiche par les enfants. Ce sont des moments pleins de vie, de sentiments, où l'imaginaire tient une grande place. Quel que soit leur âge, deux éléments sont constamment présents dans leur discours : la peur et le nounours ( ou son équivalent : peluche, poupée...).
« Pour ne pas avoir peur du noir, je chante, je parle. » - « Il y a des meubles qui craquent et j'ai peur. » - « Mes habits sur la chaise font des monstres. » - « Une chaise, on dirait un éléphant sauvage, je crois qu'il va m'écraser. » - « Je vois des fourres, la plante de ma grand-mère qui fait une danseuse qui bouge. » - « Les photos sur le mur, ça nous regarde. » - « Quand j'ai les yeux ouverts, je ne suis pas dans le monde qui fait peur mais dans le monde normal. »
Parmi les compagnons préférés, on peut citer : « Une luciole et une Barbie qui a une robe qui brille dans la nuit. » - « Une poupée qui raconte des histoires et qui chante. » - « Mon nounours. » - « Mon Bibifoc. » - « Un truc à ma sur quand elle était petite, elle me l'a donné, je parle à cette peluche. » - « J'ai un nounours Coco plus grand que moi. » - « Le nounours quand je suis né, il s'appelle Dodo. »
Pour lutter contre la peur, il y a aussi les histoires que l'on se raconte.
« Quand je pense à quelque chose qui me fait peur, un bouclier vient me protéger contre les forces magnétiques. » - « On raconte une histoire dans la tête. » - « Je m'invente des histoires où je suis un personnage. »
En dehors des peurs, ce sont surtout les frères et surs plus jeunes qui semblent perturber le sommeil : les logements paraissent bien souvent trop petits.
Plusieurs enfants, parmi les plus âgés, ont exprimé une certaine curiosité ou une incompréhension vis-à-vis des mécanismes de l'endormissement.
« Debout on est fatigué : ça fait un drôle d'effet. » - « Parfois je suis énervée et pourtant je ne peux pas m'endormir. » - « Quand on me dit d'aller me coucher, je dois dormir tout de suite mais je n'y arrive pas toujours. »
Parmi les facteurs qui facilitent l'endormissement, les plus jeunes enfants font souvent référence à des chansons ou à des histoires appartenant au répertoire de leur pays d'origine. Il faut noter que dans ce quartier, la population immigrée est très importante et les origines ethniques très diverses.
« Ma mère me met des musiques arabes. » - « On me raconte une histoire de mon pays, le Nigeria, il y a longtemps. » La télévision, si souvent dénoncée par les enseignants, est présente dans les paroles des enfants mais pour des raisons très variées. Elle peut constituer une aide ou un obstacle à l'endormissement, y compris pour ceux qui n'en ont pas chez eux : nous le venons avec la dernière réplique citée.
Est-ce que cela te fait plaisir d'aller te coucher ? « Non, j'aimerais bien regarder la télé. Je la regarde en cachette, je fais semblant d'aller à la cuisine ou aux toilettes et je gagne du temps. »
Qu'est- ce qui t'aide à t'endormir ? « Je regarde un film, je m'endors avec le coussin par terre. » - « C'est la télé que j'entends de ma chambre. » Qu'est-ce qui te gêne pour t'endormir ? « Le son de la télé. » - « Je n'ose pas regarder les films d'horreur, j'ai peur de faire des cauchemars. » - « J'ai envie de regarder la télé mais je n'ai pas de télé chez moi et je sais que le lendemain les autres vont en parler. »
Pendant la même période, nous avons procédé de la même manière avec un parent de chaque classe. Un nom était tiré au sort et une invitation avec coupon-réponse adressée aux parents ainsi désignés. En cas de refus, nous nous adressions à une autre famille également tirée au sort. Le temps ne nous permettait pas d'effectuer un éventuel troisième essai. Nous n'avons donc reçu que sept parents, ce qui est bien sûr très faible.
La grille d'entretien que nous utilisions était la suivante
:
- Êtes-vous satisfait de l'organisation de la journée de
votre enfant lorsqu'il y a de l'école ? Est-ce un souci pour
vous ?
- Vous arrive-t-il de sentir votre enfant fatigué ? À
quoi attribuez-vous cette fatigue ?
- Comment se passe le lever de votre enfant ?
- Comment se passe le coucher de votre enfant ?
- Selon vous, que doit-on dire aux enfants, que doit-on leur
conseiller en matière de sommeil ?
Nous avons constaté que les parents remettaient très peu en question le fonctionnement de l'école. « J'aime bien ce qui se passe ici. » - « Elle est très contente et bien épanouie. » - « Elle aime bien la bibliothèque, ses amis, la maîtresse, elle évolue bien. » Ils semblent faire totalement confiance aux enseignants. Les seules réserves exprimées concernent la cour de récréation et mettent plutôt en cause les autres enfants. « Dans la cour ce n'est pas du repos. » - « Je lui ai dit de ne passe laisser faire. » On peut émettre plusieurs hypothèses à ce sujet. Malgré nos efforts pour les mettre à l'aise et la confidentialité de l'entretien, les parents s'autorisaient peut-être difficilement à critiquer l'école en son sein même. Cette attitude était sans doute renforcée par le fait que la plupart des parents que nous avons reçus étaient d'origine sociale modeste et n'avaient pas fait d'études longues. On peut aussi penser que les horaires offerts par l'école sont compatibles avec les horaires de travail des adultes. L'organisation de la journée de l'enfant est donc considérée comme satisfaisante et ne représente pas un souci pour les parents. On attribue ainsi à l'école une fonction de garderie, en plus de sa fonction éducative. Le retentissement éventuel de l'organisation de la journée sur la fatigue et la santé des enfants n'est pas une préoccupation. Il est minimisé par les parents, voire méconnu.
Pourtant, dans la deuxième partie de l'entretien, tous les parents nous ont parlé de la fatigue importante de leur enfant en fin de journée. Ils l'attribuent à des soucis, notamment des inquiétudes en rapport avec les résultats scolaires, ou bien à des difficultés relationnelles, des disputes avec les camarades ou au sein de la famille. Les rythmes de vie ne sont pas incriminés. « Au début du trimestre, il a fallu qu'il dépasse ses limites. » - « C'est dû à une incompréhension, un problème qu'elle n'a pas résolu. » - « Ce n'est pas dénoué dans sa tête. » Aux dires des parents; le lever des enfants n'est pas un moment facile. « Il faut le secouer. » - « Il faut du temps pour qu'il soit vraiment réveillé. » Dans un seul cas on nous a décrit un éveil spontané.
Le coucher pose apparemment peu de problèmes même si les enfants ne s'endorment pas tout de suite. C'est un moment plutôt agréable. « Le baiser du soir. » - « Je lui raconte une histoire. » - « Il veut que je lui gratte le dos. » La télévision n'est jamais citée comme source de conflits. Quand ils parlent du sommeil à leurs enfants, ils le présentent généralement comme un moment entre parenthèses dont la seule fonction est de préparer le travail du lendemain. « Il faut assez de sommeil pour être en forme le lendemain. » - « Si on dort mal on n'aura pas le courage de travailler. » - « Ton organisme en a besoin, même si tu ne le sens pas. » Cela contraste avec la manière très riche dont les enfants décrivent leur période d'endormissement, leurs rêves et leurs cauchemars. Pour les enfants le sommeil n'est pas une parenthèse, c'est un moment de vie à part entière.
Les parents admettent que l'enfant se couche plus tard pendant les vacances et la veille des jours de repos. « On doit se coucher de bonne heure s'il y a école le lendemain. » La régularité du temps de sommeil n'a jamais été présentée comme une exigence par les adultes que nous avons rencontrés.
Nous avons fait un compte rendu détaillé des
entretiens avec les enfants et avec les parents, aux enseignants,
à l'occasion d'une deuxième demi-journée
pédagogique. Des objectifs de travail ont alors
été définis et des activités
réalisées au cours des deux derniers trimestres de
l'année scolaire. Il s'agissait d'une part, d'améliorer
le fonctionnement de l'école :
- concevoir un aménagement de la cour de
récréation qui sécuriserait davantage les plus
jeunes enfants (il faut noter que le changement des horaires avait
déjà amélioré la situation, en divisant
par deux le nombre d'enfants présents en même temps dans
la cour. En effet, celle-ci est utilisée par les écoles
A et B. Seule l'école B étant concernée par le
projet décrit ici, les élèves des deux
écoles ne se côtoyaient plus dans la cour) ;
- permettre aux enfants d'utiliser pendant leurs moments de
détente d'autres lieux que la cour (bibliothèque, salle
de jeux de société) ;
- accroître le dialogue entre les enseignants et les animateurs
de la cantine, organiser notamment une rencontre en début
d'année.
Il a été décidé d'autre part,
d'organiser dans les classes des activités sur le thème
de la fatigue et du sommeil :
- établir des moments de parole pour que les enfants puissent
raconter leur nuit ou dessiner leurs rêves et leurs cauchemars,
afin que chacun entende qu'il n'est pas le seul à avoir peur
ou à avoir besoin d'un nounours, que l'endormissement et le
sommeil sont importants aux yeux de l'enseignant ;
- pour les plus jeunes, recueillir auprès des familles, les
berceuses et les contes utilisés pour l'endormissement et
favoriser ainsi la participation de parents étrangers souvent
mal à l'aise avec le système scolaire français
;
- pour les plus grands, apporter quelques informations scientifiques
sur l'adaptation du corps à l'effort et sur le sommeil, en
réponse à la curiosité qu'ils avaient
manifestée ;
- réaliser une exposition pour les parents, en fin
d'année, afin de rendre compte du travail effectué
pendant deux ans par les adultes et les enfants de
l'école.
Nous allons décrire maintenant, à titre d'exemples, certaines animations réalisées dans les classes.
Un jour nous avons accompagné une classe de CM2 sur le stade. Nous avions emporté un stéthoscope, un tensiomètre, un chronomètre et un magnétophone. Les enfants pouvaient ainsi mesurer les réactions de leur organisme (fréquence cardiaque, fréquence respiratoire, tension artérielle) et enregistrer sur le vif leurs impressions après différents types d'efforts. Quelques jours plus tard, nous avons utilisé en classe ces mesures et ces témoignages pour aider les élèves à faire le lien entre ce que chacun ressent après avoir couru plus ou moins vite, plus ou moins longtemps, et ce qui se passe dans son corps à ce moment-là. Les enfants discutaient, proposaient des schémas explicatifs, nous interrogeaient et comprenaient peu à peu. Nous répondions ainsi à la curiosité exprimée par les élèves de cet âge-là, au moment des entretiens semi-directifs, en nous appuyant sur leurs représentations et leurs expériences.
En CP et en CE1 nous avons utilisé la métaphore classique d'un voyage en train pour parler du sommeil avec les enfants. A la première séance nous arrivions dans la classe avec une grande valise. Nous disions aux enfants : « Se préparer à dormir c'est comme se préparer à partir en voyage. Pour prendre le train du sommeil il faut donc faire ses bagages. Nous ne mettons pas tous la même chose dans notre valise. Aujourd'hui, chacun va pouvoir dire aux autres ce dont il a besoin pour s'endormir. » Nous demandions aux enfants de s'asseoir par terre, en cercle. L'un d'entre eux, volontaire, venait au centre pour faire « comme s'il allait se coucher ». Il nous précisait ce dont il avait besoin. Un lit bien sûr : nous sortions de la valise une couverture qui figurait le lit. « Tu as sûrement besoin d'autre chose. - Oui, il faut qu'il fasse nuit. » Alors nous fermions les rideaux de la classe. « Mais j'aime bien avoir un peu de lumière quand même. » Nous sortions une petite lampe de la valise. Et ainsi de suite. Plusieurs enfants jouaient successivement devant les autres leur endormissement. Nous avions pris le soin de cacher de nombreux objets dans la valise : une poupée, un ours en peluche, un mouchoir, un livre, une cassette, un verre, un réveil, un coussin en forme de cur qui représentait les bisous et les câlins dont certains ont besoin pour s'endormir. C'était l'occasion pour les enfants de découvrir leurs points communs et leurs différences. Certains réclament un peu de lumière, d'autres le noir absolu. Certains lisent un livre, d'autres se le font raconter, d'autres écoutent de la musique. Tous ont un peu besoin de se rassurer. Le débat s'engageait facilement. En fin de séance, en accord avec l'instituteur, nous demandions aux enfants de dessiner pour la fois suivante, sur une feuille de papier, le contenu de leur valise, autrement dit ce qui leur était nécessaire pour bien dormir.
À la séance suivante, nous passions un moment à découvrir le contenu des valises et à écouter les commentaires que chaque enfant faisait de son dessin. Puis nous installions sur l'estrade un petit train emprunté à l'école maternelle voisine. Les élèves se groupaient tout autour. puisque chacun avait préparé ses bagages, nous allions pouvoir entreprendre le voyage du sommeil.
Nous ne pouvons, bien sûr, monter dans un train que quand il passe à la gare. Cela signifie que nous ne pouvons pas nous endormir n'importe quand. Lorsque le train du sommeil arrivé à la gare, nous le savons car nous bâillons, nos yeux picotent, nos paupières sont lourdes. C'est donc le bon moment pour aller au lit en n'oubliant pas notre valise. Nous commençons alors notre voyage à bord du train du sommeil. Nous traversons d'abord le pays de la grande forme (le sommeil lent) : cela nous permet de nous reposer et de grandir (c'est pendant cette phase qu'est sécrétée l'hormone de croissance). Nous avions disposé dans le premier wagon, juste derrière la locomotive, plusieurs morceaux d'une tour en plastique sur lesquels nous avions dessiné des centimètres. A chaque passage au pays de la grande forme, nous ajoutions un élément à la tour pour figurer la croissance. Le train continue ensuite son voyage et nous traversons le pays des rêves (le sommeil rapide) : cela nous permet de bien comprendre tout ce que nous avons appris à l'école dans la journée et de nous en souvenir. Dans le deuxième wagon se trouvaient les morceaux d'un petit puzzle. A chaque passage nous en disposions un élément sur le sol et l'image se construisait peu à peu. Les rails étant disposés en ovale, le train repassait à la gare. Après un tour la nuit n'est pas finie, il fait encore nuit tout le monde dort, ce n'est pas le moment de se réveiller ni de descendre du train. Heureusement car la tour et le puzzle ne sont pas finis de construire : il faudra faire plusieurs tours (plusieurs cycles de sommeil). Si l'on descend trop tôt, autrement dit si l'on ne dort pas assez longtemps, on n'aura pas traversé suffisamment de fois le pays de la grande forme et le pays des rêves. La tour et le puzzle seront inachevés. On risque de moins bien grandir et de ne pas mettre en ordre tout ce qu'on a appris à l'école.
Après cette deuxième séance les élèves devaient dessiner ce qu'ils avaient compris ou ce qui les intéressait particulièrement. Ils ont produit un très grand nombre de dessins : la gare, le train, les deux pays traversés... Beaucoup ont voulu représenter leur propre pays des rêves et c'était souvent un pays de cauchemars. Cela nous a donné l'occasion d'un échange sur les différentes pratiques en usage dans les familles pour éviter les mauvais rêves : mettre un couteau entre le sommier et le matelas, réciter trois versets du Coran avant de s'endormir... Là encore, chaque enfant a pu découvrir qu'il n'était pas le seul à avoir des frayeurs nocturnes et que, dans tous les pays du monde, on essayait de se défendre contre ces peurs.
Les dessins réalisés après l'une et l'autre séances, ainsi que le train qui avait servi à l'animation, ont été présentés aux parents dans le cadre de l'exposition de fin d'année. Une enseignante avait également reproduit sur une grande fresque, avec ses élèves, la valise, la gare, le train, les deux pays et toutes les connaissances acquises à l'occasion de cette activité. Chaque classe rendait compte de son travail à l'aide de grands panneaux illustrés. Les berceuses et les contes, collectés au sein des familles, avaient été enregistrés sur une cassette qui permettait l'animation sonore de l'exposition.
Si l'on se réfère à la méthodologie d'une action de santé, telle que nous l'avons évoquée au début du chapitre précédent, on s'aperçoit que dans cet exemple les schémas théoriques sont un peu bousculés par la réalité. Le thème de travail a été choisi par les instituteurs. On n'a pas identifié au préalable tous les problèmes de santé ni défini de priorité. On a préféré s'appuyer sur la seule motivation des enseignants. Les objectifs de santé n'ont pas été précisés de manière formelle. Les objectifs d'actions ont été rédigés sans référence à une quelconque évaluation.
À l'époque, notre travail était seulement guidé par deux principes généraux : donner la parole à chacun, afin de prendre en compte les connaissances préalables et les représentations, ne jamais aborder un thème de santé avec les élèves sans questionner le fonctionnement de l'école à ce sujet. Nous ne faisions pas référence à un schéma méthodologique rigoureux. La combinaison des deux, principes et méthode, aboutirait à des résultats plus satisfaisants, notamment en termes d'évaluation et donc de reproductibilité.
Par ailleurs, peut-on vraiment parler de démarche participative ? Nous avons certes pris le temps d'écouter les adultes et les enfants. Les enseignants ont pris des décisions pour améliorer la vie à l'école. Ils ont mis en place, avec ou sans nous, des activités dans les classes. Pour autant, nous avons gardé jusqu'à la fin la maîtrise de l'action. La concertation existait mais nous n'avions pas, par exemple, formalisé de comité de pilotage. Quant à la participation des parents, elle est restée modeste. Un très petit nombre a été consulté. Ils ont tous été informés du travail et invités à l'exposition mais n'ont à aucun moment été associés aux prises de décisions.
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