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publié : LR 435 Novembre 2009, pp 8-10
Maladie d'Alzheimer: trois nouveaux gènes identifiés
Marie-Laure Theodule, journaliste à La Recherche.
Le patrimoine génétique joue un rôle déterminant dans I'apparition de la maladie d'Alzheimer. D'où l'importance de la découverte européenne obtenue à partir du suivi de 6000 patients. L'identification de ces trois gènes ouvre la voie à de nouvelles formes de traitement.
Coup double! En juillet dernier à Vienne,
lors de l'ICAD (International Conference on Alzheimer's Disease), la
grand-messe scientifique annuelle sur la maladie d'Alzheimer, deux
groupes annoncent qu'ils ont identifié chacun deux
gènes impliqués dans la maladie. Le premier est un
consortium franco-européen coordonné par Philippe
Amouyel, de l'université Lille-Il, le second une équipe
britannique dirigée par Julie Williams de l'université
de Cardiff. Les gènes identifiés par les
Français codent deux protéines, CLU (ou clusterine) et
CR1 ; les Britanniques
ont aussi trouvé la clusterine et un troisième
gène codant la protéine Picalm. Avant
l'été, chaque groupe a envoyé son article
à la revue reine de la discipline, Nature Genetics.
Entre eux, la concurrence est vive. Avec une troisième
équipe américaine de la Boston University School of
Medicine, ils sont les seuls au monde à avoir la
capacité de mener à grande échelle des
études couvrant le génome entier. À Vienne, les
deux groupes s'épient,discutent, et finalement décident
de vérifier réciproquement leurs résultats. Les
Français retrouvent Picalm, et les Britanniques
CR1. Les deux
études sont publiées â grand renfort d'annonce
médiatique dans le même numéro de Nature
Genetics, celui de septembre
[1].
Qu'a donc de si exceptionnel cette double découverte? En fait,
cela fait seize ans qu'un seul et unique gène de
susceptibilité â la maladie d'Alzheimer a
été identifié, le gène codant
l'apolipoprotéine E, APOE. Depuis, plus rien de tangible !
L'identification de ces trois nouveaux gènes est donc un
événement. Pour en prendre toute la mesure, il faut
comprendre pourquoi on cherche des gènes dans cette maladie.
Elle n'est en effet ni monogénique ni
héréditaire, sauf dans ses formes familiales
très peu répandues (1% à 3% des malades). Il
s'agit d'une pathologie multifactorielle complexe résultant de
l'interaction de facteurs environnementaux et
génétiques. Or, «après de nombreuses
études réalisées sur des jumeaux, on estime que
le patrimoine génétique de l'individu compte pour
environ 60 % dans le risque de développer la maladie, le reste
venant de l'environnement, explique Philippe Amouyel. Par
comparaison, dans les maladies cardiovasculaires la "part" des
gènes serait de 20 % seulement». Les gènes
jouent donc un rôle déterminant dans cette maladie,
même s'ils n'en sont pas la cause. En fait, ce sont des
facteurs de risque (lire "Pourquoi il faut se méfier des
tests", p.10). En identifiant des gènes, on espère
mieux comprendre les mécanismes de développement de la
maladie. Depuis une vingtaine d'années, d'importants efforts
ont été déployés en ce sens. Mais sans
beaucoup de résultats. Pourquoi?
Association. La maladie d'Alzheimer se
caractérise par deux types de modification dans le cerveau:
l'accumulation d'une substance, le peptide ß-amyloïde,
dans des plaques qui se forment entre les neurones; l'amas de
protéines Tau, qui provoque des
dégénérescences à l'intérieur des
neurones. À ce jour, on ne sait toujours pas si ces deux
signes biologiques sont des causes ou des conséquences de la
maladie, ni même s'ils sont liés. D'autres
hypothèses sont émises sur les causes: contamination
avec de l'aluminium, inflammation... Dans ce contexte flou, la chasse
aux gènes a longtemps consisté à partir d'une
hypothèse. On choisit un gène dont on pense qu'il
pourrait jouer un rôle, et on fait une étude
d'association : en comparant une cohorte de malades à une
cohorte de témoins, on regarde si un certain variant dudit
gène est plus fréquent chez les malades. Pour que cette
fréquence ait un sens, il faut une cohorte suffisamment
grande. Sinon,on détecte des faux positifs, autrement dit des
gènes qui n'ont rien à voir avec la maladie.
C'est dans ce contexte qu'Allen Roses de l'université Duke
identifie, un peu par hasard en 1993, le rôle de l'APOE.
À l'époque, plusieurs équipes travaillent sur le
gène qui code l'APOE, parce qu'il
est associé au risque de maladies cardiovasculaires. Le gène a trois variants, E2, E3 et E4. Comparé à E3, E4 augmente le taux de cholestérol. alors que E2 le diminue. Parallèlement, en cherchant une substance qui pourrait se lier dans le cerveau à la protéine ß-amyloïde, Allen Roses tombe sur l'APOE. Son équipe observe que les porteurs de E4 développent plus souvent la maladie d'Alzheimer que les autres. Elle publie en premier.
Depuis, l'association entre AP0E4 et la maladie d'Alzheimer a été confirmée par de nombreuses études partout dans le monde. C'était en fait relativement facile dans le cas d'APOE4 parce que le risque de développer la maladie associée à ce variant est très élevé : il augmente de 250 % si l'individu porte une copie du gène, de 500% s'il a les deux copies. «Lorsque le risque est plus faible, il faut augmenter la taille de l'échantillon pour trouver une association qui soit significative d'un point de vue statistique », commente Philippe Amouyel. Cela explique pourquoi aucun gène n'a été identifié avec certitude depuis 1993: en seize ans, plus de 500 gènes ont été associés tour à tour à la maladie d'Alzheimer mais avec des cohortes trop petites eu égard à l'intensité du risque. Ces associations n'ont donc jamais été confirmées par d'autres études.
Criblage à haut débit. Il
n'en va pas de même avec les publications de septembre dernier.
Car entre-temps, on a changé de technologie puis de dimension.
Désormais, le criblage à haut débit permet de
balayer d'un coup l'ensemble du génome d'un individu. Dans ces
nouvelles études. on cherche à l'aveuglette à
repérer, sur nos quelque 25 000 gènes, des mutations
plus fréquentes chez les malades que chez les patients.
Grâce aux puces à ADN* actuelles,on peut étudier
jusqu'à 600 000 mutations en une seule fois. Ensuite, on se
demande à quoi les gènes identifiés peuvent
servir. Mais, avec cette technique, le risque de trouver des faux
positifs augmente d'autant plus. Ce que Philippe Amouyel illustre
ainsi: «C'est un peu comme si vous cherchiez vos clés
égarées dans la nuit et qu'il y ait un lampadaire.
Avant on cherchait seulement sous le halo du lampadaire
allumé, qui correspond aux hypothèses
physiopathologiques. Maintenant, on éteint le lampadaire, ce
qui revient à ne plus faire d'hypothèses du tout. Les
chances de trouver augmentent, le risque de ramasser n'importe quoi
aussi.» Les premières études
"pangénomiques" sur la maladie d'Alzheimer tombent dans le
piège; les mutations trouvées le sont sur des cohortes
trop petites. Et elles ne sont jamais confirmées, à
part l'implication du gène APOE que l'on retrouve chaque
fois.
Pour éviter ce risque, la seule solution consiste à
augmenter de beaucoup la taille des cohortes pour atteindre au moins
5 000 malades et 15 000 témoins, à élever les
barrières statistiques, et à répliquer
l'étude avant de publier. C'est le tour de force qu'ont
réussi les équipes de Philippe Amouyel et de Julie
Williams. Depuis deux ans, une course aux banques d'ADN s'est
engagée entre elles. Chaque équipe a réuni de
son côté quelque 6 000 patients et plus de 10000
témoins issus de plusieurs pays pour leur étude.
Mais à quel prix? Recruter des patients et des témoins
est un processus onéreux qui requiert une logistique lourde
pour le consentement et les examens médicaux. Quant au
génotypage haut débit, réalisé en France
au Génopole d'Évry, il a lui aussi un coût
élevé. «Nous n'y serions jamais arrivés
sans les 3 millions d'euros du plan
Alzheimer*
», reconnaît Philippe Amouyel. Si seules trois
équipes au monde sont encore dans la course, c'est aussi en
raison de ce coût élevé. Cependant le jeu en vaut
la chandelle puisque de nouveaux gènes ont enfin
été identifiés. Le risque calculé pour
ces gènes est certes bien moins élevé qu'avec
APOE. Si les individus ne sont pas porteurs du bon variant, le risque
augmente de 15 % avec CLU, de 20 % avec
CR1 ou avec Picalm.
Mais leur identification ouvre la voie à de nouvelles
hypothèses.
Ainsi la clusterine (ou CLU) et le
CR1 semblent jouer un
rôle dans l'élimination du peptide
ß-amyloïde, et Picalm dans la formation des synapses. En
outre, la clusterine est une protéine multifonctionnelle qui
s'exprime aussi en cas d'inflammation du cerveau. Et
CR1 est le
récepteur d'une protéine également
impliquée dans les phénomènes inflammatoires. Ce
qui renforce une idée déjà émise, celle
de tester des anti-inflammatoires pour lutter contre la maladie.
Certes du gène au médicament, la route est encore
très longue. Mais après seize années sans
succès, les publications de septembre confirment enfin
l'intérêt de poursuivre dans la voie
génétique. En dépit de leur concurrence
acharnée, les trois équipes envisagent d'unir leurs
forces pour préparer une nouvelle étude qui portera sur
près de 60 000 sujets. Bientôt de nouveaux
gènes?
[1] J.-C. Lambert et al., Nature Genetics, doi:10.1038/ ng.439,2009; D.Harold et al., Nature Genetics, doi: 10.1038/ng.440,2009.
Figures et Encarts
La maladie d'Alzheimer s'accompagne de modifications dans le cerveau, visibles sur ces deux coupes (tissu cérébral atrophié à gauche et sain à droite). Certains gènes sont peut-être associés à ces dégénérescences. (image 1 - pour des questions de droits on ne peut placer l'image ici - si vous souhaitez une image équivalente voir par exemple: http://reflexions.ulg.ac.be/upload/docs/image/jpeg/2007-08/alzheimer_fr.jpg )
Les chiffres clés
6 millions d'Européens atteints de la maladie d'Alzheimer ou
de démences apparentées, dont 850 000 Français
en 2008.
11 millions d'Européens, dont 2 millions de Français,
seront atteints en 2040
L'essentiel
> TROIS NOUVEAUX GÈNES impliqués dans la maladie
d'Alzheimer ont été identifiés.
> POUR LES PORTEURS de ces gènes, le risque de
développer la maladie s'accroît de 15% à 20%.
> DE NOUVELLES HYPOTHÈSES peuvent être émises
sur l'origine de la maladie.
*UNE PUCE À ADN permet d'analyser l'expression de plusieurs milliers de gènes dans une cellule ou un tissu.
* LE PLAN ALZHEIMER français a été lancé en 2008 pour une durée de cinq ans. Sur un budget total de 1,6 milliard d'euros, 200 millions seront consacrés à la recherche.
Pourquoi il faut se méfier des tests
Depuis que le gène codant l'APOE4 a été
identifié comme un puissant facteur de risque dans la maladie
d'Alzheimer, la question de dépister ce gène dans la
population générale s'est posée. Mais pourquoi
se poser une question si elle n'a pas de réponse? Il n'existe
en effet à ce jour aucun moyen de prévention pour les
porteurs du gène. Pas plus qu'il n'existe un moyen savoir si
lesdits porteurs vont ou non développer la maladie. Tout
porteur d'un gène de prédisposition a plus de risques
qu'un non-porteur. Mais il peut aussi ne jamais être atteint.
Et un non-porteur peut quand même l'être. En
matière de génétique, il faut donc se garder de
tirer des conséquences à titre individuel à
partir d'études statistiques réalisées sur des
populations.
(image 2 - pour des questions de droits on ne peut placer l'image
ici - si vous souhaitez une image équivalente voir par exemple
le site http://www.ifr88.cnrs-mrs.fr/transcriptome/
spip.php?rubrique11 et l'image :
http://www.ifr88.cnrs
-mrs.fr/transcriptome/ local/cache-vignettes/
L200xH143/40003-2-dc4d3.jpg)