retour cours de terminale d'immunité
Les concepts de maladie et de santé ne sont pas strictement scientifiques et touchent à la médecine et à la politique (ou au moins au social). La santé est parfois perçue comme un droit, ce qui est absurde (c'est l'accès aux soins qui peut être un droit). D'autre part, on ne sait même pas définir cet état de façon définitive. Une carie est parfois considérée comme une maladie alors qu'elle est un état de santé beaucoup plus fréquent qu'une dent intègre ("saine"). On arrive rapidement au problème philosophique du normal et du pathologique au sujet duquel voici une réflexion forte «En conclusion, nous pensons que la biologie humaine et la médecine sont des pièces nécessaires d'une « anthropologie », qu'elles n'ont jamais cessé de l'être, mais nous pensons aussi qu'il n'y a pas d'anthropologie qui ne suppose une morale, en sorte que toujours le concept du « normal », dans l'ordre humain, reste un concept normatif et de portée proprement philosophique. » (G. Canguilhem dans "Le normal et le pathologique")
La nosologie est la partie de la médecine qui
étudie les caractères distinctifs des maladies et les
classe (données principalement issues de
l'E.U.).
Trois groupes de critères peuvent être
dégagés :
Mais de multiples causes peuvent déclencher un
mécanisme pathogénique analogue, des mécanismes
différents peuvent provoquer les mêmes lésions
(c'est pour cela que les classifications anatomo-pathologiques
gardent leur valeur et qu'il y a encore des maladies du foie, du
cerveau ou du rein). On peut dire, d'une manière
imagée, que l'organisme a un petit nombre de
réponses possibles à des agressions très
variées.
De plus des processus identiques peuvent avoir des
conséquences très différentes selon les organes
touchés. Par exemple une artèriole bouchée est
un processus dont la gravité dépend principalement de
la localisation et non de la cause (caillot, épaississement de
la paroi, vasoconstriction...) : une artèriole
cérébrale bouchée n'a pas les mêmes
conséquences qu'une artèriole superficielle de la peau
bouchée.
S'il est inévitable d'appeler «maladies» la
typhoïde, le diabète et la cirrhose du foie, ce terme de
maladie recouvre quelque chose d'un peu différent dans ces
trois cas.
On parle quelquefois de syndromes pour désigner une
série de symptômes associés dont les causes
peuvent être différentes.
Pour montrer la cascade (ou séries) de causes de nombreuse maladies voici par exemple le cas du cancer de la mamelle de la souris: |
On a isolé un virus (virus de Bittner) qui infecte le souriceau à la naissance; il est transmis par le lait maternel. Dans un certain sens, ce virus est la cause de ce cancer. Mais celui-ci n'apparaît que dans certaines lignées. Il y a donc un facteur héréditaire. On a pu, par des croisements, préparer des souches de souris résistantes à 100% et des souches de souris atteintes à 100%. Le cancer n'apparaît, d'autre part, que chez la femelle, mais on peut le faire apparaître chez le mâle par castration et administration d'hormones femelles: il y a donc un facteur endocrinien. Enfin, comme il n'apparaît qu'à un certain âge, il existe un temps de maturation préalable à la cancérisation. |
Pour montrer l'aspect sociologique de ces séries voici un exemple: |
Un individu meurt du tétanos. La cause du
tétanos est le bacille de Nicolaïer. Mais,
d'un autre point de vue, la cause peut aussi
être une blessure de guerre, un accident de
travail agricole, un accident de voie publique. On
peut accuser le médecin qui n'a pas fait de
sérum antitétanique préventif. Le
fautif peut être le malade qui a refusé
l'injection et, de plus, ne s'était pas soumis
à l'obligation de la vaccination
antitétanique; parfois, tel voisin, camarade ou
ami l'avait encouragé à ne pas se
laisser vacciner. Selon le point de vue, cet homme
sera victime de la guerre, de sa profession, de sa
secte ou d'une négligence professionnelle, et
le bacille de Nicolaïer rétrogradera ainsi
au rang d'un moyen. L'homme de science, lui,
considère le bacille et sa toxine. C'est sur ce
plan d'ailleurs qu'il doit et qu'il peut agir. Pour le
public, le problème est tout autre. Le bacille
de Nicolaïer l'intéresse moins que les
autres causes. Il y a souvent, en effet, un
intérêt social à trouver un
responsable, à lui faire assumer la charge de
l'accident. Le responsable attaqué a
intérêt à faire rejaillir la
responsabilité sur un autre. Ainsi,
l'étude scientifique des causes de la maladie
fait-elle moins de bruit, dans les
préoccupations des foules et dans le psychisme
même des malades, que le débat jamais
complètement désintéressé
du partage des responsabilités. |
Dans la partie précédente j'ai essayé de présenter la une notion biologique de santé qui prenne en compte le facteur humain (biologie humaine). Il me semblait plus pertinent de définir ce qu'était une maladie plutôt que d'essayer de trouver un consensus sur le terme de santé. Je pense avoir apporté suffisamment d'éléments pour montrer que les médecins sont partie prenantes dans une définition large et humaniste de la santé.
Voici maintenant la définition de la santé donnée en 1946 par l'OMS lors de sa création (statuts):
La santé n'est certes pas un droit, tout comme l'absence de maladie ou d'infirmité. Par contre l'accès aux soins peut-être défini comme un droit de l'homme moderne.
D'une façon plus générale, il semblerait que l'on assiste à un glissement d'un modèle de santé médical vers un modèle plus global : J.A. Bury , en 1988, dans "Éducation pour la santé", De Boeck, en distingue deux étapes:
modèle médical |
modèle global |
* la maladie est principalement organique |
* la maladie est un phénomène complexe qui
résulte de facteurs organiques mais aussi de facteurs
individuels et sociaux |
Pour aller finalement au fond des choses je pense que l'on peut suivre un des penseurs humanistes les plus prestigieux: Jean-Paul II qui dans son discours du 2 juin 1980 à l'UNESCO (http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/1980/june/documents/hf_jp-ii_spe_19800602_unesco_fr.html) n'a cessé de répéter ces paroles de Saint Thomas d'Aquin: Genus humanum arte et ratione vivit (ce que l'on peut traduire par "L'homme vit d'une vie vraiment humaine grâce à la culture"). « Cette dimension fondamentale, c'est l'homme, l'homme dans son intégralité, l'homme qui vit en même temps dans la sphère des valeurs matérielles et dans celle des valeurs spirituelles. Le respect des droits inaliénables de la personne humaine est à la base de tout. (...) J'insiste sur (...) la nécessité de mobiliser toutes les forces qui orientent la dimension spirituelle de l'existence humaine, qui témoignent du primat du spirituel dans l'homme - de ce qui correspond à la dignité de son intelligence, de sa volonté et de son cur - (...) ... » On ne peut pas séparer la santé du corps et la santé spirituelle, que l'on peut assimiler à la culture...
La médecine est un art (du latin ars, artis, ce qui fait référence d'abord au médecin qui soigne) et non une science, même si le médecin ne peut être un ignorant. Un professeur de sciences (SVT par exemple) est aussi homme de l'art avant d'être homme de science. Il est d'abord un pédagogue même si la science lui est nécessaire. Ceci pour me faire pardonner mon incursion dans un domaine délicat où, en temps que professeur de SVT, je ne suis peut-être pas bienvenu.
Deux brèves me paraissent intéressantes et
particulièrement sincères:
* Comment évaluer l'efficacité d'un
médicament ? (Les médicaments sont-ils toujours
efficaces ?, Martin Lochouarn, La Recherche, 378, septembre 2004,
24); « ... on a vu d'excellents anti-rythmiques multiplier
par deux la mortalité !». Une étude
britannique (AD 2000) utilise deux critères principaux pour
évaluer l'efficacité du donepezil, médicament
phare de la lutte contre la maladie d'Alzheimer: la perte progressive
des gestes quotidiens et le moment du placement en institution. Et
conclut à l'inefficacité du médicament qui
pourtant, en utilisant les critères choisis pour
l'autorisation de mise sur le marché (AMM), a une
activité biologique, sans nocivité.
* Le dépistage précoce des cancers de la
prostrate n'est pas forcément un bien
(Jérôme Rigaud: «Pas de bon marqueur du cancer
de la prostate», La Recherche, 378, septembre 2004, 24); on
utilise actuellement un dosage d'antigène spécifique de
la prostate (PSA) mais qui n'est pas spécifique du cancer;
c'est juste un indicateur qui, d'après une étude
américaine réalisée chez 3000 hommes, permet
d'atteinde un taux de dépistage d'un cancer chez 15% de la
population testée (pour 100% chez qui on a
réalisé une biopsie) lorsque le taux dépasse la
valeur seuil de 4 ng/mL de sang. Le diagnostic se faisant par biopsie
du tissu prostatique, une méthode qui n'est pas bégnine
(elle peut être à l'origine d'infections
sévères et même conduire à un
décès). La question est de savoir quel est
l'intérêt de dépister des cancers très
précocement car on pense que la plupart des cancers resteront
latents et n'évolueront pas vers une maladie. L'association
française d'urologie a pris fermement position pour un
dépistage annuel dès 50 an, ce qui d'après M.
Rigaud, est un avis collégial, non fondé
scientifiquement, car reposant sur l'hypothèse que seule la
détection du cancer à l'état prococe permet de
le soigner et de réduire la mortalité. Il y a
clairement une faute logique dans ce raisonnement sur la
justification du dépistage précoce.