Thomas Hunt Morgan (1866-1945)

D'après ses biographes, c'est un biologiste au caractère bien trempé et une personnalité attachante. En tout cas ses écrits sont intéressants à lire et ses critiques portent encore aujourd'hui.

 

Sources:
de nombreuses données sont disponibles sur l'ESP (Electronic Scholarly Publishing):
http://www.esp.org/.En voici la liste (articles et livres):

Biographie succinte (http://nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates/1933/morgan-bio.html)
Marié à Lilian Vaughan Sampson en 1904, sa femme l'aida dans ses recherches. Il eurent 4 enfants.
Prix Nobel de Physiologie et Médecine en 1933
C'était un naturaliste ayant fait des études de morphologie et de physiologie. Après avoir passé quelques mois au laboratoire marin d'Annisquam (Massachussets), il fut engagé pour 2 ans comme chercheur (1888-1889) pour la Commission des Etats-Unis sur les poissons au laboratoire de Woods Hole. avec lequel il resta associé jusqu'en 1902 en participant à des expéditions à la Jamaïque et aux Bahamas. En 1890 il obtint son PhD degree à l'université John Hopkins. De voyage en Europe et notamment en Italie, il rencontre Hans Driesch au laboratoire zoologique marin de Naples. Ce dernier favorisa son orientation vers l'embryologie expérimentale.
De 1891 à 1904 il fût professeur associé de biologie au collège féminin de Bryn Mawr. En 1904 il obtient un poste de professeur de zoologie expérimentale à l'université de Columbia. Il ne le quitta qu'en 1928 pour devenir professeur de biologie et directeur des laboratoires G. Kerckhoff à Passadena à l'institut universitaire de Californie (Caltech). Il y resta jusqu'en 1945, en ayant son propre laboratoire (à Corona del Mar, Californie) les dernières années.

Il commenca son travail avec la drosophile en 1909 sur les conseils de Lutz et après les travaux de Woodworth en 1900-1901 sur les croisements réalisables en grand nombre chez cet insecte. Il obtint rapidement de nombreux "mutants". L'observation de la transmission conjointe de traits de caratères (liaison) a été observée simultanément chez le Pois par des chercheurs anglais en 1909 et 1910. Le premier article de Morgan sur la drosophile concerne la liaison au sexe, considéré comme un facteur transmissible. C'est lui qui mit en avant la théorie de l'organisation linéaire des gènes liés sur le chromosome (notamment par son livre de 1915: Mechanism of Mendelian Heredity).
Cependant il ne cessa jamais de s'intéresser à l'embryologie et à la regénération et se derniers travaux concernaient ce domaine. Il apporta des contributions majeures notamment sur le œufs à développement "en mosaïque".


Plan de cette page:

1. En embryologiste, il critique l'utilisation abusive des facteurs mendéliens
2.
Une revue sur le rôle des chromosomes datée de 1910
3.
La première publication mendélienne de Morgan chez la drosophile


1. En embryologiste, il critique l'utilisation abusive des facteurs mendéliens


L'opposition initiale de Morgan au mendélisme est attestée par tous les historiens. Certains précisent que la question est évidemment subtile et qu'il faut la relier à sa vision d'embryologiste.

T.H. Morgan, 1909, What are "factors" in Mendelian explanations ? American Breeders Association Reports, 5:365-369, accessible à l'adresse: http://www.esp.org/foundations/genetics/classical/thm-09.pdf

Étant donné la faiblesse de mon anglais je ne peux que livrer quelques extraits en regard du texte original auquel le lecteur voudra bien se reporter. Je serais très reconnaissant qu'on me signale des fautes (ou que l'on me fournisse une véritable traduction).

WHAT ARE "FACTORS" IN MENDELIAN EXPLANATIONS ?

BY PROF. T. H. MORGAN

IN THE MODERN INTERPRETATION OF MENDELISM, facts are being transformed into factors at a rapid rate. If one factor will not explain the. facts, then two are invoked; if two prove insufficient, three will sometimes work out. The superior jugglery sometimes necessary to account for the result, may blind us, if taken too naïvely, to the common-place that the results are often so excellently "explained" because the explanation was invented to explain them. We work backwards from the facts to the factors, and then, presto! explain the facts by the very factors that we invented to account for them. I am not unappreciative of the distinct advantages that this method has in handling the facts. I realize how valuable it has been to us to be able to marshal our results under a few simple assumptions, yet I cannot but fear that we are rapidly developing a sort of Mendelian ritual by which to explain the extraordinary facts of alternative inheritance. So long as we do not lose sight of the purely arbitrary and formal nature of our formulae, little harm will be done; and it is only fair to state that those who are doing the actual work of progress along Mendelian lines are aware of the hypothetical nature of the factor-assumption. But those who know the results at second hand and hear the explanations given, almost invariably in terms of factors, are likely to exaggerate the importance of the interpretations and to minimize the importance of the facts.

  Que sont les "facteurs" des interprétations mendéliennes ?

Par le Professeur T.H. Morgan

Dans l'interprétation moderne du mendélisme, les faits sont transformés à grande vitesse en facteurs. Si un facteur ne suffit pas à expliquer les faits, un autre est ajouté; si deux se révèlent insuffisants, un troisième fera l'affaire. La jonglerie intellectuelle parfois nécessaire pour rendre compte des résultats, peut nous rendre aveugle si elle est prise naïvement au premier degré car les résultats sont souvent parfaitement "expliqués" par le fait même que l'explication elle-même a été inventée pour en rendre compte. Nous travaillons pour tirer les facteurs des faits et puis, presto ! nous expliquons les faits par les facteurs même que nous avions inventé. Je ne méprise pas les avantages de cette méthode pour exploiter les faits. Je sais combien cette méthode a été valable pour nous permettre de rassembler nos résultats à l'aide de quelques affirmations simples , mais maintenant je ne peux voir qu'avec inquiétude le développement d'une sorte de rituel mendélien par lequel nous expliquons des faits extraordinaires d'héritage avec alternance. Tant que nous ne perdons pas de vue la nature purement arbitraire et formelle de nos formules , cela ne porte pas à conséquence; et il n'est nécessaire que de préciser que ce que nous faisons avec le développement actuel du travail dans la lignée mendélienne, ne présume en rien de la nature hypothétique des facteurs supposés. Mais ceux qui connaissent les résultats de seconde main et n'entendent que les explications fournies, presque exclusivement en termes de facteurs, peuvent aisément exagérer l'importance des interprétations et minimiser l'importance des faits.

By way of illustrating empirically what I have in mind, I should like to point out certain implications in the current assumption that the factors (sometimes referred to as the actual characters themselves &emdash; unit-characters, not infrequently) are dissociated in the germ-cells of the hybrids into their allelomorphs. For instance a tall pea crossed with a dwarf pea produced in the first generation a tall hybrid. Such tall peas inbred produce three tall peas to one dwarf. Such are the surprising facts. Mendel pointed out that the numerical results could be explained if we assume that the hybrid peas produce germ-cells of two kinds, tall-producing and dwarf-producing. The simplicity of the explanation, its wide applicability and what I may call its intrinsic probability will recommend his interpretation to all who have worked with such problems of heredity. Out of this assumption the modern factor-hypothesis has emerged. The tallness of the tall all pea is said to be due to a tall-factor; the dwarfness of the dwarf-pea, to be a dwarf factor. When they meet in the hybrid, the tall-factor gets the upper hand. So far we do little more than restate Mendel's view. But when we turn to the germ-cells of the hybrid we go a step further. We assume that the tall-factor and the dwarf-factor retire into separate cells after having lived together through countless generations of cells without having produced any influence on each other. We have come to look upon them as entities that show a curious antagonism, so that when the occasion presents itself, they turn their backs on each other and go their several ways. Here it seems to me is the point where we are in danger of over-looking other possibilities that may equally well give us the two kinds of germ-cells that the Mendelian explanation calls for.

In the first place the assumption of separation of the factors in the gametes is a purely preformation idea. The factors have become entities that may be shuffled like cards in a pack, but cannot become mixed. The whole mechanism turns on the old preformation conception of the way the characters of the adult are contained in the egg. The success of the method as a ready means of explanation does not, in my opinion, justify the procedure; for the preformation idea has always led to immediate, if temporary, successes; while the epigenetic conception, although laborious, and uncertain, has, I believe, one great advantage , it keeps open the door for further examination and re-examination. Scientific advance has most often taken place in this way. Can we offer one or more alternative points of view that will accord with the assumption of two kinds of germ cells in the first generation of hybrids? Until all the possibilities are exhausted it will be at least judicious to hold the segregation hypothesis, as currently interpreted &emdash; a purely formal procedure. I think that the condition of two alternative characters may equally well be imagined as the outcome of alternative states of stablility (or of conditions) that stand for the characters that make up the individual. We can conceive of tallness and dwarfness as two protoplasmic stages or sta tes without intermediates, just as chemical compounds are alternative and separate, each with its own properties. If we mix, in the hybrid materials that have, the power to produce one, or the other condition, it is conceivable that they remain at first independent; the stronger the result in most cases, although the weaker not infrequently shows its presence also. In one and the same indivdual both the dominant and the recessive characters may appear. For example, chocolate and black mice Mendelian results; but I have obtained individuals that were black in front and chocolate behind. Again blackeye and pink eye are Mendelian alternatives, yet I have three mice with one pinkeye and one black one. Local conditions, I infer, determine, in these heterozygotes, that at one time the dominant and at another the recessive characters come to the front, and I could bring forward evidence to show that the results are not due to segregations of unit-characters. The continuous series of types not infrequently shown in the second hybrid generation, shows also, I think that segregation of characters in the germ-cells is by no means an established Mendelian rule.

There is a consideration here of capital importance. The egg need not contain the characters of the adult, nor need the sperm. Each contains a particular material which in the course of the development produces in some unknown way the character of the adult. Tallness, for instance, need not be thought of as represented by that character in the egg, but the material of the egg is such that placed in a favorable medium it continues to develop until a tall plant results. Similarly for shortness. The fertilized egg of the hybrid between these types likewise contains both possibilities. In the soma or body of these produce their characters &emdash; one kind at least. If the germ cell of the hybrid can be traced directly to the undifferentiated germ plasma of that individual, it too contains as yet not the characters but the undeveloped materials from which the characters develop. It follows that we are not justified in speaking of the materials in the germ-cells as the same thing as the adult characters until they develop. As already stated, it seems possible that at some time in the history of the germ-cells, the new materials reach in some cells one condition of equilibrium; in others the alternating condition. On the average it is possible that equal numbers of each are formed, if they are equally potent &emdash; but only on an average; for it is well known that Mendelian results are only average results, and it by no means follows that in all individuals equal numbers of the two states are present. In fact the well-recognized principle of pre-potency clearly indicates that equal numbers of the alternative conditions are not always present in each individual. In some such way, I think, it is possible to conceive of the admitted presence of two kinds of germ-cells that produce the average Mendelian proportions. The point of view lacks the sharpness of the preformed-factor assumption &emdash; which is not altogether a disadvantage when all the facts are considered! The view has two advantages of its own, one is that it shows at least the possibility of another interpretation, and the more such we have the less likely are we to become blind followers of one idea. The other advantage, to my mind, is that the assumption is more epigenetic in character than the conventional one. This, however, may not be conceded by everyone.

The crucial point for the view here presented is found in the critical stage in the germ-cells of the hybrid. It is an equally difficult point for the segregation theory. According to the latter, the characters separate at this time; according to my view, they now enter into an intimate relation with each other &emdash; for which view there is good cytological evidence &emdash; and emerge in such a condition, that, in some cells, the state that will produce one character has established itself; in other cells, the opposite state (Note: This statement has a superficial resemblance to another view I proposed two years ago, namely of alternate dominance. In the present view alternate dominance is different in so far as the recessive need not contain the dominant latent, etc. Also in other respects). We have fairly good evidence to suppose that in the critical stage the maternal and paternal elements are brought into a new relation to each other &emdash; one that has not existed in the somatic cells. It is at this time that the changes take place that lead to the postulated differences.

Le point crucial de la vision présentée ici se trouve dans le stade critique des cellules germinales de l'hybride. C'est également un point difficile pour la théorie de la ségrégation. En effet, selon cette dernière, les caractères se séparent à ce moment là ; selon ma vision ils entrent alors l'un avec l'autre dans une relation intime - ce qui est conforté par des observations cytologiques - et émergent de telle façon que, dans certaines cellules, l'état qui a produit un caractère s'est établi lui-même, alors que c'est l'état opposé dans une autre cellule. Nous avons une assez bonne raison de supposer qu'au stade critique les éléments maternels et paternels sont amenés à avoir une nouvelle relation l'un à l'autre - une relation qui n'existe pas dans les cellules somatiques. C'est à ce moment là qu'ont lieu les changements qui produisent les différences proposées.

In conclusion I wish to point out a parallel that we cannot afford to ignore. In the development of the egg the organs of the individual become just as sharply separated from each other as are the characters of Mendelism. Experimental embryology has made it more than probable, that the alternative nature of the characters of the different organs is not the result of disjunction of unit-characters present in the egg, although the preformationists have attempted to explain development in this way. The process is far more subtle and in a sense more complicated. It may be claimed that we have here only an analogy, not a similar series of events, but I incline to think that the comparison worthy of serious consideration.

En conclusion je voudrais souligner le parallèle que nous ne pouvons ignorer. Dans le développement de l'œuf les organes de l'individu devient aussi étroitement séparés les uns des autres que les caractères du mendélisme. L'embryologie expérimentale a rendu plus que probable l'idée selon laquelle la nature alternative des caractères des différents organes n'est pas le résultat de la disjonction de caractères-unités présents dans l'œuf, même si les préformationnistes ont essayé d'expliquer de développement ainsi. Le processus est bien plus subtil et, dans un sens, plus compliqué. On doit affirmer haut et fort que nous n'avons ici qu'une analogie et non pas une série identique d'événements. Mais je penche pour le point de vue selon lequel cette comparaison mérite une considération sérieuse.

Voici le commentaire qu'en fait Michel Morange (histoire de la génétique : www.eduscol.education.fr/ D0018/Histoiredelagenetique.pdf ) sans citer le texte ni l'article, c'est donc moi qui pense qu'il fait bien référence à cet article:
« Morgan était embryologiste de formation. Jusqu'en 1910, il avait été un adversaire résolu du mendélisme et de la génétique. Il émettait trois critiques fondamentales à la théorie génétique.
- En premier lieu, il estimait que si les gènes étaient réellement liés aux chromosomes, on devrait observer que certains caractères déterminés par des gènes sont toujours transmis de manière conjointe. On a pu démontrer par la suite que cette transmission n'était pas absolue puisque les chromosomes peuvent être cassés et différents fragments de chromosomes réassortis.
- Deuxièmement, il reprochait à la génétique d'être une science trop "facile". Pour expliquer un phénomène, on suppose qu'il existe un gène, ou même, si cela ne suffit pas, deux gènes, et ainsi de suite. Cette critique, malgré nos techniques modernes de localisation des gènes, reste aujourd'hui pertinente, quand on voit la facilité avec laquelle on fait appel à un ou plusieurs gènes pour expliquer telle ou telle caractéristique humaine, tel ou tel don…
- Enfin, Morgan voyait dans la génétique un retour au préformationnisme. Les mendéliens, disait-il, supposent que l'organisme est déjà tout entier contenu dans les gènes transmis de génération en génération, ce qui remet en cause la théorie de l'épigenèse qui s'est développée au XIXème siècle. Ce serait donc un retour en arrière dans l'embryologie. Malgré ces critiques, Morgan va peu à peu être convaincu par les théories de Mendel, grâce son travail sur la drosophile, notamment la transmission du caractère de la couleur des yeux.»

Je pense que la critique de Morgan porte toujours actuellement notamment : Nous travaillons pour tirer les facteurs des faits et puis, presto ! nous expliquons les faits par les facteurs même que nous avions inventé . L'explication mendélienne est un modèle qui a fait son temps et il est temps d'en préciser les limites et d'en proposer d'autres.

Sur les relations entre les débuts de la génétique et l'embryologie un (long) article (en anglais) s'impose: Scott Gilbert, The Embryological Orgins of the Gene Theory (http://zygote.swarthmore.edu/gene1.html), article adapté de 2 autres articles :
The Embryological Origins of the Gene Theory , Journal of the History of Biology 11 (Fall,1978), pp. 307 -351
In Friendly Disagreement: Wilson, Morgan, and the Embryological Origins of the Gene Theory, American Zoologist 27 (1987): 797 - 806.
On peut y trouver expliquées quelques idées directrices que Morgan avait tiré de l'embryologie et qui posaient problème dans une interprétation particulaire de l'hérédité. Au contraire de Wilson qui, par ses convictions plus proches de celles de Boveri, était déjà très bien disposé envers une explication nucléaire et particulaire de l'hérédité et du contôle du développement.

«...which convinced him that chemical reactions in the cytoplasm were responsible for development, rather than morphological changes within the nucleus.».

[Morgan était] ...convaincu que les réactions chimiques dans le cytoplasme étaient responsables du développement plutôt que les changements morphologiques dans le noyau.

« It was precisely in this area of early development that the central problem of developmental mechanics was framed: Which of the two major compartments of the fertilized egg- the nucleus or the cytoplasm - controls heredity and development? »

C'était précisément dans ce domaine des premiers stades du développement que le problème central des mécanismes du développement s'est inscrit : lequel des deux principaux compartiments de l'œuf fertilisé - le noyau ou le cytoplasme - contrôle l'hérédité et le développement ?

Malgré les expérimences de Boveri sur les oursins qui tendent à mettre en avant le rôle du noyau, Morgan reste persuadé du rôle prépondérant du cytoplasme, et réalise des expériences à Naples sur l'œuf de cténophore qui vont dans le sens opposé.

Ces idées sont reprises d'une manière plus simple dans Biologie du développement, 2004, De Boeck Université (pour l'édition française), (chapitre 4, partie 4.1) dont on peut suivre les éléments de mise à jour et des compléments à l'adresse: http://8e.devbio.com/ (l'article ci-dessus est à l'adresse: http://8e.devbio.com/subnode.php?ch=4&id=19 ).


2. Une revue sur le rôle des chromosomes datée de 1910


Un second article, publié en 1910, montre l'intérêt de Morgan pour les questions de l'hérédité, notamment grâce aux avancées de la future génétique, mais met en garde contre des conclusions trop rapides [Morgan, T. H. 1910. Chromosomes and heredity, The American Naturalist, 44:449&endash;496 (http://www.esp.org/foundations/genetics/classical/holdings/m/thm-10b.pdf)].

Il me paraît fructueux,
pour toute personne qui serait intéressée
à présenter une nouvelle compréhension
du rôle des chromosomes (en ce début du XXIème siècle),
- comme j'y encourage mes élèves (et mes lecteurs) -
de se plonger dans cet article.

Voici quelques extraits mais l'article était constitué d'une suite d'arguments discutés, il n'est pas possible de le résumer (je serai aussi preneur d'une traduction si quelqu'un a réalisé ce travail):

1ère partie: THE INDIVIDUALITY OF THE CHROMOSOMES (pp 1-13)

La nature des chromosomes dans le phénomène héréditaire

p ...1-2...
«The modern literature of development and heredity is permeated through and through by two contending or contrasting views as to how the germ produces the characters of the individual. One school looks upon the egg and sperm as containing samples or particles of all the characters of the species, race, line, or even of the individual. This view I shall speak of as the particulate theory of development. The other school interprets the egg or sperm as a kind of material capable of progressing in definite ways as it passes through a series of stages that we call its development. I shall call this view the theory of physico-chemical reaction, or briefly the reaction theory. The resemblance of this comparison to the traditional theories of preformation and epigenesis is obvious, and I should willingly make the substitution of terms were it not that the terms preformation and epigenesis have certain historical implications, and, as I wish to emphasize certain things not necessarily implied in the historical usage, I prefer descriptive terms other than these overladen with so many traditions ».

La littérature moderne sur le développement et l'hérédité est traversée de part en part par des visions différentes ou même opposées sur la façon dont le germe produit les caractères de l'individu. Un école considère que l'œuf et le sperme contiennent des éléments ou des particules des tous les caractères de l'espèce, de la race, de la lignée et même de l'individu. Cette vue est ce que j'appellerai la théorie particulaire du développement. L'autre école interprète l'œuf et le sperme comme une sorte de matière capable d'évoluer selon des chemins particuliers au fur et à mesure qu'elle passe par un série d'états qui constituent le développement. J'appellerai cette vision la théorie des réactions physico-chimiques, ou, en abrégé, la théorie des réactions. La ressemblance de ces deux visions avec les théories traditionnelles de la préformation et de l'épigenèse est évidente, et il est possible que je fasse involontairement une confusion de termes alors que les termes de préformation et d'épigenèse ont des implications historiques certaines et, comme je souhaite souligner certaines choses, non pas nécessairement relativement à leur usage historique, je préfère les termes descriptifs plutôt que ceux qui sous-tendent autant de traditions..

p...3...
Il développe l'idée exposée dans l'article précédent de 1909 selon laquelle la théorie particulaire resprésente une préformation moderne. En précisant qu'on ne recherche plus dans l'œuf et le sperme un embryon complet mais des particules qui, assemblées, donneront l'embryon.
(« We no longer look for an actual embryo preformed but we look for samples of each part, which samples by increasing in size and joining suitably to other parts make the embryo)». Alors que la théorie opposée considère que les cellules germinales sont constituées d'une substance fondamentale (ou de quelques éléments, en tout cas de peu d'éléments) qui change au fur et à mesure du développement jusqu'à donner des produits finaux qui sont les éléments connus (The contrasting theory looks upon the germ-cells as consisting of one fundamental material, or at most of a few materials that change as development proceeds, until finally the end-product of the changes are the kinds of materials that we know to differ chemically in a number of ways.)
Sur cette question je recommande un intéressant article (en anglais) à l'adresse: http://plato.stanford.edu/entries/epigenesis/

p 4-5...
The modern theory of particulate inheritance goes back no further than the discovery that the sperm transmits equally with the egg the characters of the race; and with the discovery that the most conspicuous thing that the sperm brings into the egg is the nucleus of the male cell or more specifically its chromatin. Around these simple statements the whole edifice has been erected. We owe to Weismann more than to any other biologist, the peculiar trend that this speculation has followed. It has seemed to many biologists that the only interpretation of the facts just stated could be that special turn that Weismann has given to them. By a curious twist of logic Roux brought the chromosomes into the discussion. He argued that the karyokinetic figure is an instrument of such a sort that we must suppose its function to be that of nicely separating at each division the different kinds of materials of which the chromosomes are composed, or supposed to be composed. Were it only necessary, he argued, to divide the chromatin quantitatively into equal parts a far simpler mechanism ought to suffice. Weismann took this argument in good faith, and built up his theory upon it. But if one thing seems more certain than anything else in modem cytological work it is that in most cases the karyokinetic figure divides the chromatin of the chromosomes into exactly equal parts, irrespective of what the fate of the cells is to be. We find that the chromosomes in the different tissues are identical as far as our methods reach. Observation gives a positive denial to the Roux-Weismann assumption. In fact, Roux himself has later abandoned this position. We find in many quarters a strong disinclination to the view that the chromosomes are responsible in this sense for the process of development.

2ème partie CHROMOSOMES AND MENDELISM (pp 13 - 24 )

Chromosomes et mendélisme

3ème partie: CHROMOSOMES AND SEX (pp 24 - 36)

Chromosomes et sexe

p 24 ...« In recent years two converging lines of evidence have led the most sanguine of us to hope that before long we shall know, in part, at least, the answer to the outstanding riddle of the ages, the determination of sex. These two lines of research are the experimental study of sex inheritance, and the microscopic study of the germ cells. Both have led to the conclusion that sex is not, as has been so often supposed, determined by the external conditions to which the parents, or the eggs, or embryos are subjected, but that there exists an automatic process in the egg and sperm by which equality of the two sexes is attained ».

Ces dernières années deux lignes convergentes d'arguments ont amenés les plus optimistes parmi nous à nourrir l'espoir de comprendre, ou pour le moins d'avoir une réponse au problème ancestral, de la détermination du sexe. Ces deux axes de recherche sont d'une part l'étude expérimentale de l'hérédité sexuelle et d'autre part l'étude microscopique des cellules germinales. Tous deux ont conduit à la conclusion que le sexe n'est pas, comme cela a été souvent considéré, déterminé par les conditions extérieures auxquelles sont soumis les parents, ou les œufs ou les embryons, mais qu'il existe un processus automatique dans les œufs et le sperme par lequel une égalité en nombre entre les individus des deux sexes est atteinte.


3. La première publication mendélienne de Morgan chez la drosophile

Morgan commenca son travail de génétique avec la drosophile en 1909 sur les conseils de Lutz. Il profite des travaux de Woodworth en 1900-1901 sur les croisements réalisables en grand nombre chez cet insecte. Il obtint rapidement de nombreux "mutants". L'observation de la transmission conjointe de traits de caratères (liaison) a été observée simultanément chez le Pois par des chercheurs anglais en 1909 et 1910.

Une des premières mutations obtenues par Morgan est un mâle aux yeux blancs dans une population aux yeux rouges (caractère sauvage). Comme il n'apparaît que chez le mâle, il va tenter une interprétation double, d'une part avec une explication désormais classique, de type mendélienne mais aussi un lien avec la transmission d'un facteur sexuel, associé (lié). Quand on connaît l'intérêt de Morgan pour les mécanismes du déterminisme sexuel (voir publication précédente datée de la même année), on peut penser que c'est bien cette seconde question qui est pour lui centrale.


Sex limited inheritance in Drosophila, Science, 32, 120
disponible sur l'ESP : http://www.esp.org/foundations/genetics/classical/thm-10a.pdf; une traduction en français faite par un collègue est accessible à: http://www.ac-amiens.fr/pedagogie/svt/info/hist_genet/Morgan.html)

Hérédité limitée au sexe chez la Drosophile

Résultats

Morgan dispose d'une souche (sauvage) aux yeux rouges et d'un mâle aux yeux blancs apparu spontanément dans ses élevages

Morgan réalise ensuite 4 types des croisements de contrôle (mais pour lesquels il ne fournit aucun résultat chiffré):

1. le premier mâle mutant yeux blancs est croisé avec une femelle à yeux blancs obtenue en F2'; il affirme avoir obtenu que des descendants à yeux blancs, pour moitié mâles, pour moitié femelles.

2. pour tester l'homo/hétéro-généité de la génération F2 chez les femelles il croise des femelles aux yeux rouges issues de la F2 avec des mâles aux yeux blancs et obtient bien deux types de descendances différentes indiquant les deux types de femelles possibles : soit tous les descendants aux yeux rouges (pour les femelles aux yeux rouges de lignée pure), soit 4 types possibles de descendants pour les femelles hybrides (ce qu'il a déjà fait en F2')

3. pour tester l'homogénéité de la F1 pour les femelles, il les croise avec un mâle aux yeux blancs et obtient bien toujours des descendants aux yeux rouges.

4. pour tester l'hétérozygotie* des mâles aux yeux rouges de la F1 il les croise avec une femelle à yeux blancs et obtient bien des femelles à yeux rouges et des mâles à yeux blancs.

* Morgan emploie le terme hétérozygote (heterozygous) pour désigner un individu mâle (p 10) donneur d'un facteur sexuel noté X pour la moitié des spermatozoïdes seulement, (mâle "hétérozygote pour le sexe", ce que l'on qualifierait plutôt d'hétérogamétique), ET aussi pour désigner un individu femelle (p11) avec deux allèles différents pour le même gène - les femelles portant d'autre part deux facteurs sexuels X identiques), ce qui est le sens actuel. En fait, ici, il assimile donc plus ou moins le facteur sexuel à un gène au sens de particule héréditaire.

femelle yeux rouges X mâle yeux blancs
F1: 1237 descendants ont les yeux rouges et 3 mâles ont les yeux blancs
(Morgan considère que ces mâles à yeux blancs sont issus de mutations supplémentaires et n'en tiendra pas compte)
F2: 2459 femelles aux yeux rouges, 1011 mâles aux yeux rouges (56% des mâles) et 782 mâles aux yeux blancs (44%).
J'avais pensé que la F3 était l' étape indispensable pour obtenir des femelles à yeux blancs, mais en fait Morgan a réalisé un croisement entre le premier mâle aux yeux blancs muté et quelques femelles aux yeux rouges issues de la F1 (hybrides de 1ère génération)

femelles yeux rouges hybrides (F1) X mâle yeux blancs
F2'
: 129 femelles à yeux rouges (59% des femelles soit 30% de tous les descendants),
132 mâles à yeux rouges (61% soit 30% de tous les descendants),
88 femelles à yeux blancs (41% soit 20% de tous les descendants )
et 86 mâles à yeux blancs (39% soit 20% de tous les descendants ).

femelle yeux blancs X mâle yeux rouges
F1: toutes les femelles ont les yeux rouges et tous les mâles les yeux blancs
F2 : mâles et femelles sont chacuns pour moitié aux yeux blancs et pour moitié aux yeux rouges

Dans son interprétation à l'aide d'un facteur sexuel X porté par la moitié des spermatozoïdes mais par tous les ovocytes, Morgan arrive à un problème d'interprétation de ce croisement (W désigne l'allèle yeux blancs et R, l'allèle yeux rouges; les gamètes sont donc WX ou RX pour les ovocytes et la moitié des spermatozoïdes et W ou R pour l'autre moitié des spermatozoïdes). Dans son formalisme le croisement est donc le suivant WWXX - RRX ce qui aurait donné des femelles WRXX et des mâles WRX et donc uniquement des descendants aux yeux rouges. Mais il obtient des mâles tous aux yeux blancs et des femelles aux yeux rouges. Il propose donc que le mâle sauvage (wild) soit WRX et non RRX. Il réalise alors le croisement en retour d'un mâle aux yeux blancs avec une femelle sauvage aux yeux rouges soit WWX - RRXX et s'attend à obtenir des femelles RWXX et des mâles WRX, tous aux yeux rouges, ce qu'il obtient.

Explication scolaire :

Le cas étudié par Morgan est le premier exemple d'"hérédité liée au sexe". En effet, chez la drosophile, comme chez de nombreux organismes, il existe une différence chromosomique entre les deux sexes: la différence la plus commune étant le remplacement de l'un des chromosomes d'une paire d'homologue par un chromosome différent dans l'un ou l'autre des sexes (comme pour l'homme qui est XY et la femme XX).

Une interprétation plus moderne positionne donc le gène "couleur des yeux blancs/rouge" sur la partie propre du chromosome sexuel X.

Le facteur sexuel X peut donc être plus ou moins assimilée la partie propre de l'X. Ce ne serait donc pas un gène transmis en même temps que les autres mais le support même de certains gènes.

Analyse formelle actuelle:
On utilisera la notation classique (+) désignant l'allèle sauvage conduisant au phénotype yeux rouges et (w) désignant l'allèle muté conduisant au phénotype yeux blancs (white). Les deux allèles portés par deux chromosomes homologues étant portés de part et d'autre d'une simple (ou double car cela se voit mieux à l'écran) barre de fraction. L'absence d'alléle porté par le chromosome homologue chez le mâle (dit hétérogamètqiue car présent chez certains gamètes chez un seul des sexes) sera désigné par la lettre y. On dit que le gène porté par la partie propre de l'X est hémizygote chez le mâle et que le caractère yeux blancs (en fait l'allèle) est lié au sexe (liaison au sexe).

femelle +//+ x w//y mâle

w
y
+
+//w
+//y
F1
toutes les femelles ont les yeux rouges (+//w) ainsi que tous les mâles (+//y)
F2
femelles +//w x +//y mâles

+
y
+
+//+
+//y
w
w//+
w//y
femelles à yeux rouges (pour moitié +//+ et pour moitié w//+)
mâles pour moitié à yeux rouges (+//y) et pour moitié à yeux blancs (w//y)

F2'

w
y
+
+//w
+//y
w
w//w
w//y
les femelles ont pour moitié les yeux blancs (
w//w) et pour moitié sont hybrides avec les yeux rouges (+//w); les mâles ont pour moitié les yeux blancs (w//y) et pour moitié les yeux rouges (+//y)
femelle w//w x +//y mâle
F1

+
y
w
w//+
w//y

toutes les femelles ont les yeux rouges (w//+) alors que tous les mâles ont les yeux blancs (w//y)
F2
femelles w//+ x w//y mâles

w
y
w
w//w
w//y
+
+//w
+//y
femelles pour moitié à yeux rouges (+//w) et pour moitié à yeux blancs (
w//w)
mâles pour moitié à yeux rouges (+//y) et pour moitié à yeux blancs (w//y)

même remarques que précédemment pour ces proportions théoriques

Remarques:

  • Cette expérience peut être une bonne introduction aux mutations (la mutation est définie comme un changement dans la séquence d'ADN).
    La mutation yeux blancs à pu apparaître sur une chromatide avant une phase de réplication (interphase, phase S) chez certaines cellules germinales mâles ou femelles (car elle touche le chromosome sexuel dit homogamétique, c'est-à-dire identique dans les gamètes des deux sexes, c'est-à-dire le X avec le formalisme habituel). On doit alors supposer qu'elle est présente dans certains des gamètes et s'exprime alors chez le mâle car il ne possède qu'un exemplaire du gène muté si celui-ci se situe dans une zone propre au chromosome sexuel X (partie propre de l'X). Une mutation apparue chez un adulte, dans une cellule différenciée, ne se transmet pas. Elle doit apparaître dans la lignée germinale, seule transmise, ou au cours des premières divisions de l'embryon. On pourrait dire que la mutation exprimée et héréditaire est une anomalie génétique conservée (non réparée) lors de la reproduction et en cela qu'elle touche donc les cellules spécialisées (lignée germinale) ou les premières étapes du développement.
    Enfin il faut que cette mutation s'exprime (il vaudrait mieux dire qu'elle modifie l'expression phénotypique habituelle de la cellule) c'est-à-dire que par exemple, dans le cas des yeux blancs, elle provoque un arrêt de la synthèse du pigment rouge normalement synthétisé par les yeux sauvages. Cela fait donc de nombreuses conditions réunies pour que cette mutation soit apparue, ai été conservée, non réparée, et s'exprime sous la forme d'une déficience pigmentaire de l'œil et n'affecte aucun (?) autre élément de l'organisme ou même n'empêche pas le fonctionnement de l'œil. Plus qu'une mutation (si l'on se réfère à la définition qui est limitée à un changement de l'ADN), il s'agit d'une véritable variation génotypique dans le sens où elle a été conservée et stabilisée par les cellules qui l'expriment mais aussi par les cellules qui ne l'expriment pas puis va être transmise comme partie intégrante du nouveau génotype par les cellules de la lignée germinale sans qu'elle empêche aucune étape du développement.
  • Si le caractère ou allèle "yeux blancs" peut correspondre à une mutation très ponctuelle au niveau d'un gène il ne faut pas penser que le caractère ou allèle "yeux rouges" est dû à lui seul au fonctionnement du gène non muté. En effet le phénotype sauvage "yeux rouges" correspond à un individu "intact" dont l'ensemble des informations, tant génétiques que cytoplasmiques ou encore extra cellulaires conduisent à la formation puis au fonctionnement d'un œil de mouche à facettes extrêmement complexe et dont la pigmentation est rouge vif. Dans la pratique il est fréquent que l'on parle du gène gouvernant le caractère "couleur des yeux" par exemple et que l'on considère qu'il peut se présenter sous deux allèles (sauvage et blanc ici). C'est bien sûr une simplification qui est tout à fait fausse. Si l'on peut imaginer sans trop de difficulté qu'une perturbation cause un défaut de pigmentation, on ne sait pas dans ce cas complexe (on est chez un eucaryote déjà très évolué car les Arthropodes sont considérés comme les plus complexes des invertébrés) quels sont tous les mécanismes mis en jeu dans le fonctionnement de l'œil pigmenté ou dépigmenté d'ailleurs. Ainsi, par commodité on parle d'allèle sauvage mais celui-ci n'est bien sûr défini que par référence à l'allèle muté. Il me paraît simpliste et même faux d'imaginer qu'un individu sauvage puisse être défini par l'ensemble des ses allèles sauvages, c'est une vision très réductrice de l'être vivant qui ne prend en compte que l'information génétique. Si certains généticiens imaginent qu'ils pourront connaître tous les allèles de tous les gènes c'est leur droit mais cela me semble bien présomptueux (voir tableau ci-dessus sur la liaison gène-caractère). En définitive, les termes d'allèles n'ont pas la même signification pour un allèle sauvage et un allèle muté.